mardi 19 mars 2019

A quoi reconnaît-on le vrai selon la Reconnaissance ?

Attention ! Attention ! Attention !
Ceci est "intellectuel"




Selon la philosophie de la Reconnaissance, je suis déjà ce que je désire : un être omniscient et omniprésent. Et je le perçois, j'en ai l'expérience en un sens, car c'est que je suis. C'est aussi l'étoffe de tout ce qui est. 
Mais tant que je n'ai pas reconnu ces pouvoirs, je ne jouis pas pleinement de ce que je suis, mais seulement de manière très incomplète. Tant que je m'identifie à un être limité, mon expérience est limitée.

Mais à quoi reconnait-on le vrai ? 

Il y a trois sources de connaissance :

1) - d'abord la connaissance directe, l'intuition, pratyaksha. Je ne traduis pas par "perception", mais plutôt par "intuition", un terme adéquat car il désigne, en son acception première, une connaissance directe. En outre, "perception" laisse croire que l'expérience directe est seulement sensorielle, alors qu'il peut aussi s'agir de l'expérience directe d'un rêve, d'une image "mentale", d'un souvenir, ou des impressions les plus subtiles et les plus privées. Il existe aussi l'intuition yogique, dont la télépathie fait partie. L'intuition, comprise donc comme connaissance directe, sans intermédiaire, immédiate, est la connaissance première, la source de toutes les autres sources de connaissance. C'est la connaissance la plus forte.
2) - ensuite il y a la connaissance dérivée (anumâna) de la connaissance directe ou intuition. Cette connaissance dérivée est principalement l'inférence, du type : "je vois de la fumée sur cette colline, donc il y a du feu". Il s'agit des différentes formes de raisonnement (induction, déduction, supposition, etc.). On traduit aussi anumâna par "inférence". A quoi sert l'inférence ? A compléter l'intuition. En gros, le raisonnement intervient quand la perception est limitée, comme dans l'exemple de la fumée et du feu. Cependant, cette connaissance est seconde, au sens où elle dérive toujours de la connaissance directe, de l'intuition. En ce sens, toute connaissance est empirique, dérivée de l'expérience brute ou appuyée sur elle. Cette connaissance se fait par concepts (vikalpa) : elle forme un objet en excluant ses supposés contraires. La notion de vache est formée en excluant tout ce qui est "non-vache". L'intuition, en revanche, n'exclut rien, même si son contenu est limité. Dans toute connaissance (ou cognition, "acte de connaître"), il y a un premier instant d'intuition/perception brut, donné, non manipulé, non associé au mot, sans concepts. Cette connaissance ne peut donc être fausse, car elle n'oppose pas une chose à une autre, elle ne compare pas, ne juge pas. Puis, dans un second instant, cette intuition est manipulée, analysée, découpée, comparée à d'autres, complétée : c'est la connaissance dérivée, l'inférence ou raisonnement. Cette connaissance manipule le donné du premier instant, est conditionné par le langage. Et, comme il s'agit d'ajouter une représentation ("ceci est un arbre") à une autre (l'intuition, la perception brute de l'arbre), l'erreur est possible. De cette façon, si je vois double ("deux lunes", par exemple), la vision de la lune double n'est pas fausse en elle-même, car elle se présente sans se comparer à autre chose. En revanche, la représentation "Oh ! Il y a deux lunes dans le ciel !" est fausse, car elle interprète le donné intuitif de manière erronée, en prenant un phénomène purement subjectif, privé, pour une réalité objective et publique ou "partagée", disons. Dès lors, nous voyons clairement s'esquisser une opposition entre connaissance brute, directe, intuitive, et connaissance dérivée, manipulée, interprétée, discursive ("associée au discours"). L'absolu se situe plutôt du côté de l'intuition. Le raisonnement (qui comprend à peu près toutes les connaissance dicibles) est du côté du relatif, du conventionnel, de l'échange verbal, vyavahâra et donc de l'erreur. Mais cette vision est en fait celle du bouddhisme, dont la Reconnaissance s'inspire, en s'en distinguant toutefois de façon radicale. Selon la Reconnaissance, il n'y a pas de différence de nature entre intuition et raison, entre l'intuitif et le discursif, entre percept et concept, etc. Bien plutôt, ces deux formes de connaissance sont deux moments ou deux phases d'un même acte de connaître. Il n'y a, entre intuition et raison, ou interprétation, que des différences de degrés. En d'autres termes, tout ce qui est dans la connaissance rationnelle ou inférentielle est déjà présent dans la connaissance intuitive, "brute". Le raisonnement n'est que le développement ou l'explication de ce qui est déjà dans l'intuition. Cette