mercredi 19 juillet 2023

Les faux dieux ?



La tradition gnostique, en particulier celle qui se rattache à Seth, est bien connue pour sa vision particulière du dieu de l'Ancien Testament. Yahvé ne serait qu'un ange déchu qui, accompagné d'autres comme lui, aurait entrepris de créer une imitation du monde parfait originel. Les Gnostiques expliquent ainsi la violence de Yahvé/Allah, jaloux et colérique. Nous serions prisonniers de cette entité puissante, mais mauvaise.

De fait, selon cet article, "Dieu" tue plus d'humains que Satan. On trouvera, sur Internet et ailleurs, de nombreuses tentatives pour recenser les meurtres et les violences commises par "Dieu" en personne. Ce tempérament jaloux, violent et colérique avait déjà frappé nos ancêtres et, notamment, les Gnostiques. En effet, ce "Dieu" là est raciste, sexiste, il incite au meurtre, au fanatisme, à l'exploitation d'autre humains, au génocide. Les religions inspirées par cette vision du divin sont, de fait, parmi les plus violentes. 

Selon les Gnostiques donc, ce "Dieu", en gros le "Dieu" des religions abrahamiques, est un faux dieu, un imposteur. En réalité, il est un être venu du vrai monde parfait. Jaloux, il a voulu imiter la Source véritable. Nous et d'autres êtres spirituels nous sommes retrouvé enfermés dans cette imitation, d'où notre nostalgie de la perfection et notre sentiment que cet univers est beau, mais perverti. "Il dit : 'Je suis Dieu et il n'y en a pas d'autre en dehors de moi'". Cette parole ne serait pas de Dieu, du vrai Dieu, de la source véritable, mais d'un être maléfique, mesquin et jaloux, appelé "Archonte", "Yaldabaoth", etc. Il a créé, avec ses acolytes, notre monde, qui est une prison comme dans Matrix.

Qu'en est-il selon le Tantra shaiva ? 

Dans le Tantrâloka, 10, 331-332, une vision semblable à celle des Gnostiques est décrite, une vision selon laquelle il existe des êtres avancés spirituellement, pleins de pouvoirs inimaginables pour nous, mais encore imparfaits, ignorants et remplis d'égoïsme. Le Commentateur Jayaratha cite le Mâtanga Tantra que je résume :

Comme ils regardent vers le bas (et non vers le haut, vers la source véritable), ils s'égarent dans l'ivresse de leur propre création et, sans vergogne, ils se livrent aux plaisirs de jouer à l'intérieur de ces mondes. Lors de sa dissolution, ils s'endorment. Puis, pénétrés par les puissances qui les réveillent, ils contemplent leur création resplendissante et ils croient qu'ils ont créé ces mondes.

Ils sont en-dessous de Mâyâ, soumis à sa puissance. Cependant, ils sont délivrés de ses aspects les plus grossiers. Ignorants, ils croient être créateurs de mondes. Ils sont redoutables dans leur ignorance, car ils sont puissants. J'y vois de possibles équivalents des archontes des Gnostiques. Des êtres qui, sur la base de leur ignorance, se croient les maîtres. Le bouddhisme ancien décrit une situation analogue dans le Brahmâjâlasûtra, mais avec une explication différente : certains êtres apparaissent dans ce monde avant les autres, à cause de leur karma. Ils croient alors qu'ils sont les créateurs du monde et des autres créatures. Simple concours de circonstances. Ils se prennent pour des dieux créateurs, chacun se croyant l'unique créateur de son unique monde. Ils ignorent, en effet, qu'il existe un nombre infini d'autres univers. Chaque "Brahmâ" règne ainsi sur son "Œuf de Brahmâ", sur son monde. 

Ainsi s'explique l'origine des religions abrahamiques et des religions qui adorent des dieux ou un dieu unique mauvais, violent et colérique.

Comment interpréter ces mythes ?

Les dieux des religions de l'Œil Unique sont un peu comme les religions inventées par Sauron dans le légendaire de Tolkien. Elles poussent au culte d'un dieu "unique", mais dont l'unicité est mauvaise, car exclusiviste et opposée à la liberté, au nom du "destin", d'une prétendu omniscience divine, de lois soi-disant divines, etc. Ce sont des versions perverties de l'unité véritable. L'unicité exclusive vénère la mort, alors que l'unité inclusive va vers la vie.

Plus profondément, ces "monothéismes" de l'unicité exclusive sont les contreparties cosmiques de l'ego individuel. De même que le Je Suis véritable est le correspondant macrocosmique du Je Suis microcosmique, le Dieu de l'Ancien Testament et de ses textes apparentés est la version macro de l'ego micro. D'où cette haine qui se manifeste encore et encore dans ces religions plus que dans les autres.

Evidemment, il faut nuancer en précisant que le christianisme, même non gnostique, est assez différent, puisqu'il se démarque d'emblée de l'Ancien Testament. La relation entre l'Ancien et le Nouveau est un sujet de controverse. Mais il y a, dans le Nouveau, des passages qui rejettent assez nettement l'Ancien, notamment l'évangile selon Jean, dont l'orientation gnostique est manifeste. Le fameux passage de Jean, 8, 42-44, est particulièrement troublant à cet égard : 

"Jésus leur dit : Si Dieu était votre Père, vous m'aimeriez, car c'est de Dieu que je suis sorti et que je viens ; je ne suis pas venu de moi-même, mais c'est lui qui m'a envoyé.

Pourquoi ne comprenez-vous pas mon langage ? Parce que vous ne pouvez écouter ma parole.

Vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fonds ; car il est menteur et le père du mensonge."

