vendredi 30 octobre 2015

La question des visions

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Postures et visions traditionnelles dans le dzogchen


Quand on pratique une forme de méditation, des visions apparaissent souvent.

La plupart des traditions mettent en garde : surtout, ne pas s'y attacher, ne pas leur donner d'importance, ne pas les investir d'un sens et d'une valeur qu'elles n'ont pas. 
La vraie vision est la vision non-duelle, vision pure et simple. Tout l'effort est de rester sobre. De ne pas céder à la tentation, au chant des sirènes.

Il y a toutefois des traditions qui ont donné un sens à des visions, en les distinguant des visions fantaisistes, mentales, imaginaires. La plupart des visions viendraient des parties inférieures de l'âme, mais certaines seraient de véritables révélations d'un au-delà du mental. Ce qui suppose une doctrine intéressante de la forme comme pouvant incarner le sans-forme et, par là, la recherche d'une synthèse riche, par-delà l'opposition un peu plate entre forme et sans-forme ; ce que je trouve très fécond. 
Quelques résultats sont l'imaginal, le monde astral, le sambhogakâya bouddhiste, les Chemins purs du shivaïsme et le monde intelligible. Il en irait donc des visions comme des rêves : il y a des rêves mécaniques, qui n'ont pas de signification spirituelle, et des rêves qui viennent de "là-bas". Des dévoilements du divin.
Cette opposition à propos du statut et de la valeur des visions se retrouve dans toutes les traditions. Il y a débat.

Parmi les partisans d'une voie fondée sur ces visions, les plus explicites et détaillées sont le Kula, le Kâlacakra et le dzogchen en Asie. Mais il y a aussi des indices sérieux chez Jamblique et, de manière générale, en Occident. Mon propos ici n'est pas de les recenser.

Selon les partisans de ces visions, qui doivent être distinguées des visualisations (effort délibéré pour faire apparaître une image mentale), ces visions ont une forme, mais ne sont pas pour autant faites de matières, ni dérivées de la matière. Ce sont des formes qui donnent forme aux Formes, aux Idées, aux essence atemporelles qui peuplent le monde intelligible. Ces sont des formes qui donnent forme à ce qui est au-delà des limites de l'espace et du temps. Ce sont donc des formes paradoxales, déroutantes pour l'entendement. Par exemple, on voit des figures "impossibles" à l'image des gravures d'Escher. De plus, ces formes ne viennent pas d'une éducation, d'une culture, mais d'un au-delà de toute culture, d'un royaume intermédiaire entre les essences universelles et les formes matérielles particulières. Elles sont, dans une certaine mesure, informées par l’éducation, mais sans s'y réduire.

Il y a là tout un champ de réflexion. En général, soit les gens sont pour, soit ils sont contre, mais sans examiner les choses de près. Par exemple, quand on fait remarquer aux adeptes des visions du dzogchen que ces visions existent dans d'autres traditions ou sont connues des physiciens, ils rejettent d'avance tout rapprochement et se réfugient derrière des dogmes;

Pourtant, là comme ailleurs, il serait fécond de se livrer à des comparaison et des enquêtes, afin de réévaluer ces visions. N'ont-elles pas une base physiologique ? Pourquoi la physique en a t-elle découvert en étudiant la lumière ? Les interprétations traditionnelles sont-elles pertinentes ? Que signifie ces visions ? Peuvent-elles amener une transformation de tout l'être ? Nous disent-elles quelque chose de l'au-delà ? Rappelons que, par exemple, le "Livre des morts tibétains" est basé sur de telles visions.

Dans la tradition hindoues du Kula et celle, bouddhiste, du Kâlacakra, on décrit des sphères de lumière multicolores ou non (bindu), qui se développent en formes géométriques, en mandalas. Or, ces mêmes formes, que chacun peut contempler en plissant les yeux devant une forte source lumineuse, sont aussi connues et étudiées par la physique moderne. Et ces phénomènes sont entièrement expliqués. Voir par exemple cette présentation. Voici quelques exemples d'images que l'on retrouve dans les visions, mais engendrées par un polariscope, instrument couramment employé pour examiner les gemmes :




Les experts sont mêmes capables d'analyser les différentes parties de ces images :




Dans le cas des gemmes, ce sont des micro-défauts qui sont à l'origine de ces formes complexes. Dans le cas des visions, il s'agit de débris organiques flottant dans le liquide de l’œil. En calmant le corps, le souffle et l'attention, le regard fait peu à peu le point sur ces formes irisées, de plus en plus complexes, comme le montre cette vidéo, qui montre aussi de manière très clair les autres "visions" :


Ou ici :


On les appelle aussi des "anneaux de Newton" :

Newton's Rings. 1 P2289057

Ou des "flotteurs" :

Floaters.png

Les visions sont très semblables aux cercles d'interférences générés en laboratoire par des expériences sur la lumière dans le cadre de la spectrographie (étude des objets à partir de leur spectre)  :



Or, les partisans des visions affirment que la simple contemplation de ces visions a le pouvoir de transformer l'âme et de lui conférer de grands pouvoirs. Pourtant, les joailliers, les gemmologues ou les physiciens qui contemplent ces images à longueur de journée n'ont pas l'air spécialement...spéciaux.

