lundi 25 septembre 2017

Voyage en Inde du Sud - Mars 2018 - Vidéo

J'accompagnerai en mars 2018
un voyage en Inde
organisé par 
Routes du monde.

Au programme :
méditation dans des temples 
et des lieux sacrés.
Regardez :


J'ai hâte de partager cela avec vous !

dimanche 24 septembre 2017

Le jeu de la conscience - IX, X, XI

Suite du poème Le Jeu de la conscience (Bodha-vilâsa),
attribué à Kshéma Râdja, disciple et peut-être cousin
d'Abhinava Goupta, le maître le plus célèbre du shivaïsme du Cachemire :

(Bien que) toujours un, (la conscience qui devient) l'âme
se déploie à travers les niveaux d'être,
les (différentes sortes de) créatures et (leurs) qualités.
Elle se manifeste comme les sept plans de conscience
et les trente-six niveaux du réel. 9

Le Maître des maîtres est un,
présent en tout et en tous,
pur : il est conscience.
Quand il connait intégralement
(sa propre) subjectivité,
la délivrance est alors (évidente,
comme) dans la paume de la main. 10

Réalisé comme étant
les sept plans de conscience
et les trente-six niveaux du réel,
ce Maître des maîtres

dévoile la (vraie) richesse : la délivrance. 11



Dieu, ou comme on voudra l'appeler,
est conscience.
Mais cette conscience est libre.
Elle n'est pas seulement libre en un sens négatif,
transcendant ("conscience au-delà des concepts", etc.),
mais aussi dans un sens positif :
elle agit.
En fait, elle est action.
Et elle est mouvement, désir, imagination, pensée.
Mais l'essence de tous ces pouvoirs est celui de liberté,
reconnu dans la conscience 
comme pouvoir de prendre conscience de soi
comme ceci ou cela.
En d'autres termes, ce que l'on appelle ailleurs
mâyâ ou "mental" ou "ignorance",
est ici reconnu comme l'essence même du réel,
l'essence de l'essence, le Cœur (hridaya, hrit ou shradh, apparenté
à cardia, "cardiaque").
Cette conscience, bien qu'étant toujours "conscience de",
est aussi toujours conscience d'elle-même.
Le jeu de la conscience (qui est la conscience elle-même
et non une qualité passagère),
n'est donc ni unité pure (puisque la conscience de soi
n'est pas une pure unité statique) ;
mais elle 'nest pas non plus dualité.
Parce qu'en réalité, tout ce dont elle prend conscience,
c'est elle-même.
Pourquoi ?
Parce que rien n'existe - réel ou irréel - en dehors d'elle-même.

Et ainsi, en vertu même de son absolue liberté,
elle se réalise elle-même à travers des noms et des formes
qui sont comme des cristallisations d'elle-même.
Et, en ce mouvement de ralentissement et de contraction,
elle devient l'âme (citta, jîva), c'est-à-dire l'individu,
qui peut être animal, humain ou divin.
Elle "joue" à être tel ou tel personnage.

Bien qu'elle reste toujours une,
car rien ne peut apparaître
en dehors de l'espace-conscience,
elle "se déploie" (prathate, apparenté étymologiquement
à "plat") à travers une multiplicité
de niveau de conscience et d'être.

