samedi 30 juin 2018

La rétention à vide, clé du yoga


Avant le yoga postural, lequel s'impose vraiment à partir du XVIIe siècle, le yoga est centré sur le prânâyama, l'art de la maîtrise du souffle.

Or, ces pratiques sont centrées sur la rétention.
De nos jours, on pratique plutôt la rétention à plein.
Mais la Hatha Yoga Pradîpikâ en dix chapitres, qui est une version peu connue de ce texte autrement célèbre, présente la rétention à vide comme la voie royale vers l'état de pure présence :

On délivrera le mental de tout point d'appui
grâce à une rétention après l'expir.
Au moyen de cet exercice,
on atteindra l'état de râdja yoga.

(Hatha Yoga Pradîpikâ en dix chapitres, IV, 67)

"Délivrer le mental" ou affranchir l'attention des supports qui la captive est une expression typiquement bouddhiste. Comme je l'ai écrit ailleurs, le bouddhisme a joué un rôle important à l'origine du Hatha Yoga.
Le résultat de cet exercice est le "yoga royal" (râja yoga), un état où toutes les facultés sont pleinement actives, dont le corps et les cinq sens, sauf le bavardage intérieur, qui cesse. C'est un état où le corps est actif mais où le mental se tait. C'est le but du Hatha Yoga, et c'est aussi la pratique contemplative appelée le geste de Shiva (shiva-mudrâ), le secret du Tantra, dont le Hatha Yoga est un aspect, une méthode.  

La rétention après l'expir peut être naturelle : l'attention se pose sur l'expir comme un surfeur chevauche une vague, jusqu'au silence, jusqu'à l'attention ouverte, la présence pure.

Cette rétention peut aussi se faire volontairement, par un blocage de la gorge. 

Pourquoi privilégier la fin de l'expir ? Le Tantra voit dans l'expir la résorption cosmique, le soleil qui consume le monde. L'expir invite au lâcher-prise.

Mais il y a une raison supplémentaire. Comme indiqué dans cet article scientifique, un gaz particulier s'accumule dans les cavités nasales durant la rétention. Ce gaz, le monoxyde d'azote ordinairement toxique a, dans ce contexte, de nombreuses vertus
Certes, il se forme aussi lors d'une rétention à plein. Mais lors de l'expir qui la suit, le gaz est éjecté et perdu pour l'organisme. Tandis qu'après une rétention à vide, l'inspir permet de l'ingérer et de bénéficier de ses propriétés. Il est aussi, semble-t-il, l'une des raisons pour lesquelles la respiration nasale est privilégiée en yoga, de façon générale.

Dans tous les cas - écoute du souffle naturel ou pratique contrôlée - l'expir et la rétention qui le suit sont des clés du Hatha Yoga, lequel est la méthode permettant d'atteindre l'état de Râja Yoga, ou état de profond silence intérieur,
quelque soient l'état du corps et de l'esprit.

Pourquoi il ne faut pas confondre causation et corrélation

Deux phénomènes peuvent avoir une cause commune, sans que l'un soit la cause de l'autre, comme deux branches, par exemple. Ou comme le fait de s'endormir avec ses chaussures aux pieds et celui de se réveiller avec une gueule de bois...


On confond souvent corrélation (un phénomène semble lié à un autre) et causation (il y a une relation de cause à effet entre deux phénomènes), ce qui donne un sophisme du type post hoc, ergo propter hoc : "après cela, donc à cause de cela". 
Exemple courant dans les milieux New Age : "Je suis persécuté. Or, les génies ont souvent été persécutés. Donc je suis un génie". Ou : "Des théories révolutionnaires ont été rejetées par l'Establishment parce qu'elle les dérangeaient. Or, ma (pseudo)théorie est rejetée par le (méchant) Establishment. Donc ma théorie est révolutionnaire !"
Etc, etc.
Voici un site en anglais, rigolo, qui recense toutes sortes de corrélations plus ou moins pittoresques.
Et une excellent video d'Epenser sur ce sujet :


Notons, au passage et pour les philosophes, qu'Outpala Déva accuse les philosophes bouddhistes de confondre corrélation et causation quand ces derniers définissent la relation de cause à effet comme : "Ceci étant, cela advient" :



"(Une succession) régulière, dotée d’un « avant » et d’un « après » (que les Bouddhistes formulent ainsi) : « Ceci étant, cela advient », existe aussi pour des (choses) qui n’ont aucune relation de cause à effet, comme, par exemple, l’apparition (successive) des (constellations) des Pléiades et du Taureau."

(Îshvarapratyabhijnâvritti ad II, IV, 14)

Comment établir une relation de cause à effet ?
Principalement, en croisant les données.

Dans ce passage, le philosophe de la Reconnaissance suggère que seule une activité, donc une conscience, peut construire des relations de cause à effet. Au fond, tout est relation. Or, la relation est synthèse, c'est-à-dire acte de conscience, d'un être conscient à la fois permanent (contre les Bouddhistes) et dynamique (contre le Védânta). C'est en ce sens que "tout est conscience".

jeudi 28 juin 2018

La contradiction est le cœur de la vie, le cœur du Tantra



La contradiction est une sorte de guerre.
Celles que l'on porte en soi, ce sont donc des guerres internes. Elles peuvent être épuisantes, il est donc naturel que l'on cherche une issue. La maladie est une guerre organique. La guérison est une issue à cette guerre.

