mercredi 4 avril 2018

Qu'est-ce que le prânâyâma ?



Jusque vers l'An Mille, yoga est synonyme de prânâyâma.
Selon certains textes, cet auxiliaire suffit à atteindre le yoga, c'est-à-dire la liberté (moksha) et le bonheur (bhoga).

Mais qu'est-ce que le prâna-âyâma ?
Les textes donnent différentes interprétations. 
Prâna est à la fois la respiration et l'ensemble des mouvements du corps,
depuis les plus grossiers, les mouvements physiques, objectifs, jusqu'aux plus subtils, les mouvements mentaux,
les émotions et autres phénomènes subjectifs. 
Âyâma signifie "contrôle". D'ailleurs, un synonyme
de prânâyâma est prâna-jaya, la "maîtrise du souffle".
Toutefois, on trouve d'autres interprétations de âyâma :
"suppression", "allongement" ou "ralentissement".
Il s'agit, dans le prânâyâma, de stopper ou de ralentir
les mouvements du corps, l'esprit étant seulement
la partie la plus subtile du corps.

L'intérêt de la respiration est qu'on peut intervenir consciemment sur elle.
Elle est le lien entre l'attention consciente (cetanâ) et les mouvements du corps-esprit que l'on cherche à apaiser. Selon la Chândogya Upanishad, elle est un lien entre le corps et l'esprit, comme un oiseau sur le mat d'un navire en pleine mer n'a d'autre choix que de revenir au navire (on retrouve cette analogie dans les Chants attribués au Bouddhiste Saraha, me semble-t-il). 

Concrètement, le prânâyâma consiste à respirer moins :
en allongeant l'inspir, l'expir, ou à travers des rétentions,
le but est de diminuer le volume d'air ingéré chaque minute.
On y parvient par des pratiques nommées prânâyâma 
ou kumbhaka, "faire le vase". On traduit souvent kumbhaka
par rétention, et la rétention est au cœur du contrôle du souffle.
Il en existe deux, quatre ou huit sortes, à l'exception de la Kumbhaka-paddhati, manuel du XVIIIe siècle consacré entièrement aux rétentions, et qui en décrit cinquante-quatre sortes.

D'un point de vue physiologique (que le yoga ignore bien sûr,
mais qu'il pressent empiriquement), le prânâyâma
augmente la proportion de gaz CO2 présente dans le sang.
On entend souvent dire que le prânâyâma sert à "oxygéner" le sang et à débarrasser l'organisme de ses "toxines". 
Mais c'est précisément le contraire. En effet, si nous sur-oxygénons notre sang (par hyperventilation, c'est-à-dire en restant au repos  et en ingurgitant plus que les 4 litres d'air nécessaires à la vie d'un individu adulte en bonne santé), alors l'oxygène va certes s'accumuler dans le sang, et la proportion de CO2 va diminuer rapidement. Mais il va alors se produire une réaction spontanée, bien connue des physiologues depuis qu'elle a été découverte en 1904 par un médecin danois : l'effet Bohr.
Il s'agit d'une réaction d'équilibrage entre oxygène et CO2, "réaction" permanente qui consiste, en gros, en ceci :
quand l'oxygène augmente, le CO2 diminue, les tissus deviennent alcalin (le Ph baisse), les artères se contractent
et surtout, les globules rouges ne relâchent plus (ou moins vite) l'oxygène aux tissus et aux organes. Donc, quand on hyper ventile, les muscles sont moins oxygénés, de même
que le cerveau. Voilà pourquoi on ressent des picotements,
voire du vertige. Ça n'est pas à cause de l'excès d'oxygène,
mais bien à cause d'un manque d'oxygène. De plus, l'alcalinité du corps contribuerait à l'augmentation de la
sensation d'appétit...
Quoiqu'il en soit, l'augmentation de la proportion de CO2 dans le sang a les effets inverses : l'oxygène est mieux distribué dans le corps, les artères se dilatent, et le système
parasympathique s'enclenche. L'organisme s'apaise.