"Les sept plans de conscience" sont comme une cascade
de conscience, de félicité, de volonté, de pensée
et d'activité.
D'abord Dieu comme plan de conscience.
Il se décrit ainsi : "Je suis je" (aham aham).
Notez que c'est, là encore, l'expression précisément 
employée par Ramana Maharshi pour décrire
l'expérience du Soi. Cette expression est souvent traduite par "je je",
ce qui ne veut pas dire grand'chose. En fait, en sanskrit comme en beaucoup
de langues, le verbe "être" est souvent omis et sous-entendu.
C'est comme la réponse à une question :
"Qui suis-je ?" (ko-ham ?) - "Je suis je" (aham aham).
Ce qui est quand même plus clair.
Et cela signifie que la conscience (Shiva)
prend conscience (Shakti) seulement d'elle-même
comme étant elle-même, et rien d'autre.
C'est un saisissement de soi par soi,
une reprise directe, un mode de dualité minimale.
Ensuite, la conscience se manifeste comme
ceci ou cela - une infinie diversité -
mais toujours en réalisant que cette richesse est
sienne. Elle se dit : "Je suis tout cela".
Selon l'intensité de cette réalisation,
son degré de continuité et la plus ou moins grande clarté
de la dualité, on distingue trois niveaux ou degrés de ce mode,
qui est l'idéal à atteindre selon cette tradition :
idéal, car la dualité s'y manifeste,
mais dans la conscience de l'unité.
C'est l'éveil dans le quotidien,
quand les pensées, les mots et les sensations
ne sont plus pris pour des obstacles
contraires à la pleine conscience,
mais sont au contraire reconnus comme étant
des manifestation de la conscience.
Ces trois degrés sont appelés :
"Grands Seigneurs des Mantras"
"Seigneurs des Mantras"
et "Mantras".
Les Mantras sont, en gros, des Anges,
qui s'incarnent dans les mantras,
afin de "sauver" tel ou tel individu,
c'est-à-dire de provoquer en lui ou en elle
le réveil de la conscience.
Notons au passage qu'en sanskrit, "conscience" et "éveil",
c'est le même mot : bodha, de la racine budh-, 
dont sont dérivés également buddha "l'Eveillé" et buddhi "l'intellect".
Mais l'éveil, ici, c'est plus particulièrement
se reconnaître comme libre conscience,
source de tout, jouant en tout.

Ensuite, la dualité l'emporte.
La conscience s'oublie dans ses propres manifestation.
Elle continue de prendre conscience d'elle-même
(car il n'y a rien en dehors d'elle),
mais sans le reconnaître, 
comme un lion effrayé par son reflet.
Il y a trois plans de conscience
dans ce mode d'oubli.
Le premier, le plus haut,
est celui de "la pure conscience" inactive (vijnâna-a-kala).
La conscience se reconnaît comme conscience,
mais prend ses propres manifestations
pour des choses sans valeurs,
des fantômes venus d'on ne sait où.
C'est, selon cette tradition, le niveau de conscience
de l'Advaïta Védânta : on est libre uniquement en un sens négatif,
comme "témoin" impassible des apparences. 
On est libre, à condition d'être sans actes ni désirs.
Dès que l'on se remet à penser et à agir dans le quotidien (vyavahâra), on a l'impression de "perdre" la paix de la pure conscience.
Pour le shivaïsme du Cachemire,
c'est une illusion.
L'illusion de l'unité qui exclut la dualité.
C'est l'illusion (et l'impasse) de la conscience vide,
statique, inerte, parfumée de la crainte de la dualité.
A strictement parler, c'est un plan supérieur
à la conscience duelle ordinaire.
Mais ça n'est pas ce à quoi nous aspirons,
car c'est un état factice, imbu de peur.
Tant que nous rejetons la pensée, l'imagination, le désir,
nous sommes, selon le shivaïsme du Cachemire,
une conscience malheureuse, 
misérable (daridra, c'est le terme
employé par Kshéma Râdja dans le Cœur de la Reconnaissance,
version plus développée du Jeu de la conscience).
C'est donc un éveil, mais incomplet.
D'où vient l'éveil complet ?
Dans ce cas, il ne peut venir que de la conscience elle-même,
c'est-à-dire à travers ce que la tradition nomme
"la grâce" (shakti-pâta, expression qui indique bien
la sorte de "coup" que la conscience se donne à elle-même
pour se sortir de sa léthargie).
Pourquoi ?
Parce que la conscience est, à ce niveau,
comme enfermée dans cette" pureté" factice
qui n'est qu'un aspect d'elle-même.
C'est une non-dualité (a-dvaita) qui n'est en réalité
qu'une solitude (kevala) abstraite, exclusive,
à l'opposé de la toute-capacité de la conscience libre.