Or, il y a deux manières de traiter les contradictions :

1 - La manière "ou bien... ou bien...".
L'une des deux visions l'emporte sur l'autre. L'une est vraie, l'autre fausse. Ou alors, si l'on transpose dans le domaine affectif, l'une est bonne, désirable ; l'autre est mauvaise, à exclure. C'est une méthode simple et claire, en forme d'arbre. A chaque contradiction, on bifurque.

2 - La manière "à la fois...et...".
L'une des deux visions est à la fois intégrée et dépassée par l'autre, ou bien par une troisième vision. Ça n'est pas la recherche d'un milieu médiocre, mais l'aspiration à une médiation meilleure, au sens noble du terme, aristocratique.

Le platonisme a d'abord développé la première méthode, où la dialectique (art de dialoguer pour remonter du conditionné vers l'inconditionné) évolue comme une sève intelligente dans un arbre des possibles.
Mais avec Proclus, un maître platonicien du IVe siècle, la dialectique s'oriente vers la seconde méthode : elle n'est plus binaire, mais ternaire. C'est ainsi que Proclus est le véritable inventeur, si l'on peut dire, du concept de Trinité. Il montre que la vie n'est pas juste une série de dilemmes, mais plutôt une montée en spirale dans laquelle les alternatives sont à la fois supprimées et conservées au sein d'une vision toujours plus vaste et plus inclusive.

Au XIXe siècle, un théologien chrétien nommé Hegel va reprendre ces idées et tenter de bâtir un système totalement inclusif, une "philosophie intégrale". Il voit la dialectique inclusive à l'oeuvre en toute chose, comme une trace de la divine Trinité, et pas seulement au plan de la pensée abstraite. Par exemple, la graine est supprimée mais aussi conservée dans la fleur ; elle-même transcendée mais intégrée dans le fruit, et ainsi de suite, jusque dans l'Absolu, qui est la totalité ultime qui inclut tout : elle supprime tout, mais en incluant tout, un peu comme une sorte de digestion, ou comme dans les processus organiques. 

La pensée vraie comporte donc trois moments : thèse, antithèse, synthèse. C'est lui l'inspirateur de la fameuse méthode dialectique, terreur des apprentis-philosophes.

Mais au-delà des souvenirs de Terminale et des affres du mois de Juin, la méthode dialectique au sens hégélien est très profonde. Elle montre que la contradiction, qui est une sorte de dualité, n'est pas moins riche que l'identité ou la simplicité. La contradiction n'est pas un accident de la vie, mais son cœur même. Prenez, je vous prie, quelques minutes pour lire ce passage incroyablement riche de La Science de la logique (Aubier, II, p. 81), oeuvre maîtresse du penseur prussien :

"...c'est un des préjugés fondamentaux de la logique jusqu'alors en vigueur et du représenter habituel, que la contradiction ne serait pas une détermination aussi essentielle et immanente que l'identité" :

pensez à ce qui se dit si souvent, aujourd'hui, dans le monde de la spiritualité : on met en avant la simplicité, l'essence, la clarté, l'identité, le Soi, la non-dualité, l'au-delà des concepts, l'immédiat, le "vécu"... et on dévalorise la dualité, la pensée, le concept. C'est ce préjugé...dualiste que Hegel questionne ici. Il poursuit :

"pourtant s'il était question d'ordre hiérarchique et que les deux déterminations étaient à maintenir fermement comme des déterminations séparées, la contradiction serait à prendre pour le plus profond et le plus essentiel."

Hegel dit que, si l'on devait choisir entre les deux, il faudrait préférer la contradiction. Pourquoi donc ? Hegel répond que la contradiction, c'est la vie, c'est le réel en mouvement, concret :

"Car, face à elle, l'identité [=la non-dualité, le ressenti pur, l'instant présent] est seulement la détermination de l'immédiat simple, de l'être mort [Soi=identité=simplicité=pauvreté=statique=mort]; tandis que la contradiction est la racine de tout mouvement et de toute vitalité ; c'est seulement dans la mesure où quelque chose a dans soi-même une contradiction qu'il se meut, a une tendance et une activité [...] Quelque chose est donc vivant seulement dans la mesure où il contient dans soi la contradiction et, à vrai dire, est cette force qui consiste à saisir dans soi et à supporter la contradiction."

La contradiction n'est donc pas un "accident" de l'être immuable, mais le cœur véritable de l'être. Autrement dit, l'être immuable, l'unité pure si vous voulez, n'est pas l'ultime, mais seulement un moment vers l'ultime, une partie du Tout, une étape dans l'auto-réalisation de l'Absolu, une phase dans la respiration du Mystère.

La grande santé, c'est "supporter la contradiction". La grande identité, c'est supporter en soi l'autre. Non au sens bobo de l'accueil inconditionnel de l'Autre idolâtré, mais au sens où la conscience est capacité à "supporter", au sens littéral, le Soi devenu autre, librement. C'est ce pouvoir singulier de la conscience de "supporter d'innombrables formes de différences" (ananta-bheda-sahishnutva, en sanskrit) qui caractérise la conscience, la Shakti.