De même, les visions se développent dans l'obscurité ou sur fond de ciel bleu. Traditionnellement, elles sont censées manifester un au-delà du corps et du mental. Pourtant, ces phénomènes sont accessibles à tous et sont aussi étudiés par la science. 
D'abord, il y a le phénomène du champ bleu entoptique. Selon la tradition dzogchen, ce sont des sphères de lumières qui bougent "comme des gouttelettes de mercure sur le sol". Mais quand on contemple le ciel bleu, on voit en fait l'activité des bâtonnets de notre rétine :


Ensuite, il y a les phosphènes, par exemple quand on presse légèrement les yeux dans le noir :


Avec parfois des formes plus complexes :


Alors que penser de tout cela ?
Les explications scientifiques tendent à démystifier ces visions. D'un autre côté, sont-elles inutiles d'un point de vue spirituel ?
Je ne le crois pas.
A mon sens, l'intérêt de ces visions et des pratiques visionnaires n'est pas dans leur capacité à nous dire si nous sommes "éveillés" ou pas (ce qui serait quand même un comble !), mais plus simplement dans leur pouvoir ne fortifier l'expérience du silence.
Quand je reste immobile les yeux ouverts, je ressens que mon corps, mon esprit et tous les sens s'ouvrent en grand, comme si je devenais espace, comme si je devenais vision, sans plus de séparation entre un voyant et un vu. Il y a comme une clarté indicible et un éclaircissement, la révélation d'une transparence qui perdure ensuite dans le quotidien. Il y a moins de bavardage mental, une légèreté, une joie et, surtout, le désir de continuer à se plonger dans cet infini. Les visions se déploient et palpitent au rythme majestueux du silence, comme des vagues de conscience, et réalisent l'intégration de l'immobilité et du mouvement. Mais d'autres en parleraient sans doute bien mieux que moi.
Je crois qu'à côté de cette profondeur, la question de savoir si telle vision signale tel niveau d'évolution spirituelle, est complètement secondaire. La vision est sa propre récompense. Elle est son propre sens, même si ce sens est ineffable. La science, dans ce cas, sert à nous délivrer de l'emprise des institutions qui se prétendent détentrices de ces pratiques et posséder les clés de ce paradis. Ce n'est pas tout, mais c'est déjà beaucoup.

jeudi 29 octobre 2015

Isis

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« Ce qui est, ce qui sera, ce qui a été, je le suis. 
Ma tunique, personne ne l'a soulevée. 
Le fruit que j'ai engendré, c'est le soleil. »

  Proclus, Commentaire du Timée de Platon, 21e. Traduction de Pierre Hadot

La Grande déesse

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"L'Universelle Mère réserve aux hommes un grand miracle :
Nourrir les êtres purs qui transmettrons ses dons à ses enfants
Et châtier ceux qui font violence à la loi divine.
Mais vous, purs en vos actes et purs en vos paroles,
Entrez dans le sanctuaire de la Grande déesse
Et découvrez les splendeurs inouïes de la Mère."

Épigraphe de Phaestos, trad. J. Lacarrière

L'âme

Lumière sur l'âme, par un marseillais (!) aveugle (!!) du XVIIè siècle :

"Il n'y a ni haut ni bas, ni sommet ni superficie dans l'âme de l'homme, 
parce qu'étant spirituelle elle ne souffre ni divisions ni parties. Et ce que je vous dis est si véritable que toute votre âme est aussi bien au bout de l'un de vos doigts qu'en toute l'étendue de votre corps. De même que l'image d'une montagne est toute ramassée dans un petit œil aussi bien que dans un grand [sans que la montagne rapetisse et sans que l’œil grandisse], et qu'elle se trouve toute en deux cent yeux comme en un seul œil. 
L'âme n'est donc ni longue, ni large, ni profonde. 
Elle n'a ni degrés, ni étages. 
Elle n'est ni grossière, ni déliée, ni pesante, ni légère et n'a aucune des conditions qui conviennent à la matière."

