lundi 10 avril 2023

La non-voie est LA voie !


 

Une 'voie directe' est souvent vue comme contradictoire avec une 'voie progressive'.

On suggère que la voie directe est une manière pour l'ego de se flatter. Mais il en va de même pour la 'voie progressive' : en m'appropriant cette échelle, je m'agrippe et me complait dans mes repères familiers. Concentré sur chaque passage de barreau, je reste centré sur moi, sur ce qui est 'mien'. J'avance à ma guise et je peux m'en vanter, même sans le dire à personne d'autre qu'à moi. Je vis en moi, selon ma manière, mes lumières, mes expériences, mes intuitions, mes ressentis, mes habitudes. C'est un art que j'exerce, ou un 'travail', peu importe :

je 'travaille' tel mantra

je 'purifie' tel chakra

je 'guéri' telle blessure

je 'purge' tel karma

etc. etc. Et je 'sais' où j'en suis. J'avance sur le Jeu de l'Oie spirituel, en somme. Or, cette voie est si bien balisée que je risque bien d'y oublier l'essentiel et de ne jamais oublier ce Moi que, pourtant, il me faudra quitter tôt ou tard.

Car pour le gros œuvre, vont bien nos gros bras. Cependant, pour les taches subtiles, les défauts invisibles, seul l'Invisible y fera. L'appel du vide est incontournable, inévitable, l'unique nécessaire. 

Voilà pourquoi Abhinava Gupta et d'autres maîtres de traditions du Tantra et d'ailleurs, invitent à sauter sans attendre. Comme disait Ramana : "La meilleure préparation à la plongée dans le Soi est... la plongée dans le Soi !" Il n'y a pas d'alternatives. Le faux est multiple. Le vrai est un. Voilà pourquoi, même quand il présente la 'méthode individuelle', la méthode basée sur l'effort individuel, Abhinava se presse d'ajouter que chaque méthode amène au bord du vide, du grand vide. Et là, chacun est libre de sauter sans attendre. 

La certitude qu'il n'y a rien à pratiquer est le moteur de la pratique. Non seulement parce que tout est déjà là, mais surtout parce qu'il n'y a rien à attendre de ce qui est parfait. Demander à cela qui n'est que don, est inconvenant. Seule la pratique gratuite est digne de la grâce. 

La Non-voie, le Non-moyen n'est pas au bout du chemin. Il est le commencement du chemin véritable, le Chemin de l'Absolu, anuttara-upâya comme il dit. 'Ne rien faire' c'est se laisser faire, et ça n'est pas rien ! L'inaction est action intérieure, action des plus intenses. Mais le prix est la confiance, l'abandon de mes repères. Accepter de ne pas savoir 'où' ni 'comment'. L'abandon entier. La seule chose qui dépend de moi, c'est cet abandon, ce consentement. Mais il doit être total. Entier. C'est la pratique de l'oraison nue, de silence, de repos, du cœur.

C'est la voie unique, peu importe qu'elle soit 'directe' ou 'indirecte'. Tout voie est fausse tant que je m'appuie sur mes lumières. La voie est vraie quand je m'abandonne à cette Ténèbre plus lumineuse que tout.

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