dimanche 28 mai 2017

Trois sortes de méditation selon Madame Guyon

Madame Guyon, morte en 1717,
est l'un des plus profonds maîtres de méditation.
Et l'un des moins reconnus.



Quoi qu'il en soit, 
elle a donné de nombreux enseignements 
sur la voie la plus courte
vers l'union à Dieu, qu'elle appelle "état fixe" ou consommé.

Selon elle, il y a deux sortes de méditation,
qu'elle nomme joliment "simple regard".

D'abord, il y a la méditation comme effort d'abstraction intellectuel.
C'est la méditation métaphysique d'un Descartes, par exemple.
Ou bien c'est la considération des attributs de Dieu, de ses Noms,
la pensée de ses mystères et autres thèmes élevés.
Dans cette sorte de méditation, il y a aussi l'effort pour envisager
"Dieu tel qu'il est", en faisant effort pour écarter tout le reste.
Cela ressemble à ce que l'on appelle, aujourd'hui, méditation :
un état d'attention concentrée, détachée de tout contenu,
atteint au moyen d'une pratique répétée.

Ensuite, il y a la seconde sorte de méditation "de simple regard",
qui consiste à se laisser aller à aimer Dieu, à s'enfonçer en lui
"non par effort ni par contention d'esprit, 
mais par amour".

La première méditation est bonne mais, selon cette mystique expérimentée,
ça n'est pas la meilleure. Tant que l'on médite sans amour, en effet, on est actif
et on espère contrôler ses pensées. Alors que par l'amour, on arrive au "dénuement...
mille fois plus excellent que l'abstraction : il est permanent et durable".
L'amour "met l'âme dans un silence goûté", savoureux. "Par cette voie, l'âme trouve en peu de temps son centre, ce qui n'arrive pas par la simple abstraction de l'esprit car, quoique l'âme y ait une certaine paix qui vient de l'abstraction des objets multipliés [, et donc un certain calme mental], cette paix n'est ni savoureuse ni si profonde que par la voie de la volonté". 
Par "volonté", ici, il ne faut pas comprendre la faculté de faire effort mais,
au contraire, le pouvoir de s'ouvrir, de se rendre disponible
à l'amour divin. La volonté est ici la faculté d'aimer, faculté qui est en chacun de nous.

Il y a donc deux voies de méditation :
- une voie de l'abstraction par effort, qui est laborieuse,
aride et qui ne donne que des résultats provisoires.
- une voie de l'amour.
Cette dernière a aussi ses difficultés :
la principale est qu'il faut y être passif, disponible,
à l'écoute d'un chant qui ne peut s'entendre
que dans le silence intérieur sans retour sur soi.
Ne pas faire d'effort demande un effort surhumain.
Plus encore : ne rien faire, c'est-à-dire se laisser faire
par ce qui est plus vaste que nous est, paradoxalement,
la pratique la plus difficile ; mais assurément,
elle est excellente et magique.

On se met donc en silence,
à l'écoute de la sensation intérieure, subtile,
de félicité. Et on se laisse bercer par elle.
On goûte ainsi le silence intérieur,
l'âme est peu à peu transformée.
Nos réactions au quotidien nous indiquent
nos résistances. Mais grâce à cette amour, à cette félicité intérieure,
ces obstacles fondent.
Evidemment, les douleurs et même les souffrances 
les plus profondes ne disparaissent jamais complètement,
de même que
les qualités divines ne sont jamais parfaitement incarnées...
mais on sent qu'il y a là un trésor inépuisable,
une manne véritable qui vaut tout le reste, et plus.

C'est la vie intérieure.

(les extraits viennent des Discours intérieurs, I, 43)

samedi 27 mai 2017

Hiérarchie des sens

Dans toutes les cultures prémodernes,
les cinq sens sont hiérarchisés
selon leur proximité avec l'intellect
et les plus hautes parties de l'âme.

