samedi 31 août 2024

L'exercice du silence - 1

 


"Traité onzième de l’exercice du silence, que le Religieux doit garder de pensée, de parole et d’œuvre pour être tout uni et absorbé en Dieu seul. [Édition de 1722] 

La nature et l’excellence de cet exercice. On peut dire que Dieu n’a parlé qu’une fois en l’éternité, parce qu’il n’a engendré qu’un Fils qui est sa parole, et même en parlant il n’a point rompu le silence, parce qu’il a parlé au-dedans de soi, et sans faire aucun bruit, puisque sa parole est toute spirituelle, et sa même pensée. De plus, il a dit cette sienne parole si profonde et si incompréhensible qu’elle n’a été parfaitement entendue que de lui-même, suivant ce qu’en assure Jésus-Christ qui dit que personne ne connaît le Fils, qui est cette divine parole, d’une connaissance éternelle et parfaite, sinon le Père ; parce que cette parole est si intime au Père qui la profère, qu’elle est une même chose avec son essence. Tellement que Dieu étant trine et un, un en divinité, et trine en Personnes, toutes ces Personnes divines assistantes au-dehors, n’ont qu’une parole très simple, et toutes trois n’ont qu’une même pensée: ne voilà-t-il pas un silence bien parfait ? De cette sorte, si Dieu même en parlant garde un si étroit silence, qu’est-ce donc de Dieu quand il ne parle pas ? L’entende qui pourra, et l’admire humblement qui ne pourra pas l’entendre, parce que l’admiration est des choses qui ne  se peuvent comprendre, et Dieu se connaît ici mieux par la voie d’admiration que de spéculation, ou de pénétration. Je dis encore, et avec raison, que Dieu est non seulement dans le silence de parole, mais aussi de volonté. Parce que toutes les trois Personnes divines n’ont garde d’être en débat par aucune contrariété de volonté, puisqu’elles n’ont qu’une volonté entre elles, et qu’elles sont toutes trois cette même volonté. Dieu peut même être dit en quelque façon dans un silence d’action, parce que toutes les trois Personnes divines n’ont qu’une même puissance et action, l’action de l’une étant la même action de l’autre; outre que leur action est si paisible, si douce et si facile qu’elle mérite le nom de silence, disposant toutes choses fortement et doucement. Il est finalement dans un silence de toute sorte de changement et mouvement, parce qu’il est essentiellement immuable, infini, parfait en toutes manières, et par conséquent incapable de déchet et d’aucune nouvelle perfection; d’où il s’ensuit qu’il est en un entier et perpétuel silence, et inviolable repos ; et même qu’il est naturellement silence, paix, repos, le centre de soi-même, des Anges et des hommes. Cet exercice du silence est donc merveilleusement excellent, puisque c’est l’exercice de Dieu et son essence même, l’exercice et la pratique de tous ceux qui désirent être faits un même esprit avec lui. C’est premièrement l’exercice de tous les bienheureux dans le Ciel, à qui Dieu fait entendre cette divine parole, et d’une façon aussi paisible, suave et silencieuse qu’elle est ineffable au dire de l’Apôtre ; parce que c’est la seule chose vue, et la pensée qui les ravit et qui les suspend tous de telle sorte que jamais ils n’en reviennent, et cueillent ainsi pour toujours les fruits de cette divine promesse : Entre dans la joie de ton Seigneur. Dieu ne leur parle donc ainsi qu’une seule fois, comme il fait en soi-même, en se manifestant clairement à eux, mais une seule fois qui dure une éternité tout entière ; les Bienheureux gardent ainsi un parfait silence, n’ayant jamais qu’une seule vue ou pensée très intime, très suave, très facile, et plus de Dieu que d’eux-mêmes ; une même volonté avec celle de Dieu, et une seule action d’amour éternellement immobile. 