Juste "en-dessous"
se trouve la conscience qui se ressaisit comme inconscience,
privée de tout pouvoir de désirer, de connaître et d'agir.
C'est l'état de la conscience dans le sommeil sans rêves,
le coma, la mort et la dissolution cosmique.
C'est aussi un mode de la dualité perçue dans l'oubli de l'unité,
car la conscience s'identifie à l'absence de tous les objets.
Elle se prend pour l'absence de manifestation,
alors qu'elle est toujours présente,
sans quoi nul n'aurait jamais conscience
de ces moments d'"inconscience".

Enfin, il y a l'état de conscience ordinaire de l'état de veille
ou de rêve, chez l'animal, l'homme ou les dieux.
C'est un état où nous avons des pouvoirs (désirer, penser, parler...),
mais où ces pouvoirs nous perdent
et nous enferment dans des constructions imaginaires
qui font souffrir, à travers ses dilemmes (vikalpa) interminables
et insolubles.

L'éveil, la délivrance, consiste alors à réaliser
que tous ces modes sont réalisation de soi.
Rien de réellement nouveau,
juste une reconnaissance
qui, paradoxalement, passe par des concepts,
pour s'affranchir de l'emprise des concepts.
Car la liberté n'exclut rien.

samedi 23 septembre 2017

Qu'est-ce qu'un gourou ?

Gourou vient du sanskrit guru, "lourd", "grave", et donc "important".
A noter : guru a la même racine indo-européenne que "grave".


On entend souvent que guru viendrait de gu les ténèbres et ru, la lumière,
le guru étant alors la Lumière qui chasse les ténèbres de l'inconnaissance.
Il s'agit là d'une définition traditionnelle (nirukti) qui joue sur chaque syllabe
d'un mot pour en définir le sens.

Mais il existe d'autres définitions du mot guru, selon d'autres traditions.
Ainsi, dans le shivaïsme du Cachemire.
Voici ce qu'en dit un maître du shivaïsme du Cachemire
qui n'a sans doute jamais été au Cachemire :
Mahéshvara Ânanda a composé son 
Bouquet pour la Vérité intégrale (Mahârthamanjarî)
à Tchidambaram, au sud de Pondichéry,
vers le XIIIe siècle, 
inspiré par la vision d'une mystérieuse yoginî.

Dans le premier verset de son poème, il salue
"les pieds toujours immaculés
du gourou Lumière intégrale". 

Il l'explique ainsi, dans son autocommentaire en sanskrit :

"En ce monde, tout le monde s'accorde à dire qu'il faut
adorer l'ineffable (kâcit) divinité. Il y a seulement désaccord à propos
des noms et des formes qui la décrivent. 
Or, ceux qui examinent de près au moyen de la raison
cette essence qui est simplement l'évidence (sphurattâ)
de leur propre conscience, concluent que la divinité
qui doit être adorée n'est autre que la Lumière consciente. 
Quand au fait qu'elle est "intégrale",

Cette clarté évidente est l'être intégral,
non délimité par les lieux et les moments.
C'est elle que l'on proclame
Coeur du Maître suprême,
car elle est l'essence (de tout).  (Stances pour la Reconnaissance)

Selon cette pensée de la sublime (philosophie de la) Reconnaissance,
cette évidence est l'unique essence,
car elle dépasse toute contraction."

Sur cette base, il définit ensuite le gourou  :

"Or le gourou est celui qui brille,
qui manifeste la vie quotidienne,
le cours de l'univers.
Selon cette définition traditionnelle,
il est (donc) source de grâce pour tous."

