mardi 25 décembre 2012

Toute science dépassant



Je suis entré où ne savais
et je suis resté ne sachant,
toute science dépassant.
Moi je n'ai pas su où j'entrais,
mais lorsqu'en cet endroit me vis
sans savoir où je me trouvais
de grandes choses j'ai compris ;
point ne dirais ce qu'ai senti,
car je suis resté ne sachant,
toute science dépassant.

De piété, de quiétude
c'était la science parfaite,
au profond d'une solitude
une voie entendue directe ;
c'était là chose si secrète
que suis resté balbutiant,
 toute science dépassant.

J'étais en tel ravissement,
si absorbé, si transporté,
qu'est demeuré mon sentiment
de tout sentir dépossédé,
ainsi que mon esprit doué d'un comprendre non comprenant,
toute science dépassant.

Qui en ce lieu parvient vraiment,
de soi-même a perdu le sens,
ce qu'il savait auparavant
tout cela lui semble ignorance,
et tant augmente sa science
qu'il en demeure ne sachant,
toute science dépassant.

D'autant plus haut il est monté
et d'autant moins il a compris
quelle ténébreuse nuée
peu à peu éclairait la nuit ;
ainsi qui savoir en a pris
demeure toujours ne sachant,
toute science dépassant.

Il est ce non-savoir sachant
chargé d'un si puissant pouvoir
que les sages argumentant
n'en tireront jamais victoire,
car il ne peut, tout leur savoir,
ne point comprendre en comprenant,
toute science dépassant.

Et une si haute excellence
est en ce suprême savoir,
que ni faculté ni science
de le défier n'a pouvoir ;
qui de soi tirera victoire
avec un non-savoir sachant,
il ira toujours dépassant.

Et si vous désirez l'ouïr,
cette souveraine science
consiste en un très haut sentir
de la toute divine essence ;
c'est une oeuvre de sa clémence
faire rester ne comprenant,
toute science dépassant.

Attribué à Jean de la Croix, dans un recueil de nouvelles traductions à la Pléiade, pp. 879-881

Si l'on se réfère au schéma des deux dimensions de l'expérience mystique décrits ici et , ce poème évoque plutôt l'expérience du silence, tandis que le poème de la flamme d'amour vive (traduit p. 875) illustre plutôt l'expérience du cœur ou du "je suis je". Cela étant, la présente pièce évoque aussi bien ce ressaisissement immédiat, ce saisissement intérieur, quand il parle d'un "très haut sentir" au dernier couplet. Tous les poèmes de Jean de la croix peuvent être compris ainsi. Ces deux pôles sont d'ailleurs résumés dans une courte pièce consacrée à Noël (p. 931) :

Noël

Le Verbe divin [prise de conscience, vimarsha, 2]
la Vierge [silence, vacuité, prakâsha, 1] le porte,
elle est en chemin [être simple, 1] :
Qui ouvre sa porte ? [ressaisissement, retournement, 2]

Ou encore :

Somme de la perfection 

Oubli de la création,
mémoire du Créateur,
attention à l'intérieur,
l'ami, sans cesse l'aimer.

Etc., etc.

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