mercredi 5 janvier 2011

Un absolu dynamique

La tradition du shivaïsme du Cachemire était encore bien vivante au XXe siècle. En témoignent les textes de Râmeshvar Jhâ, mais aussi ceux de Balajinnâth Pandit. Nous avions traduit quelques passages de son Miroir de la liberté (Svâtantryadarpana). Son premier chapitre raconte l'histoire semi-légendaire de cette tradition. Le second chapitre, que nous traduisons ici intégralement, décrit la conscience telle que la conçoit la philosophie de la Pratyabhijnâ, une conscience dynamique, capable de se multiplier sans perdre son unité, capable de prendre conscience d'elle-même comme ces innombrables objets qui forment les mondes sans pour autant cesser d'être elle-même.

Chapitre 2 : Le Seigneur

La liberté souveraine (svâtantrya) est le principe de tout bonheur.

La racine de tout malheur est la dépendance.

Seule l’indépendance est capable

De procurer à la fois jouissance et délivrance. 1


Le Seigneur suprême indépendant

Est le Soi de tout.

Il est donc toujours évident/ de lui-même établi.

Quant à la lumière des traités, elle a pour finalité

D’élucider les ténèbres de ce voile qu’est la confusion. 2


Tout ce qui est prouvé en ce monde

L’est grâce à la majesté de la Lumière consciente.

Mais cette Lumière consciente est toujours évidente/ spontanément établie de par sa propre majesté,

Car elle est le fondement de toute preuve. 3


De même qu’un cristal transparent

Ne devient pas bariolé

Par les formes qui se reflètent en lui,

De même la Lumière consciente, limpide,

Ne subit aucune différenciation

A cause de la manifestation réelle (prakâshamâna) de la multiplicité des choses. 4


(Cependant) un cristal est privé de conscience.

Il ne peut prendre conscience d’un autre,

Par quoi il prendrait conscience de sa propre existence.

(Au contraire), la Lumière consciente prend sans cesse conscience

D’elle-même, car c’est-là son essence. 5


La Lumière consciente, (une fois) privée de son essence

Qui est de prendre conscience, ne serait plus une Lumière consciente.

De même, une conscience privée du (pouvoir de se) manifester

Abandonnerait sa propre existence. 6


Lumière et conscience sont deux noms conçus pour une même réalité,

Afin d’aider à la compréhension.

(En réalité), ils sont inséparables,

Ils se constituent mutuellement. 7


Le Soi est conscience,

(C’est-à-dire) la parfaite fusion de ces deux aspects (Lumière et conscience).

Il est évident et indépendant dans toute connaissance et toute action.

Qui pourrait le nier, et comment ? 8


Cette (conscience) est le Seigneur suprême

Parce qu’elle est indépendante.

Elle se manifeste de par sa nature même.

Et son effusion (samucchalana)

Est l’univers, depuis Shiva jusqu’à la Terre. 9


Et qui peut dire clairement

Sa souveraineté absolue et son indépendance,

Et comment ?

Les êtres accomplis l’ont suggérée au mieux en ces termes :

Une vibration, une ivresse, une fulgurance. 10


Elle est un désir (ruci),

Comme un mouvement immobile,

Un ébranlement intérieur.

Se reposer dans cette (ivresse),

Tel est la suprême félicité du Grand Seigneur. 11


Sans elle, le Grand Seigneur

Serait comme un roc[1] solitaire

(Enfermé dans son unité).

Qui alors, pourrait déterminer s’il existe ou non ? 12


Le Seigneur, dépourvu de conscience,

Renoncerait alors à sa souveraineté,

De sorte qu'il serait vide.

Mais Dieu n'est pas ainsi,

(Car) il est félicité de l'existence,

Toujours doué de la (prise de conscience)

"Je". 13


En effet il est pure conscience,

Puisqu'il se manifeste grâce à (cette) conscience qui est manifestation,

Lui dont tout l'être consiste à prendre conscience de lui-même,

Car la prise de conscience - "Je" -

Est innée en la conscience. 14


Et par conséquent,

Grâce à Sa Puissance

Tout émane de lui et se résorbe en lui.

Cette Puissance qui crée et résorbe

Distingue le Seigneur

De (tout) ce qui est inerte et vide. 15


Telle est la doctrine de la création réelle,

Conforme à la vérité,

De tous temps adoptée

Par les êtres accomplis.

En revanche, les ignorants

Penchent en faveur de la doctrine selon laquelle

(La création) est une transformation de la Nature (inconsciente). 16


Dans son texte, Pandit insiste sur la valeur de la liberté, non seulement la liberté spirituelle de l'individu, mais aussi celle des peuples. Voici un sympathique document sur un Indien défenseur de la liberté des agriculteurs indiens :


natabar sarangi - the source from jason taylor on Vimeo.




[1] Immuable comme une enclume (kūṭastha). Remarquons que cette expression est employée dans les autres non dualismes pour désigner au contraire le caractère immuable, permanent, de l’absolu.

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