(MMParimala, I, pp. 3-4 de l'éd. Dviveda)

Ce qui est remarquable, dans cette définition,
c'est que le gourou n'est pas décrit comme un être humain,
mais comme l'essence de tous et de tout.
En ce sens, le gourou est "impersonnel".
Il n'a ni nom, ni forme ;
il est "quelqu'une" (l'article indéfini est ici au féminin,
avant de passer au masculin dans la suite du propos).
De plus, il est évident.
A noter : le mot sphurattâ, qui désigne une manifestation claire,
évidente, une clarification, comme un lever de soleil,
a été aussi employé par Ramana Maharshi
dans les passages les plus importants de son enseignement.
Cette évidence est simplement la conscience,
cette Lumière qui éclaire tout,
en laquelle tout apparaît et disparaît,
et qui elle-même n'apparaît ni ne disparaît.
Plus subtile que le plus subtil,
elle est plus évidente que nos pensées,
nos sentiments, nos sensations.
Comme elle envelope absolument tout,
elle est la Lumière "intégrale",
ou l'être intégral (mahâ-sattâ).
De plus, elle se manifeste comme noms et formes.
Car tel est le lien mystérieux entre universel et singulier :
la Lumière universel, emportée par son libre élan,
se cristallise en un individu singulier,
en une succession de lieux, de moments
et de formes uniques qui constituent le Temps,
la vie quotidienne (vyavahâra).
Sans cette Lumière, rien ne serait possible.
Elle est donc grâce, don gratuit.

Toute l'oeuvre intérieure
est de le reconnaître
et de s'y offrir instant après instant.

Tel est le véritable gourou.

vendredi 22 septembre 2017

Le yoga de l'Homme-lion

L'Homme-lion, nara-simha en sanskrit,
est une incarnation de Vishnou
assez peu connue.
Et parmi ses visages,
il y en a un dédié au yoga,
à la pratique de la méditation,
qui m'est particulièrement cher.

 
 Le Yoga Narasimha de Guimet, un jour de pluie.

Jadis, un démon avait obtenu un don surnaturel de Vishnou :
Il ne pourrait mourir ni de la main d'un homme, ni de celle d'un animal, ni le jour ni la nuit, ni dehors ni dedans, ni sur terre ni au ciel.
Sous son règne, les démons prospéraient, tant et si bien que leur poids menaçait d'engloutir la Terre.
Vishnou s'incarna donc sous la forme de l'homme-lion. il s'empara du roi des démons sur le seuil de son palais, au crépuscule, le souleva entre ciel et terre, et le réduit en pièces.

Que vient faire le yoga dans cette fable ?

Le démon est l'ego. Disons, la somme de nos désirs de perfection, le fantasme de vouloir enfermer l'infini dans le fini, de vouloir mettre l'espace en boîte, incarné dans les couples de contraires, dans l'attraction et la peur, l'inpir et l'expir, goûts et dégoûts...

L'homme-lion est ce qui se révèle dans l'intervalle entre l'expir et l'inspir, entre deux pensée, deux histoires, deux tranches de rêve, deux alternatives...

Il incarne le yoga, l'unité naturelle qui réconcilie ces grands ennemis : unité et dualité, Dieu et le Diable, et ainsi de suite...

Notez la ceinture de yoga, instrument traditionnel de l'exploration de l'espace.


J'accompagnerais en mars 2018
un voyage dans le Sud de l'Inde,
justement sur les traces de l'Homme-lion,
où je partagerai 
cette tradition de méditation
sur l'espace et la lumière.
Pour plus d'infos,

lundi 18 septembre 2017

"Alors le coeur s'élargit..."

S'abandonner soi-même est simple. 
Du point de vue de l'ego, c'est impossible.