Le Pédagogue montre la fleur et sourit


En général, 
la vue est considérée comme la faculté la plus noble.
En Occident, on a suivi Aristote sur ce point.
En Inde, dans la culture brahmanique indo-européenne,
l'opinion est la même.

Dans la philosophie tantrique de la Reconnaissance,
Abhinava Goupta considère, au contraire, que le toucher
est plus proche de la conscience.
Pourquoi ?
Sans doute parce que, dans sa doctrine,
la conscience comme Lumière (prakâsha en sanskrit)
n'est pas le cœur de l'être.
Ce cœur, c'est l'acte de ressentir, de réaliser, de prendre conscience,
désigné par le terme vimarsha, "pensée, jugement, appréciation",
glosé notamment par camatkâra, "délectation émerveillée"
et personnifié par la Déesse, Shakti.

Dans la tradition mystique chrétienne,
le toucher est important.
Ainsi le Docteur Mystique, Jean de la Croix,
parle de "touches substantielles" 
qui peuvent d'un seul coup arracher l'âme à ses imperfections.
De plus, ces touches "sont si sensibles qu'elles font parfois
frémir non seulement l'âme
mais aussi le corps." (Montée, II, 26)
Cependant, Jean est d'avis que le toucher
est inférieur à l'ouïe, par exemple :

"Le sens de l'ouïe est plus spirituel,
ou pour mieux dire,
a plus d'affinité avec le spirituel
que le toucher,
et ainsi la délectation qu'il cause
est plus spirituelle 
que celle que cause le toucher.
(Cantique, 13, 13)

Evidemment, la mystique tantrique valorise aussi
le son.
Mais il est amusant de voir comme les hiérarchies
varient d'une tradition à l'autre,
voire chez un même auteur dans une même tradition.

vendredi 26 mai 2017

L'Être est-il l'absolu ?

Selon le Védânta, l'Être (sat) est l'absolu,
plus encore que la conscience (cit) ou la félicité (ânanda).



Mais selon la philosophie de la Reconnaissance,
l'Être, seul, n'est pas l'absolu.
Ou plutôt, l'enseignement tantrique  de la tradition du Coeur-Corps (kaula)
affirme que l'absolu (brahman), compris comme être inactif (shânta),
n'est pas l'absolu, le brahman bien compris.
Quand la Reconnaissance décrit l'absolu,
elle ne dit pas "être, conscience, félicité", mais "conscience et félicité".
Pourquoi ? Parce que l'Être évoque quelque chose de trop statique,
alors que l'absolu est, selon la Reconnaissance,
un acte, un mouvement, un devenir.
Pour les philosophes du Tantra,
brahman signifie "expansion" perpétuelle,
et non transcendance abstraite.

L'Être est. C'est certain.
Il est "ce qui reste au moment du repos ultime", de la résorption de tous les niveaux de conscience
dans la Mâyâ, c'est-à-dire, ici, une sorte d'état d'inertie, dont l'état de sommeil profond
est l'exemple le plus familier. 
Mais il n'est pas l'absolu libérateur, le Coeur (hridaya).
L'Être statique, "serein" (shânta), est la Matrice que Dieu va exciter et féconder.
La Reconnaissance considère que l'Être pur, indifférencié, n'est qu'une phase
dans la Vie de l'absolu vraiment absolu, nommé ici Bhairava.
Selon le philosophe de la Reconnaissance qui est l'auteur de la Courte méditation sur le Tantra de la Maîtresses des trois Shaktis (Parâtrîshikâlaghuvrirtti), cet absolu "statique" n'est qu'un aspect ou une phase du véritable absolu en devenir de réalisation :

"La réalisation de l'absolu selon les partisans du Brahman (=les adeptes du Védânta)
n'est rien d'autre que ce nectar immortel, le Soi, qui est la fusion de toute chose en une seule masse
au moment où tout, jusqu'au plan de Mâyâ, atteint son point de repos extrême."

Mais ce repos n'est pas l'absolu. C'est seulement la disparition de la dualité
dans l'Être indifférencié. Or cet Être, poursuit notre philosophe,
"est à son tour excité par Bhairava qui (ainsi) 'éjacule' l'univers".

