vendredi 26 février 2016

L'inconnaissance comme connaissance ultime



Dans la "religion de Shiva", on trouve de tout.
Même la doctrine du non-moi et de l'illusion universelle, professée aujourd'hui par les partisans de l'éveil impersonnel et des matérialistes comme Comte-Sponville ou Dennet. Selon eux, le moi est une illusion et, au fond, rien n'existe. Le bonheur consiste à voir cela et à l'accepter de tout son être, à le ressentir. Voir que personne ne voit, etc.

C'est la doctrine des sophistes, des sceptiques, des matérialistes, des bouddhistes anciens, des scientistes réductionnistes, de Nietzsche, de Wittgenstein, et, enfin, d'une bonne partie des scientifiques d'aujourd'hui.

Un tantra de Shiva, intitulé Essence des tantras, ou Vérité des tantras (sadbhâva), professe une doctrine du non-moi radicale (mais il y a d'autres tantras de ce genre) :

"Laisse tomber le sens du 'mien'...
En toute circonstance, familiarise-toi avec cette vérité :
'Je n'existe pas'.
'Je n'existe pas, et le reste non plus' :
tant que l'on ne se dévoue pas
à cette pratique de la non-dualité,
on n'a rien du tout !" (I - 327)

Les autres pratiques sont 
"le piège des intentions et non la cause de l'éveil.
La non-dualité est sans construction mentale.
Comment ce qui n'est pas un but pourrait-il être atteint ?
Comment le mental pourrait-il atteindre le non-mental ?
Les sages savent que le mental
est toujours dans le non-mental.
Que l'on pratique donc le "il n'y a pas",
et qu'on abandonne le "il y a" !" (I - 314-315)

"Le 'il n'y a pas' est la délivrance.
Tout [le reste] est le grand obstacle.
Que l'on réalise donc
que tout cela est vide !" (I - 317)

Mais la philosophie de la Reconnaissance, les grands maîtres du cachemire, rejettent cette "méditation du non-être" pour les raisons que j'ai expliquées ailleurs (voir ici). Leur principal argument est que le non-être n'existe pas. Eh oui. Et donc, ceux qui méditent le non-être, méditent en réalité un objet qui fait partie de l'être : le vide, qui est comme la toile de fond de tous les objets, une fois que la conscience n'est librement oubliée elle-même. Les adeptes du "je n'existe pas" sont donc victimes d'une terrible erreur. Et donc, quand Shiva parle de "vide", il désigne en réalité la conscience, la conscience en laquelle se manifestent à la fois l'être et le non-être. Mais la conscience ne peut se reconnaître en méditant le non-être, qui n'est qu'un objet, mais en se ressaisissant elle-même par elle-même, en une sorte de retournement du regard. De même, dire "je n'existe pas" ne peut avoir du sens que si l'on ajoute "je n'existe pas seulement comme corps, esprit, etc., mais aussi comme conscience infinie." De toute façon, affirmer ou faire l'expérience "je n'existe pas", c'est encore s'affirmer. De sorte que cette affirmation se réfute elle-même... Simple, mais efficace. CQFD. Que des gens puissent affirmer sérieusement "je n'existe pas" m'étonnera toujours...



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