samedi 28 août 2010

Naturel ?

Un des points sur lesquels j'achoppe quand j'écoute des sages hindous ou chrétiens, c'est leur vision de la nature comme œuvre parfaite d'une Providence insondable. S'il y a une chose en laquelle nous ne pouvons plus croire, c'est en cette idée d'un cosmos hiérarchisé dans lequel toute chose a une fin qui est comme sa raison d'être. "La nature ne fait rien en vain", répètent-ils volontiers. Ainsi les yeux pour voir, les ailes pour voler, la femme pour faire la cuisine, les nègres pour travailler aux champs, les esclaves pour se tuer aux mines... Et puis, il y a les choses "contre-nature", les "natures déviantes" pas naturelles... Drôle de perfection ! Bref, non seulement cette idée est dangereuse mais, surtout, elle est fausse. La nature n'est ni bonne, ni parfaite. Si elle était achevée, elle n'évoluerait pas.
La nature est un organisme constitué d'éléments aveugles. L'ordre émerge du désordre. Puissance insoupçonnée du hasard.
L'une des forces du bouddhisme est d'avoir reconnu cela. C'est même son acte de naissance. Contre le dharma cosmique, naturel et totalitaire des brahmanes, le dharma construit et individuel du Bouddha.
Voici un documentaire qui touche à ce sujet. Un jeune Américain part à la rencontre d'ermites chinois pratiquant le zen et cultivant la compassion illimitée du Bouddha Amitabha ("Lumière/Manifestation illimitée") :



Il demande à l'un deux : "Est-ce que pratiquer en pleine nature influence votre pratique ?". Le moine répond, avec un rire un peu amère : "La nature ? La nature est une illusion. Qu'est-ce qui est naturel ? Ces vêtements ? La nature est illusion, l'illusion est nature". La nature, en effet, c'est un ensemble d'habitudes, de tendances en compétition perpétuelle, avec des plis qui se distinguent, le temps d'un instant, à l'image de tourbillons dans l'eau d'un fleuve. Beau, magnifique, et sauvage. Mais aucune perfection, nulle finalité, pas d'auteur à louer ou à maudire.
Soit. Mais la Reconnaissance (pratyabhijnâ) ? Que devient la reconnaissance du Seigneur en soi-même ? N'est-il pas l'Auteur, l'Organisateur ? Le défaut du bouddhisme n'est-il pas justement de nier la puissance créatrice de la conscience en la réduisant à un mécanisme répétitif, impersonnel, et, au fond, stérile ?
Je crois effectivement que la conscience palpite, vit, crée, qu'elle est un Soi et pas seulement un "soi-même" illusoire. La nature est un organisme, pas une machine.
Mais le Seigneur ? Eh bien, c'est un symbole. Car le Soi, la conscience, est la Source, la Vie, le Mouvement, l'Âme de tout. Pourquoi pas le Seigneur ? Simplement, Dieu n'est pas un Organisateur provident. C'est plutôt un Improvisateur. Son matériau, ce son les émotions, et non pas un Plan ou une Providence agencés autours d'archétypes atemporels. Il est Vie plus qu'Intellect. Il est musicien plus qu'architecte.
Or, ainsi comprise, la conscience ne rejoint-elle pas la notion de hasard ? Je crois - mais ce n'est sans doute qu'une hypothèse farfelue - que la Reconnaissance, en son fond, tend vers une synthèse du théisme et du bouddhisme, des Upanishad et de Darwin.

3 commentaires:

  1. Tous les "sages" chrétiens ne considèraient pas la nature comme parfaite. Je pense aux gnostiques, Simon, Basilide, Valentin, etc, qui voyaient en la nature hylique (physique) l'oeuvre d'un demiurge aveugle et idiot. La nature est perçue comme une force aliénante, Celà rejoint le sens bouddhiste et même véndantique de la nature en tant qu'illusion. La "signification" de cette "nature" me semble très éloignée du sens occidental, et au delà d'une vision romantique, écologique ou même darwinienne de celle-ci.
    Cette nature n'a rien à voir avec les arbres, les animaux et les minéraux, mais plus avec les objets conceptuels que l'homme projette sur la réalité et la nature de la réalité.
    Le Seigneur est un symbole...On croirait une réunion maçonnique! Dans cette rhétorique, musicien ou architecte, cela revient au même, vous faîtes toujours du Suprême un créateur d'une réalité qui ne peut être, en tant qu'objet de Votre savoir, que votre propre projection. Et évoquer l'émotivité divine ne sert qu'à maquiller notre ignorance en la matière. Et c'est bien celà que l'on appelle nature aliénante.
    Par là même, le hasard ne saurait être vu comme une force en soi, mais bien comme une résultante de notre échec intellectuel pour quantifier ce que l'on ne peut qualifier.

    Sudama Nath

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  2. Il me semble que la démarche qui consiste a essayer de trouver la vérité à partir de textes anciens ou d'anciennes traditions n'est pas une bonne solution.
    Je m'explique :
    Le mieux est de savoir quelle est la nature de notre expérience. En un mot qu'expérimentons nous.
    Et ensuite essayer de voir si quelqu'un en a parlé.
    Car postuler que Dieu existe avant d'avoir mis dieu à la poubelle revient à essayer de confirmer ce que d'autres ont pensés.

    En d'autres termes il faut redécouvrir dieu s'il y a lieu. Le découvrir sans les traditions par son expérimentation, sa propre démarche et enquête existentielle.

    A chaque fois que je tente de trouver la vérité dans une doctrine ou une tradition je suis confronté à ce problème.

    La nature elle est aussi sauvage que pure. Elle a le mérite de n'être pas identifiée. Rien dans la nature ne pousse à l'identification. Ca pousse au naturel qui est ce que nous sommes.

    Elle n'a rien de romantique en vérité. Elle est comme elle est. Mais elle ne demande jamais une pièce d'identité.

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  3. Merci pour ces remarques pénétrantes !
    D.D.

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