L'Être, c'est la Matrice, le yoni (ou "la", si vous préférez),
auquel Bhairava va venir se frotter, et qu'il va féconder.
Notre auteur anonyme convoque alors ce célèbre verset de la Bhagavad Gîtâ,
qui prend soudain une consonance tantrique :

"Le grand Brahman (=l'Être) est pour moi la matrice (yoni).
En elle, je dépose l'embryon (de l'univers).
De là, ô fils de Bharata, proviennent
tous les êtres !"

En termes de niveaux de conscience, l'Être n'est pas la pleine réalisation,
car en lui, la dualité, Mâyâ, a disparue (provisoirement), mais n'a pas
été réalisée comme manifestation de la conscience.
Cet état d'être indifférencié (eka-ghanam) est certes un "nectar",
car on y goûte un certain repos,
mais ça n'est pas l'éveil de la conscience en sa liberté,
car la conscience s'y trouve bien plutôt comme abrutie,
assoupie, endormie, enfermée en soi 
(parinishthitâ, âtma-nishthâ),
ce qui est précisément le contraire de la conscience,
laquelle est liberté, pouvoir de sortir de soi (tout en restant en soi, évidement) !

Car au-delà de ce plan d'expérience,
il y a le "Chemin pur", celui où la dualité
est reconnue comme libre manifestation de soi,
prise de conscience de soi, réalisation de soi
dans la félicité, dans l'extase créatrice.
Plus vaste que l'Être est le Trident des énergies
de désir, de pensée et d'activité :
"je veux", "je fais", "je connais".
Parmi ces trois Shaktis, la plus sublime
est celle du désir,
car elle contient les autres en elle,
comme quand on a soudain une intuition,
une vision globale, comme une ville vue 
depuis le sommet d'une montagne.

Mais, encore plus vaste,
il y a l'extase créatrice elle-même,
l'orgasme (eh oui !) divin,
représentée par les deux points
qui symbolisent, au sens fort du mot 
(deux tessons de poterie brisés puis réunis)
le Dieu et la Déesse, l'Être et la Conscience,
ou disons plutôt, l'absolu comme "ce qui est"
et comme "réalisation de soi en tant que 'ce qui est'".
Or, c'est ce dernier aspect qui est essentiel,
et qui distingue cette philosophie tantrique 
qui est bien une philosophie du désir et de l'acte,
plutôt que de l'être statique et immuable.

L'Être est la matrice,
excitée par les trois Shaktis,
excitation qui culmine
dans l'extase créatrice (visarga) qui, seule,
est le Corps de l'absolu.
L'absolu est donc Relation,
deux points, toujours Deux,
deux-en-un,
et non pas seulement Un.

Dans une perspective plus ésotérique,
il y a "sa", l'Être pur,
qui est l'être homogène, indifférencié,
la présence simple, présente
dans le Rituel Primordial
sous la forme du soupir des amants.
Puis ce soupir devient excitation,
l'embryon de l'extase,
qui grandit et grandit, "au"
jusqu'à l'extase, "h".

Dans un autre sens encore,
c'est l'Être "a" qui éclate en désir "h",
qui engendre l'individu "m".

Mais comme dit Abhinava Goupta,
"il ne faut pas tout dire en même temps" !

(l'exposé du Mantra par notre philosophe inconnu se trouve pages 16 et 17 
de l'édition du Cachemire)

mercredi 24 mai 2017

La conscience est-elle immobile ?

On entend souvent dire que la conscience est immobile et immuable.
Face à un monde qui est changement, elle est comme un roc, comme une enclume,
selon l'expression du Védânta.


Mais si la conscience était simplement "quelque chose qui ne change pas"
et qui est "ce qui est", à la manière d'une pierre, alors elle ne serait pas conscience !
Être conscience, en effet, ça n'est pas simplement ne pas changer, 
comme un cristal transparent qui reflète toutes les couleurs,
car ce cristal n'est pas conscient de ces couleurs.
De plus, une chose privée de conscience, comme par exemple un cristal,
ne peut changer sans devenir autre chose.

