mercredi 7 février 2024

Réconcilier ombre et lumière dans le Tantra ?

 Dans les stages de Tantra et dans la spiritualité contemporaine, on aspire à "accepter ses ombres et ses lumières". Il est parfois dit que c'est cela, l'idéal visé par le Tantra.

Mais dans les textes, les tantras, je ne vois rien de tel.

La non-dualité ne consiste pas à accepter sa part d'ombre avec sa part de lumière. En fait, je ne vois même pas à quoi cela correspondrait dans les tantras. La non-dualité consiste à réaliser la conscience d'unité au-delà des différences, puis à réaliser que les différences sont la manifestation de cette conscience une. Ensuite, on cultive cette conscience une dans les différences, et les différences (le monde, etc.) sont transformés en manifestations de l'unité pour de bon. 

Il n'est nulle part question de m'accepter "tel que je suis", de m'aimer, de m'admirer, de m'accepter dans toutes les facettes de ma personnalité. Il n'est as question de se répéter "j'en ai rien à foutre" comme un mantra salvateur.

Mais alors, pourquoi n'y a-t-il pas de coïncidence des opposés dans le Tantra ? Pourquoi n'y troue t-on pas cette doctrine de la réconciliation des différentes parties de la personne qui est devenu la marque distinctive du Tantra contemporain ? 

Tout d'abord, remarquons que cette doctrine, faussement attribuée au Tantra, provient d'un psychanalyste autrichien, K G Jung, disciple de Freud et fasciné par les phénomènes occultes. C'est aussi lui qui a popularisé l'idée selon laquelle la Kundalinî est une énergie psychique qui ouvre les sept chakras.

Dans le Tantra traditionnel, le but est tout autre. La Kundalinî est la conscience en tant qu'elle est parole créatrice, source de toutes choses, des langues humaines et du mental individuel. Les chakras sont un panthéon intériorisé, avec souvent moins de sept chakras.

Enfin, il ne vient à l'idée de personne d'accepter sa part d'ombre. Car l'ombre, c'est le Mal, et le Mal n'a pas sa place dans le Bien. Dans la lumière, il n'y a pas d'absence de lumière, pas d'ombre. En tous les cas, je ne vois pas, dans le tantras, l'idée de s'accepter tel que l'on est, avec tous ses défauts, égocentré, etc. Il n'y a néanmoins une affinité possible, mais basée sur une mécompréhension du Tantra. Le Tantra parle d'amour du Soi, non d'amour de soi. Il parle de se désinhiber, donc de laisser libre cours à ses tendances égoïstes, en un sens. Mais en les mettant au service du divin. Au fond, il s'agit de se mettre au service du divin, non de mettre le divin au service de ma personne. 

Cependant, le Tantra évoque des pouvoirs et, par ce biais, il peut sembler nourrir une forme d'égoïsme. De fait les tantras ne proposent pas seulement des méthodes de libération spirituelle, mais aussi des recettes magiques. Cela étant, il est bien précisé que la magie se paie par des rétributions karmiques fort douloureuses et longues. La magie est découragée. 

Le but du Tantra n'est pas de se résigner à être égoïste, mais de transcender l'égoïsme dans un Moi infini qui est la source de moi et de tous les autres. Il n'est donc pas question d'un compromis entre "le Bien et le Mal", une sorte de réconciliation, dont on ne voit d'ailleurs pas à quoi elle ressemblerait. Il est plutôt question de dépasser le bien et le mal dans la Source qui est le Bien parfait. Le but du Tantra n'est pas de me réconcilier avec mes remords ou de les endormir dans une profonde nuit où toutes les vaches sont grises, mais de reconnaître la Lumière et tout réintégrer en elle. Les sorcières sont alors transformées en fées. Mais elles ne restent pas sorcières.

Pour ce faire, une certaine transgression des conditionnements est légitime. Mais seulement en vue d'un Bien plus grand, plus fort, plus altruiste.

3 commentaires:

  1. Bonjour,

    C'était un bon rafraîchissement que cette définition de la "non-dualité".

    Quelques 200 000 questions.

    "On cultive cette conscience une dans les différences, et les différences (le monde, etc.) sont transformés en manifestations de l'unité pour de bon." On la cultive par la méditation et les différences sont transformées intérieurement ?

    La Kundalini de Jung le Suisse ne peut-elle être en accord avec votre définition de la Kundalini ? Une énergie qui est la conscience.
    Comment peut-il y avoir moins de 7 chakras si ce sont des centres énergétiques présents en nous (et ils le sont) ?