François Malaval, La pratique facile, 1670

On le voit dans l'auto-portrait ci-dessous : les formes disparaissent dans le sujet, dans la conscience. Tout est limité dans la conscience sans limites. Tout est coloré dans la lumière incolore. Tout a forme sur le fond sans forme. Tout s'étend dans l'espace qui n'est ni ici, ni là. Tout passe dans l'instant qui ne passe pas.


mercredi 28 octobre 2015

La civilisation mène t-elle à la barbarie ?

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Les théories cycliques de l'Histoire sont celles des sociétés traditionnelles : d'abord l'Âge d'or se délite, puis conduit à l'Âge de fer, à la destruction qui prépare l'avènement d'un nouvel Âge d'or, et ainsi de suite, sans fin ultime. A cette vision naturelle de l'Histoire, s'oppose la foi dans le progrès, propre aux Lumières.

Situé à la charnière ces mentalités anciennes et modernes, l'italien Vico propose une théorie cyclique originale. 
Selon lui, il y a d'abord un âge des dieux, où les hommes vivent en harmonie avec la nature, en famille et avec le sens du sacré ; puis un âge des héros, quand une classe guerrière émerge pour dominer les foules : et enfin, un âge des hommes, quand la foule se soulève et réclame l'égalité. 
Mais cette égalité conduit à l'individualisme et à la désagrégation de la société, à commencer par la famille. Ce qui mène à des guerres, à la quasi disparition de l'humanité. Mais la terre, ainsi purifiée, repart pour un nouveau cycle, débutant par un nouvel âge des dieux.

La démocratie mène t-elle à la barbarie ?
Vico décrit ainsi le cataclysme :

"Quand les peuples sont devenus esclaves de leurs passions effrénées, du luxe, de la mollesse, de l’envie, de l’orgueil et du faste, quand ils sont restés longtemps livrés à l’anarchie... la Providence applique un remède extrême.

Ces hommes se sont accoutumés à ne penser qu’à l’intérêt privé ; au milieu de la plus grande foule, ils vivent dans une profonde solitude d’âme et de volonté. Semblables aux bêtes sauvages, on peut à peine en trouver deux qui s’accordent, chacun suivant son plaisir ou son caprice. C’est pourquoi les factions les plus obstinées, les guerres civiles les plus acharnées changeront les cités en forêts et les forêts en repaires d’hommes, et les siècles couvriront de la rouille de la barbarie leur ingénieuse malice et leur subtilité perverse. En effet ils sont devenus plus féroces par la barbarie réfléchie, qu’ils ne l’avaient été par celle de la nature. La seconde montrait une férocité généreuse dont on pouvait se défendre ou par la force ou par la fuite ; l’autre barbarie est jointe à une lâche férocité, qui au milieu des caresses et des embrassements en veut aux biens et à la vie de l’ami le plus cher. Guéris par un si terrible remède, les peuples deviennent comme engourdis et stupides, ne connaissent plus les raffinements, les plaisirs ni le faste, mais seulement les choses les plus nécessaires à la vie. Le petit nombre d’hommes qui restent à la fin, se trouvant dans l’abondance des choses nécessaires, redeviennent naturellement sociables ; l’antique simplicité des premiers âges reparaissant parmi eux, ils connaissent de nouveau la religion, la véracité, la bonne foi, qui sont les bases naturelles de la justice, et qui font la beauté, la grâce éternelle de l’ordre établi par la Providence."

La Science nouvelle, 1744

Nombreux sont ceux qui ont pensé que la démocratie menait inéluctablement à une forme de décadence, de barbarie ou de tyrannie. De Platon à Tocqueville, en passant par Vico, ils se sont interrogés sur la liberté : peut-elle durer ? Rousseau a vu une solution dans le Contrat social : chacun renonce librement à faire n'importe quoi, pour obéir à des lois qu'il a choisi. Mais, comme l'admet Rousseau, cela suppose que les hommes soient d'une moralité élevée, capable de désirer le bien commun, et de voir où il se trouve. 

La démocratie n'est-elle pas une utopie réservée à des êtres divins ?

Je note au passage que les trois âges de Vico rappelent les trois âges de la tradition tantrique du Kula : le flot divin, puis le flot des parfaits (siddha, aussi appelés "héros", vîra), puis le flot humain, transmis respectivement par le silence, par des symboles, puis par des mots. Et les mots ramènent au silence...

mardi 27 octobre 2015

Les mots dans la tête sont-ils des pensées ?

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Parfois, on définit les pensées comme des mots visualisés intérieurement. Des sortes d'échos mentaux des mots entendus.

Mais à mon sens, cela ne tient pas. Je me trompe peut-être, mais je vois une grande différence entre une phrase qui me trotte dans la tête et une pensée. Ou entre avoir "des mots dans la tête" (des mots de tête ?) et penser.

