dimanche 1 novembre 2020

Sources directes et sources indirectes

 

Abhinava-guptapâda


Cinq traditions nourrissent particulièrement ma vie : la mystique catholique, la Vision Sans Tête, le dzogchen, mahâmudrâ et le shivaïsme du Cachemire. Cette dernière est au coeur de ce mandala. Pourquoi ?

Je essayer de répondre ici, très brièvement. 

Le dzogchen a une très belle poésie de la transparence, du silence, de la lumière, qui complète la Méditation de Shiva (shiva-mudrâ). Mais le dzogchen exclut le désir, le corps, etc. : le dzogchen inclut parfois le yoga sexuel, mais comme pis aller, tant qu'il y a du désir ; le dzogchen vise le "corps de lumière", mais c'est un corps immatériel ; dans l'ensemble, le dzogchen rejette le monde, même s'il fait un effort pour intégrer les formes et le mouvement dans son "éveil", dans sa vision de l'idéal spirituel.

Mahâmudrâ est une belle méthode de relaxation, d'acceptation, qui met un point d'honneur à ne pas rejeter les formes, le corps, etc. Cependant, même si le yoga sexuel peut être intégré à cette pratique à un niveau secondaire, le but reste de détruire le désir par le désir, le mal par le mal. Les présupposés restent bouddhistes : rejet de la vie, du corps, de l'activité, du féminin, du désir, etc.

La mystique catholique est pleine d'une écriture magnifique, elle transmute la souffrance en joie et elle reconnaît qu'au fond de tout désir, gît un élan vers le divin ; le divin suffit, il est toute la voie : pas besoin d'autre préparation, d'autre purification, etc. Mais il demeure basé sur un ascétisme qui rejette la vie, le Moi, le désir, l'activité, l'imagination, etc. La résurrection n'est pas intégrée à la mystique catholique et la nature de cette résurrection reste obscure ; l'enfer est éternel, les animaux ne vont pas au paradis ; enfin, cette mystique est un dérivé du platonisme, sans l'admettre.

La Vision Sans Tête est une voie directe, simple, claire, profonde. Elle intègre, à différents degrés, les qualités des trois familles précédentes, lesquelles la complètent par l'amplitude de leur expression. Cependant, le désir y demeure à l'arrière-plan : c'est le défaut des voies de la connaissance, d'ignorer la puissance du désir, l'absolu comme désir.

Le shivaïsme du Cachemire, lui, célèbre pleinement l'absolu comme désir, comme corps, comme féminin, comme activité, comme mouvement. Il a les qualités des quatre méthodes précédentes, sans leurs défauts. Cependant, ces quatre autres traditions sont très utiles, car elles clarifient ou développent certains aspects. Le shivaïsme du Cachemire est très concis, souvent hermétique et sa littérature a été mutilée. Ces compléments sont donc importants. D'où ce mandala.

Et les autres traditions ?
En bref :

Le christianisme a largement pillé le platonisme, sans l'admettre. La même chose est valable pour le soufisme et la cabale. Les écrits abrahamiques n'ont rien de monothéistes. En effet, si on enlève du corpus les influences grecques avérées, il ne reste qu'un dieu jaloux, quasi fou, un dieu exterminateur, un dieu dont on voit les fruits chaque jour dans le monde.

Le bouddhisme en général est perclus de contradictions. Aucun religion n'a autant d'écrits, aussi contradictoires. Malgré son indéniable richesse, le bouddhisme est confus. Il a enrichi le shivaïsme du Cachemire (qui admet cette dette), dans le même temps que le bouddhisme s'est rapproché du shivaïsme du Cachemire dans le bouddhisme tantrique et, en particulier, dans le dzogchen et Mahâmudrâ. Toutefois, ces deux dernières traditions n'ont jamais été abouties : elles ne pouvaient aller au bout de leurs intuitions sans quitter définitivement le giron du bouddhisme. C'est le destin du bouddhisme : devoir défendre son identité, laquelle repose précisément sur une critique radicale de toute identité. Le taoisme religieux est très largement dérivé du bouddhisme. C'est un ascétisme habité, comme le dzogchen, par le désir d'un corps immatériel. Le désir n'est pas reconnu.

Le Sâmkhya et le Yoga de Patanjali sont des dualismes extrêmes. Ils rejettent le monde, le désir, le féminin, etc. De même, le Vedânta est dualiste car il est axé sur l'exclusion de la dualité. Cet ascétisme rejette le monde, le corps, le désir, le mouvement, l'activité, le désir, le féminin, la vie, etc.

Le platonisme reconnaît le désir comme élan vers l'absolu. Mais d'autre part, il rejette le corps, le féminin, l'activité, le mouvement, etc.

Voilà pour les principales traditions.
Evidemment, je vais très vite, mais ces affirmations sont vérifiables. Si elles sont fausses, il sera aisé de les contredire. Mais dans l'ensemble, je les crois justes. J'ai lu et relu les corpus de ces traditions, du moins tout ce qui est lisible et ce sont là mes conclusions.

Autrement dit, il y a des sources directes : les Upanishads (=Vedânta, mais je préfère réserver ce dernier terme à la tradition de Shankara afin d'éviter de les confondre) et le shivaïsme du Cachemire (=Abhinavagupta, Utpaladeva, Kshemarâja, Vasugupta, Vijnâna Bhairava). Et les autres traditions, méthodes, etc. sont des sources indirectes. Je veux dire par là que, sans les sources directes, elles seraient de peu d'utilité. Je tiens que, sans la connaissance procurée par le shivaïsme du Cachemire, je serais incapable de reconnaître les vérités présentes dans les autres traditions. Par exemple, les Upanishads mentionnent clairement le Soi, etc. Je reconnais des vérités semblables chez Plotin, par exemple. Mais si je ne les avais pas rencontrées "à l'état pur" dans les Upanishads, j'affirme que je ne les reconnaitrais pas chez Plotin. 

Voilà pourquoi je mets le shivaïsme du Cachemire au centre et au sommet de toutes les sources spirituelles.

Bien sûr, l'historie ne s'arrête pas là. Car, en dehors des sources proprement spirituelles, je reconnais un rôle essentiel à la "philosophie nouvelle", c'est-à-dire à la science moderne, la méthode expérimentale. A la lumière de ses découvertes radicalement nouvelles, je médite à nouveaux frais la vie intérieure. 

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