Le but du prânâyâma est donc d'augmenter la proportion de CO2, le fameux gaz à effet de serre. Comme pour l'atmosphère terrestre, mais selon des mécanismes certes bien différents, cette augmentation "réchauffe".
Les textes parlent bel et bien d'apprivoiser la sensation d'asphyxie. La poussée d'adrénaline que l'on ressent alors,
comme une énergie qui s'élance soudain et va "frapper" la tête, est parfois nommé udghâta. Et un certain nombre d'udghâtas sont parfois prescrits. Ce qui conduit à de la transpiration et des tremblements.

Ce qui nous conduit au fait que le prânâyâma n'est pas une pratique facile et de tout repos. Cultiver la sensation d'asphyxie, c'est douloureux et stressant. Sauf, évidemment, si vous ne faites pas de rétention. Mais alors, ça n'est pas vraiment du prânâyâma. On comprends pourquoi Abhinava Goupta (que j'avais cité dans mon billet précédent) parle du prânâyâma qui "stresse" (pîdyate) le corps-esprit.

Cependant, il existe une autre approche du prânâyâma.
On la trouve dans la tradition tantrique Kaula (et donc dans le shivaïsme du Cachemire aussi) et dans le Yoga selon Vashishta, appelé aussi Enseignement qui est le moyen de la délivrance (Moksha-upâya-shâstra, composé au Cachemire vers 950). 

Il s'agit simplement d'observer tranquillement le va-et-vient du souffle. Mais ça n'est pas la pratique bien connue dans les retraites vipassanâ. Ici, il s 'agit de se concentrer sur la fin de chaque expir : l'intervalle entre chaque respiration ; le moment où le mouvement de la respiration reste suspendu.
Comme le fait remarquer l'auteur du Yoga selon Vasishta, c'est là une "rétention naturelle" : tout être qui respire la vit, mais sans y prêter attention. Selon certains calculs (bouddhistes), nous passerions ainsi plus de trois années de notre vie en rétention respiratoire spontanée !
D'où l'idée de méditer ces instants, ces moments d'arrêts naturels, donnés, et non produits par un effort volontaire.

Comme dit Vasishta (cité par Shiva Oupâdhyâya dans son Explication du Vijnâna Bhairava Tantra, 25) :

La "rétention" se manifeste encore et encore sans interruption à l'intérieur (à la fin de chaque inspir) 
et à l'extérieur (à la fin de chaque expir), spontanément.
Celui qui comprends cela ne "renaît" pas (dans le samsara 
douloureux). Qu'il marche, qu'il reste debout, 
qu'il veille ou qu'il dorme, sa respiration ne s'arrête jamais,
car le mouvement du souffle est naturel.

Or, chaque expir est une occasion de lâcher-prise.
Et chaque moment de suspension du souffle
est l'occasion de s'apaiser.
Vient même un moment où la pure conscience,
la Lumière de la simple présence silencieuse,
se révèle d'elle-même.
Et cette paix se poursuit à l'inspir suivant.
Et ces intervalles de pur espace,
semblables au ciel bleu entre deux nuages,
s'allongent peu à peu.

C'est une pratique très profonde, en dépit
de sa simplicité et de sa facilité.
Selon la tradition du tantra non-duel
et selon Vasishta, c'est une voie complète.

Comme dit Vasishta, le mouvement naturel de la
respiration conduit à la délivrance et au bonheur,
rien que par un léger effort d'attention :

Cette essence du Soi (qui se révèle
d'elle-même à chaque intervalle)
est la pure conscience absolue.
Quand on atteint cette Lumière ininterrompue,
plus de mal être !
Quand l'expir a cessé et que l'inspir
est sur le point de repartir,
le mal-être cesse aussi longtemps
que l'on se repose en cette suspension...

