dimanche 28 février 2010

Le sentiment gnostique est-il compatible avec la non dualité ?

Les cinq faces du Seigneur

Abhinavagupta dit que la Quintessence du Tantra de la conscience en toute sa gloire (Mâlinî-vijaya-uttara-tantra, nb : ma traduction du titre est plutôt une glose basée sur l'interprétation d'Abhinavagupta) est le sommet de toutes les révélations, et même de tous les savoirs. Or, ce qui frappe lorsqu'on essaie de lire ce texte difficile, c'est son sentiment gnostique. Le "sentiment gnostique", signifie que a) nous sommes égarés en ce bas-monde comme des étrangers; et que b ) seule une connaissance venue d'en-haut peut nous sauver. Il s'agit donc d'une forme de dualisme. Comment réconcilier cela avec le non dualisme professé ailleurs par Abhinavagupta ? Comment un texte dualiste peut-il être la quintessence d'un courant non dualiste ?

Voici un essai de traduction du premier chapitre, sans explications, juste pour se faire une idée (les titres entre crochets proviennent de l'édition critique de ce chapitre par S. Vasudeva) :

La Quintessence du Tantra de la gloire de la conscience



Les rayons de la lune de la gnose qui jailli de la face du Seigneur suprême dominent [tout], eux qui sont capables de détruire ce qui s'oppose à cette félicité qu’est le monde. 1

Les grands Ṛṣis – Sanatkumāra, Sanaka, Sanātana, Sanandana, Nārada, Agastya, Saṃvarta, Vasiṣṭha et les autres, aspirants à la connaissance du suprême Principe salvateur pour ceux qui sont noyés dans l’océan du monde, Lui qui détruit l’Ennemi (tāraka=daitya ?), tournèrent leur visage vers Śiva et Śakti. Après les avoir adoré selon la procédure, ravis, ils lui dirent ceci : 2-4ab

[Les Ṛṣis dirent :]

Ô Seigneur, nous sommes venus en espérant l’accomplissement parfait qu’est l’union [avec Śiva]. Et, puisque cet [accomplissement] est impossible sans yoga, dis-le nous ! Le [Seigneur] fut ainsi sollicité par ces Ṛṣis désirants le yoga. Ravis, ils le saluèrent, après quoi le Grand Seigneur leur répondit : 4-6ab

[Skanda dit :]

Ecoutez ! Je vais dire entièrement le Tantra de la conscience en toute sa gloire (Mâlinîvijayatantra)émané de la face du Seigneur suprême. Il procure tous les accomplissements. Résidant en son propre lieu, il est la révélation (unmeṣam) de ce qui donne jouissance et délivrance, vénéré par les immortels. Se prosternant [aux pieds du Seigneur], la déesse Umā dit alors ceci : 6cd-8ab

[La déesse dit l’origine de l’enseignement :]

D’abord, le Tantra de la Souveraine du yoga parfait (Siddhayogeshvarîmata), d’une longueur de 90 millions [de vers] qui divulguent les trois catégories, a été révélé par toi. [Puis], Ô Grand Seigneur ! tu as exposé en détails le chemin du yoga dans le Tantra de la conscience en toute sa gloire, d’une longueur de 30 millions [de vers]. Le résumant de nouveau, tu l’as exposé en 12 000 [vers]. Lui non plus, [trop] étendu, ne pourra être compris par ceux dont l’intellect est faible. C’est pourquoi de grâce, Ô suprême Seigneur, le résumant entièrement comme il convient pour les êtres de peu d’intelligence, dis ce [Tantra] qui procure tous les accomplissements ! Après avoir parlé ainsi, la déesse sourit. Alors, l’empereur de l’univers dit : 8cd-12

[Le Seigneur suprême dit :]

Écoute ! Ô déesse, je vais dire entièrement le système de la Souveraine du yoga parfait, qui n’a jamais été exposé par personne : la Quintessence (uttaram) du [tantra de] la conscience toute sa gloire. Moi-même, je l’ai obtenue auparavant du Soi suprême, Aghora. 13-14ab

[Les six choses à abandonner et à atteindre]

On doit savoir, selon la vérité suprême, à la fois ce qu’il faut abandonner et ce qu’il faut atteindre.