Mais de fait, "il y a peu à faire", 
dit Fénelon, qui n'est décidément pas cet homme
de lettres un peu fade que la culture bien-pensante
nous racole :

"Quand on est ainsi prêt à tout, c’est dans le fond de l’abîme que l’on commence à prendre pied[104] ; on est aussi tranquille sur le passé que sur l’avenir. On suppose de soi tout le pis qu’on en peut supposer; mais on se jette aveuglément dans les bras de Dieu ; on s’oublie, on se perd ; et c’est la plus parfaite pénitence que cet oubli de soi-même, car toute la conversion ne consiste qu’à se renoncer pour s’occuper de Dieu. Cet oubli est le martyre de l’amour-propre ; on aimerait cent fois mieux se contredire, se condamner, se tourmenter le corps et l’esprit, que de s’oublier. Cet oubli est un anéantissement de l’amour-propre, où il ne trouve aucune ressource. Alors le cœur s’élargit ; on est soulagé en se déchargeant de tout le poids de soi-même dont on s’accablait ; on est étonné de voir combien la voie est droite et simple. On croyait qu’il fallait une contention perpétuelle et toujours quelque nouvelle action sans relâche ; au contraire, on aperçoit qu’il y a peu à faire."

Fénelon, Oeuvres I, Pléiade, p. 577

Nous croyons qu'il y a beaucoup à faire.
En un sens, oui.
Mais pas par nous.
Seulement,
pour que tout se fasse 
à travers nous,
nous devons dire "oui"
encore et encore.
C'est tout ce que nous avons à faire.

Se laisser faire,
c'est tout faire.

Non pas union, mais unité

Une fois la paix intérieure goûtée, 
nous voudrions pouvoir la savourer
sans interruption.
C'est toute l'oeuvre intérieure.
Mais comment ?


Le grand Fénelon, profond mystique et rigoureux penseur,
essaie de nous faire entendre en quoi consiste
"l'état d'oraison perpétuelle"
- et en quoi il ne consiste pas :

"Cette union à Dieu ne peut être ni par effort ni par excitation du cœur, ni par contention d’esprit ni par une vue distincte. 

Rien de tout cela ne peut être absolument continuel : car tout ce qui est distinct et marqué, ne l’est que par être différent de ce qui précède et de ce qui suit ; d’où il faut conclure que toutes ces choses distinctes ne sont que passagères. 

Aussi voyons-nous que ceux qui parlent de cette Oraison sans interruption, ne veulent pas même la nommer union mais unité, pour en exclure toute action distincte. C’est ce que dit saint François de Sales : c’est pour cela que le même saint dit que l’Oraison, dont il parle, dure même en dormant. C’est cette présence de Dieu que l’Écriture représente comme continuelle dans certains hommes de l’Ancien Testament : Ils marchaient en la présence de Dieu. Toute leur voie, toute leur conduite , toutes leurs actions communes n’étaient que présence de Dieu."

Puis l'archevêque de Cambrai essaie de nous faire comprendre,
à la lumière de la métaphore de... la lumière,
comment Dieu est toujours déjà présent en nous,
ou plutôt, nous en lui,
mais sans que nous l’apercevions :

"On ne pense pas toujours à la lumière, mais on la voit toujours sans réflexion et c’est par elle qu’on voit tout le reste. Il en est de même pour certaines âmes .Elles ne pensent pas toujours à Dieu d’une façon distincte et aperçue : mais elles en ont toujours une certaine occupation d’autant plus secrète et confuse, qu’elle est plus intime et devenue plus naturelle. Ils ne font point des actes d’amour, mais ils aiment sans penser à aimer ; comme tous les hommes aiment sans cesse à être heureux, sans chercher distinctement [338] ni plaisir, ni intérêt, ni bonheur. L’âme pénétrée de Dieu est de même pour lui. Voilà donc un état où l’on fait Oraison en tout temps et en tout lieu sans intermission. C’est-à-dire que toutes les fois que l’âme s’aperçoit elle-même, elle se trouve non pas disposée à faire des actes ; mais dans une conversion constante, habituelle, et fixe vers Dieu qui est une espèce d’unité avec lui. Dans le moment où l’âme aperçoit Dieu , elle ne commence point à s’unir ; mais elle se trouve déjà toute unie et elle sent qu’elle l’a toujours été, lors même qu’elle n’y pensait pas actuellement.
Voilà ce que les mystiques appellent état d’oraison continuelle."