théorie de la connaissance est le pendant de la théorie de la causation appelée "théorie de la préexistence de l'effet dans sa cause", selon quoi la poule est déjà présente dans l’œuf, mais à l'état indifférencié. Créer quelque chose ou causer un effet, c'est simplement manifester clairement et dans une certaine distinction ce qui est déjà présent subtilement et sans différenciation. Plus profondément, causer ou créer, c'est se manifester soi-même en soi-même comme extérieur à soi-même. De même, connaître, c'est se connaître de façon plus ou moins distincte. Selon la Reconnaissance, il n'y a pas de différence réelle entre exister, connaître et créer : ce sont différentes manières de parler du même acte, c'est-à-dire de l'acte conscience, de la réalisation de soi. Au fond, tout - création, perception, raisonnement, etc. - est acte de réalisation de soi, car il n'y a rien en dehors de soi, en dehors de la conscience. Donc l'intuition est simplement une réalisation de soi moins différenciée que le raisonnement. Mais c'est le même processus. Par conséquent, l'intuition contient déjà les raisonnements. Dans le "percept pur" pour reprendre un jargon à la mode, contient déjà tous les concepts. Il n'y a donc pas de différences essentielle entre percept et concept. Il n'y a donc pas lieu de les opposer autre mesure. Souligner au contraire l'opposition est le propre du bouddhisme, qui conclut que tous les concepts sont faux. Cette thèse, reprise aujourd'hui par tous, n'est PAS celle de la Reconnaissance. Ceux qui prêchent la glorification du percept en répétant que le concept n'est que mensonge, n'enseignent pas la philosophie de la Reconnaissance. Soient ils l'ignorent, soit ils mentent. Toute l'originalité de la Reconnaissance tient dans cette vision toute en continuité entre des formes d'expérience que le commun des mortels oppose. L'attention portée à l'intuition nous fait reconnaître sa richesse. Les êtres "riches en attention" discernent les concepts subtils déjà présents dans l'intuition la plus brute, la moins différenciée. Cette présence de l'idée au cœur de l'intelligence intuitive est un pont possible entre la Reconnaissance et le néoplatonisme, pont qui, à ma connaissance, n'a jamais été exploré. La Reconnaissance ne partage certes pas la thèse d'un monde des archétypes inspiré d'un modèle mathématique. Néanmoins, il y a bien, dans la Reconnaissance, la thèse de la présence, dans la conscience indifférenciée, des idées différenciées ou, du moins, de leur germes. Ces archétypes sont, en un sens, symbolisées, entre autres, par les lettres de l'alphabet sanskrit. Ainsi, les douze voyelles du sanskrit représentent une sorte de gamme des idées préexistantes dans la conscience universelles. C'est aussi pour cette raison que la Reconnaissance affirme que la pure conscience indifférenciée est Parole. Indifférenciée, oui, mais parole quand même. Il y a un langage d'avant les mots, un langage subtil entre pure conscience pareille à une mer d'huile et langage incarné dans des mots. Et même la pure conscience pareille à une mer d'huile est Parole, car elle est frémissante, ébulliante pour ainsi dire. La mer n'est jamais dépourvue de vague, de mouvement. La conscience n'est jamais sans se réaliser. toute conscience est conscience de soi. S'il est juste d'admettre que "toute conscience de...", alors il faut ajouter que toute conscience est conscience de soi. Cette conscience pure est aussi pleine. Car la conscience, c'est la subjectivité, c'est le pouvoir de dire "je". Or le pouvoir de dire "je" se déploie en relation à ce qui est intérieur à soi. Le "je suis" n'est pas une lumière abstraite ou un simple symbole vague, mais le fait que les choses existent dans la conscience, et non l'inverse. L'ego ou la subjectivité limitée est limitée car elle ne voit que les sensations ou les pensées à l'intérieur de soi, s'y identifiant du même coup. La subjectivité en sa plénitude est pleine car elle réalise que tout existe en elle, tout est "mon corps", ma chair, mon incarnation. Et cette réalisation est félicité, car elle est une sortie de soi en soi-même, une extase, un mouvement et un repos, une assurance et une aventure, bref une vibration. Et donc, les concepts ne sont pas faux. En outre, ils ne sont pas faux car ils sont utiles et efficaces dans la vie quotidienne. Si les concepts ne sont que des erreurs, comment expliquer leur efficacité ? Car le propre d'une erreur, c'est d'être inefficace et de ne pas manifester son objet : l'illusion du serpent projeté sur la corde "cache" la corde, sans quoi elle ne serait pas une erreur. Mais les concepts sont connaissance, même les bouddhistes