Pour ceux qui visent ce but, on déclare qu’il y a six choses à atteindre : Śiva, Śakti, les Seigneurs de la Vraie Science, les Mantras, les Seigneurs des Mantras et les âmes (āṇavaḥ). On déclare [ensuite] qu’il y la réalité (vastu) dont on doit savoir qu’elle est assurément à abandonner entièrement : la souillure, le karman, la Māyā et la totalité du monde de la Māyā. La connaissant et l’ayant complètement abandonnée, on obtiendra tous les accomplissements. 14cd-17ab

[Les attributs du Seigneur]

Parmi ces [choses], le Seigneur accomplit tout (sarvakt), serein. Il est omniscient, omnipotent et omniprésent. A la fois pourvu et dépourvu de parties, il est infini. Sa Śakti est également ainsi. 17cd-18ab

[La Grande Création]

Dès l’origine de la création, désirant créer le monde selon son propre désir, il éveilla ceux qui sont isolés dans la pure conscience, huit individus : Le Non-terrible, le Suprêmement terrible, le Terrible, puis l’Infini, le Courroucé, l’Effroyable, Celui qui vomit et Celui qui boit (pivanaḥ). Ils ont reçu pour tâche de conférer la grâce, protéger, détruire et préserver. Puis, il créa les Mantras après les avoir unis aux purs Mantras et Seigneurs des Mantras. Il en créa ainsi 70 millions, avec leurs royaumes. Tous ces Mantras sont également magnanimes (mahātmanaḥ) et procurent tous les résultats [désirés]. 18cd-22ab

[Les quatre états du Soi]

On doit connaître que le Soi est de quatre sortes : parmi elles, celui qui est « isolé dans la pure conscience » n’a que la souillure [fondamentale], et celui qui est « isolé durant une dissolution [cosmique] » a en plus la [souillure] karmique. 22cd-23ab

[La souillure fondamentale]

La souillure est ignorance. On la tient pour cause de la pousse du saṃsāra. 23cd

[La souillure karmique]

La souillure karmique consiste en bien et mal (dharmādharma), causes [respectivement] de plaisir et de souffrance. 24ab

[La manifestation du saṃsāra]

Par la puissance du désir du Seigneur, il lui survient un désir de jouissances (bhoga). En infusant la Māyā au moyen de ses Śaktis, le Seigneur des Mantras engendre un monde pour celui qui désir les jouissances, en vue de [lui] procurer un moyen [de consommer] ces jouissances. 24cd-25

[Les attributs de Māyā]

La [Māyā] est décrite comme étant : une, omniprésente (vyāpinī), subtile, dépourvue de parties, fondement (nidhiḥ) du monde, sans commencement ni fin, bonne (śivā), souveraine, impérissable. 26

[Les cinq cuirasses]

Elle engendra la catégorie de la Capacité (kalā), à laquelle l’individu est conjoint, devenant ainsi capable d’être un agent (jātakarttva). Ensuite, elle créa la Science et l’Attachement. La Science lui fait discerner les causes et les effets du karman. L’Attachement l’attache à ses jouissances propres, même si elles sont impures. La Nécessité unit l’individu aux conséquences de ses propres actes (svake karmaṇi). De même, le Temps le mesure, en commençant par un tuṭi, etc. 27-29

[La manifestation des catégories]

Ensuite, elle créa le Non-manifesté à partir de la catégorie de la Capacité (kalā). Puis les qualités. A partir des huit qualités, elle créa l’intellect. A partir de l’intellect, le sens du « je ». Celui-ci est de trois sortes : de celle qui est rājasique, elle créa le sens commun (manas) et les organes de connaissance. Troisièmement, des modifications des organes des sens viennent les éléments subtils (tanmātrāṇi). Les organes de connaissance sont l’ouïe, la peau, les yeux, la langue, le nez. Puis, dans l’ordre, [viennent] les organes d’action : la parole, les bras, l’anus, le sexe, les jambes. Tel est ce royaume (maṇḍala) du saṃsāra, depuis la Capacité jusqu’à la Terre. Ayant créé selon le désir [du Seigneur] la totalité du monde avec ses océans, etc., qui est par ailleurs divisé en kalā, etc., et en mondes (bhuvana), elle le créa pour que les êtres sensibles puissent consommer leurs expériences (bhogināṃ bhogasiddhaye). 30-34

[Les sujets dotés de toutes les capacités]