Preuve : je peux répéter une phrase dans ma tête sans rien y comprendre, sans rien penser. Par exemple, si je lis un énoncé de problème de math plein de jargon ; je lis, et je répète dans ma tête. Histoire de me donner une chance. Mais rien ne vient, je ne comprends rien. Donc il y a comme du son, du son intérieur, mais point de pensée. On me répondra peut-être qu'il y a bien pensée, mais pensée inaboutie, pensée confuse, pensée incomplète. Soit. Alors prenons un second exemple, encore plus radical : j'entend une phrase en chinois. Et, comme je suis doué en langue mais totalement ignorant de la langue de Confucius, je la répète intérieurement. Mais je ne la comprend pas. Est-ce une pensée ? Non, car ce ne sont là, pour moi et au moment de les énoncer, que des sons privés de toute signification, même confuse ou incomplète. C'est comme du bruit. Et le bruit n'est pas une pensée. Une pensée signifie quelque chose. C'est du langage. Cela exprime. Du moins cela y tend. Donc penser, ça n'est pas simplement répéter des mots ou des phrases intérieurement.

Ces petites expériences (de pensée !) nous apprennent aussi que la pensée est un langage, mais distinct des mots. D'ailleurs, je puis penser sans mots, plus vite que les mots, avant de trouver les mots. A l'inverse, comme nous l'avons vu plus haut, il y a souvent des mots absurdes, sans signification. Tels des cadavres ou des corps sans âme, ils ne sont donc pas des pensées.

Autre implication : les pensées ne sont pas des choses, mais des actes. Illustrons cela par une analogie : les vagues ne sont pas des choses sur l'océan, séparées de l'océan, mais des mouvement de la masse océane. Ce qui nous amène à une dernière conséquence : de même que toutes les vagues participent d'un seul et même mouvement, les pensées sont, à parler proprement, une seule et même pensée, un seul acte de penser, un seul acte de conscience. Du reste, en bon français, penser est synonyme d'être conscient ("je pense donc je suis", qui n'est pas une inférence mais l'énoncé d'une évidence, "donc" signifie ici "=", et "je pense" signifie "je suis conscient").
Quand nous méditons, nous nous mettons à l'unisson du mouvement de l'océan, au lieu de laisser notre attention se faire capturer par les vagues.

Donc finalement, les mots ne sont pas des pensées. Et les pensées sont loin d'être toujours des mots. Pourtant, on en parle au pluriel. Or sans mots, qu'est-ce qui permet de les distinguer les unes des autres ? Et pourtant il y a bien des pensées distinctes, mêmes si elles sont branches et fleurs du même arbre.

Il y a là tout un champ d'expérience, intermédiaire entre la pure présence silencieuse et les mots articulés, un champs qui nous est familier, mais dont on parle peu. C'est, selon la tradition du shivaïsme du Cachemire, le domaine des Mantras, ces sortes d'anges envoyés par Dieu pour sauver les hommes.

La pleine conscience s'oppose t-elle à la mémoire ?

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Souvent, on oppose l'instant présent au passé.
Le salut serait dans la conscience de l'instant présent, 
et nos malheurs viendraient de nos souvenirs, de nos "histoires".
Bien sûr, ce n'est pas faux.

Mais je voudrait juste signaler, en passant dans le présent (mais peut-on passer ailleurs ?), que 
l'acte d'attention au présent est une forme de mémoire.
Je m'explique. C'est tout simple, n'ayez crainte. 
En effet, faire attention au présent, c'est ramener l'attention au moment présent. Et ramener l'attention, c'est un acte de rappel. Et le rappel, c'est une forme de mémoire
S'exercer à être dans le présent est certes une sorte de mémoire particulière, car il ne s'agit pas de se remémorer un souvenir. 
Toutefois, c'est bien un exercice de la mémoire. 
D'ailleurs, en sanskrit, c'est exactement le même mot : smriti. La mémoire et la présence d'esprit à la fois. Le pouvoir de ressusciter une expérience passée et de garder l'attention sur le présent ou sur un objet présent.

Voilà pourquoi les gens qui n'ont qu'une faible puissance de mémoire ont en général du mal avec la pleine conscience. Et à l'inverse, les gens doués d'une mémoire puissante et aussi, souvent, d'une imagination fertile, éprouvent moins de difficulté à vivre dans le présent, à être conscient du présent, dans une présence globale et silencieuse.

En tous les cas, cette présence est mémoire. Le pouvoir d'être au présent et le pouvoir de convoquer le passé sont donc inséparables.

La pensée cache t-elle la Présence ?

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Souvent quand on est distrait, on accuse la pensée de nous avoir "fait perdre" le goût de l'espace conscient, plein de paix et de félicité. Et on s'énerve. Encore et encore. Comme un vieux couple.