l'admettent. Donc ce ne sont pas des erreurs. D'ailleurs, les bouddhistes admettent que même un concept, en tant que j'en ai une connaissance directe, n'est pas faux. Même l'illusion "Ah, il y a un serpent !" n'est pas fausse en elle-même, mais seulement en tant qu'elle se rapporte à autre chose, à savoir à la corde. Pour la Reconnaissance, toute cognition est vraie en elle-même. C'est seulement en relation à d'autres cognition qu'elle se vérifie ou se falsifie, qu'elle "devient" vraie ou fausse. Tant que je rêve, comment puis-je savoir que je rêve ? Il faut nécessairement une référence, un "point" de comparaison. Le véritable critère du vrai est donc la cohérence. Une connaissance est valide dans la mesure où elle est en harmonie avec d'autres connaissances. C'est vrai aussi bien pour les intuitions que pour les raisonnement. C'est aussi la base du langage (la syntaxe) et de l'art (l'harmonie). Et c'est également vraie dans le domaine spirituel : l'éveil est une compréhension, c'est-à-dire la reconnaissance d'une plus vaste cohérence. Il y a, en ce sens, des degrés d'éveil possibles. La réalisation spirituelle totale est la cohérence totale, l'harmonie des contraires, la totalité vivante. Elle inclut jusqu'à l'exclusion elle-même comme l'un de ses moments. J'emploie volontairement un vocabulaire hégélien, non parce que je verrais en Hegel un pendant européen de la Reconnaissance, mais parce que je vois dans cette congruence l'influence des source néoplatoniciennes de Hegel, et par là une confirmation des affinités profondes entre la Reconnaissance et les grands systèmes néoplatoniciens, à commencer par celui de Proclus. Ainsi, rien n'est exclu, tout est cohérent, sans nier le mystère. 
Mais, demandera-t-on, il y a là le défaut d'un cercle logique, car nous avons employé le critère de la cohérence pour choisir la cohérence comme critère du vrai. Oui, mais un tel cercle est inévitable dans un idéalisme. C'est le problème de la recherche du critère du vrai mis en évidence par Platon. Pour reconnaître la vérité, il faut déjà la connaître... Mais selon la Reconnaissance, ça n'est pas un problème, car justement, il s'agit non pas de connaître, c'est-à-dire d'acquérir des informations nouvelles, mais de reconnaître que que l'on sait déjà confusément. Réminiscence de l'inné, dirait Socrate, et non gain venu de l'extérieur.
3) - ce qui nous conduit naturellement à la troisième connaissance. Quand l'intuition, même complétée par la raison, ne suffit plus, nous faisons appel au "témoignage valide", digne de confiance (âpta, shruti, âgama, etc.). Si mon intuition de l'espace et mes déductions ne suffisent pas à être sûr de la direction à prendre, je m'arrête et je demande. Si possible à quelqu'un qui parait digne de confiance. C'est le rôle de la Tradition. AU-delà des limites de l'intuition et de la raison, la tradition me permet d'envisager des possibilité inouïes, des évidences oubliées. Grâce à l'Autre, je sors de mes schémas, de mes habitudes. la conscience peut retrouver sa souplesse. Bien sûr, en faisant ce choix je prend un risque. Comment savoir que ce témoignage est digne de confiance ? Là encore, la Reconnaissance répond que tout témoignage est une révélation de la connaissance totale. Les religions et même les savoirs profanes sont des fragments de la Tradition Primordiale, si j'ose dire. Et cette Tradition, je sais qu'elle est vraie, car, en son fond, elle n'est autre que la conscience, même confuse, que j'ai de moi-même en tant que conscience universelle. La Tradition n'est pas seulement un corpus de savoirs et de savoirs-faire. Elle est surtout l'instinct du vrai (prasiddhi, pratibhâ), qui existe bien car je suis conscience universelle, atemporelle, omniprésente, omnisciente et omnicréante. L'écoute d'une tradition est encore réalisation de soi, reconnaissance de soi, réminiscence. La découverte d'un texte réveilleur est retrouvaille de ce que j'ai toujours su intuitivement. c'est ainsi que la tradition, en son tréfonds, rejoint l'intuition prise en sa racine. En ce sens, le critère du vrai est l'évidence : une connaissance connue par soi. Pourquoi donner crédit à tel témoignage alors que mes sens et ma raison sont limités ? Pourquoi tel témoignage plutôt que tel autre ? Parce que j'ai, en moi, un critère de discernement. J'ai une boussole et, en vérité, je suis cette boussole. 

Voila comment, en bref, le vrai, l'intuition, la raison, le langage, la tradition, l'évidence, les chemins et le but, et ainsi de suite, sont différentes facettes de l'unique diamant de l'Âme, de la réalisation totale, de la reconnaissance.


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