Voilà le prânâyâma :
une contemplation simple.

A chacun de faire preuve d'audace et de curiosité.
Le yoga est là. Donné. Gratuit.
A chacun d'y goûter.
Nul ne pourra le faire à notre place.

4 commentaires:

  1. Bonjour,

    Je pratique zazen régulièrement depuis 6 ans et je me suis aperçu par hasard que la joie à pratiquer augmentait considérablement avec l'exposition au froid. En fait je suis plutôt frileux et comme tout le monde je n'aime pas avoir froid. Pourtant en zazen, lorsqu'il fait froid (autour de 0°) je sens immédiatement la chaleur dès que je m'assois. Pourtant j'ai peur d'avoir froid. Je sens le stress monter mais je laisse faire. A -12° j'ai le corps qui vibre, qui grelotte mais je ne trouve pas ça désagréable et après j'ai une impressionnante vapeur qui me sort par le nez. Je sens beaucoup mieux l'air qui me traverse et j'ai le sentiment de pouvoir le diriger où je veux (bras droit ou bras gauche comme si c'était un jeu).
    Évidemment comme c'est très agréable j'ai tendance à m'attacher à cette pratique et maintenant que les températures remontent j'ai plus de mal à pratiquer.

    Je me demandais si, ce que je fais en m'exposant au froid est très différent de toumo.
    Sachant que plus il fait froid plus je suis dans une respiration lente avec de belles pauses à la fin de l'expir avec une forte sensations de présence. J'ai aussi de grosses gouttes de transpiration transparente qui perlent sur mes flanc ce qui est curieux vu que je ne bouge pas pendant 45 minutes.

    Quand je médite en plein vent glacial (autour de 0°), les sensations sont encore plus fortes.

    J'ai du mal à croire que c'est aussi facile. Je me trompe quelque part?

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour,
    vous êtes tout à fait normal.
    Quand le volume d'air inspiré chaque minute diminue,
    le taux de CO2 augmente, et davantage d'oxygène
    est libéré du sang dans les muscles et les organes.
    De plus, les artères se dilatent.
    D'où la sensation de chaleur.
    Après, évidemment, ça dépend de l'état de santé
    et de la tolérance au CO2 de chaque individu.
    Donc, réjouissez-vous,
    vous êtes en très bonne santé !
    David

    RépondreSupprimer
  3. J'oubliais :
    l'augmentation du taux de CO2
    grâce à une respiration ralentie, abdominale,
    enclenche de système parasympathique,
    libère les globules rouges stockés dans le foie
    (qui se "contracte"), etc.
    D'où une sensation de paix et de bien-être.

    RépondreSupprimer
  4. Ce que je trouve curieux c'est que les autres (entendez, pratiquants de centre Zen ou de la Gedro) ne soient pas tout à fait sur la même longueur d'onde. Je suppose que c'est parce que c'est contre-intuitif. A un moine qui me disait qu'il n'avait pas chaud dans le Dojo, j'ai répondu que c'est parce qu'il était trop couvert. C'est là que c'est contre-intuitif quand il fait froid nous avons tendance à trop nous couvrir. Idéalement, c'est torse nu qu'on a le moins froid sauf quand il y a du vent.

    J'ai bien remarqué que non seulement je suis en bonne santé mais que s'exposer au froid stimulait les défenses immunitaires. En fin de sesshin, en hiver, c'est souvent un concert de toussotement dans le dojo, chacun se refilant ses virus ou son rhume à qui mieux mieux. Alors que je suis objectivement le moins couvert de la Sangha, je suis aussi un des rares à ne jamais m'enrhumer ni tomber malade.

    Toute la difficulté c'est d'en parler aux autres sans se vanter ou se mettre en avant afin de partager cette joie. J'aimerais autant ne pas me réjouir tout seul.


    RépondreSupprimer

Pas de commentaires anonymes, merci.