lundi 30 mai 2022

La voie du désir

Les Kâma-soûtras...

sont un traité technique sur kâma, l'un des quatre buts de la vie selon la tradition hindoue.


Kâma désigne alors le plaisir au sens large, ceux du corps et de l'esprit. Voilà pourquoi les kâma-shâstras (les traités techniques sur kâma) parlent de sexe, mais aussi de l'art de confectionner des guirlandes, du dressage des perroquets et de la composition de sonnets et autres traits d'esprit.
Kâma est à la fois plaisir et désir. 
Le mot vient d'une racine -kam "désirer", "aspirer à", "souhaiter", mais aussi être amoureux, aimer, être excité sexuellement, admirer, valoriser...
Cette racine est apparentée aux racines -kan et -kâ "jouir de", "prendre plaisir à".

Dans la perspective hindoue, kâma est légitime dans le respect des règles naturelles, mais il ne mène finalement qu'à la souffrance, sauf s'il est orienté vers Dieu. C'est l'enseignement de base de la Gîtâ : je peux aimer avec fruit, si j'aime Dieu. 

Et pour cela, concrètement, je dois travailler à agir pour Dieu, sans aimer aucune chose pour elle-même ni pour mon bien propre. Comme dans le platonisme et le christianisme, le désir est une énergie qui a pour vocation le divin. 

L'idéal du désir est alors
nish-kâma-karma, c'est-à-dire l'action sans désir, sous-entendu "sans désir égoïste", sans recherche de notre intérêt. Au contraire, il faut tout faire par devoir, par respect de l'ordre naturel des choses (dharma) et par amour du divin, ici incarné par Krishna, mais qui est présent au cœur de chaque être, en tant que témoin de l'intellect de chacun.

L'Advaïta Vedânta, qui n'a dans l'ensemble pas une vision très positive du désir/plaisir, se contente de prôner une maîtrise des désirs par la méditation des défauts du désir en général : si l'on voit clairement que tout désir est souffrance et que tout plaisir est éphémère, alors naît spontanément le dégrisement (vairâgya, virâga), le dé-goût, la désillusion. Et l'intellect est alors suffisamment pur, disponible pour entendre l'enseignement de la non-dualité et se tourner vers la conscience-témoin qui est notre essence et qui est la seule et unique réalité.

Une autre forme de non-dualisme, comme celui de Vasishtha, prescrit les mêmes méditations, mais sans aller jusqu'au renoncement extérieur. L'important est alors le détachement intérieur qui, parvenu à sa maturité, est la libération. C'est une sorte de "fraîcheur intérieure" (antah-shîtalatâ) dont aucun signe extérieur ne permet d'inférer la présence à coup sûr : ainsi Ardjouna combat sur le champs de bataille, tout en étant serein en lui-même. Il est le héros de ce "yoga dans l'action", du karma-yoga qui est le grand message de la Gîtâ.

Dans le shivaïsme du Cachemire en revanche, il ne s'agit pas seulement de renoncer au désir égoïste et d'orienter le désir vers Dieu, mais plutôt de reconnaître que le désir, pris en sa source, est non-duel. 

Concrètement, quand je désire manger, eh bien ce désir, pris et ressenti en sa source, ne fait qu'un avec la nourriture que je désire. En son premier instant, tout désir ne fait qu'un avec son objet. Donc la pratique consiste à retourner vers le désir brut, le pur kâma, le désir sans objet, comme un saumon remonte en amont. 

Il est ainsi nécessaire de se détacher du contenu du désir ("Peu importe le flacon..."), mais ceci pour mieux reconnaître le désir, un désir non-duel, sans manque donc, car non séparé d'avec son objet. 

L'aube du désir n'est pas manque ni souffrance, car le sujet et l'objet n'y sont pas encore séparés. En fait, le jaillissement d'un désir est pure énergie, shakti, pleine conscience de soi qui est émerveillement, délectation, joie et vertige de la liberté sans limites. 

Le pratiquant doit juste avoir assez de détachement pour pouvoir se détourner du contenu concret du désir et retourner cette énergie vers sa source, laquelle est la Source de tout. 