Et là, chers amis, nous sommes en plein Tantra. Non pas le tantra tardif, non le néo-Tantra, mais le Tantra du Cachemire (non situé géographiquement, c'est là juste une étiquette  conventionnelle), mais bien le Tantra qui est le Tout en train de se tisser, de s'écrire avec chaque instant qui jaillit. C'est le Tantra vraiment fascinant, excitant, enthousiasmant, revigorant.
C'est le Tantra qui ne se limite pas à de la danse, au massage, ni au tambour, qui n'est pas une idéologie réactionnaire anti-intellectuelle adaptée aux supermarchés. C'est le Tantra comme chemin de vie vivante, c'est-à-dire intégrateur. Ça n'est pas le Tantra du "féminin sacré" castrateur, nourri de ressentiment contre un Occident "judéo-chrétien" mal compris et inconnu, mais c'est bien le Tantra nourris de connaissance, le Tantra cultivé qui prend son élan aussi dans son recul, qui embrasse dans son regard et, oui, son ressenti, de vastes pans du passé et même de l'avenir, pour les inclure. Car l'erreur, c'est de prendre la partie pour le Tout - prendre l'instant présent, un moment passé idéalisé ou une utopie à venir exclusive, pour l'éternité.

Voilà la vie en croissance, en développement !
Elle inclut le ressenti, l'écoute du corps, l'instant présent, le percept, la sensation simple. Mais non pas au prix du penser, du complexe, de l’intellectuel, du rationnel, du progrès, de l'abstrait. Si je rejette l'abstrait, en effet, mon "concret" ne sera qu'une abstraction de plus. Ma réaction ne sera qu'une réaction de plus. Une contradiction de plus. Un symptôme de plus. Une guerre de plus.

Comprendre cela, c'est le "shivaïsme du Cachemire". Et non pas une guerre contre les concepts au nom du "percept", devant lequel on se prosternerait comme devant une idole-à-tout-faire. 
C'est cela, la "Tradition" atemporelle, depuis Orphée jusqu'à Wilber, en passant par l'alchimie et la théosophie.
C'est ce devenir organique qui transcende en incluant, qui dépasse en donnant lieu.
La contradiction s'y présente comme un accident si l'on veut, mais comme un accident essentiel, une divine surprise. C'est aussi la création, la nouveauté, et la liberté.

Bref, c'est ce que le grand penseur tantrique Abhinava Goupta nomme le "le Cœur", qui n'est pas mièvrerie néo tantrique, apparence de compassion et réel cynisme immature, mais moteur de la vie, pulsation qui est la vie.

Tout ceci pour dire que la dissertation avec plan dialectique est l'exercice intellectuel le plus formateur, le plus puissant jamais inventé. La dissertation est une pratique de Tantra authentique.


mardi 26 juin 2018

Décadence de la musique ?

Ces jours-ci, je réfléchis à la question du Kali-yuga.

Selon cette croyance indienne comparable à l'Âge d'or des Grecs, le temps serait cyclique et en perpétuelle décadence. 
Chaque Kali-yuga ou "âge de la malchance" s'achèverait dans un cataclysme, celui-ci débouchant sur un nouvel Âge d'or, une sorte de "reset" cosmique. Comme s'il fallait le pire pour retrouver le meilleur. Le Mal agirait comme un facteur auto-purifiant ("le mal par le mal"), au service du Bien.

En tout état de cause, il y a deux visions sur ce sujet :
- soit l'on place le Bien souverain dans le passé ;
- soit on le situe dans l'avenir.

C'est ce qui distingue le traditionalisme du modernisme.
Mais bien évidement, une synthèse est possible :
on pourrait concevoir des cycles où chaque retour à la perfection initiale intégrerait, à chaque nouvelle répétition, un peu davantage cette perfection initiale dans son évolution ultérieur. Nous aurions alors un cosmos capable d'apprendre de ces erreurs. De progresser, tout en évoluant de manière cyclique, avec des périodes de décadence inéluctable. Selon une autre image, le mouvement du temps ne serait pas parfaitement circulaire (le point d'arrivée serait identique au point de départ), mais spiralé : le point d'arrivé serait aux mêmes coordonnées horizontales, mais à un pont d’élévation verticale différent. Ainsi, il y aurait à la fois retour et progrès. Le devenir réaliserait la synthèse du Même et du Différents, ce qui, me semble, est l'idée profonde de la tradition platonicienne sur la question.

Il y a des raisons de penser qu'en effet, la répétition (ou itération) est au cœur du changement dans le cosmos. Mais il reste à y intégrer l'énigme humaine : de fait, l'homme peut aller contre la nature. Comment en rendre compte ? Faut-il considérer ce pouvoir comme un pur et simple accident ? Ou bien cette capacité, qui est aussi celle du progrès, s'intègre t-elle à une perspective plus vaste, plus inclusive ?