    "Il ne vient à l'idée de personne d'accepter sa part d'ombre." Sans vouloir défendre ce que vous critiquez, mais me demandant, ce pourrait-il que certaines personnes pensent qu'accepter sa part d'ombre signifie accepter de voir qu'on en a une, donc d'en être conscient, plutôt que de se voiler la face ? Et après, comme vous l'écrivez il s'agirait de "reconnaître la Lumière et tout réintégrer en elle", y compris cette part d'ombre.

    "Le Tantra parle d'amour du Soi, non d'amour de soi. Il parle de se désinhiber, donc de laisser libre cours à ses tendances égoïstes." Quel lien y a-t-il entre l'amour du Soi et se désinhiber en laissant libre cours à ses tendances égoïstes, entre aimer Dieu et être égoïste ? L'égoïsme est-il inclus dans la part d'ombre ? Et concrètement, comment cela se matérialise de se désinhiber en étant égoïste ?

    Un brin surprise en découvrant que le tantra évoque des pouvoirs et des recettes magiques. Pouvez-vous en partager des exemples ? Pourquoi le tantra en parle-t-il si "la magie se paie par des rétributions karmiques fort douloureuses et longues [et qu'elle] est découragée" ? Cela me fait penser à l'arbre de la connaissance, pourquoi en parler s'il ne faut pas y toucher ? Et pourquoi cela existerait ?

    "Le but du Tantra n'est pas de se résigner à être égoïste, mais de transcender l'égoïsme dans un Moi infini." Pouvez-vous nous dire comment précisément ? Juste en méditant sur son égoïsme ?

    "Les sorcières sont alors transformées en fées. Mais elles ne restent pas sorcières." Pourquoi un "mais" entre ces deux phrases ? De plus, sorcières et fées s'adonnent à la magie, par rapport aux questions plus haut sur cette pratique découragée.

    "Pour ce faire, une certaine transgression des conditionnements est légitime." Est-ce la même idée que se désinhiber en étant égoïste ? Et en quoi est-ce légitime ?

    En espérant que vous trouverez le temps de répondre à ces questions plus longues que ce texte énigmatique.

    Bonne journée

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  2. Bonjour, oui transformation par la méditation.
    La définition de la conscience par Jung n'a rien à voir avec celle du Tantra. Pour lui, il n'y a pas vraiment de conscience universelle. Cependant, certain essaient d'intégrer la vision de Jung dans une vision idéaliste ("tout est conscience", comme récemment Bernardo Kastrup.
    Il y a différentes listes de chakras car il y a différentes pratiques avec différents objectifs.
    Accepter de voir mes défauts ne revient pas à les accepter moralement. Si j'accepte de voir que des rats infestent ma maison, cela ne veut pas dire que j'accepte de les laisser s'installer. Ce sont deux gestes bien différents.
    "Réintégrer" signifie transmuter. Il n'y a plus d'ombre. D'ailleurs, l'ombre est-elle une entité réelle ? ou bien juste une absence de lumière ?
    "Le Tantra parle d'amour du Soi, non d'amour de soi. Il parle de se désinhiber, donc de laisser libre cours à ses tendances égoïstes." Il manque un bout dans cette phrase. Comme le montre la suite, je veux dire le contraire.
    Le Tantra est synonyme de magie, aujourd'hui en Inde. Il y a des pratiques de magie. Il en est question dans certains textes, parce que chacun est responsable de ses actes. La magie est comme une arme. Elle peut servir, sous la responsabilité de chacun.
    Pour transcender l'égoïsme, plonger en soi.
    Sorcières et fées s'adonnent à la magie, en un sens. Mais les fées s'en servent pour le bien. Le "mais" sert à marquer le changement.
    La transgression des conditionnements est légitime pour recouvrer sa liberté. Transgression et désinhibition peuvent se recouper dans certains cas.
    Chaque question que vous posez est très pertinente. J'espère que ces réponses brèves vous satisferont.

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    Réponses
    1. Oui, c'est plus clair, merci beaucoup pour votre réponse.

      Vous écrivez pour votre stage de mai: "Dans la tradition du Tantra de Kâlî (kâlî-krama), les sorcières ou yoginîs personnifient les énergies du corps et de l'esprit. Tant qu'elles ne sont pas honorées, elles sont source de calamités. Mais quand elles sont pleinement connues, elles œuvrent à la réalisation de l'unité à tous les niveaux de l'expérience." Et maintenant, la confusion refait place.

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