C’est là pareillement l’exercice des âmes avancées qui sont tirées de Dieu par un mouvement particulier ou par je ne sais quelle impuissance de ne pouvoir faire autrement, ce qui arrive par un délaissement intérieur qui les rend incapables d’une plus grande et plus actuelle occupation d’esprit, ou par une indisposition corporelle qui leur donne le même empêchement. Et c’est l’exercice de la seule chose nécessaire que Notre Seigneur recommandait tant à Marthe, et dont il louait si hautement Marie, qui écoutait dans le plus intime et le plus profond de son cœur, avec un profond silence, cette divine parole, aux pieds de laquelle elle était prosternée. Ainsi les âmes séraphiques 63 n’ayant qu’une pensée, qu’une volonté et une action en l’objet de Dieu seul, si simplement, si nuement, si paisiblement écouté, elles semblent plutôt souffrir la suave inaction de Dieu qu’agir d’elles-mêmes, et plutôt se taire et se reposer que de penser, dire et faire intérieurement quelque chose ; et il en est de même de l’extérieur; car comme si Dieu opérait le tout en elles et par elles, et qu’elles n’en fussent que les seuls organes et instruments, tant elles opèrent le tout avec un calme indicible et une paix si ineffable qu’elle surpasse tout sentiment, chacune peut donc dire comme l’Épouse : « Je dors, mais mon cœur, c’est-à-dire mon Époux, veille pour moi; et il dit à une âme séraphique : N’éveillez pas ma bienaimée jusqu’à ce qu’elle le veuille », c’est-à-dire ne l’éveillez point du tout, parce qu’elle n’est point en état de le vouloir, ce sommeil lui étant très agréable et fort délicieux; ou bien il veut dire qu’on ne l’éveille point jusqu’à ce qu’elle opère d’elle-même, se jetant dans les occupations spirituelles qui rompent un silence et un sommeil délicieux, comme est celui qui fut donné à sainte Claire depuis le Jeudi Saint jusqu’au Samedi. L’excellence de cet exercice est si grande qu’un Prophète dit que c’est une bonne chose d’attendre en silence le salutaire de Dieu . Il ne dit pas de quelle bonté, parce qu’elle est ineffable et qu’elle comprend en soi toutes sortes de biens; et c’est ainsi pareillement que la jouissance du bien infini et souverain est ineffable et incompréhensible. Ce saint exercice nous a été enseigné de Jésus naissant, aussi bien que de Jésus prêchant Marthe et Marie : naissant parce qu’il naquit au temps de la minuit, que toutes choses étaient en un très profond silence, comme dit le Sage, afin que cette sienne seconde naissance temporelle répondît à l’éternelle, qui est grandement silencieuse ; que la troisième naissance qu’il prétend faire en nos âmes, fût en quelque façon semblable aux deux susdites, par la pratique d’un silence universel de toutes nos puissances en l’objet de quoi que ce soit excepté de Dieu. Car autrement comme Dieu ne se manifesta point à Élie dans le tourbillon, ni dans la commotion, ni dans le feu, mais dans un doux respir d’un très agréable zéphire, ainsi Jésus ne se manifeste à nous par cette sienne naissance spirituelle qu’il prend dans une âme, que dans le silence de toutes les autres choses créées, et dans le recueillement de tout mouvement et sentiment désordonné, mettant le manteau dessus notre face comme Élie, pour ne rien voir, entendre, odorer, goûter et sentir que Dieu, et dans la minuit de la naissance temporelle de Jésus, ne rien considérer que ce Verbe divin, divinement inspiré et nouvellement né dans le centre de l’esprit: car c’est pour lors seulement que Dieu produit clairement, intimement et suavement, dans le fond de notre esprit, son Verbe, par lequel il se manifeste à nous et en nous et même pardessus nous, puisqu’il ravit nos esprits au-dessus de toutes choses en l’objet d’une seule chose incréée et nécessaire, qui nous rend bienheureux dès l’état misérable de cette vie mortelle ; et ce bon Jésus, de chair que nous sommes, nous fait en quelque façon Verbe comme lui, nous transformant ainsi en lui, comme de Verbe qu’il était, se faisant chair, il s’est transformé en nous."

samedi 24 août 2024

Monter et descendre


"Dieu s'est fait homme pour que l'homme puisse se faire Dieu". Tel est le chemin chrétien, inscrit dans un cycle de l'Histoire.

Or, le chemin hellénique est inverse : "L'homme se fait Dieu pour que Dieu puisse se faire homme".

Comment ? 

Par le rituel.

Dans le rituel du Tantra, comme dans la Théurgie - l'Oeuvre divine - ancienne, il y a deux grandes phases :

1) Résorber l'homme en Dieu. Par des gestes, des Mantras et des images,  je me résorbe en ma source créatrice. Un mouvement de l'extérieur vers l'intérieur.