Prenons l'exemple de la musique.
On entend souvent dire que la musique est de moins en moins bonne ; mais aussi, que c'est du à un vieillissement générationnel. Quand vous vieillissez, vous êtes condamné, par quelque mécanisme naturel, à ressentir les musiques nouvelles comme autant de douleurs.
Cependant, il existe des faits, des indices objectifs pour aguer que la musique de ces cinquantes dernières années est en décadence.
Par exemple, le timbre s'appauvri, de même que l'harmonie.
Les morceaux sont plus forts.
Les phrases d'accroche arrivent plus tôt, et plus souvent.
Les paroles des chansons s’appauvrissent, en terme de variété, de vocabulaire et de syntaxe. Les scènes affligeantes de la dernière "fête de la musique" sur le perron de l'Elysée, nous en ont fourni une bien triste démonstration. 
Les mélodies sont plus grossières. 
Bien entendu, je parle ici des musiques populaires. Je sais bien qu'il y a, à côté de ces produits industriels, une foule impressionnante de groupe et de chanteurs créatifs et originaux. Mais le temps des Beatles a passé.
Regardez cette vidéo qui montre, sur un ton doux-amer, que la plupart des tubes roulent sur les mêmes accords :


On parle aussi de "la combine du millénaire" (Millenial Whoop en anglais, je n'ai rien trouvé en français ; pensez à activer les sous-titres) :


Mais pourquoi cela arrive-t-il ?
L'auteur de cette excellente vidéo (encore en anglais), en découvre quelques unes :


En gros, il s'agit d'un problème d'attention. La technologie contemporaine, post-internet, nous rend impatients, blasés, instables, incapables d'écoute. Des moutons déracinés, voilà ce que nous devenons, à force de zapper et de nous voir offrir à chaque instant le monde sur un plateau. Sans parler des effets politiques... Je veux parler de l'impression de décadence due à l'oubli des progrès réalisés. Il y a de passionnantes recherches sur ce sujet ô combien vital, mais ce sera pour une autre fois. Je pourrais aussi parler du QI et de l'art contemporain... mais à chaque jour suffit sa peine.
Dans le cas présent, il y a vraiment décadence. Baisse de qualité.

Mais alors, dans ce cas, que devient l'idée dont j'ai parlé plus haut, c'est d'une intégration du Mal dans le Bien, celle d'une synthèse donc, et d'un progrès ?

Dans le cas de cette histoire de baisse de qualité de la musique, qui a raison ? Les traditionalistes nostalgiques partisans du "c'était mieux avant" ? ou les idéalistes du progrès ? 
La tendance à laver le cerveau des mélomanes est-elle une vraie tendance à la baisse ? ou bien est-elle partie d'un mouvement plus vaste, qui se révélerait finalement être un progrès ? Échapperons-nous au charme des Quatre Accords Magiques (sans parler des Accords Aztèques, ou Toltèques enfin bref) ? 
Le progrès est-il une illusion ? Ou un fait ?

Inutile de rappeler que tout cela peut et doit être transposé au domaine spirituel.


lundi 25 juin 2018

Les limites de l'intuition ?

La vie intérieure, comme la vie ordinaire,
faut souvent appel à l'intuition.
Dans les milieux spirituels, nous sommes
encouragés à "suivre notre intuition", notre ressenti,
et à délaisser la raison et l'analyse.

Il y a pourtant des situations où l'intuition nous
induit en erreur. Ce sont des cas "contre-intuitifs".
Il faut alors analyser.

Mais qu'est-ce qui distingue ces deux types d'intelligence ?
Et pourquoi n'avons-nous pas que l'intuition ?
Et comment savoir s'il faut se fier à l'intuition ou à la raison ?

Même si l'intuition intérieure, spirituelle, est "au-delà des concepts", l'expérience enseigne qu'il est bien difficile de vivre cette vie sans savoir raison garder. Savoir penser, apprendre à connaître les raisonnements fallacieux ou les sophismes, est une discipline nécessaire pour ne pas finir dans le fanatisme ou le cynisme.

Voici une vidéo de la chaîne YT Hygiène Mentale, basée sur le livre Les Deux vitesses de la pensée, qui est très éclairant sur ces questions :




dimanche 24 juin 2018

Sur la ceinture de yoga

Miracle !
Enfin un article en anglais sur la ceinture de yoga (yoga-patta) ou ceinture de méditation.


J'avais, dès 2013, proposé quelques mots sur cet outil central dans la méditation tantrique traditionnelle :


Félicitation à l'auteur de l'article anglais.
Comme quoi, avec le temps tout arrive.

Matsyendra, fondateur légendaire de la tradition Kaula, Hampi

samedi 23 juin 2018

Sommeil de l'ignorance

L'éveil est une métaphore ancienne.
Pourquoi ?
Parce que nous avons parfois la sensation de vivre comme dans un rêve, comme prisonniers de notre surface, enfermés dans des images qui passent sans nous concerner vraiment.



On appelle parfois ce sentiment le sentiment "gnostique", parce qu'il prône le salut par la connaissance. Il dénonce la vie comme illusion, rêve, sommeil, par exemple dans ce passage de l’Évangile (ou "bonne nouvelle") de la vérité, daté du second siècle, qui décrit "l'oubli du Père", de la Source :

Tout comme si des gens s'éteint endormis et s'étaient retrouvés au milieu de rêves déroutants :

- ou il y a quelque endroit qu'ils s'efforcent en hâte d'atteindre
- ou ils sont incapables de bouger, alors qu'ils sont à la poursuite de certaines personnes
- ou ils s'engagent dans une rixe 
- ou sont eux-mêmes roués de coups
- ou ils tombent des hauteurs
- ou sont aspirés en l'air, sans avoir d'ailes.
- parfois encore, c'est comme si certains tentaient de les assassiner, sans que qui que ce soit ne les poursuive
- ou comme si eux-même avaient tué leurs proches, car ils sont souillés de leur sang,

jusqu'au moment où ils se réveillent.
Ils ne voient rien, ceux qui se trouvaient pris dans toutes ces affaires déconcertantes, puisqu'elles n'étaient rien.
De même, il en est ainsi de ceux qui ont écartés d'eux-mêmes l'ignorance, tout comme on écarte le sommeil, sans lui attribuer une valeur quelconque ni non plus considérer ses effets comme des effets solides, mais ils les ont dissipés, comme on dissipe un rêve nocturne.
Et la connaissance du père, ils l'ont estimée, puisqu'elle est la lumière. C'est comme si chacun avait agi en étant endormi, au moment où il était dans l'ignorance, et c'est comme s'il s'était réveillé, en parvenant à la connaissance.