Alors que dans le Vedânta, on prône une "action sans désir" (désir égoïste, nish-kâma-karma), dans le shivaïsme non-dualiste, on célèbre le "désir sans contenu" (nish-karma-kâma), le plaisir sensuel, corporel, mais sans objet, sans égard pour l'objet du plaisir.

Mais dans les deux cas, il faut être capable de détachement, que ce soit pour que la conscience-témoin s'éveille à elle-même, ou pour plonger tout entier dans le désir brut, le désir universel et divin.

Kâma est donc au cœur de la recherche de la liberté.
Il en est le moteur et l'aliment, sans lequel aucun autre but de la vie ne pourrait être atteint, même les plus nobles.

Reconnaître le désir brut, c'est reconnaître l'énergie qui est la vie même, sous-jacente à toutes ses manifestations limitées, c'est adorer le divin, l'extase créatrice, c'est participer au mouvement même qui est à l'origine de tous les mouvements. 

Kâma-tattva "l'essence du désir" est le secret
du tantra traditionnel, la découverte de "notre propre force" (sva-bala), la force du Soi, qui est frémissement (spanda), émotion et valeur (bhâva), qui est, en fin de compte, l'essentiel. 

A côté de lui, il faut aussi reconnaître visha-tattva "l'essence du poison", poison qui n'est autre que le dé-goût ressenti après un plaisir intense (sexuel ou autre). Goût et dégoût, passion et détachement font partie tous deux du mouvement naturel de la conscience, à l'image de la respiration. Ni passion contre le détachement, ni détachement contre la passion : seulement vivre les deux comme complémentaires et également beaux et bons, à l'instar de la vie et de la mort, du réveil et de l'endormissement. 

Je réalise alors que ces deux-là sont deux phases de mon essence transparente comme le ciel : nirandjana-tattva. Voilà pourquoi, dans le tantra traditionnel, on peut à raison affirmer que le désir/plaisir est source de libération et de bonheur s'il est bien compris, reconnu pour ce qu'il est.

Comment reconnaître cette source, cette manne ?
En se tournant immédiatement vers la source, au cours et au cœur de n'importe quelle expérience, vers le ressenti le plus profond que l'on ressent au fond de soi, spontanément, sans rechercher la clarté, ni un effet spectaculaire. Ensuite, c'est seulement affaire de patience, d'amour, d'attention et de fidélité. 
Il n'y a plus qu'à se laisser faire, en foi nue. 

lundi 23 mai 2022

Le linga dans le yoni ?

 


Non, rien de sexuel.
Ou tout.

La méditation de Shiva consiste à se fondre dans l'espace.
Le corps est ressenti comme un bâtonnet d'encens qui fond 
dans les courants d'air.
Le regard plonge dans l'immensité,
puis l'ovale du champ visuel fond dans le mystère de la présence.
Le corps est ressenti comme un linga 
qui va se répandre dans la yoni de l'espace.

La méditation de Shakti consiste à se laisser submerger 
par la vibration viscérale "je... je... je..." comme
une pulsation. Ou même, une seule vague.
Dans la tradition, on l'appelle "la Vague".
On se sent comme l'espace pénétré 
par ce point de lumière vibrante,
cette goutte d'extase qui prend possession
de l'espace. 
Le linga de la vibration du cœur
va se répandre dans la yoni du silence.

Toutes les pratiques tantriques (kaula, "non-duelles")
sont des relations Shiva-Shakti, linga-yoni.
Des rapports entre une intensité - tactile, visuelle, extatique, désirante -
et une vastitude silencieux. 
Linga et yoni.
C'est l'offrande primordiale, originelle, âdi-yâga.

La méditation de Shiva est une méditation
du yoni de l'espace.

La méditation de Shakti est une méditation
du linga du cœur.

A


lundi 16 mai 2022

Le désir, ami ou ennemi ?

 


Le désir est-il un obstacle ou un moyen d'éveil ?

Parlons-en le 15 juin !

Infos et inscriptions

vendredi 13 mai 2022

Stage éveil et méditation en juillet


Cinq jours en juillet pour découvrir notre véritable nature au-delà du mental, à travers le souffle, le Mantra et les approches de la méditation du Tantra du Cachemire.