Le dieu de l'Ancien Testament est ici décrit comme étant le diable, sur le même ton que les évangiles gnostiques ! Nous retrouvons des échos de cette gnose dans certains courants soufiques (mais pas tous, très loin de là) et juifs, bien évidemment, car le gnosticisme s'est manifesté d'emblée dans le judaïsme antique pour le critiquer de manière radicale, de même qu'il s'est manifesté contre les religions grecques et égyptiennes.

Quoi qu'il en soit, nous retrouvons dans la Gnose chrétienne comme dans le Tantra shaiva, cette idée que notre monde est dominé par des entités puissantes, mais mauvaise, qui ont créé de fausses religions. En ce sens, il y a de faux dieux et de fausses religions.

jeudi 13 juillet 2023

Y a-t-il une violence particulière dans les religions abrahamiques ?


Il y a de la violence "partout". Mais à certains endroits plus qu'à d'autres. 

Je lis l'Ancien Testament, la Torah, le Coran et les autres textes qui leur sont liés. Indéniablement, il y a un degré de violence particulier, que je ne retrouve nulle part ailleurs.

Je le vois dans les écrits liés à l'Ancien Testament et à la culture dans lequel il baigne. Ainsi, dans les écrits intertestamentaires". Dans le texte intitulé "Pièges de la femme" : 

"[La femme] profère de vaines paroles,

et dans [sa bouche il y a plénitu]de dégarements.

Elle cherche constamment à aiguiser [ses] paroles,

[...] et moqueusement elle flatte.

La perversion de son coeur produit l'impudicité..."

Et ainsi sur plusieurs pages (Pléiade, p. 447).

On peut aussi lire dans le Règlement de la guerre des dizaines de pages sur la manière d'exterminer les infidèles, avec détails sur l'organisation militaire précise et concrète, jusqu'à l'extermination totale :

"Ils commenceront à abattre leur main sur les tués. Et toute la troupe se taira, cessant le bruit de la clameur, et les prêtres sonneront des trompettes de la tuerie pendant la durée du combat jusqu'à ce que les ennemis aient été bousculés et qu'ils aient tournés leur nuque. 

Et quand les ennemis auront été battus devant eux, les prêtres sonneront les trompettes de l'appel...

Tous ceux-là feront la poursuite pour détruire l'ennemi dans le combat de Dieu jusqu'à l'extermination définitive. Et les prêtres sonneront pour eux les trompettes de la poursuite... Et la cavalerie reviendra sur les lieux du combat jusqu'à destruction totale de l'ennemi.

Et quand tomberont les tués, les prêtres sonneront de loin, ils ne viendront pas vers le milieu de la tuerie de peur de se souiller de leur sang impur ; car ils sont saints, et ils ne profaneront pas l'huile de l'onction de leur sacerdoce par le sang d'une nation de vanité." (Pléiade, p. 207)

Tout y est : sexisme, racisme, fanatisme, génocide, race supérieure, extermination organisée. Je pourrais citer bien d'autres passages. Le religieux est d'emblée mélangé au guerrier, au politique. Dans cette culture politico-religieuse, il n'y a jamais eu de séparation entre religion et politique. D'emblé, la religion est politique. La guerre y a toujours été religieuse. La femme y a toujours été considérée comme du bétails. Quelques exceptions n'y changent rien.

Je n'ai jamais rien lu d'équivalent dans les textes de l'hindouisme et du bouddhisme. Il y a des violences, mais jamais à ce degrés, jamais avec cette insistance et cette volonté délibérée et organisée de détruire l'Autre.

Comment l'expliquer ?

Je vois dans les religions abrahamiques un degré de violence inouï. Malheureusement, je ne vois rien dans l'histoire pour me démentir. 


lundi 3 juillet 2023

"Je suis"

 Selon Louis Lavelle, la source de tout est l'acte d'être. Nous le ressentons en nous par la "participation", quand le libre-arbitre, inséparable de la conscience, s'aligne sur l'acte d'être, ou à l'Être.

A la fois, je reçois l'être (je ne suis pas la source de "mon" être) et, en même temps, j'ai le choix de participer ou non à l'Être. Je peux ignorer la source, prétendre être moi-même la source, ou tenter de me retourner contre elle.


La participation se manifeste d'abord dans le pouvoir de dire "je suis", à l'image de celui qui dit "je suis celui qui est".

Dans De l'acte, il explique :

La participation "est un accès dans l'être dont la révélation est toujours donnée et toujours nouvelle ; elle ne cesse de m'émerveiller et remplit ma conscience d'une émotion qui ne se flétrit jamais. Et c'est en disant : "Je suis celui qui est" que Dieu nous défend le mieux contre le panthéisme parce qu'il ne peut s'offrir en participation que par le pouvoir qu'il donne à tous les êtres qu'il appelle à l'existence d'y pénétrer en disant eux-mêmes : "Je suis"." (éd. Aubier, p. 338)

L'Être est toujours donné et nouveau. Et, dans la mesure où j'y participe, je reçois et je suis fait à l'image et ressemblance de l'Être. L'acte d'être, à mon échelle, est l'affirmation "Je suis", l'acte d'être individuel.

Lavelle soutient que cette participation, ce "Je suis", est personnel. Sa possibilité est donnée par l'Être, mais la participation est une libre décision de l'individu. Il y a un "intervalle" entre moi et ma source. Cette intervalle, c'est la liberté individuelle, ce que l'on nomme "libre-arbitre".

Cette liberté est inséparable de notre conscience. Est-il possible de concevoir une conscience qui ne serait pas libre ? Je ne le pense pas. S'il y a une conscience individuelle, il y a un arbitre individuel.

là est le fondement d'un chemin personnel vers l'absolu.