Écrits gnostiques, La Pléiade, p. 68

Ce sentiment de dormir, de rêver sa vie est "gnostique", mais il se retrouve, bien sûr, dans le bouddhisme et l'hindouisme en général.

Dans sa version archaïque, c'est-à-dire dans le bouddhisme ancien, le Sâmkhya ou le Védânta, la prise de conscience du rêve entraîne le réveil et la fin du rêve. C'est le nirvâna.

Dans sa version plus mûre, c'est-à-dire dans le Mahâyâna et le tantrisme, la prise de conscience du rêve n'entraîne pas sa disparition, mais sa transformation. C'est la liberté-en-cette-vie, jîvan-mukti, synthèse de la liberté et de la vie, de la connaissance et de l'amour (moksha et bhoga).




vendredi 22 juin 2018

Faits et interprétations


Que sais-je vraiment ?

Le vie intérieure est parsemée d’événements merveilleux.

Par exemple : - être
- être conscient d'être. 
- voir une immense ouverture ici, là où une (relativement)
petite tête est censée occuper l'espace.

- ressentir, aussi. Ressentir l'amour, l'unité avec tout.
Un sentiment de sens, de valeur, d'harmonie.

- le silence, une impression de netteté, comme un ciel limpide. Et d'immensité, de transparence.

Sans parler du sentiment de tout savoir, de tout avoir en soi, de tout pouvoir, ainsi que les visions, des lévitations, télépathie, visites, messages et autres signes ou explosions d'énergie, etc., etc.

Mais tout cela est-il du même ordre ?

Ne faut-il pas distinguer les faits et les interprétations ?

Sans doute les faits se donnent rarement à l'état brut : il y a toujours un peu d'interprétation, même subconsciente, même dans ce qui ressemble à une perception directe.
Cependant, quand je regarde au-dessus de mes épaules, je vois qu'il n'y a pas de tête. Ça n'est pas une supposition.
Je perçois directement le silence. En fait, je peux même affirmer que cette expérience est encore plus simple que ça : il y a comme une sorte de présence simple, sans "je" qui percevrait un silence séparé. Mais bon, c'est déjà de l'interprétation. Beaucoup dépend du sens que je donne à ces expériences brutes.
De même, je sens une sorte d'unité avec tout, de même qu'une impression que "tout" est bien".

En revanche, quand je dis que "l'univers me répond", que "je crée ma réalité" ou que "je crois au karma", là je suis clairement dans l'interprétation. Je ne suis plus dans la perception directe, ni dans l'intuition, ni même dans le raisonnement solide, mais dans les conjectures, les vœux pieux, voire les fantasmes. J'y crois peut-être, mais au fond je n'en sais rien. La preuve en est que si l'on interroge ces opinions, je réagirai comme on réagi quand on est à court d'arguments : je dirais que celui qui critique mes opinions na pas d'expérience, qu'il est perdu dans le mental, qu'il est orgueilleux, que sont cœur n'est pas ouvert, etc.

Il n'est pas nécessaire pour autant de tomber dans le scepticisme ("je ne peux rien savoir"). Au contraire, il faut réfléchir, raisonner, examiner les opinions. C'est comme faire un inventaire, un bilan, ou un examen médical, pour voir où l'on en est, faire le point : qu'est-ce que je sais vraiment ? qu'est-ce qui n'est qu'hypothèse ? et qu'est-ce que je perdrais si telle hypothèse s'avérait fausse ?

Les lecteurs de ce blog savent que, bien qu'inspiré par des traditions mystiques, je porte régulièrement un regard critique sur les gourous, les croyances occultes et les prétentions pseudo-scientifiques qui prolifèrent dans les milieux dits spirituels.

Par exemple, il y a une opinion prédominante selon laquelle "il faut écouter son ressenti". Mais est-ce vrai ? Peut-on avoir toutes les réponses en écoutant la "voix intérieure" ? Cette voix est-elle intuition mystérieuse, ou bien la voix des préjugés ? Et le ressenti est vague, instable : puis-je tout savoir ainsi ? Puis-je "ressentir" le dosage adéquat d'un anti-bio ou que la terre est ronde ? Tous les prophètes et gourous prétendent avoir été connecté à une source intérieure et transcendante de connaissance : mais leurs "connaissances" se sont avérées presque toutes fausses. C'est quand même frappant. Aujourd'hui, n'importe quel gamin en sait plus sur le monde que Mahomet ou le Bouddha. Comment expliquer cela, si vraiment nous avons en nous la source de tout savoir ? Enfin, écouter notre ressenti nous rend anxieux et capricieux : il est bien connu que la conscience psychologique de soi tend à augmenter le sentiment d'insécurité, jusqu'à l'hypocondrie ; et capricieux, car le ressenti est instable : comment construire une vie adulte sur une base si... inconstante ? Voilà. Ça n'est qu'un exemple, mais significatif de la quantité d'opinions qui se mélange aux expériences brutes.