Pourtant, rien ne peut cacher la conscience, car sans la Lumière consciente, rien ne peut apparaître. La manifestation des pensées est aussi Lumière consciente !

Pourtant, il y a clairement une différence entre baigner en conscience comme conscience, et être distrait ou décentré, quel que soit le nom que l'on donne à ce triste état. Un abyme, entre être heureux et malheureux. On a l'impression d'être prisonnier de la surface de soi. De ne pouvoir accéder à la troisième dimension.

Est-ce la faute à la pensée ? Non. Elle ne peut rien cacher, rien ne peut cacher l'espace, car rien n'existe en dehors de l'espace. 
Quoi, alors ? L'attention. L'attention, c'est le libre pourvoir d'agir, de désirer de se tourner vers le silence ou vers les pensées, vers soi ou vers les choses, vers l'infini ou vers le fini. C'est un paradoxe, car l'attention est inséparable de la conscience, comme le soleil de sa lumière. Et pourtant, par l'attention, la conscience peut s'oublier elle-même. Même cet oubli est un acte conscient. La conscience s'oublie, mais l'oubli est aussi une sorte de réalisation de soi. Il est important de réaliser que même la distraction et les pensées vagabondes n'existent que comme Lumière consciente. Cette certitude procure déjà une paix profonde. 
Mais il ne faut pas en rester là et se résigner. 
Non, il faut exercer l'attention. 

Comment ?
Avec douceur infinie, patiente sans limite et nul espoir.
Comme avec un enfant ou une personne âgée.

L'attention à quoi ?
A l'espace conscient dans lequel et par lequel les choses apparaissent et disparaissent. C'est le yoga de Shiva.
A l'élan brut à partir duquel et dans lequel les objets de désir et de haine se déploient. C'est le yoga de Shakti.

Ainsi, avoir des pensées, des émotions, est commun à tous les êtres. Mais le yoga, c'est être attentif à l'espace dans lequel ces pensées et ces émotions apparaissent. Comme dit le Tantra de la reconnaissance de soi (Vijnâna-bhairava-tantra) :

"La dualité sujet-objet est commune
à tous les êtres incarnés.
Mais les yogis se distinguent
par l'attention qu'il portent
à leur relation,
(au fait que les objet apparaissent dans l'espace conscient)."

lundi 26 octobre 2015

"Comme un enfant qui veut la mer dans un creux"

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Méditer, c'est faire quoi ?
C'est se laisser faire. 
Mystérieusement. 
Simplement. 
Délicieusement. 
Dans une évidence qui ne sait rien.
Encore un religieux marseillais, qui se sacrifia lors d'une épidémie en 1720. Clair comme le jour :

"La pensée qu'on est un petit atome perdu dans cette immensité, qu'une goutte d'eau mêlée dans les eaux de cet océan, qu'un petit rien réuni à ce tout unique, cette seule pensée, dis-je, opère plus dans une âme fidèle et docile que toutes les pratiques et les moyens ordinaires. Quelle témérité de prétendre par son opération et son travail arriver à ce terme invisible et insensible et hors de la sphère de notre activité. C'est justement un enfant qui veut enfermer la mer dans un petit creux, comme un insensé qui veut construire une échelle pour monter au soleil...
Jamais nous ne sommes assez persuadés de notre impuissance pour le bien et de l'inutilité de tous nos efforts, c'est pour cela que nous voulons toujours les y faire entrer pour quelque chose. Mais c'est aussi pour cela que Dieu, pour nous en faire voir l'inutilité, renverse tous nos projets et nous laisse dans le vide et dans le trouble.
Aussi ne devez-vous plus vous regarder que comme une ombre que Dieu anime, sous laquelle Il se rend sensible pour les différentes fonctions auxquelles Il l'occupe. C'est Lui qui se sert de votre langue pour parler, de votre cœur pour aimer...
C'est le néant, c'est rien, c'est."

Claude-François Milley, Lettre, vers 1710

La contemplation selon un moine marseillais

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Dans la vie quotidienne, nous méditons déjà. Et nous aimons, et nous pratiquons déjà tout ce qui se pratique dans la méditation. Seulement, nous nous trompons d'objet : nous y méditons des êtres et des choses qui ne peuvent nous combler, car elles ne font que refléter plus ou moins la Lumière incréée. Et pourtant, quels efforts, quelle énergie et combien de temps nous leur consacrons ! Si nous pouvions nous convertir au véritable objet de nos désirs, et être aussi ardents en lui qu'en les choses qui nous tracassent d'ordinaire, nous plongerions sans tarder dans l'océan de la plénitude.
Comme le fait remarquer avec malice ce moine de Provence :