Dans l'ancien monastère et château de La Poujade en Dordogne, un lieu magnifique dans une des plus belles régions de France.

Inscriptions et informations : 

04 79 81 90 78 (Pierre Chatel)

ou 06 80 45 59 64 (Evelyne Chevillat)

Description du stage 









lundi 9 mai 2022

La pierre de Shiva

Il y a un peu plus d'un millénaire, vivait au Cachemire un grand yogi du nom de Vassougoupta. Il habitait en ermite dans la vallée encaissée de Datchigam, au pied du mont Mahâdeva, la montagne du Dieu des dieux, Shiva.

Là, il reçut, en rêve ou dans une vision - les versions divergent - un enseignement oral, la quintessence du yoga des yoginîs et des siddhas (adeptes réalisés). On dit aussi qu'il les reçu de Shiva en personne. Mais comme la lignée est Shiva, cela revient au même. Selon une autre version, Shiva lui aurait commandé d'aller à un certain rocher au bord de la rivière qui coule au bas de sa vallée sauvage, laquelle se trouve juste derrière la grande vallée du Cachemire. 

Une fois réveillé, il se rendit à cette pierre. Quand il la toucha du doigt, elle se retourna et il y vit, comme gravés, soixante-dix aphorismes (sûtra) qui forment le plus ancien texte du "shivaïsme du Cachemire". Puis le rocher se retourna à nouveau, les paroles disparurent de la pierre, mais Vassougoupta les avait gravé dans sa mémoire.

Il les enseigna à son disciple, le poète Kallata, qui composa alors le Poème de la Vibration (Spanda-kârikâ). 

Sur cette vidéo, vous pouvez voir ce rocher, nommé Shankarpal, à ne pas confondre avec les friandises indiennes du même nom. Comme on voit, cela ressemble assez à un paysage alpin :



jeudi 5 mai 2022

Et si l'égoïsme était la porte de l'éveil ?


"Non pas libérer le Moi, mais se libérer du Moi". Le Moi est haïssable, car il rapporte tout à soi, jetant ainsi un soupçon de corruption jusque sur les actes les plus nobles. Je me demande alors s'il existe vraiment un seul exemple avéré d'acte désintéressé. L'égoïsme, l'amour-propre, ne sont-ils pas le fond naturel de toute activité vivante, depuis le moustique jusqu'à l'ange ? Mais alors, pourquoi ne pas remonter jusqu'à Dieu, ou jusqu'à celui qui, selon la Bible, a proclamé "Je suis Dieu et nul n'est plus grand que moi" ?

Le poison de l'ego est-il donc universel et sans remède ? Le problème est que le remède à l'égoïsme est toujours un autre égoïsme, plus vaste ou reporté sur un autre objet. Au lieu de me préférer, je préfère ma famille, ma nation, ma foi, mon monde. L'égoïsme est un monstre qui se déplace, qui se transforme, mais qui ne naît ni ne meurt.  

Dans un précédent billet, je me demandais s'il existe vraiment des actes désintéressés. Il est impossible de voir les intentions d'autrui, tout comme sa conscience se dérobe. Ma propre conscience et mes propres intentions ne sont pas non plus parfaitement fiables. Je sais que je peux me mentir à moi-même, jouer à me justifier, à rationaliser après-coup. Faut-il donner des exemples ? Je peux certes tenter de juger l'arbre à ses fruits, mais c'est là une autre entreprise hasardeuse, et là non plus les exemples ne manquent pas. L'égoïsme est une sorte de radioactivité résiduelle dont nul ne semble pouvoir se débarrasser.

Et pourtant...

Me revient à l'esprit ce célèbre et étrange dialogue entre le sage indien Yajnavâlkya (Shiva ?) et la non moins sagace Maïtreyî (Shakti ?), échange qui rappelle, en substance, que tout est aimé pour l'amour de soi. Mais ceci ne confirme-t-il pas le propos précédent ? Eh bien non. Car la beauté de la langue sanskrite, dans laquelle est rapportée cette parole plusieurs fois millénaire, est que le mot "soi" (âtmâ) peut désigner à la fois l'ego et... autre chose. Un Moi transcendant. Un Moi qui n'est pas "mon ego à moi".