En réalité, la plupart d'entre nous avons quelques expériences, sur lesquelles nous nous empressons de broder des montagnes d'interprétations toutes plus rocambolesques les unes que les autres. Nous ne nous fions pas à l'expérience donnée, sûre (silence, transparence, vibration du cœur, sentiment d'unité), et nous nous sécurisons en bâtissant des pays imaginaires. C'est le New Age, ou quelque soit le nom qu'on lui donne. Ce sont les pseudo-sciences, avec ses légions de pseudo-théories fumeuses, ce sont les gourous faiseurs de miracles, depuis ceux qui peuvent transmettre l'éveil jusqu'à ceux qui vous porte chance. C'est pratique. 

Et cela n'en reste pas à la psychologie. Cette croissance exponentielle des interprétations fantaisistes, qui nous flattent, nous rassurent et alimentent notre soif de sensations fortes, ne se limite pas à la quête du bonheur. Elle se répand jusque dans les idées sur le monde, la nature et l'énergie. Un exemple parmi mille autres est celui de l'énergie libre. Les arnaques pullulent sur You Tube à ce sujet. Ignorants et crédules, nous avons envie d'être charmés.

Voici une petite vidéo, réalisée par des étudiants, pour nous ramener à un peu de sobriété :



Ne serait-il pas salutaire de pratiquer la même sobriété dans le domaine intérieur ?

Encore une fois, je ne prône pas le scepticisme, ni le renoncement à bâtir un système, mais plus simplement la nécessité de faire régulièrement un bilan de nos opinions. Un peu comme quand on a un jardin : on cherche les mauvaises herbes et on taille, pour qu'au final l'ensemble soit plus viable.

Pour cela, il me semble indispensable de ne pas oublier la distinctions entre fait et interprétation.

jeudi 21 juin 2018

Non-dualité de la vision et du désir



Le non-dualisme réduit souvent les désirs à des objets,
des contenus de la conscience pure, comme des nuages dans le ciel.

Mais comme je l'ai soutenu ailleurs, tout ce qui peut se dire de la conscience pure peut aussi se dire du désir "pur", sans objet encore différencié, ce que la philosophie de la Reconnaissance appelle "le premier instant du désir".

Dès lors, la conscience peut être reconnue comme mouvement, et donc comme émotion. Le désir et autres élans ne sont pas des accidents dans la conscience (des âgantukas dirait-on en sanskrit, des étrangers, des intrus),
mais son coeur battant.

On a la même idée dans le christianisme, c'est-à-dire dans le platonisme, comme on pourra le voir dans ce passage d'un non-dualiste peu connu :

...ce serait une erreur d'exclure de Dieu le désir, l'effort, et même en un sens la souffrance ; car ce serait au fond exclure le monde de Dieu. Dieu n'est pas une idole de perfection impassible devant qui défileraient, chantant ou pleurant, les générations ; (...) il est mêlé à nos combats, à nos douleurs, à tous les combats et à toutes les douleurs. Mais le désir en lui n'est pas pauvreté, il est plénitude ; c'est parce qu'il est l'infini qu'il a un besoin infini de se donner, de se répandre dans les êtres et de se retrouver par leur effort. C'est parce qu'il est la vie absolue qu'il complète les joies de sa sérénité éternelle par le frisson d'une inquiétude infinie ; c'est parce qu'il est la réalité et la perfection suprême qu'il ne veut point exister à l'état de perfection brute et toute donnée, qu'il se remet lui-même en question, se livrant en quelque sorte à l'effort incertain du monde, se faisant pauvre et souffrant avec l'univers pour compléter, par la sainteté de la souffrance volontaire, sa perfection essentielle ; le monde est en un sens le Christ éternel et universel. Il y a donc pénétration du monde et de Dieu, et dans la puissance infinie de l'être qui se déploie, et dans l'intimité morale et religieuse des consciences qui se recueillent ; donc quand nous parlons de l'être, ce n'est pas une notion abstraite et vaine ; c'est l'acte de Dieu, c'est aussi sa puissance ; c'est la plénitude et c'est aussi l'aspiration ; c'est la certitude, et c'est aussi le mystère. C'est l'unité de l'acte et de la puissance dans l'infini qui donne à l'être cette profondeur et cette richesse ; par suite, les manifestations ou les phénomènes du monde qui participent à l'être : l'étendue, le mouvement, prennent aussi d'emblée une étrange profondeur de vérité et de mystère.

Jean Jaurès, La réalité du monde sensible

Abhinava Goupta n'aurait pas dit mieux...

mercredi 20 juin 2018

Le développement personnel : un miroir aux alouettes ?

joli miroir aux alouettes 


C'est bien connu :
dans la vie intérieure, tout ce qui brille n'est pas d'or.
Connu ?
Pas vraiment.
Ou connu, mais pas reconnu, pas vraiment connu.

Les attrapes-gogos prospèrent plus que jamais.
Le marché du bien-être connaît un essor sans précédent.
J'ai moi-même participé à l'élaboration d'un "guide" sur le sujet. Il ne couvrait qu'une infime partie de la chose.

En fait, je crois que nous avons affaire à une nouvelle religion, qui ne dit pas son nom : New Age ? Développement personnel ? Écologisme ? Chatterie (culte du chat) ? Foutage-de-gueulisme ? peu importe...