Ainsi, doté [de toutes les catégories] depuis la Capacité jusqu’à la Terre, les individus sont connus comme « dotés de toutes les capacités », par leurs désirs de dominer cet état (tadavasthājighāṃsubhiḥ ?). Bien que dans le triple état ils soient dominés (saṃkrāntāḥ) par la Śakti de Śiva qui a pour nature de voiler, ils accomplissent leurs activités. De cette façon, l’ensemble du monde des Rudras, par la force de la capacité (yogyatā), chacun faisant un pouce, [mesure en tout] 118 pouces. 35-37

[Les Seigneurs des mantras]

Śiva lui-même, gracieux, [les unis] à l’état de Seigneur des mantras. Accomplissant leur tâches respectives, sous les formes de Brahmā, ils accordent les fruits que sont jouissance et délivrance, selon leur force propre. De même, les Ṛṣis, disent aux grands empereurs que sont les Manus cette science de ce qui est à abandonner et de ce qui est à atteindre, révélée par Śiva. [De cette façon, cette science] se répand dans le monde entier, depuis Brahmā jusqu’aux brins d’herbes. 38-40

[La résorption des Mantras]

Quarante-cinq millions de Mantras sont réunis a Śiva. [Celui-ci] les ayant gracié, il fusionnent en lui, dans le royaume immaculé. 41

[L’activité gracieuse de Śiva]

De cette façon, quand le temps est venu, son soi est uni à la Śakti de Śiva, sereine, qui procure ce fruit qu’est la délivrance. Alors, celui à qui est accordé cette union atteint la délivrance. Celui qui n’a pas la connaissance est privé de cette union. 42-43

[L’initiation libératrice et l’initiation indirecte]

Celui qui, selon le désir de Śiva, aspire à l’absorption en la Śakti de Rudra est guidé vers un vrai maître en vue de l’accomplissement qui est jouissance et délivrance. L’ayant honoré et satisfait, ayant reçu l’initiation de Śiva, à cet instant même ou ensuite (upabhogāt) il rejoint Śiva à la mort du corps. Ayant connu et accompli l’initiation au yoga, qu’il s’exerce au yoga. Il finira par obtenir l’accomplissement du yoga : le royaume éternel. Au moyen de ce yoga graduel, il atteint le royaume ultime. Il ne retourne pas à l’état d’être asservi. Il demeure en son propre Soi qui est pur. 44-47

[Le maître, l’adepte, le fils, le disciple]

Le Soi étant de quatre sortes, [l’initié] sera, de même, de quatre sortes. Le Soi qui est pur est nommé selon ses différents états : maître, etc. Le maître comme l’adepte devra faire les trois sortes de [rituels] réguliers (nitya). L’autre devra en faire deux sortes aussi longtemps qu’il vit, selon le commandement de Śiva. Voilà ce qu’on veut dire par « ce qui est à abandonner et ce qui est à atteindre ». Sachant cela, sachant tout ce qu’il faut savoir, il atteindra sans délai (arahaḥ ?) tous les accomplissements. 48-50


Facile ou difficile ?

Quelque part en Mongolie, Tingri, le vaste ciel bleu (Khösgöl, 2007)



Facile et difficile, difficile parce que facile.

Tantra du vaste espace de Vajrasattva



samedi 27 février 2010

Mais alors enfin quoi ?

Dharma dans un état de non état parfaitement insaisissable (sauf par la truffe)


Carotte-le-lapin : Oh, là-bas ! un hamster dans sa roue !

Dharma-le-chien : Captivant !

Carotte : Remarque une chose : Il a l'air très sur de lui.

Dharma : Et plus il court, plus la roue tourne, et plus il a l'air concentré sur son but. Un vrai samsâra en miniature.

Carotte : Oui. Mais d'un autre côté, en courant vite, il y a des chances qu'il finisse par se faire éjecter.

La-vache-cosmique : Meuh !

Dharma : Salut. T'en pense quoi toi de toutes ces innombrables théories et non-théories sur l'Éveil ?

Vache : Ce sont différentes interprétations du silence.

Carotte : Mais alors, il faut les laisser bavarder et se mettre à l'écoute, l'Écoute sans écoute (bien sûr)!

Vache : Pas nécessairement. Toutes ces interprétations sont précieuses, comme autant de personnalités uniques, incarnations de la même humanité. On ne peut les séparer du silence, pas plus qu'on ne peut séparer de la lumière blanche les taches de couleurs projetées par le prisme.