Mais ce Moi est-il vraiment un autre Moi que le Moi égoïste ? L'enseignement de Yajnavâlkya suggère justement que non. Il n'y a qu'un seul et unique Moi, et tout se fait par amour pour ce Moi inévitable. L'égocentrisme est universel et ne souffre nulle exception. 

Mais alors ? Eh bien, justement, par le fait même ! L'universalité de cet égoïsme pointe le remède à l'égoïsme : le poète védique nous indique le remède en indiquant le mal. Comment est-ce possible ? Parce que l'égoïsme, en sa vérité, est la reconnaissance du Moi universel, mais seulement incomplet. L'egoïsme ou amour-propre ou amour de soi, est seulement un amour universel - car ce Moi universel est le Moi de chacun - un amour inconditionnel encore immature. Yajnavâlkya suggère donc de dépasser l'égoïsme en le poussant à fond, ou plutôt jusqu'à son fond ultime ; qui est le Soi, le Moi universel, transpersonnel, base de toute relation interpersonnelle comme de toute vie personnelle, depuis le moustique jusqu'à Dieu. Tous les êtres sont donc tous plus ou moins égoïstes, certes, mais à des degrés divers. Et cela fait une incommensurable différence. Car l'égoïsme inconditionnel est amour inconditionnel. Car en cet égoïsme, je reconnais en Moi le Moi universel, et je reconnais aussi en l'autre ce même Moi. A travers ce regard, ces gestes, ces paroles... Un Moi en d'innombrables corps, dans d'innombrables mondes. C'est la reconnaissance (pratyabhijnâ) du mystère universel (îshvara) en soi (âtmani).

Utpala Deva a développé cette philosophie originale et puissante au Cachemire, vers l'An Mille, dans un poème du même nom. Cependant, quelle est sa motivation pour la partager ? N'est-il pas, lui aussi, égoïste ? Avide de reconnaissance, justement ? Oui, répond son commentateur, Abhinava Gupta, oui il est égoïste, comme tout être conscient. Mais il l'est à fond, il l'est en entier. Et donc, il ne l'est plus au sens ordinaire. Il ne demande plus rien, car il ne manque de rien, car il déborde de la plénitude du "je suis". L'ego se transcende, c'est son mouvement naturel. Il est invincible ? Mais, oui ! Il est invincible parce qu'il est divin. Sache que "Je suis" et reste tranquille. Muet. Ebahi devant le mystère. Ouvert à l'Immense. Toute transparence, suspendue dans l'intemporel intervalle. 

Le remède à l'ego est l'explosion de l'ego. Assainir l'ego par le tout-à-l'ego. Indispensable. L'amour est un ego infini. L'égoïsme est un amour fini et donc inachevé. Le problème n'est pas l'ego, mais les limites de l'ego. Tel est le secret de l'Inde éternelle, mais aussi de la tradition abrahamique dans son meilleur. Le "je suis" est le Féminin de l'être. Le "je suis" est l'Acte, la pulsation fervente et absolument muette qui enseigne, guide et guérit. 

A méditer enfin, cette énigme d'Utpala Deva :

"Seigneur !

Toi seul tu es le Soi de chacun.

Or, chacun s'aime !

Ton amour est donc

accompli par nature.

Qui le sait devient le Maître."

mardi 3 mai 2022

Encore mieux que le détachement : être désintéressé


 Il me vient aujourd'hui un point essentiel, mais dont il est très rarement question. On dit que l'on doit se détacher de tout. C'est vrai, et c'est possible quand on sent une plénitude, un attrait intérieur. Car s'il l'on essaie de se détacher sans cette contrepartie positive, on finira par se sentir de plus en plus frustré, jusqu'à revenir encore plus fort dans nos vieilles habitudes.

Mais il y a autre chose : la vie spirituelle exige beaucoup. Et le plus qu'elle exige, c'est que nous aimions la Présence pour elle-même. 

