lundi 10 octobre 2011

Hymne du Dieu à la Déesse

Se saisissant des pieds de la Déesse, Dieu lui chanta cet hymne d'adoration :

Oṃ

Hommage à toi, maîtresse du Dieu des dieux !
Grande Kālī[1] !

Joie ultime
(Et pourtant) Sans joie[2]. 8

Tu es à la fois permanente et éphémère
(Mais) tu es toujours la Majesté même.

Souveraine des cohortes (de yoginîs) comme de leurs cohortes,
Tu es (pourtant) riche en discernement mystique[3]. 9

Tu es la source du Temps
Qui met un terme au Temps indomptable.

Tu es la source de la Mâyâ et des autres (manifestations).
Ta manifestation[4], c'est toute chose : protège-moi ! 10

Tu es le sens de HA[5],
De son origine et de sa résorption, toi qui es capable (de tout)

Tu es la grande panique
(Et pourtant) ta forme est douce 11

Tu n'as pas de couleur, ni de note (qui te corresponde),
(Mais) tu es (leur) matrice, toi qui es installée à la fin des seize rayons[6].

Tu es ferme en ton tempérament
Qui s'illustre (dans ta) volonté,
Toi qui es (devenue) la maîtresse de Bhairava[7]. 12

Grande conscience, tu es adorable à travers la conscience,
Toi qui es l'essence des objets de la conscience[8].

Sans forme, tu as pour forme l'action,
Toi dont la forme est toute chose. 13

Tu es la cessation absolue
(De toute différence) entre
Phénomène et absence de phénomène.
(Pourtant), tu es tous les phénomènes ! 14

Tu habites en plein cœur
Du royaume de la joie.
(Pourtant), tu es la fin de (toute) émotion[9].
Mais (il est clair que) tu es la matrice
Du royaume de la délectation,
Toi qui es la dilatation même ! 15

Toi qui a ta demeure au niveau
De la fin de l'extase[10], tu règnes sur tout !

Tu es la résonance, la grande résonance,
Toi que l'on dit éternelle. 16

Tu es présente telle qu'en toi-même dans la Semence,
Toi que l'on dit être semence de toute délectation.

Dans le corps, tu es énergie,
Présente en tous les états[11]. 17

Impersonnelle, tu habites la personne[12],
Toi qui es omniprésente.
Forme bienfaisante, grande guérison
Par-delà toute guérison. 18

Tu es présente à la fin des douze (largeurs de doigts)[13],
A la fin des neuf (syllabes)[14] et à la fin des trente-six (éléments).

Tu es l'éclat lové à l'intérieur
De la corolle du lotus du cœur. 19

Toujours présente dans la gorge,
Tu apaises la faim.
Mais dans le palais, ô grande Kālī,
Tu dévores tout ! 20

Tu es le point sis
Entre les deux sourcilles.

Ô Kālī, sous forme de Réel, tu es installée
A la porte qui mène à l'absolu[15]. 21

Tu es présente dans le cycle incessant
De la résorption, (mais) tu es (aussi) émanation.

Tu n'es jamais absente du Hara[16],
Toi qui es, dit-on, pareille à une boucle d'oreille[17]. 22

Sous la forme du souffle expiré
Tu habites (aussi) le flot
De ce parfum qui rend fou (les éléphants)[18].

Ô Kālī, tu es libre des six roues (subtiles)[19],
Tu règnes au sommet des roues. 23
Libre des seize supports de concentration[20],

Tu es la fin de (tout) support.
Tu es ce que visent les trois cibles[21],
Mais tu habites dans ce qui ne peut être visé,
Toi qui n'es pas une cible. 24

Toi qui transcendes les rayons qui se manifestent dans le ciel vide,
Tu es la souveraine de l'impersonnel.

Par-delà le royaume des formes incomplètes,
Tu règnes à la fin de (toute) forme. 25

Tu es la fin de la veille, du rêve et du sommeil sans rêves,
(Mais) tu es (aussi) celle qui règne au-delà du Quatrième ("état").

Tu es tout,
Tu es la reine de tous les rois qui règnent sur tout,
Tu es la fin,
Sans support,
Sans maladie, 26
Sans manifestation,
Sans perte,
Immense,
Ultime,
Omniforme,
Structurée, tu es sans structure (propre),
Toi qui es la structure de tout. 27


Hommage à toi, Déesse !
Hommage au début, au milieu et à la fin.

Extrait du premier chapitre du Tantra qui révèle le vrai sens de la danse de Kâlî


[1] Kâlî signifie, entre autres choses, "la Noire" à la peau sombre. Bhairava lui-même s'interroge : comment une fille si laide a-t-elle pu devenir mon épouse ?


