samedi 21 décembre 2019

Qu'est-ce que le Cœur ?


Dans les milieux spirituels, on entend souvent parler du "coeur" qui serait la véritable intelligence,
une intelligence intuitive à l'opposé de l'intelligence discursive. "Le coeur a ses raisons..."

Dans la littérature indienne, le coeur est généralement synonyme de l'intellect (buddhi), la plus haute faculté humaine. Par exemple, selon le Vedânta, c'est l'intellect qui connaît le Soi, mettant ainsi fin à l'aveuglement source de toutes les souffrances.

Dans le shivaïsme du Cachemire, c'est une métaphore de la quintessence de tout.
En résumé : tout est manifesté par la conscience et la conscience a elle-même un coeur, appelé "le Coeur", auquel j'ajoute une majuscule pour marquer son importance, même s'il n'y a pas de majuscules dans la langue sanskrite, attendu qu'il n'y a pas d'écriture sanskrite en propre.

Mais qu'est-ce que ce Coeur ?

Un verset l'évoque :

"La véritable lumière qu'est le Coeur
est l'agent de l'activité d'exister.
Elle est conscience de soi.
Existant en elle-même, 
elle devient la manifestation de toutes choses
quand elle est excitée."

(Maheshvarânanda, Le Bouquet des vérités au complet, 11)

Autrement dit, le Coeur est la conscience en tant que la conscience est le pouvoir de "prendre conscience de", sachant que "ce qui prend conscience" et l'objet de cette conscience sont un et le même, puisque rien ne peut exister en dehors de la conscience. Le Coeur est donc le pouvoir qu'a la conscience de se ressaisir elle-même, de se réaliser. 

Mais la conscience est libre. Elle a donc aussi le pouvoir de se réaliser comme "autre", jusqu'à s'oublier dans cet "autre". On dit alors qu'elle est "excitée". C'est ainsi qu'elle se réalise en toutes choses et que les univers, innombrables, jaillissent sans effort en son sein. Par exemple quand "je vois du bleu", c'est moi, conscience infinie, qui me perçoit comme "bleu". Ce qui implique contraction et oubli de moi-même. Elle se réalise ainsi à travers les trois états : d'abord la veille et le rêve, qui sont deux états de séparation relative - relative car rien n'existe jamais en dehors de la conscience ; et dans le sommeil profond qui est pure unité, négation de tout contenu et affirmation quotidienne de la souveraineté de la conscience. 

Mais ce pouvoir fait partie intégrante de ce que je suis - pas une chose, mais le pouvoir sans limites de me réaliser ainsi et autrement, en tant que n'importe quelle chose, réelle ou non.

Et cette liberté qu'est la conscience est le "Coeur" car, de même qu'un corps ne peut vivre sans les pulsations du coeur qui font circuler le sang, de même, rien ne peut exister sans conscience. Même le "néant" existe, en tant qu'idée. Et cette idée est encore un acte de conscience de soi, une façon pour l'Être de se réaliser. Tout est donc conscience, acte de réalisation de soi, de création de soi, qu'il s'agisse d'une chose réelle ou irréelle, concrète ou abstraite, peu importe. 
La conscience est aussi le Coeur, car comme un coeur, elle est animée d'un double mouvement d'expiration et d'aspiration. L'expiration, ce sont les deux états de veille et de rêve ; l'aspiration, retour à l'indifférencié, est le "sommeil profond", sans rêves. La conscience est donc aussi comparable à une vibration. Voilà pourquoi son existence, à toutes les échelles, est généralement cyclique. C'est ce dont je fais l'expérience immédiate quand je tourne mon attention vers ma respiration. Mais au fond, cela est vrai de toute expérience, car "expérience" est synonyme de conscience, et donc de Coeur, de vibration, c'est-à-dire au sens d'un mouvement infini en soi, dont les cycles de la nature sont les échos objectifs.

La conscience est donc "l'agent de l'activité d'exister", elle est la source vivante qui se crée elle-même d'infinies manières en prenant conscience d'elle-même, de manières totale et parfaite, ou sur un mode contracté et imparfait.

La conscience est donc action, existence, acte, création, réalisation. Elle est "lumière", mais cette lumière n'est pas statique ni confinée en elle-même. Elle est ouverture, générosité, donc de soi à soi, conscience de soi. Ce verset insiste sur le fait que la conscience est activité. Elle est mouvement, dynamisme sensible. Il n'y a pas séparation entre parfaite conscience de soi et conscience "excitée", source du déploiement universel. Quand la conscience est tournée vers elle-même, absorbée dans la parfaite réalisation de soi, elle est aussi "excitée", mais de façon infiniment subtile. Quand elle semble se détourner d'elle-même (bien que le fond de parfaite conscience de soi demeure nécessairement présent), elle se tourne vers "l'autre", c'est le cela, l'objet, la chose apparemment privée de conscience propre. Mais la "conscience de l'autre" est encore une forme de conscience de soi, de conscience de conscience. Il n'y a donc que des différences de degrés. Et même l'oubli de soi dans la conscience de l'autre fait partie du jeu de la conscience qui "joue" à dépendre de cet autre, sans jamais réellement en dépendre, exactement comme je joue à imaginer des histoires, des personnages, des réalités alternatives, etc., sans jamais me dédoubler réellement pour autant.

En tous les cas, le fait que "tout est conscience" n'implique aucun confinement en soi. Ce sont les choses qui, en revanche, sont chacune confinées en leur être simple. Moi, conscience, je suis au contraire absolue liberté de me manifester ainsi, autrement, ou les deux à la fois. L'insistance sur la conscience comme "acte" est ici une manière de pointer la liberté absolue qu'est la conscience, ce pouvoir de se manifester à soi comme autre, tout en restant soi. Et c'est une excellente description de l'expérience présente. Nous sommes donc, sans aucun doute, la conscience universelle souveraine. 
Le Coeur est cette quintessence qui englobe tout, qui anime tout.

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