vendredi 26 mars 2021

Le Yoga de l'écoute



D'où viennent les pensées ? D'où vient ce pouvoir de se parler à soi ? D'où vient cette puissance mystérieuse qui se perd en bavardage, qui m'entraîne et cause tant de souffrance ? Comment échapper à ce chaos ?

Certains disent que, quand je vois cette fleur, il n'y a d'abord aucune pensée. Puis que, dans un second temps, le mental plaque des mots, des concepts, sur cette pure perception. D'abord, la perception pure, vierge. Ensuite le langage, les concepts. C'est l'enseignement bouddhiste. Cette doctrine a le mérite d'être claire, facile à entendre. Au début du moins. Car ensuite, on s'avise qu'elle sépare la perception et le langage, la pensée. Elle engendre ainsi bien des paradoxes : Car c'est par la pensée, par le langage que cet enseignement est transmis. Comment un enseignement verbal qui affirme que tout discours est faux, pourrait-il être vrai ? 

Pourtant, cette doctrine est devenue dominante aujourd'hui. Partout, on affirme que la perception est vraie. D'un côté, le percept, le ressenti, vrais, vierges et purs. De l'autre, la jungle des concepts et des mots vilains. Bien et Mal. 

Or, il y a certes du vrai dans cette vision des choses, car dans la perception pure, non verbale, je goûte une paix délicieuse. Il y a dans la contemplation un repos ineffable du à une impression de simplicité. 

Pourtant, d'où viennent alors les mots ?

Il existe une alternative à cette vision bouddhiste. Celle du Tantra. Contrairement à ce que proclament certains charlatans, le Tantra n'est pas contre la pensée, contre le langage. Car, contrairement au bouddhisme, il n'oppose pas la perception à la pensée. Selon le Tantra, en effet, perception et pensée sont deux moments d'un seule et même mouvement. Ils ne que des moments d'un seul et même mouvement, des moments que l'on peut distinguer, mais non opposer. L'image traditionnelle est celle d'une graine qui germe, jusqu'à croître en un arbre immense. L'arbre est déjà dans la graine, les informations essentielles quant à la forme de l'arbre sont déjà présentes dans la graine. 

De même, le premier instant de toute perception est déjà de la pensée. Tout est pensée. Mais pas de la pensée articulée en mots bien séparés. La perception est de la pensée indifférenciée, un peu comme une mélodie. Une mélodie n'est pas absolument simple. Elle comporte des notes, des mouvements, des respirations, une ponctuation. Mais ces éléments ne sont pas complètement séparés. Au contraire, ils sont unis dans un seul et même mouvement global, qui fait que l'on peut parler d'une mélodie. La perception, c'est-à-dire la pensée intuitive, est comme une mélodie : elle est une, mais est enveloppe des différences, comme des phrases. On parle d'ailleurs du "phrasé" musical. La mélodie est comme un langage, mais un langage sans mots. 

La perception est, de même, un langage sans mots. D'où l'impression de paix qui se dégage d'un moment de contemplation esthétique. Voilà aussi pourquoi la méditation du Tantra invite à revenir à la perception pure. Non pas par haine du langage, non pas à cause de ce dualisme simpliste que l'on entend partout aujourd'hui dans le monde spirituel, mais parce que la perception est un état de la parole plus simple, plus puissant. 

Du coup, on sait d'où viennent les pensées, les mots : de la perception pure, qui est parole pure, mélodie secrète à la source du langage, car elle est déjà langage. Il ne s'agit donc pas de rejeter la pensée, mais de redécouvrir un plan de pensée différent, plus intuitif que discursif, plus simple, plus unifié, plus harmonieux. Là où le bouddhisme (et le New Age ainsi que le dév perso) voient une rupture entre perception et pensée, le Tantra invite à reconnaître une continuité.

Les mots de bouche viennent de l'extase d'être, de l'étonnement d'être. C'est cela qu'il s'agit de reconnaître ici et maintenant. C'est cela le Yoga de l'écoute.

Et alors, maintes contradictions disparaissent. L'enseignement se fait par des mots et pointent un état au-delà des mots, mais de même nature que les mots, car c'est un état verbal, puisque tout est langage. 

Il s'agit de redécouvrir un langage de silence, une manière de penser sans mots, plus fluide, unifiée, qui apporte paix et joie. Ainsi j'échappe au chaos du bavardage intérieur, je découvre chaque jour une nouvelle manière de vivre. Sans rejeter ma langue, sans cracher sur le verbe conventionnel, sans tirer sur l'ambulance des mot, déjà si mal en point... Et tout est un, sans confusion, en pleine beauté douce et sans heurts. Goûter "je suis je" est panacée.

Cet état est découvert et savouré par la pratique de la plongée dans le "je suis", Parole primordiale. Dès lors, la poésie retrouve droit de cité. Cela me semble vital aujourd'hui, à une époque où l'on constate partout l'effondrement des capacités linguistiques et cognitives, comme si l'appauvrissement des lexiques allait de paire avec la disparition de la biodiversité. Et l'on échappe ainsi aux joutes stériles sur "l'au-delà des concepts qui est encore un concept", etc. 

Je me laisse aller dans l'extase de la pensée intuitive, pareille à une danse aquatique, pleine de pulsations lentes, de vagues d'être, limpides et fortes. Cette pensée intuitive est Mantra, pensée libératrice. Elle n'est pas faite de mots, mais elle n'est pas statique non plus. Elle est un monde de frémissements, d'élans, d'ondes en expansion, de tourbillons délectables... un univers de joie, source de tout et d'une vision riche, inépuisable. Une musique. Tout est ainsi réconcilié, même la guerre et la paix. Tout est ainsi transmuté, peu à peu, sans fin, de merveilles en surprises. 

"Les états de yoga sont merveilles", dit Shiva.

Tel est le véritable Yoga de l'écoute, pareille à la lumière douce et chaleureuse d'une fin de journée ensoleillée. Luxe, calme et volupté. 

2 commentaires:

  1. "Dès lors, la poésie retrouve droit de cité. Cela me semble vital aujourd'hui, à une époque où l'on constate partout l'effondrement des capacités linguistiques et cognitives, comme si l'appauvrissement des lexiques allait de paire avec la disparition de la biodiversité."

    La complexité ou rareté des mots ainsi que l'étendue du vocabulaire, est-ce ce qui importe dans un poème ?

    Parfois (pas ici), j'ai l'impression que l'utilisation de mots complexes, de phrases compliquées sont plus le fait de masturbation intellectuelle (je n'ai pas trouvé d'autres manières de le dire...) ou d'orgueil que d'Art, de Poésie.

    La poésie doit-elle être inaccessible au plus grand nombre, incompréhensible par la rareté du lexique utilisé ?

    J'ai l'impression que ce qui compte est plus l'émotion touchante, ressentie à la lecture d'une poésie, même simple, qui la rend bonne et belle. Émotion entraînée par une créativité magique peut-être.

    Qui s'intéresse à la poésie ?...

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