"Je dis qu'il n'y a personne qui ne sache très bien faire tout ce qui se fait dans la méditation : les jeunes et les vieux, les ignorants et les savants, les pauvres et les riches. Et vous serez surpris si je vous dis que cet avare, que ce libertin, que ce cavalier, et que cette jeune demoiselle qui se plaît à la belle compagnie et qui ne s'emploie qu'à dérober des cœurs à Dieu, tous ceux-là sont très propres à bien faire l'oraison et tous savent très bien faire la méditation. Mais vous serez encore plus surpris si je vous dis que non seulement ils savent, mais encore qu'ils font très bien chacun à sa mode, puisqu'il n'est pas un de ceux-là, qui ne fasse pour plaire au monde tout ce qu'on fait pour plaire à Dieu dans la parfaite méditation.
Car dites-moi : cette jeune délicate ne sait-elle pas très bien l'art d'aimer et de se faire aimer ? Or pour bien et parfaitement méditer, le tout consiste à aimer et à se faire aimer. Si l'on considérait que l'oraison est une union, où la volonté étant élevée par la grâce et enflammée des lumières de la foi n'a pas besoin des autres puissances, où la perfection ne se trouve que dans le repos, l'on ferait connaître à cette âme qu'elle peut aimer, et qu'elle peut être unie avec Dieu sans la participation des puissances sensibles. Et que lorsque sans son congé elles s'unissent avec les créatures, l'âme ne doit pas sortir de son fond, où elle est unie avec son bien-aimé, pour arrêter une imagination qui se plaît dans le changement.
On lui dirait que l'oraison est une école où il faut apprendre peu à peu à ne rien faire. Et qu'une des belles leçons qu'on y fait est de souffrir la suspension des opérations naturelles. On lui ferait comprendre qu'il peut y avoir des excès aux actes mêmes de la volonté. On lui ferait concevoir que, comme dans un bassin plein d'eau claire, le moindre mouvement empêche que le soleil ne s'y représente parfaitement. QU'ainsi ces empressements durant les attraits divins, cette multitude d'actes, ces épanchements, ces aspirations, ces élancements, cette grande activité sont des mouvements qui empêchent l'époux sacré d'achever ses plus belles unions dans le fond de l'âme, où il ne demande que le repos et un entier abandonnement."
Alexandrin de la Ciotat, Le parfait dénuement de l'âme contemplative, 1680

Même dans les actions quotidiennes, nous pouvons laisser la Source agir en nous : telle est la véritable in-action.

samedi 24 octobre 2015

Pure présence et pure absence : discernement



L'espace de pure présence, de conscience nue, est toujours présent, comme le ciel qui ne dépend pas de la présence ou de l'absence des nuages.

Pourtant, nous n'en tirons aucun bienfait, faute de le reconnaître.

Autrement dit :
Dans la journée, nous vivons tous des moments sans pensées. Pourtant, nul "éveil" ne se produit. Aucune certitude bouleversante, nulle révolution intérieure. Pourquoi ?

L'état de pure conscience, mais sans reconnaissance, sans claire conscience, privé de vive présence, ressemble à s'y méprendre à la pure présence. 
Ces deux états ont en commun l'absence de pensée et un certain calme. 

Mais dans l'absence sans pensées, le calme dépend de l'absence de pensées, c'est-à-dire d'un état d'endormissement : on ne pense à rien parce que la conscience est comme endormie. 
Dans la pure présence sans pensées, en revanche, des pensées peuvent survenir, mais cela ne perturbe pas l'impression de calme, car cet état est un état de connaissance, de discernement, où le silence se sait silence par-delà les mots, où la conscience est consciente d'elle-même. 
La différence entre ces deux états est donc immense. L'état d'absence conduit à un calme temporaire. L'état de présence vive conduit à la paix qui dépasse l'entendement, le calme absolu qui ne dépend pas des circonstances, ni extérieures, ni même intérieures.

Prenons un exemple concret :
Je regard un arbre, sans retour sur moi. Je ne fais nul effort. Dans cet état, il y a conscience, mais une conscience simple, comme ignorante d'elle-même, plongée dans l'objet - l'arbre. Dans cette saisie, il y a un certain calme, un répit. Mais dès qu'un bruit ou un souvenir surgissent, le silence disparaît, la paix semble s'envolée, "je ne suis plus centré". Et pourquoi ? Parce que l'ignorance demeure. J'ai vu l'arbre, mais je ne me suis pas vu moi-même.
En revanche, si je regarde l'arbre, toujours sans juger, simplement. Alors, le calme de l'état précédent s'instaure. Je regarde l'arbre comme un enfant. C'est indicible. Mais à présent, je regarde cela qui regarde. La conscience se retourne sur elle-même, se ressaisit. Il y a alors un état de pure présence indicible, absolument calme. Et, à la différence de l'état sans pensées précédent, il y a maintenant une certitude que "je suis cet espace conscient, clair comme le jour, transparent, sans limites". Il y a donc une sorte d'éveil, une connaissance ou une re-connaissance (car l'espace conscient à toujours été ce qu'il est), un rappel, une prise de conscience, une réalisation.