Alors qu'être conscient, c'est justement cela :
pouvoir changer (sinon la conscience serait inconscience, insensibilité, inertie),
tout en restant soi-même.
Autrement dit, la conscience n'est pas simplement immobile,
comme l'espace.
Elle n'est pas limitée à être ceci ou cela, sujet ou objet :
elle est libre, en ce sens qu'elle se réalise sous toutes ces formes,
tout en restant elle-même.

C'est cela, le "Soi" au sens tantrique.
Changer tout en restant soi-même.
Évoluer. Devenir, synthèse de l'être et du non-être.

Un philosophe anonyme de la Reconnaissance (probablement du Sud de l'Inde) dit ainsi :

Il est clair et prouvé de que la conscience est manifestation (de soi comme) choses. En outre, (toute) "chose" est à la fois sujet et objet. 

"Sujet et objet", puisque nulle chose, réelle ou non, n'existe indépendamment de la Lumière consciente qui se manifeste ainsi. Le philosophe poursuit :

Or, être un "sujet", c'est s'ouvrir et se fermer 

tour à tour, et non simplement "être", immobile comme un cristal. 
Être conscience est une respiration, un mouvement :

c'est, être connaissance et activité (à la fois), or la connaissance et l'activité,
c'est l'expansion et la contraction (de la Lumière conscience qui se manifeste) !

Et notre philosophe de conclure :

L'âme (de la conscience) est donc de palpiter en elle-même,
et non d'être enfermée (en elle-même) !

Et plus loin il ajoute, si besoin était :

Elle n'est que frémissement, elle n'est pas inerte et immobile,
elle n'est pas enfermée (en elle-même) !

Et il donne, comme exemple de cette respiration - outre la respiration elle-même ! -
le jour et la nuit, l'été et l'hivers, le soleil et la lune...

Être conscience, c'est respirer,
et non stagner.

(Courte méditation sur le Tantra de la Maîtresse des trois Shaktis, extraits traduits des pp. 6-7 de l'édition du Cachemire) 

vendredi 19 mai 2017

Être libre ?

Je désire être libre,
mais je me sens contrarié et esclave de mille choses.

Être libre, c'est être conscience.
La reconnaissance,
c'est simplement faire le lien entre
cette conscience évidente pour chacun,
et la liberté, moins évidente,
et que l'on attribue plus souvent  et exclusivement
à Dieu et à des êtres divins ou "éveillés".

Confus, nous voyons notre "moi"
comme un corps, une sensation fuyante
ou une illusion, une construction imaginaire.

La reconnaissance consiste simplement
à écarter ces certitudes erronées
et à laisser briller la Lumière,
sachant que notre aveuglement est,
en définitive, partie du jeu de la conscience
qui joue à se faire esclave de ses propres créations.

En Inde, le but ultime de la vie est la "délivrance"
du cycle des renaissances, le samsara.
Abhinava Goupta redéfinit cette libération :

"[La délivrance est seulement le dévoilement de nos vrais pouvoirs],
rien de neuf n'est accompli. En réalité, il n'y a pas non plus
manifestation de quelque chose qui n'était pas manifeste.
C'est simplement l'idée fausse selon laquelle ce qui brille,
ne brille pas, qui est écartée. Car la délivrance n'est rien d'autre
que la divinisation, qui n'est autre que ce dévoilement.
Et le samsara, c'est juste l'absence de ce dévoilement.
Ainsi, délivrance et samsara ne sont que deux manières de penser.
Et les deux sont également le déploiement du Seigneur !"

(Vimarshinî, II, 3, 17)

Ainsi, quand "je" me sens esclave,
"je" joue librement à être esclave ! 

