jeudi 8 août 2013

Jeu de la conscience

Extrait d'un commentaire de Hara Bhatta Shâstrî aux Quinze versets sur la conscience, ou L'Eveil en quinze versets, composés par Abhinavagupta :



Le Seigneur suprême accompli des œuvres non-duelles, et non pas des œuvres faites de dualité. C'est ce que l'auteur dit :

Ce dieu est toujours enthousiaste
A jouer avec cette déesse.
Le Seigneur agence en un instant
Des fresques merveilleuses qui sont à la fois création et destruction.

Ce dieu de conscience que l'on atteint par la reconnaissance, qui est manifestation, etc., joue sans cesse, sans se lasser, avec cette déesse douée des attributs que l'on a décrit. Elle est parole suprême qui joue spontanément aux jeux de manifester des univers (innombrables) et autres (jeux). Ou encore, elle est la partenaire du dieu, elle est son attribut qui ne forme qu'un seul tout avec lui, (comme les fils et le tissu). Ces jeux sont toujours en acte, car ils sont ininterrompue, même quand ils se déploient dans différents rôles (assumés par le dieu et la déesse). Ils consistent en les cinq actes. Celui qui désire la délectation, qui en est épris, et qui a conquis l'indépendance, s'y délasse. Ce qui est dit (dans La Guirlande des hymnes à Shiva, 22, 6) :

Il joue sans trêve au jeu de la création,

Est à l'aise dans la subsistance (des choses),

Et se trouve comblé par la résorption des trois mondes :

Hommage à ce maître !

De même, il est dit (dans La Pierre philosophale des hymnes, 112) :

Bien qu'il imagine les trois mondes

A chaque instant et sans se lasser

Par des centaines de constructions,

Cet être ineffable, unique, reste sans imagination dualiste.

Gloire à cet incréé !

En outre, ce jeu est une fresque. En effet, au plan suprême, il accomplit les cinq actes de sorte qu'ils soient toujours pleinement réalisés en des manifestations non-duelles de choses et d'êtres qui sont Lumière consciente homogène. Au plan de la (parole) globale, il déploie une esquisse de dualité qu'il ressent néanmoins comme son propre corps. Cette esquisse est la manifestation naissante de ce qui est à venir, elle est l'objectivité dominée par la saveur de la subjectivité. Puis, au plan de la (parole) intermédiaire, son œuvre semble s'obscurcir car il manifeste (alors) les choses et les êtres de manière obscure, c'est-à-dire que l'objectivité l'emporte désormais sur la subjectivité. Enfin, (au plan de la parole articulée), qui est celui des conditions qui contractent (la conscience) et de la subjectivité entièrement soumise à Mâyâ, sa conscience de lui-même est du même ordre : elle est dualité absolue. Dans cet état, il reconnaît que ses œuvres ne sont que Lumière consciente, car le bleu, etc. n'ont pas de fondement en eux-mêmes, mais seulement dans la Lumière consciente, dans le sujet. Les tantras de Shiva proclament que c'est la délivrance de notre Soi, grâce e à l'expérience intuitive dans laquelle nous atteignons notre vraie nature. Voilà pourquoi l'auteur parle de "fresques merveilleuses".

Il emploie le pluriel quand il parle (des fresques) qui sont "à la fois créations et destructions" pour suggérer les autres œuvres et pour signifier qu'il n'est pas comme les dieux Brahmâ, etc., qui ne peuvent créer que de façon déterminée, car leur pouvoirs sont contractés et dépend d'un autre agent (qui est Shiva). Il agence donc ainsi les créations, les subsistances, les résorptions, les occultations et les révélations. Et le temps et autres (restrictions) ne restreignent nullement ses (œuvres). Voilà pourquoi il dit "en un seul instant", sans succession, puisque ces choses n'existent pas dans le Seigneur suprême qui n'est pas affecté par le passage du temps. Il est "le Seigneur" parce qu'il n'est pas délimité par le lieu, etc. Il est donc l'agent créateur des fresques merveilleuses qui sont à la fois création et destruction, et qui (pourtant) ne peut être délimité par ces états merveilleux qu'il crée d'un seul coup. 

Le Seigneur suprême est aussi épris du jeu qui consiste à créer, etc. sans cesse dans le sujet factice (qui résulte de l'identification au corps, etc.) : par la majesté de sa liberté souveraine, il excite la roue des divinités des organes (internes et externes) et il manifeste la totalité des choses à la manière d'un jeu de balançoire en s'appuyant sur la Kâlî de la création et autres (aspects de la déesse). Ou bien, il accomplit (tout cela) successivement, en se reposant dans le royaume de la (déesse) qui détruit le temps : il réalise le royaume de l'émerveillement, la parfaite conscience du "je" en sa plénitude, qui est repos en soi-même, dans son Soi. C'est ainsi que, passionné par l'expérience délectable de ces jeux, il prend l'habitude de créer et de résorber encore et encore. On doit comprendre par là que seuls les êtres doués de cœur peuvent faire cette expérience. Tels sont les signes qui permettent de reconnaître que Shiva a assumé l'état d'être aliéné. C'est ce que dit Kshemarâja :
Même dans cet état d'aliénation, il accomplit les cinq actes.

Tout ceci n'est donc que le jeu de l'absolue liberté.


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