Carotte : Mais tout ça ne semble déboucher sur rien, des mots toujours des mots....

Vache : C'est vrai que le Vedânta et sa descendance néopseudopost-satsangesque paraît quelque peu aride. Mais c'est la beauté du désert. Certes, on a parfois l'impression d'entendre un logiciel essayer de comprendre la vie. Cela rappelle aussi les paradoxes du Zénon qui démontrait aisément que, quelque soit la vitesse d'Achille, il ne pourra jamais rattraper la tortue, que la flèche n'atteindra jamais sa cible, bref que le mouvement n'existe pas. Mais on a envie de répondre que ce n'est pas parce qu'une chose n'est pas possible, qu'elle n'est pas réelle! En fait, dans tous les courants "non dualistes", il y a une tension (c'est le moteur et la panne à la fois) entre d'une part une attitude hyper-rationaliste (Shankara, Sureshvara, Nagarjuna), et une tendance plus souple (Mandana, Asanga) plus à l'écoute de la vie en sa fluidité. L'entendement a du mal a saisir le mouvement. D'où, à mon humble avis, la valeur unique des non dualismes inclusivistes exprimés dans le shivaïsme du Cachemire et le dzogchen.

Carotte : C'est quoi "inclusiviste"?

Vache : Ca veut dire que la conscience-présence, ou comme tu voudras l'appeler, inclut toujours. Elle enveloppe soi et autrui, conscience et inconscience, et tous les points de vue à l'infini. Elle inclut même son contraire. Comme le fait à chaque instant la conscience-de-lire-ces-mots. Ainsi la tendance hyper-rationaliste exclusiviste ("ce n'est pas cela, pas cela!") est incluse dans la conscience, bien sûr. J'admire ses chefs-d'œuvres, sa rigueur mathématique, son sens dialectique, son élégance. Mais cela manque de ressenti. Maintenant, il ne s'agit pas pour autant de tomber dans l'autre extrême, celui de la tyrannie du ressenti, dictature qui sévi aujourd'hui d'autant plus fort qu'elle est tout à fait conforme au consumérisme. Il faut un peu de bon sens : la méditation, par exemple, n'est pas un moyen d'atteindre l'Éveil (il n'y en a pas); mais s'interdire de méditer, de faire silence, de se lasser aller, c'est comme mourir pour ne pas tomber malade.

Carotte : Mais alors, concrètement ça apporte quoi d'inclure ?

Vache : C'est bon. Et puis c'est naturel. C'est dans la nature de la conscience de transcender, de dépasser en embrassant. C'est pourquoi des mots apparaissent, puis disparaissent. C'est pourquoi il 'est impossible de fixer la conscience sur un seul objet. S'ouvrant à cela, on peut même inclure l'exclusion et écouter les purs hyper-non-dualistes dont parlait Dharma avant-hier. C'est comme boire du thé vert : je n'en bois pas souvent (vu ce que je broute), mais bien dosée, son amertume est bonne. Au final, c'est comme écouter un même râga interprété par différents musiciens.

Carotte : C'est quoi un râga ?

Dharma : C'est un thème pictural, et surtout musical, dans l'art indien. En voici 72, par ordre alphabétique :

vendredi 26 février 2010

Y a-t-il une Méthode pour atteindre l'Eveil ?


Carotte-le-lapin : Youpi j'ai appris à lire !

Dharma-le-chien : Ah bon ? Je croyais que le mental, c'était mal...

Carotte : Oui. Sauf le mental anti mental !

Dharma : Ben voyons. Et pour lire quoi donc ?

Carotte : Le livre dont tu parlais, celui de Dennis Waite, pour trouver le sentier dans la jungle.

Dharma : As-tu trouvé la clairière ?

Carotte : Il dit que la clef de l'Éveil, c'est d'avoir la bonne méthode. Voilà pourquoi les pseudos (non dualistes, ndtr) n'atteignent pas l'Éveil. Ils croient que chercher l'Éveil est un non sens. Mais tant que la personne croit qu'elle existe, la recherche de l'Éveil, c'est mieux que tout !
La Tradition, elle, propose des méthodes testées, séculaires, avec SAV. Pas comme les satsangs où on atteint l'Éveil le matin et où on se réveil le lendemain avec la gueule de bois.