2) Manifester l'homme et le monde en Dieu, à partir de Dieu. Par d'autres gestes et notamment par des offrandes extérieures au divin présent dans un Mandala, je refais le chemin de création. Mouvement de l'intérieur vers l'extérieur.

Donc : une résorption, mais en pleine conscience. Pas un endormissement ni une mort. Puis une émanation, mais en pleine conscience. Pas un divertissement ni un rêve.

La pratique du rite du Tantra est ce chemin cycle. La connaissance expérimentale du cycle d'émanation et résorption, de montée et de descente, est la véritable pratique de la non-dualité. Cette pleine réalisation du cycle de la conscience - vagues qui montent et qui descendent - est la connaissance libératrice.

De même, selon certains sages antiques, la pratique rituelle est le chemin qui permet de voir le divin en laissant le divin voir à travers nous. Une pratique d'incarnation qui permet de réaliser le divin en tout. Dans un premier temps, on va vers l'intérieur. Mais ensuite, dans un second temps, on revient vers l'extérieur, mais à partir de la source divine découverte d'abord à l'intérieur. Ce mouvement d'aller-retour est la pratique de l'éveil. 

"Connais-toi toi-même" : phase de retour vers la source intérieure

"... et [puis, ensuite,] tu connaîtras l'univers et les dieux" : phase de retour vers l'extérieur, mais à partir de l'intérieur.

Elle est à la fois dépassement de toute identification, et incarnation dans une identité, et manifestation du monde. Seul ce mouvement complet est liberté. 

Aussi, j'invite celles et ceux qui ont déjà suivi la première année de la Formation Tantra à se joindre à moi pour une exploration de cette pratique rituelle.

mardi 20 août 2024

Lectures spirituelles

 Voici une liste de textes spirituels lus par votre serviteur, liste qui grandit peu à peu 

cliquez sur ce lien si la vidéo ci-dessous ne marche pas 

Liste lecture spirituelle

:





mardi 6 août 2024

L'ego spirituel, par un "pauvre paysan"

 Jean Aumont est le "bon vigneron", 

un profond mystique français du Grand Siècle, 

dans le courant de l'Ecole du Cœur ou "de l'oraison cordiale".

Quelques renseignements ici :

https://www.bibliotheque-monastique.ch/bibliotheque/bibliotheque/hisentrelig/volume07/tome07010.htm

Le livre en photos, édition de 1660 :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5675276r.texteImage

Un extrait lu :



dimanche 4 août 2024

Synthèse des traditions de l'Inde ?


 

L'Inde, comme toutes les grandes civilisations, est traversée par des contradictions. 

Celle, par exemple, entre renoncement et engagement dans l'action. Sa synthèse ou s solution, est révélée dans le précepte de Krishna : "Agis sans t'attacher au résultat".

Or, une autre contradiction - ou un autre problème, au sens philosophique - est le suivant :

- dans le Védisme, on trouve une philosophie de l'abnégation, mais dans un contexte où les femmes sont marginalisées.

- dans le tantrisme, on rencontre une philosophie où les femmes sont reconnues, mais dans un contexte de recherches des pouvoirs surnaturels, contexte qui favorise l'égoïsme et la bassesse.

Je vois deux ébauches de synthèse :

- dans le védisme, si l'on en considère les portions les plus ouvertes aux voix féminines, à commencer par les parties dont les auteurs sont des femmes.

- dans le tantrisme, si l'on considère les portions les plus relevées sur le plan de la dignité, à commencer par les œuvres des maîtres du Cachemire en général, et d'Utpaladeva en particulier.

L'étude, la réflexion et la méditation des enseignements du Veda et du tantra sont donc essentielles pour celles et ceux qui empruntent ce chemin de l'Inde. 

J'ai traduites et publiées deux des quatre œuvres de ce dernier, aux éditions l'Harmattan et Arfuyen.

"L'ultime consommation de l'âme en Dieu"

 La lecture est une pratique spirituelle, profondément transformatrice.

Elle n'est pas distraction, ni prise d'informations.

Elle est méditation : Quand je lis, mon attention est tournée à la fois

vers les mots, à l'extérieur, et vers l'intérieur, 

là où les mots résonnent avec la parole intérieure, la parole éternelle

qui ne fait qu'un avec le cœur universel.

Voici un extrait du mystique Jean de Saint-Samson. Vous trouverez d'autres lectures sur ma chaîne.