Scandaleux ou génial ?

jeudi 18 mai 2017

Attouchement divin

Dans le shivaïsme du Cachemire,
la tradition du cœur/corps (kaula),
le toucher est la sensation d'être,
débordante de félicité,
qui transforme l'esclave en un être libre,
capable de participer à la création divine.


Le toucher est aussi important chez certains mystiques chrétiens.
Voyez cette interprétation hardie d'un passage du Cantique des cantiques par Jean de la Croix :

"De cet attouchement divin [que l'âme ressent dans ses entrailles
quand elle s'ouvre à Dieu]
l'épouse parle ainsi dans le Cantique des cantique :

'Mon Bien-aimé passa la main
par la fente de ma robe
et mon ventre tressaillit sous sa caresse.'"

(Cantique, XVI, 6)

Ce sont ces "touches" ou toquades ressenties au centre de soi
qui entraînent l'âme à plonger et à se laisser transformer
en la sagesse divine.

Traduction (française !) encore plus explicite par Gaultier en 1622 :

"L’Épouse dit dans le Cantique
que son bien-aimé passa la main dans un petit trou,
et que son ventre trembla quand il y toucha..."

Rien


Inspirée par un dessin de Jean de la Croix, Madame Guyon,
profonde en vie intérieure, nous donne ce conseil radical :

"Ce qui nous anéantit devant Dieu, devant les hommes
et à nos propres yeux, est la plus sûre voie,
quoique non pas la plus agréable à l'homme,
qui veut toujours subsister en quelque chose,
soit en soi ou dans les autres,
d'une manière ou d'une autre.
S'il renonce à la nature,
soit par la pénitence, soit d'une autre manière,
c'est pour mieux subsister dans la grâce.
Nul ne veut n'être rien, rien, rien,
et cependant c'est sur le rien
que Dieu fait les plus grandes choses,
parce qu'il en a toute la gloire.
Le rien ne dérobe rien,
ne s'attribue rien,
n'usurpe rien,
ne prétend rien,
il ne croit rien mériter.
Le rien n'attend rien de soi,
n'en espère rien.
Le rien reste dans son rien,
non pour être quelque chose,
mais pour rester dans le rien."

(Discours I, 30)


mardi 16 mai 2017

Que faire ?

En chacun de nos actes, nous cherchons le salut.
Plus ou moins clairement, il est vrai,
car nous nous acharnons plus que nous ne regardons.
Mais l'élan est là, obscur, aveugle,
mais invincible.



Pour se sauver, 
il faut se convertir,
il faut que l'attention se retourne
vers sa source, vers l'intérieur,
vers le centre.
Il faut une  révolution.

Dans le shivaïsme du Cachemire,
ce retournement (pari-vritti)
est défini comme reconnaissance (praty-abhijnâ),
quand
"tout ce qui peut être pointé comme 'cela',
toutes les apparences,
apparaissent clairement et pleinement
comme 'je', comme 'soi-même'".

C'est, dit Abhinava Goupta,
"la réalisation, la pleine possession de la félicité
par un retournement (parivritya) qui embrasse
la Lumière consciente, autrement dit 
la subjectivité en sa plénitude,
propre à Dieu".

Cet Acte est le début d'une vie nouvelle,
la vie intérieure.
Evidemment, il doit se répéter,
bien qu'il surgisse à chaque fois
comme en sa première fois,
sans mémoire bien qu'imprégné d'un sentiment
de retrouvaille intime.

lundi 15 mai 2017

D'où vient la mélancolie ?

Mélancolie et ses sœurs,
Acédie, Neurasthénie, Spleen,
Vague-à-l'âme, Tristesse, 
Fatigue, Angoisse et Dépression,
tourmentent les humains depuis... toujours.
Selon certains, elles vinrent en même temps
que le désert du Sahara, 
mais enfin, ça n'est qu'une conjecture.