[2] Cet hymne roule sur les paradoxes qu'incarne la Déesse, notre conscience.


[3] Les "cohortes" (kula) sont les "familles", les escadrons, les ballets (cakra) de yoginîs, lesquelles symbolisent notamment les pouvoirs conscients, le langage, la mémoire, etc. "Leurs cohortes" (kaula), ce sont les choses et les êtres "créés" par le corps, les organes, le langage, la mémoire, etc., c'est-à-dire tout. Mais kula veut aussi dire "famille" au sens... familial. Le paradoxe est donc que la Déesse a d'innombrables enfants, et pourtant elle parvient à rester parfaitement centrée dans l'expérience mystique la plus profonde.


[4] Ton bâillement créateur (jṛṃbha).


[5] HA est la syllabe dite "de l'extase" (visarga), avec des connotations sexuelles. HA-HA est, selon la tradition Kaula (dont le Kâlîkrama est une expression), le mantra spontané qui s'écoule des lèvres de la bien-aimée au moment de l'orgasme créateur. Or, il est dit par ailleurs que la Déesse EST ce mantra. Autrement dit, la Déesse est à la fois signifiant (mantra) et signifié (divinité exprimée par le mantra), conscience non-duelle. Exit Śiva.


[6] Les seize rayons (kalā) de la lune. La lune, ici, ce sont les seize voyelles. La Déesse est le HHHH... silencieux qui est leur source et leur âme.


[7] Allusion à la mythologie : la force de caractère de la Déesse, sa volonté indomptable, imprenable (durgā) lui ont permis de gagner Bhairava, Dieu, l'absolu. Sur le plan intérieur, la volonté est l'élan d'amour aveugle (udyama) qui s'empare de l'absolu en un éclair, faisant fi des circonstances.


[8] jñāna : cognition. Mais je traduis par "conscience" pour éviter un terme peu familier. Ce vers fait allusion à l'adoration de la Déesse par l'observation ardente des cycles de la conscience (kālīkramapūjā).


[9] Bhāva : le même terme est traduit, dans le vers précédent, par "phénomène".


[10] Visarga-anta : la fin de l'orgasme, de l'acte créateur et la fin, donc, de HHH...


[11] Veille, rêve, sommeil sans rêves.


[12] Vyakti : on traduit souvent par "manifestation", mais vyakti signifie aussi "individualité", existence séparée, distincte.


[13] Au-dessus de la fontanelle.


[14] Peut-être les neuf syllabes du Navātmabhairava mantra ?


[15] Brahma-randhra : la fissure qui ouvre vers l'Immense, la fontanelle.


[16] Oui, certes, cela peut sembler étrange comme traduction. Mais kanda - "le bulbe" - désigne bel et bien la zone du Hara. Donc, pourquoi pas ?


[17] En forme de Kuṇḍalī, de boucle d'oreille, d'anneau d'oreille. Notons que, dans notre tantra, la "koundalinî" n'est pas "un serpent lové dans le sacrum". Elle est l'énergie du souffle et de la parole qui part du Hara.


[18] Image classique pour nous rappeler que l'écoute du souffle jusqu'à sa mort dans l'espace, est enivrante.


[19] Ce tantra est l'un des plus anciens, si ce n'est LE plus ancien, parmi les yoginī-tantras. La présence des six cakras dans ce texte montre que ce système des six (c'est-à-dire sept) cakras est ancien.


[20] Voir les textes de haṭhayoga, la Gorakṣasaṃhitā, etc.


[21] Voir les textes "classiques" de haṭhayoga. La présence de ces éléments prouve que le haṭhayoga, loin d'être "tardif" et décadent, est une tradition qui remonte aux origines. Les "upaniṣads du yoga", la Haṭhayogapradīpikā, la Gheraṇḍasaṃhitā, etc., sont en réalité des extraits de tantras et de traités de la tradition Kaula, et plus particulièrement de ses expressions Kālīkrama, Śrīkrama (Kubjikā) et Śrīvidyā. Quant aux écoles de yoga qui continuent d'enseigner "les yogasûtras de Patanjali" à leurs élèves, elles enseignent quelque chose qui n'a, tout simplement, rien à voir avec le yoga qu'elles enseignent !



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On peut dire tout ce qu'on veut : reste que l'hindouisme est une religion non seulement tolérante, mais qui, en plus, inspire la tolérance aux autres religions. Regardez cette danse de Shiva (tandava). Eh bien elle est interprétée par un jésuite. Incroyable ! Dans une église viennoise, en plus. Dans le second film, il explique sa démarche. Verra-t-on un jour un musulman danser cette danse dans une mosquée ? Ou une musulmane ? Inimaginable, dans ce climat de terreur.









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