Ces deux états se ressemblent, car ils sont indicibles et sans pensée discursive. Mais ils sont aussi éloignés que le jour et la nuit, car dans l'état d’absence sans pensées, le calme est du à l'ignorance, une sorte d'aveuglement, comme dans l'obscurité. Je ne vois rien, parce que je ne peux rien voir. C'est une absence, un vide par défaut. On ne voit rien parce qu'on est comme aveugle. 
Dans l'état de présence sans pensées, le calme est du au contraire à la connaissance qui distingue nettement entre la pure conscience et les pensées qui passent, etc. C'est aussi un état indicible, qui dépasse toute connaissance mentale, discursive, mais par excès de lumière, comme dans un éblouissement. Je ne vois rien (en particulier) parce que je vois tout.

Ces deux états sont calmes et indicibles en un sens. Mais l'un l'est pas défaut, l'autre par excès. Leurs effets sont donc très différents.

Une dernière chose : il est presqu'impossible d'accéder à la pure présence sans goûter la pure absence. Dans la pratique de la méditation, on commence en effet par se détendre, en observant se qui passe. Un calme s'installe, qui est souvent une sorte de torpeur légère. Ensuite seulement, le regard se retourne et l'espace se reconnaît. 
De plus, une fois que la conscience s'est reconnue, cette distinction est moins importante. En tous les cas, il ne faut pas, à chaque instant de la méditation, se demander si l'on est dans la présence ou dans l'absence, car dans ce cas, on resterait toujours dans le mental ! Une reconnaissance suffit. La certitude engendrée n'étant pas d'ordre mental, elle n'est pas soumise au temps ni au changement. Et quand on semble sombrer dans une sorte de torpeur, la présence nue revient d'elle-même. La douceur est alors essentielle. La torpeur est bonne en effet : elle permet de plonger. Elle "vide", elle apaise le corps. 
Et dans cette immensité, le soleil de la pure présence peut briller, d'autant plus radieux et pénétrant que le ciel est limpide.

A


samedi 17 octobre 2015

Cercle de méditation



Dans ce monde agité, rencontrons-nous autrement.

Dans le silence intérieur et la plénitude du cœur, sans but. 
Simplement être et savourer.

Je vous propose un partage le dimanche 25 octobre 2015 à 10h30, près du bois de Vincennes (ligne A du RER). 
Entrée libre.

Nul connaissance ni expérience ne sont requises. 
Pas de posture particulière. 
Chacun/chacune est bienvenue, pourvu qu'il/elle soit ouvert. 
Nous explorerons le yoga de Shiva et Shakti dans l'approche du tantra non-duel, le shivaïsme du Cachemire.
La méditation sera guidée, un peu, passage de relais au Maître intérieur.
Il y aura un temps d'échange.

Pour s'inscrire, contactez-moi :
deven_fr@yahoo.fr

Le yoga de Shiva est le yoga de l'espace.
Le yoga de Shakti est le yoga de la vibration. 



vendredi 16 octobre 2015

Linga d'espace

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Le linga est le symbole de Dieu, Shiva. 
Traditionnellement, il est enchâssé dans un piédestal.
L'espace est le linga, le symbole de Dieu, parce que Dieu est conscience, et que la conscience, comme l'espace, n'a pas de limites.


"L'espace est le linga.
La terre est son piédestal.
Parce qu'il est le réceptacle
de toute chose,
le substrat où elles se résorbent,
il est le linga".

La Religion de Shiva (Shivadharmashâstra), III, 17

Voici un linga sur son piédestal (pîthikâ), aussi appelé matrice (yoni) :


Un regard non fragmenté

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Si regarder ce qui est agité nous agite, contempler l'immensité nous immensifie. 
Ce regard ouvert subsiste, comme un parfum subtil mais entêtant. Il enchante l'agitation même, la transmute.

"Un regard non fragmenté, vaste, posé sur un paysage sauvage, dépourvu ou pas de ces contractions accidentelles que sont les lacs, les collines ou les arbres, savoure nécessairement l'absence de fragmentation : c'est un moyen traditionnel pour se laisser posséder par la conscience non-duelle".

Abhinavagupta, Parâtrîshikâvivarana, p. 231

Adorable unité !



Quand la France était mystique...

Un magnifique poème de Jean de Labadie, un jésuite du Grand Siècle, puis pasteur protestant :

Source de multitude ! Adorable unité !
De qui comme d'un point tous les nombres découlent,
vers qui comme à leur centre encore eux-mêmes roulent,
Avec eux reçois-moi dans ton immensité.

