samedi 25 avril 2015

"Je suis je" ?



Dans un billet précédent, je mentionnais l'enseignement si simple et profond de Ramana :

Qui suis-je ? 
- Je suis je !

En sanskrit, Ramana dit : 
ko'ham ? 
- Aham aham !
Et pareil en tamoul : 
Nân yâr ? 
- Nân nân !

Dans la plupart des livres, aham aham est traduit par "je je". Mais c'est une traduction erronée. Aham aham veut dire "je suis je". Comme dans beaucoup de langues, la copule n'est pas exprimée.

Mais que veut dire "je suis je" ?

A ma connaissance, cette expression certes singulière n'a qu'un seul précédent dans toute la littérature sanskrite : dans la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijnâ). Celle-ci décrit l'état de conscience ultime comme un "je suis je". Ce qui signifie simplement que le Soi est conscient du Soi, comme Soi. Non-dualité. 
Et toutes autres expériences - "je suis Untel", "ceci est une voiture", "les chiens ne font pas des chats", etc. - ne sont que des inflexions de cette pleine conscience, de cet acte parfait, de ce plein ressaisissement de soi. Tout est le même, qui joue à être différent. Tout est soi, qui se diverti en se prenant pour un autre.

Tel est le message de Ramana. Et aussi le message de la philosophie de la Reconnaissance, que Ramana connaissait, notamment à travers des œuvres comme Le Secret de la Déesse Tripurâ (Tripurârahasya) ou Les Jubilations de l'esprit (Mânasollâsa, traduction à paraître aux éditions Nataraj), textes de la philosophie de la Reconnaissance telle qu'elle continua de s'élaborer dans le Sud de l'Inde, après être née au Cachemire un peu avant l'An mille. La Reconnaissance est ainsi la philosophie du tantra non-duel et celle de la tradition de Tripurâ, même si ses adeptes aujourd'hui n'ont plus guère d'intérêt pour cette sagesse extraordinaire et lui substituent plutôt (mais sans savoir, car ils s'en fichent) le monisme aride de Shankara. 
Soit dit, au passage, que Ramana connaissait mieux la Reconnaissance que le Vedânta selon Shankara : il ne cite jamais ou presque jamais les œuvres de Shankara, alors qu'il cite le Tripurârahasya et d'autres textes de la Reconnaissance, ainsi que le Yoga selon Vasishta, texte non-tantrique, mais composé lui aussi au Cachemire à la même époque que les premiers textes de la Reconnaissance. Enfin, Ramana fit bâtir un temple autour de la tombe de sa mère et y installa le palais de la Déesse, le mandala de la Reine des univers, le Secret des secrets.


Bref. 
"Je suis je". 
Comme le disent ces beaux versets à la fin de La Grande méditation d'Abhinavagupta :

Dieu donne.
Dieu reçoit.
Dieu est tout ceci,
Dieu est ce monde.
Dieu offre et il est l'offrande.
Car je suis ce Dieu !

Que tout aille bien
pour le monde entier !
Que tous les êtres fassent 
le bien de leurs semblables !
Que les maladies guérissent !
Que tous les êtres
soient partout et toujours heureux !

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