Car il s'agit bel et bien d'une religion, informelle, non instituée certes, mais avec ses dogmes et ses pratiques. 

Qu'est-ce qui permet de parler de religion ? 
Son dogmatisme, le refus de faire l'effort d'argumenter, le rejet massif du rationnel, l'obsession du ressenti, du flou, du vague, les impressions prises pour de divines intuitions, l'inculture confondue avec la liberté du sage, la régression infantile adorée comme une forme de transcendance, l'aveuglement aux enjeux politiques (en dehors d'un peu d'écologie et d'une juste indignation pour le triste sort des hérissons) et la fascination pour les pseudo-sciences. Il y a, en plus, quelques traits originaux : la lâcheté tolérante, l'immaturité morale, l'individualisme et le culte du Moi, l’obsession pour le corps et le bien-être, ainsi que le fantasme du Bon Sauvage, la haine de l'Occident et l'idolâtrie du féminin ainsi que de l'enfance.

Pourtant, des enquêtes sérieuses nous ont confirmé, encore et encore, la nocivité de la mentalité religieuse (en plus du retour en force des formes les plus létales de l'abrahamisme). La méditation ne rend pas forcément heureux. Le yoga peut exacerber le narcissisme, surtout quand il se mélange aux technologies des réseaux sociaux, vecteurs de la crétinite béate (et donc aiguë) en phase de pandémie mondiale. La quête du bonheur elle-même rend malheureux, affirment moultes recherches scientifiques sérieuses

Quel est le point commun à tous ces travers ?
Ils ne sont pas sans certains avantages, bien évidemment.
Mais quel est leur ressort essentiel ?

- La fascination pour les apparences, prises pour la réalité
- Et le défaut de réflexion, la débilité mentale plus ou moins profonde

La vie intérieure est pleine d'impasses, comme dans un labyrinthe. Il y a des miroirs aux alouettes, des pièges brillants qui attirent et retiennent le regard. Des promesses énormes. Je confesse toujours une certaine naïveté relativement à la puissance de ces méthodes. Je suis optimiste. Je crois en l'humanité. Je crois que les humains réfléchissent. Mais je constate que les grosses ficelles restent les meilleures. Le monde spirituel reste un monde d'apparences, de rhétorique, de dynamiques de tribus, dont les trucs et astuces ne sont guère différents de ceux des vendeurs de tapis. 

Pourtant, parler pour séduire et parler pour dire le vrai, cela a rarement été compatible. Mais nous sommes faibles, crédules, affamés de réconfort et de consolations. Non que toute consolation soit une illusion. Mais quand même, les illusions se parent toujours de promesses de consolation. Et cela n'épargne pas les formes les plus profondes de spiritualité. Les gens veulent du merveilleux, des pouvoirs, de l'occulte, de l'inexpliqué, du "puissant", du "vibrant", du "qui me parle", etc... comme s'ils regardaient Cloclo.

Tout cela, bien sûr, dans le contexte d'un "marché" en plein boum. Tous le monde devient thérapeute médium tantrique channel coco cosmico machin bidule chouette, complétez comme vous voudrez. A moi les sous-sous dans les popoches. Humain sans doute... 
Mais tout ça, ce sont des pièges. 

Le développement personnel, pris au sens large, très large,
est une vaste nef des dingues, un supermarché sans issue de secours, sauf à passer par la case réflexion et à y passer un long temps.

Pour finir ces remarques pas si pessimistes qu'il n'y paraît, voici les mots d'adeptes zen plus ou moins anonymes, qui s'écriaient déjà, dans les déserts de la route de la Soie au Xe siècle :

"N'étudiez pas le dharma des dieux, des esprits, des fantômes et des démons : cela n'apporte que souffrance...
Mon dharma est précieux et secret. Il n'est pas pour l'oreille de l'imbécile ordinaire... Seul, un sur cent comprend... certains pratiquent pour l'argent et faire bouillir la marmite, d'autres pour la réputation... D'autres pour leur maître ou pour eux-mêmes, l'âme pleine d'envie..."
(Tibetan Zen, p. 80)

Mais alors quelle est la voie véritable ?
Elle est unique à chacun, mais elle a toutefois un moteur commun :
la réflexion (prajnâ, en sanskrit bouddhique). 
Apprendre à penser juste et par soi-même, voilà le tronc commun, et voilà pourquoi il n'y a pas de vie intérieure authentique qui ne soit philosophique.




vendredi 15 juin 2018

Le silence et les pensées

Souvent, on vit un moment de silence,
puis on a le sentiment que "le mental"
nous le dérobe.
Comment intégrer les pensées dans une pratique de méditation ?

Une pensée se meurt dans le silence,
comme la résonance d'une cloche.

Présence vide.
Puis une autre pensée surgit du vide,
comme un poisson sort de l'eau
avant d'y replonger.



Voici une pratique simple,
en séance de méditation formelle
ou dans le quotidien.
L'attention de pose sur un mouvement, 
n'importe lequel : un son, une pensée,
un mouvement dans le corps...
et elle se laisser porter jusqu'au silence,
jusque dans l'espace.
Comme surfer une vague
jusqu'au grand large.