Dharma : Tu exagères. Mais c'est vrai que les satsangs ressemblent souvent à une soirée sex-toys, "tupperlove" pour les connaisseurs. Les satsangs me font un peu le même effet. Je ne peux m'empêcher de trouver qu'il y a parfois malentendu : s'agit-il de l'éveil à notre vraie nature ? ou d'une grande séance de masturbation collective sur le modèle consumériste ? Après le pétard, l'Éveil. Après Goa, Carrefour. Mais c'est l'influence consumériste, ça. La Lumière brille quand même.

Carotte : Mais avec des méthodes traditionnelles, ça marche mieux, et pis plus de consumérisme made in CIA. C'est comme des AMAP de l'essentiel.

Dharma : Mouais, justement, les AMAPs...

Carotte : Bon, bon. Toujours-est-il qu'il y a des méthodes, qu'on peut étudier avec un maître-professeur. Par exemple, le Vedântaparibhâshâ. C'est très bien, il paraît. Mais j'ai du mal, à force de fréquenter des gros goulus carnivores comme toi...Mon intellect, sublime outil de l'ultime connaissance de l'absolu, s'est tâmasiquifié... Heureusement, il y a des maîtres qui enseignent dans la Tradition, comme Dayânanda, après Cinmayânanda et d'autres... Ah, Éveil et rigueur de l'intellect, noblesse de la conduite, quelle beauté !

Dharma : C'est vrai que c'est sympathique, un peu d'ordre et de rigueur après la pagaille post-papajienne. D'un autre côté, je dois avouer que j'aime ce côté anarchique et confus. C'est mon côté labrador décadent.

Carotte : Mais quelle beauté dans cette Voie de l'Éveil par la droite Raison éclairée par la Lumière de la Tradition éternelle... Ah... Apollon après Dionysos. Ouf ! On respire.

Dharma : Mouais. Mais Shankara - le Grrraaand Shankara - est assez confus dans ses œuvres.

Carotte : Quoi ? Tu blasphèmes, intellect canin pourri par les croquettes !

Dharma : Ben, regarde ce qu'il propose comme "Procédure pour éveiller le disciple" dans ses Mille enseignements. En fait, c'est une compile de citations, suivie par un dialogue labyrinthique, un peu comme dans les satsangs d'aujourd'hui. Et les Commentaires de l'Illustre Shankara, c'est pareil. Mais c'est justement toute la vraie beauté de la chose.

Carotte : Décidément, tu as le don de me prendre à rebrousse-poils.

Dharma : Non. Je suis très gentil. Mais comprend bien, il y a en gros deux tendances dans le Vedânta : La tendance d'origine, le jaillissement d'intuition et de pensée qui fulgure chez Shankara et Sureshvara; et La tendance systématisante, qui veut boucher les trous, construire une belle cathédrale éternelle. Or c'est impossible. Et fatiguant. Il y a des méthodes, mais des "méthodes habiles" comme disent les bouddhistes. Des trucs, des astuces, des tours, des combines. Vu que rien n'existe, il ne peut guère en aller autrement. Les "méthodes" sont comme le reste : ce sont des fantômes. Tu les aperçois du coin de l'œil, mais dès que tu veux les regarder en face, elles s'évanouissent. Il faut avoir l'élégance d'accepter que nous sommes des spectres. C'est très drôle.

Carotte : Ah ben oui.

Musique :

jeudi 25 février 2010

Abhinavagupta - La Liberté de la conscience

Durant l'Âge d'or de l'Inde, le Cachemire fut le cœur vivant
du Tantra, ce vaste mouvement qui cherche à réconcilier
spiritualité et sensualité.
Ce livre est une introduction à l'enseignement du génie
le plus fulgurant du Tantra, Abhinavagupta (Xe siècle).
Il nous fait voir dans l’existence humaine le jeu de l’absolu
jouant à s’oublier dans les choses de ce monde pour ensuite
mieux s’y reconnaître. Abhinavagupta se donne corps et âme
à cette reconnaissance du Soi divin à travers les joies et les
misères de la vie quotidienne, partageant son expérience
paradoxale avec rigueur et vigueur, en mélangeant des registres
que l’Occident oppose. Chez lui, l’expérience et la théorie,
l’intellect et la vie, l’art et l’ascèse, la philosophie et la religion
se conjuguent pour réveiller la conscience libre depuis toujours,
mais assoupie dans ses habitudes mécaniques. Sa métaphysique
s’enracine toujours dans l’expérience. Maître de la parole,
Abhinavagupta n’oublie jamais de s’abreuver à la Source.
Sans moralisme, Abhinavagupta esquisse, au fil des extraits
présentés dans ce livre, une véritable voie d’exploration et de
célébration de la liberté. Loin de tout formalisme religieux ou
conceptuel, il joue de tous les registres du savoir disponible
en son temps pour s’émerveiller et entraîner son lecteur.
Cette œuvre intéressera le chercheur d’aujourd’hui par sa
dimension universelle et pratique. Sans exotisme, sans
dogmatisme, elle va droit à l’essentiel. Chaque extrait proposé
veut être une ouverture possible vers l’essence de notre être.