Qu'est-ce que cela veut dire ? Quand je regarde ma vie spirituelle, je constate que j'aime les bienfaits de la Présence, ses dons en quelque sorte. Le calme, la joie, la sensation de légèreté, d'harmonie, de facilité. Et même, le plaisir, le plaisir physique de sentir, de ressentir cette "vibration" d'être, si profonde. Et ensuite, ces dons ruissèlent en cascade sur les autres dimensions de ma vie. La plénitude intérieure apporte sécurité et une sorte de confiance, une insouciance, des consolations, des compensations, un élan et une énergie. 

Or, il est clair que tout ceci peut être détourné par l'ego. Je le sais parce que j'en ai fait mille fois l'expérience. L'ego récupère cette paix, cette énergie, pour satisfaire son amour-propre, son besoin d'appropriation et de contrôle. Combien de gens ont fait carrière sur ces dons de la Présence ? Et je ne parle pas seulement des "gourous" ! Mais bien de nous tous ou de la plupart d'entre nous. Nous vivons des grâces de la Présence. Et nous aimons ces grâces, quand nous ne sommes pas totalement ingrats. 

Mais pour autant, aimons-nous la Présence pour elle-même ? Supposons qu'il n'y ait plus aucun don, plus aucune consolation, ni sensible, ni mentale ? Serions-nous encore dans l'amour de la Présence ? Non, sans doute. Notre "amour", notre attrait pour la Présence est donc une sorte de commerce. Disons les choses clairement : nous donnons de l'attention, du temps, contre l'argent des bénéfices que nous ressentons. C'est donnant-donnant. Dès que je ne reçois plus, ou moins, j'investis moins. Soyons honnêtes : pour la plupart d'entre nous, la vie spirituelle est un bizness. La Présence est une manne, un filon, nous l'exploitons pour nourrir notre égoïsme. C'est dur à entendre, mais n'est-ce pas vrai ?

Qui aime la Présence d'un amour désintéressé ? Qui l'aime gratuitement, comme elle nous aime gracieusement ? Qui l'aimerait si elle ne donnait rien ? Quel cœur est capable de l'aimer, elle-même pour elle-même, et non "je l'aime pour elle m'aime" ou "je l'aime pour moi-m'aime" ? 

Or, quel amour est-ce là, qui est intéressé, habile, prudent et comme calculé ?

On répondra peut-être qu'un tel amour désintéressé est au-delà de nos capacités, qu'il est déraisonnable de demander pareille pureté, que c'est au-delà de nos forces et que, peut-être, ça n'est pas naturel...

Mais regardez que que l'amour humain exige, ou même ce que l'amitié mondaine exige ! Ne doit-on pas la fidélité à ses amis et à ses proches, quand bien même on n'en retirerait nul profit pour soi ? Même si cet idéal est destiné à rester un idéal, n'est-ce pas là du moins l'idéal dont nous avons conscience ? Comment donc notre relation à la Présence pourrait exiger moins que cela, alors qu'elle nous donne infiniment davantage ? 

Ne pas chercher la Présence pour ses dons, mais pour elle-même. Cette direction est inévitable, même si ce breuvage nous paraît trop amer encore. Mais cela est du à notre manque de maturité. Enfant, le thé nous paraissait insipide ; aujourd'hui, nous payons pour ses subtilités. Je parie qu'il en ira de même pour notre vie spirituelle. Nous portons déjà ce pressentiment. Nous rechignons devant le vertige du sacrifice total - parce que c'est bien cela dont il s'agit - mais nous savons déjà que c'est inévitable. 

De plus, demander, calculer et vérifier, tout cela trouble notre repos, notre joie, notre délectation. Et si nous plongions les yeux fermés ? Sans attendre, sans ces demandes implicites, sans cette mendicité qui alourdit notre jouissance simple ?

Aimer le silence pour cette Présence mystérieuse, cet insaisissable "loin-proche" qui comble en s'échappant. Tel est le destin spirituel. Mieux que le détachement : le désintéressement. Nu, pur, simple, candide, confiant, intègre, ne demandant rien, accordant tout, offert comme l'enfant sur le sein de sa mère. Sans retour, sans intérêt, sans réflexion ni examen. Simple. L'amour pur. Franc et qui affranchit.