jeudi 16 septembre 2021

Le Clair de lune - 2


 Suite et fin sur un petit texte extraordinaire : Le Clair de lune (Candrāvalocana), sur la principale pratique de méditation du Tantra traditionnel, la méditation de Shiva (shâmbhavî, shiva-mudrâ).

Cet enseignement s'inscrit clairement dans la tradition du Kaula Tantra, une tradition ésotérique à l'intérieur du Tantra, une tradition qui met l'accent sur le corps, le souffle, l'expérience intérieure et la spontanéité. Elle aurait été révélée aux humains par Matsyendra, un pêcheur de l'Assam en Inde. Selon la légende, il aurait été avalé par un poisson qui l'aurait amené jusque sur une île fabuleuse où il aurait entendu l'enseignement de Shiva à propos de la liberté en cette vie même (jîvan-mukti), idéal de liberté spirituelle incarnée.

Après avoir décrit la méditation de Shiva, le dieu révèle à présent d'autres aspects de cette pratique, mais à travers le langage initiatique du Kaula Tantra. Ce texte, abîmé par le temps, n'est pas toujours clair. 

Les termes Kaula à propos desquels Matsyendra interroge le dieu sont d'abord ceux qui concernent la pratique de l'union rituelle :

- kâma-tattva, le principe du désir. C'est l'expérience du plaisir jusqu'au moment de l'orgasme.

- visha-tattva, le principe du poison. C'est l'expérience qui suit l'orgasme, pendant laquelle les variations hormonales entraînent un sentiment de paix, de repos, voire de mélancolie et d'absence de désir. C'est le "poison" de la tristesse qui suit l'orgasme ordinaire.

- niranjana-tattva, le principe du transparent. C'est l'expérience de la présence qui englobe les deux expérience précédentes du goût et du dégoût, de la passion et de la désillusion.

De manière générale, une clé du Kaula Tantra est de réaliser l'harmonie des aspects opposés ou en conflit. Ici, réaliser l'harmonie de la passion sexuelle, avec sa part d'aveuglement, et de la lucidité qui suit l'orgasme, avec sa part de désillusion. La passion n'est pas la vérité. Mais le dégoût qui conduit à un dégoût passager non plus !

Ceci est vrai pour tous les couples d'opposés : forme et sans forme, bruit et silence, activité et repos, veille et sommeil, vie et mort, élan et découragement, etc.

Le dieu révèle ce même chemin de l'harmonisation à travers un autre schéma symbolique, celui de la lune, qui s'applique ordinairement à l'écoute de la respiration.

Mais ici, ces deux schémas traditionnels, celui de l'union rituelle et celui de l'écoute du souffle, sont interprétés dans le cadre de la pratique de la méditation de Shiva. C'est donc cette pratique qui est décrite principalement ici.

"Le Grand Seigneur dit :

La nouvelle lune, la lune sombre et la pleine lune

sont cachées [de part leur sens ésotérique].

[De même], le désir, le poison et le transparent

sont le contexte de toute [la pratique].

Matsyendra demanda :

Ô Bienfaisant !

Comment donc est dévoilé le sens symbolique

et l'explication [des mots comme] la nouvelle lune, 

la lune sombre et la nouvelle lune ?

Le Grand Seigneur répondit :

La lune sombre, c'est rester les yeux grands ouverts.

La lune nouvelle, c'est garder les yeux vers le bas.

La pleine lune, c'est regarder droit devant soi.

Matsydenra demanda :

Que signifie le mot 'désir' ?

Et le mot 'poison' ?

Explique en vérité le sens du 'transparent' !

Le Seigneur répondit :

La lune sombre et la nouvelle lune

dévorent le temps.

La pleine lune stabilise [le temps ?].

Tel est l'unique voie.

Le 'désir' désigne le désir des objets des sens. 

Le 'poison' est ce en quoi le désir se résorbe.

Quand on se détache des deux, 

on s'en remet assurément au transparent.

Que l'on renonce à tout l'inférieur,

si l'on aspire à la réalisation du Soi.

Autrement, même si l'on est immortel (...).

On doit poser l'attention au centre de la Shakti,

et la Shakti au centre de l'attention.

Quand on contemple l'attention avec attention,

on contemple l'état ultime.

Matsyendra demanda :

Qu'est-ce que le germe ?

Qu'entend-on par 'cible du bindu' ?

Comment expliquer véritablement

ce qu'est le 'bindu' ?

Le Seigneur répondit :

Le germe, c'est l'attention/le mental,

cause de l'apparition et de la subsistance [des expériences].

Ce qui est engendré par l'attention/le mental,

c'est le bindu, comme le beurre est extrait du lait.

Matsyendra demanda :

Du sommet de la tête à la pointe du nez,

il n'y a que plaisir et douleur.

Comment donc trancher le lien 

de la cavité du palais et le faire fondre ?

Le Seigneur répondit :

Cela n'est pas au centre du lien 

ni relatif au mental comme cause (?).

Là où se trouve la Shakti depuis le centre de la lune,

là se trouve le lien.

L'ayant repéré, il faut percer le canal central

et aller (?) à gauche et au centre.

Il faut ensuite stopper le bindu

au-dessus de la tête.

Matesyendra demanda :

Explique-moi le principe et la nature

du bindu et révèle-moi les six chakras !

Le Seigneur répondit :

Le Support, le Fondement de soi, la Cité de joyaux,

le Son spontané, le Pur, le Commandement :

tels sont les six chakras.

Le Support est l'anus, le Fondement de soi est le sexe,

la Cité des joyaux est le nombril,

le Son spontané est le cœur, le Pur est dans la gorge

et le Commandement est dans le front.

Une fois familiarisé avec les six chakras,

que l'on entre dans le Mandala éternel.

On y pénètrera en recueillant le souffle

et en l'unissant vers le haut.

C'est ainsi que les yogis vont vers l'immortalité,

grâce à un unique samâdhi.

Le feu préexiste dans le bois.

Mais il ne s'enflamme pas si on ne le frotte.

De même, grâce à l'exercice du yoga,

la lampe de la connaissance s'allume.

C'est comme une lampe allumée dans un vase,

qui ne brille pas au dehors.

De même, le corps/vase possède cette nature [de luminosité],

il est [comme] une lampe [qui symbolise] cet état [de liberté spirituelle].

Sans l'enseignement du maître, 

cette connaissance de l'absolu ne peut être élucidée.

Le maître l'a reçue au creux de son oreille,

[car] elle est très subtile.

Ces paroles font traverser l'océan du samsâra

si on les pratique assiduement.

Matsyendra dit :

Par ta grâce, 

je suis délivré des liens de l'existence !

Tu es le salut, ô Souverain des dieux,

je n'en ai pas d'autre que toi.

- Ayant entendu ces paroles, Matsyendra s'absorba dans le seigneur Shiva.

[Shiva lui dit ensuite :]

Va, fils ! Va jusqu'aux confins de la terre, va sauver [les êtres] dans les trois mondes.

Telle est ce Clair de lune composé par le Grand Seigneur.

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Comme on voit, cet enseignement n'est pas toujours clair dans son détail. Mais l'essentiel est limpide : méditer les yeux ouverts, afin que la lumière intérieure, cachée dans le corps, se mette à briller en lui et dans le monde.


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