Le silence et les pensées : c'est le yoga essentiel de l'espace,
décrit par un tibétain dans ce beau passage, remarquable de clarté,
passage d'ailleurs traduit plusieurs fois déjà,
mais que je cite ici dans la traduction française de Mathieu Ricard :

Lorsque les pensées passées ont cessé
et que les pensées futures n'ont pas encore surgi,
n'y a-t-il pas, dans cet intervalle une perception du présent,
une fraîcheur claire, éveillée, nue, qui n'a jamais changé,
ne serait-ce que d'un cheveu ?
Voilà !
Cela, c'est l'état naturel de la conscience éveillée.
Or cet état ne durera pas : une pensée ne surgit-elle pas soudain ?
C'est le pouvoir de manifestation même de la conscience éveillée.
Mais si vous ne le reconnaissez pas comme tel dès que surgit une pensée,
et si les pensées ordinaires se mettent à proliférer,
c'est ce que l'on appelle "l'enchaînement de l'illusion",
la source même du samsara.
Si, au moment même où les pensées surgissent,
vous vous contentez de les reconnaître 
en les laissant à elles-mêmes,
sans que d'autres viennent s'y greffer,
toutes les pensées se libéreront naturellement
et sans difficulté dans l'espace de la conscience éveillée...
(Chemins spirituels, p. 273)

"les pensées se libéreront" signifie simplement qu'elles disparaîtront.
Vous me direz, une pensées finit toujours pas disparaître.
Oui, mais d'ordinaire, l'attention n’accompagne pas cette disparition.
Elle est déjà tournée vers une autre pensée, en état d'attente.
Du coup, cette pensée qui n'est pas pleinement vécue
va ressurgir sous forme de doute, regret, nostalgie, espoir, crainte, etc.
Alors que dans cette pratique, la pensée apparaît et disparaît,
mais "en conscience" et comme consumée par le feu de la présence éveillée,
de l'attention qui accompagne, ou plutôt qui raccompagne
cette pensée vers le silence. 
Au lieu de conduire à une autre pensée qui "s'enchaîne"
et qui ainsi nous enchaîne, cette pensée retourne au silence,
à jamais. 
Bien sûr, d'autre pensées surgissent, mais elles sont de plus en plus senties
comme des manifestations du silence.
Chaque pensée est une manifestation du silence.
Chaque mouvement est une manifestation de l'espace immobile.

Tel est ce yoga des manifestations de l'espace,
qu'ailleurs je nomme "méditation de Shiva".

jeudi 14 juin 2018

"Encore et encore je célèbre la Déesse..."


Encore et encore 
je célèbre la Déesse
- miracle et délectation de notre vraie nature -,
qui est désir,
qui est cette grande Puissance
en forme de "je", parfaite souveraine.

Râmeshvar Jhâ, La Liberté de la conscience,  423, Arfuyen

Le yogi ou la yogini ne pratiquent pas seulement à certains moments, mais bien à chaque instant.
Chaque instant est surgissement d'une perception ou d'une conception. Et ce surgissement, loin de me distraire de l'espace de la présence, m'y ramène.
Pourquoi ? Parce que tout en provient.
Les vagues viennent de l'océan et retournent à l'océan.
L'apparition de la perception libère de la torpeur, de la lourdeur, comme une lampe qui s'allume, une vague de clarté. La disparition de la perception délivre de l'attachement, des limites et renvoie l'attention au sans-forme. 
"Encore et encore" : chaque moment est une "célébration". La pratique est célébration, car car moment manifeste l'infini. Quand la chose apparaît, la présence est libérée d'elle-même, elle se révèle comme souveraine, capable de s'incarner sans cesser d'être ce qu'elle est. Quand la chose disparaît, la présence s'affranchit des limites. 
Ainsi, chaque moment est naissance et mort, un moment de pratique complet, un yoga parfait.
La Déesse est la conscience, la vibration qui accompagne toutes nos expériences, perceptions ou conceptions, "nom et formes".
Mais nous la négligeons, prisonniers du cliché de la banalité.
Pourtant, quand la présence s'éveille à elle-même, c'est 
"miracle et délectation", camat-kâra en sanskrit, littéralement "faire camat". "tchamatte" est une onomatopée, l'équivalent de nos "slurp" ou "miam". L'expérience, toute expérience, est délectation, miracle d'être, étonnement d'être, vertige d'être, mystère qui se découvre, réalisation de l'inconnu, inépuisable. 
"Notre vraie nature", cet immensité dans laquelle tout apparaît et disparaît, se révèle à elle-même en révélant les choses.
Elle est "désir", élan créateur, mouvement de soi en soi, de soi vers soi, frémissement, ébullition, tournoiement, jaillissement fixe, qui s'éprouve à nu à l'orée de toute émotion.
Elle est la "grande Puissance" (shakti), car ce pouvoir de prendre "conscience de" est le plus grand des pouvoirs. Sans lui, rien n'est possible.
Comment se présente cette Déesse ?
Elle est le vrai sens du pronom personnel "je".
Ce bleu est "je". Cette sensation de plaisir est "je".
Chaque perception est perception de soi, réalisation de soi.
Chaque conception est conception de soi, réalisation de soi.
Mais partielle.
Grâce à cette pratique de la célébration, je me réalise pleinement "je suis", "je suis je", "je suis tout". 
"Je suis" est silence et plaisir, intuition d'être un avec tout et tous.
Tel est le yoga de l'adoration, le yoga royal,
le yoga ordinaire de la vie quotidienne,
l'alchimie intime de la vie intérieure.