(tiré des Justifications, 1720)

"Dans le moment où l’âme aperçoit Dieu , elle ne commence point à s’unir ; mais elle se trouve déjà toute unie et elle sent qu’elle l’a toujours été, lors même qu’elle n’y pensait pas actuellement."

Toute est dans cette phrase : la présence divine, toujours prévenante, 
est seulement reconnue, aperçue. 
Le divin a toujours l'initiative. 
Il est don gratuit. 
Vivre de lui consiste à s'y rendre disponible,
à le choisir à chaque instant par un choix intime, 
immédiat,
sans délibération d'images ni de concepts.

dimanche 17 septembre 2017

La Trinité comme non-dualité

Il y a le Vide. Un.
Et le Vide se goûte soi-même.
Ca fait deux.
Et il a conscience de se goûter.
Ca fait trois :

1 - Le Sujet
2 - Le Sujet comme Objet
3 - Et la Conscience, grâce à laquelle il se sait Sujet se prenant comme Objet.


S'il n'y avait que le Vide,
il n'y aurait rien, et pas même "rien".
On pourrait appeler ça "Être", "Non-être", ou comme on voudra :
cela ne peut être tout cela, ou quoi que ce soit d'autre,
que par cette Lumière intangible que je nomme ici "conscience".
Et il n'y aurait pas non plus désir.
Et aucun amour.

S'il n'y avait que le Sujet et l'Objet,
il n'y aurait qu'inégalité,
relation de domination,
guerre et conflit,
un peu comme dans ces couples 
où il n'y a QUE le couple, 
sans rien de plus vaste qu'eux pour les unifier.
La relation est alors une sucecssion
de victoires et des défaites.

Il faut donc trois, avec la conscience
en plus, c'est-à-dire l'amour,
qui embrasse Sujet et Objet.

Et pourquoi pas plus ?
Parce que cela n'est pas nécessaire.
Pour l'infinie fécondité,
la Trinité suffit.
Un-et-Trois.
Sans ce pouvoir de se diviser dans l'unité
et de se rassembler dans la dualité,
point de liberté.

Voilà pourquoi la Trinité est si importante,
vitale, âme de l'âme.
De tout en tout.
Nous pouvons suivre son parfum 
sur tous les chemins,
des plus humbles aux plus glorieux.
Tout porte cette empreinte,
comme la marque d'un créateur.
Pas un solitairement, 
pas deux sèchement, 
mais trois organiquement.

Dans la pensée,
Hegel a nommé cette Boucle la "dialectique".
Ce sont les Platoniciens qui l'ont élaboré,
surtout Proclus.
Et les Chrétiens s'en sont inspiré
pour élaborer leur idée de la Trinité.
Or, on en retrouve des équivalents
dans la philosophie de la Reconnaissance
et, à vrai dire, dans toute pensée mûrie.

Mais bien sûr,
la Trinité demeure un mystère ineffable...

vendredi 15 septembre 2017

Le Jeu de la conscience - VII et VIII

Suite du Jeu de la conscience (Bodha-vilâsa), attribué à Kshéma Râdja :

Quand la conscience
se tourne vers les choses,
elle devient l'âme.
Les sages savent que quand
la contraction devient l'important,
la conscience libre devient l'âme. 7

Le sujet soumis à Mâyâ est conscience.
Mais quand il s'incarne
à cause du débordement de cette (contraction),
il s'attache aux choses,
privé du véritable discernement. 8




L'âme est l'individu, l'être vivant (jîva), ensemble fait des cinq sens, plus le sens interne (manas, souvent rendu par "le mental", mais qui correspond plus à l'imagination), l'intellect (buddhi) et l'ego (ahankâra). On le nomme aussi citta pour deux raisons : premièrement, pour le désigner en tant que substrat subconscient des activités de l'individu. L'âme est alors l'inconscient, en gros. Elle est l'ensemble des habitudes latentes (vâsanâ), des "plis" acquis en cette vie ou en d'autres (samskâra), qui lui donnent une cohérence, une unité, une continuité, en dépit du fait que les activités du corps et de l'esprit sont discontinues, sans cesse interrompues par des phases d'apparente inconscience. La seconde raison, est pour marquer que l'âme est, en essence, conscience : cit. Un peu comme l'Intellect et l'Âme chez les platoniciens.