Toujours est-il que la mélancolie fascine.
D'un côté, elle fait souffrir,
elle "dérobe" la vie de celui ou celle
qu'elle empoisonne, selon l'expression
du Poème du frémissement.
De l'autre, nous goûtons en elle
un je-ne-sais-quoi qui donne du poids
et comme du sérieux à tout le reste.
Les mélodies les plus belles
ne sont-elles pas les plus mélancoliques ?

Abhinava Goupta,
le grand sage du tantra (si différent du néotantra !),
estime qu'elle est causée par l'ignorance.
Qu'est-ce que l'ignorance ?
Elle n'est pas une sorte d'aveuglement métaphysique,
comme dans le Védânta,
mais plutôt un genre de torpeur,
de recroquevillement de la conscience,
qui va s'assoupir dans les rythmes qu'elle engendre :
respiration, sommeil, naissance, schémas mentaux...

Et donc, le remède à la dépression est l'éveil,
le réveil. 
Ounmésha, en sanskrit, évoque l'ouverture des yeux
et l'éclosion d'une fleur.

Dans un discours sur la Déesse, il chante ces deux versets :

Cette Intelligence
qui s'active en chacune 
de nos intuitions à propos des choses
et qui infuse ces éveils,
est la chair même
de toutes choses.
Pour qui est plongé de tout son être
dans cette Lumière de la suprême Shakti,
comment la dépression serait-elle possible,
attendu que celle-ci
est due à l'absence de cette Présence ?

[Mais l'ignorant] ne prête pas attention
à cette source de joie et de bonheur,
à cette richesse sans égale
qui infuse son corps, son souffle vital, son esprit...
et il est frappé en son cœur
par une mélancolie/dépression sans pareille...
Si la suprême Déesse
qui se délecte à créer le monde entier
vient habiter en son cœur,
alors, alors !
elle danse et se déploie et brûle
comme l'oblation plénière !

(dans l'Explication du Tantra de la Maîtresse des Trois Shaktis, éd. Singh, p. 39)

L'"oblation plénière" (poûrna-âhouti) est l'offrande finale
lors d'un rituel du feu. C'est une façon de dire que la conscience brille alors 
comme si tout se consumait en elle, dans son feu transformant.
Une flamme haute, vivante, intense,
nourrie de toutes choses,
de même que le feu infuse le bois qu'il brûle,
et l'assimile à lui-même.


Ces paroles font chaud au cœur
et sont encourageantes.
Elles guérissent l'Intelligence en la réveillant,
comme d'un sort funeste.

Mais, à côté de cet optimisme bienvenu,
je crois qu'il y a aussi place pour la mélancolie
comme telle.
C'est le thème de la "nuit" spirituelle,
incontournable selon la tradition mystique chrétienne.
Après une période de grâce savoureuse,
vient la grâce obscure, aride, douloureuse...
Je crois que ces cycles d'épreuves,
de mots et de renaissances, sont indispensables
pour grandir et se laisser transformer
en cela qui est plus vaste que nous.
Voici donc un exemple de la manière dont la mystique chrétienne
peut venir enrichir la mystique du shivaïsme du Cachemire.
La mélancolie fait partie de la beauté
de la vie intérieure.

dimanche 14 mai 2017

Tantra Tango Tandava !

Sans l'Un, rien.
Mais avec l'Un seul, quoi ?

Tout est relation.
Outpaladéva, le philosophe de la Reconnaissance (pratyabhijnâ)
a écrit trois petites Démonstrations/Réalisation,
en plus de son Poème sur la Reconnaissance :
- Le premier sur Dieu
- Le second sur l'âme
- et le troisième, sur la relation (sambandha),
le lien, qui unit tous les êtres, toutes choses,
et qui constitue "le monde".
Tout est relation.
Ni unité, ni dualité, mais unité-dans-la-dualité : relation

Outpaladéva l'exprime ainsi :
Je célèbre ce Dieu bienfaisant
qui par son propre désir (et non par ignorance)
façonne le cours du monde,
constitué de toutes les choses
au moyen de la relation,
laquelle est unité-et-dualité !

(cité dans la Vimarshinî, II, 2, 3)

Tout est relation.