Je suis avec tous eux sorti de ton grand sein,
Qui sans se diviser, s'allonger ou se fendre,
Comme il a tout donné, peut encore tout reprendre,
Sans pour prendre ou doper être plus ou moins plein.

Ton unité reprend, ton unité reçoit,
Et quoi que mille biens coulent de ta poitrine,
Quoi qu'un nombre infini s'y rende et s'y termine,
Ton unité pourtant ne croît, ni ne décroît.

Tout être autre que toi se change à tout moment
Acquérant ou perdant des qualités contraires,
Ton unité demeures égale en tous mystères,
Et meut tout sans se voir sujette au mouvement.

Les esprits et les corps de tes dons embellits
Ont leurs plus riches biens par mesure et par compte.
Mais ta seule unité tous leur nombres surmonte,
Ils ne les ont qu'épars, Tu les as recueillis.

Que l'on coure l'univers de l'un à l'autre bout,
Nul être n'est parfait, et chacun d'eux soupire
Après le bien, qu'un autre, ou que lui trouve à dire.
Mais en ton unité se trouve ensemble tout.

Elle est tout à la fois soleil, lumière, feu,
Terre et ciel, aire et mer, être d'homme, être d'ange,
Sans matière pourtant, sans forme et sans mélange,
Et d'un air éminent qu'on a jamais conçu.

Encore est-elle plus, cette rare unité,
Et pour grand tas qu'on fasse de biens et de choses,
On n'en assemble point, qu'elle ne tienne encloses,
Et ne surpasse encore de son infinité.

Ô Dieu qui seul est tout ! Un et tout sans doubler,
Source sans s'épancher, et sans te bouger centre !
Quand dans ton unité veux-tu que ma ligne entre ?
Et que mon eau s'arrête à toi sans plus couler ?

Fais que je ne sois plus en moi si divisé,
Que mon âme en ton coeur vive plus recueillie,
Et qu'en lui ton amour de sorte me rallie,
Qu'étant un avec toi, je sois divinisé.


Abyme de lumière

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Un poème de Claude Hopil, vers 1630 (?) :

Acte très simple et pur, essence très abstraite
Sublimité cachée et plus que très secrète,
Solitaire hauteur,
Abyme de lumière, ô Dieu je vous adore,
Confus je vous admire, ô mon doux Créateur,
Dès le point de l'aurore.

Seigneur, je veux avoir de vous la connaissance
Par l'oeil mystérieux de la simple ignorance
Qui voit qu'il ne voit pas.
Dans cet être abyssal, penser voir quelque chose,
C'est dire qu'on peut voir, dans un épais brouillard,
Des lumières la cause.

Je cherche à tâtons
Je suis seul sans mon Roi, ne pouvant seulement
Sans sa grâce exister un seul petit moment,
Mais j'espère de voir un jour mon salutaire.
Je me pâme de joie, et je me meurs d'amour
Croyant qu'il n'est pas seul au séjour solitaire
De sa divine cour.

Présence nue

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Une vision
Une méditation
Une manière de vivre
Un but
?

Tout - plus le reste - est enveloppé dans une seule conscience crue, transparente et nue.
Les sens grand ouverts, fleurs pleinement épanouies,
Pensées, images, souvenirs pétillants.
Mais nul réaction.
Silence radio.
Grève des commentaires.
Le silence est la réaction.
Un flot de pensées ?
Ça démange ?
Rien à dire.
Ni bon ni mauvais.
Comme un idiot... mais aimant.
La réaction en chaîne s'interrompt,
n'enchaîne plus.
Mystérieusement,
Un domino s'est arrêté,
sans égard pour l'avant et l'après.
Quelqu'un s'éveille.
Une bulle éclate.

Au cœur de cette présence béate,
un cœur bat
un souffle respire
une vibration se met en branle
un balancement s'esquisse
une toupie spirale
un soleil rayonne
un nectar s'écoule
la vie se chatouille
l'infini s'éveille
vertige !


Comme dit un tantra :

"Les ouvertures sensorielles ne sont pas bloquées...
Le sommeil lui-même n'est pas chassé".

Les sensations, les images sont comme autant de sollicitations.
Garder sa langue.
L'énergie monte
et vient s'offrir à l'espace.
Alors, comme un bol d'air frais,
la présence se ravive,
comme un coup d'essuie-glace.

Comme dit Longchenpa :

"Si vous regardez encore et encore
en retournant la conscience,
sans rien compliquer avec des choix,
vous verrez qu'il n'y a rien à voir.
Rien à voir : telle est la vision
de la conscience qui imprègne tout."