Mais cette inconscience récurrente (dans la distraction, la méditation, le sommeil profond, le coma ou la mort) est apparente seulement, car en réalité la conscience n'est pas une qualité de l'âme; comme une chose qu'elle pourrait acquérir ou perdre. La conscience n'est pas un état, mais bien plutôt comme l'arrière-plan et le réceptacle vivant de tous les états. Et la conscience est notre substance, notre essence. Si l'âme - l'individu - se croit parfois inconscient, c'est parce qu'il (=la conscience) "se tourne vers les choses". Et ainsi, il s'oublie, il oublie qu'il est la Lumière consciente. Ainsi, l'âme n'est pas autre chose que la conscience. Ou disons que l'âme, c'est la conscience qui semble s'oublier dans les choses qu'elle crée librement, et à travers lesquelles elle se manifeste, se goûte, se pense, se perçoit, se désire, etc.

Or, l'âme est l'individu. Chez l'homme, on dira que c'est la personne.
Ainsi, la conscience devient elle-même la personne, 
par contraction.
Par "contraction", et non par division, parce que la conscience
reste toute entière elle-même dans cette condition librement assumée.
Elle semble pauvre, aliénée, mais elle conserve tous ses pouvoirs.
Ainsi l'imagination, la pensée, la mémoire, sont vues
par la philosophie de la Reconnaissance (dont ce poème est une expression),
comme des pouvoirs. 
Mais tant que l'individu - c'est-à-dire la conscience divine - 
s'y oublie, elle s'y aliène et en souffre.
Paradoxalement, la conscience doit donc se détacher de ses pouvoirs
pour les retrouver. 
Quand l'attention se détache des choses, elle redevient pleine conscience 
et l'imagination, la pensée, la mémoire sont reconnues
comme le Jeu de la conscience, comme son libre jeu.

Enfin, notez que l'âme n'est pas définie comme
mouvement par opposition à l'immobilité de la conscience,
mais, au contraire, comme pétrification de la fluidité consciente.
L'âme est à la conscience
ce que la glace est à l'eau.
L'âme est "contraction", ce qui suggère assez bien
qu'elle est comme un ralentissement de la conscience.
La pure spontanéité devient, peu à peu,
habitudes, comme une sève qui durcit
et peine à se répandre en l'arbre
qu'elle anime.
La conscience doit alors se secouer, se réveiller elle-même,
en se retournant sur elle-même, 
en se détournant d'abord des choses,
pour ensuite se reconnaître comme Source des choses.

Autrement dit, la personne doit s'oublier elle-même
dans l'immensité silencieuse, 
afin de s'accomplir comme personne.
Si je ne suis rien,
je deviens tout.
Et ainsi de suite.

Cependant, cette philosophie ne met guère l'accent
sur la "mort" de l'ego, sur l'impersonnel,
sur le désert, le silence, la simplicité, l'espace nu.
Elle préfère voir - et faire voir - l'ensemble sous l'angle
positif de la plénitude : Je suis tout, "Je suis" est le Tout.
L'ego meurt, mais en se dilatant.

L'idée profonde est cependant la même que celle
des mystiques Chrétiens et Platoniciens :
il faut mourir pour vivre,
réaliser qu'il n'y a "personne" pour s'accomplir personnellement,
s'enfoncer dans l'universel 
pour se réaliser comme être singulier.

Plus je suis dans "ma" personne,
moins je suis personnel, 
car plus, en effet, je suis une sorte de robot,
marionnette d'automatismes
dont je n'ai même pas conscience.
Plus je suis hors de "ma" personne,
plus ma personnalité s'affirme dans sa singularité,
dans ce qu'elle a d'unique.
C'est tout le paradoxe de la vie intérieure.