vendredi 11 septembre 2020

La pratique de la méditation de Shiva : boire le nectar de l'espace


un disciple de Ramana Maharshi, avec une ceinture de méditation faite par Ramana lui-même



Le yoga de la posture de Shiva (bhairava-mudrâ, shambhavî-mudrâ) est la principale pratique de méditation enseignée dans le shivaïsme. Mais, comme elle est tenue "secrète dans tous les tantras" (sarva-tantreshu gopitâ), elle n'est pas exposée clairement, en une seule fois. Comme dit Abhinavagupta, les secrets peuvent être révélés, mais pas en une seule fois. Voilà pourquoi j'ai trouvé utile de rassembler les textes qui exposent différents points pratiques de cette manière de méditer, dans Les Quatre yogas et dans l'Anthologie qui va avec.

Cependant, je n'ai pas rassemblé absolument tous les textes, car je n'ai pas tout lu de ce qui nous reste.


Voici donc un extrait d'un tantra plus tardif (XIè siècle ?), révélation centrale d'une tradition moins connue, celle de Kubjikâ, qui semble avoir joué un rôle dans l'émergence du Hatha Yoga à cette époque.

Ce passage décrit une pratique assez obscure de la "maîtrise de la Mort" (mrityunjaya). Il s'agit de retenir le souffle à plein en contractant les muscles autour de l'anus.

Mais le point que je retiens concerne la bouche : elle doit rester ouverte, la langue 'sans point d'appui', planante au centre de la bouche, qui est ouverte. Ce point est très clair dans le passage suivant. Or, c'est l'un des points-clé de la méditation de Shiva : les yeux grands ouverts, la bouche grande ouverte. Le fait de 'boire l'ambroisie lunaire' est sans doute une description de l'expérience intérieure qui découle de cette pratique. Le "regard vers le haut" est mentionné un peu plus loin dans ce tantra, le Kubjikâmata : ūrdhvadṛṣṭiṃ parāṃ kṛtvā evam etat samabhyaset // XXIII, 167. C'est l'autre point-clé de la méditation de Shiva.

Comme on voit, le Hatha Yoga va ensuite reprendre ces mêmes expressions et images (amrita, lambikâ, pâna, shâmbhavî, khecârî...) mais en leur donnant un sens très différent. Dans le yoga tantrique, ces termes ne désignent pas des techniques grossières (loucher, se couper le frein de la langue, boire un mystérieux liquide, etc.), mais une pratique subtile, sans visualisation, qui permet d'engendre un silence intérieur saisissant. Cela va avec la méditation sur l'espace. En fait Khecârî-mudrâ et Shâmbhavî-mudrâ sont, dans le version tantrique du moins, différents aspects de la même pratique. Le secret est révélé peu à peu, comme les pièces d'un puzzle. 


athānyam api vakṣyāmi prayogaṃ mṛtyunāśanam

"A présent je vais exposer une pratique qui tue la mort."


saṅkocya mūlacakran tu janmasthaṃ dhārayet kṣaṇāt //XXIII,158

"D'abord il faut contracter la région de l'anus (litt. "la roue-racine")

et se concentrer ensuite sur la zone génitale."


saṅghaṭṭe pīḍanaṃ kṛtvā lambakaṃ tu vidārayet

lambakāmṛtasantṛpto jayen mṛtyuṃ na saṃśayaḥ // XXIII,159

"Quand (le souffle expiré et le souffle inspiré) fusionnent (à la fin de l'inspir),

il faut contracter (l'anus, puis) passer à travers la gorge (lambaka, avec le souffle de l'expir).

Rassasié de l'ambroisie de la gorge, 

on maîtrisera assurément la Mort."


dāhaśoṣas tu santāpo vaivarṇaṃ vā mahādbhutam(?)

nāśayeta varārohe anenābhyāsayogataḥ // XXIII,160

"O belle femme ! 

au moyen de cet exercice,

on détruira la fièvre brûlante 

ou une pâleur anormale."


rasanāṃ śūnyamadhyasthāṃ kṛtvā caiva nirāśrayam

na dantair daśanān spṛṣṭvā oṣṭhau naiva parasparam //  XXIII, 161

"Il faut placer la langue dans le vide au centre (de la bouche),

sans qu'elle ne la touche (nirâshraya). 

Il ne faut pas que les dents ne se touchent, ni les lèvres."


tyajya sparśanam eteṣāṃ jinen mṛtyuṃ na saṃśayaḥ

eṣa mṛtyuñjayo yogo na bhūto na bhaviṣyati // XXIII, 162

"Abandonnant le contact entre ces éléments,

on vaincra la Mort, assurément.

Il existe pas, il n'existera jamais, 

un yoga (plus puissant que) ce yoga de la victoire sur la Mort."

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