Chez Almora

Petite musique de nuit



L'Eveil est-il la fin de l'illusion ?

Dharma-le-saint-chien



Un guide sur le Chemin de l'Éveil


Carotte-le-lapin : C'est bizarre... j'ai beau savoir que tout n'est qu'illusion, l'illusion du corps-mental persiste. Dharma-le-chien avait raison. On commet une erreur, et on est victime d'une illusion. Une fois l'erreur corrigée, l'illusion persiste. Comme s'il y a avait une sorte d'ignorance cosmique, collective. Je n'arrive pas à admettre que cette illusion ne soit pas liée à l'ignorance d'une façon ou d'une autre.

Dharma-le-chien (se réveillant) : Ah, quelle rêve délicieux... J'étais en train de te dévorer tout cru. Sublime expérience de la non-dualité ! Mais, tu ne m'a pas l'air de très bonne humeur. Que se passe t-il ?

Carotte : Je n'arrive pas à digérer ton histoire d'ignorance comme simple confusion. Il doit y avoir plus que cela. Une sorte de Puissance... L'ignorance n'est pas une simple confusion ou même une absence de connaissance. L'illusion n'est pas rien.

Dharma : Il est pourtant clair qu'elle ne résiste pas à un examen poussé. Comme un arc-en-ciel qui se dérobe quand on l'approche. Que veux-tu de plus ?

Carotte : L'illusion n'est pas réelle. Mais elle n'est pas non plus irréelle, dans la mesure où elle apparaît.

Dharma : Dans ce cas, elle serait indéfinissable en termes d'être ou de non être ?

Carotte : Il semblerait. Elle est moins que réelle, mais plus qu'un rien. C'est un phénomène, une sorte d'entité. En plus, le sommeil reste le sommeil malgré ce que tu as dit l'autre jour. Il est pure ignorance, torpeur. C'est comme s'il y a avait deux sortes d'ignorance : l'ignorance comme cause, qui voile, cache et enveloppe le réel dans un cocon d'abrutissement, et l'ignorance comme effet, qui est projection du mental et du monde sur notre vraie nature. Même s'il n'y a pas de séquence temporelle entre elles, il y a relation de cause à effet. Ainsi, le sommeil est cause, et la veille et le rêve sont l'ignorance comme effet. Au total, l'ignorance est bien un pouvoir qui s'oppose à la connaissance, car de fait on observe que, même une fois éveillé à notre vraie nature indivise, le mental et le monde ne cessent pas. Soupir...

Dharma : Hé bé ! Pauvre lapin ! Je compatis. Mais, sans vouloir t'offenser, je te rappelle que l'illusion n'est rien. De même, l'ignorance n'est qu'une absence de connaissance. Et une absence n'est rien non plus ? Donc, tu t'inquiètes pour... rien. L'ignorance n'a pas plus de réelité que l'obscurité (simple absence de lumière) face à la lumière. Vouloir comprendre ce qu'est l'ignorance, c'est comme vouloir éclairer l'obscurité, c'est comme vouloir analyser la composition de l'eau d'un mirage. Si l'ignorance pouvait être rationnellement déterminée, elle serait réelle, et la non dualité serait impossible !

Lapin : Tout cela paraît logique. Mais comment réconcilier cette logique avec les faits ? Tu as beau répéter des milliards de fois qu'une carotte est une patate, elle n'en change pas pour autant de nature ! D'ailleurs, un grand Sage a dit que la connaissance de l'absolu ne détruit rien de réel : elle se contente d'annuler les effets de la confusion...

Dharma : Et ?

Carotte : Et tout se passe comme si il y a avait plusieurs sortes d'illusions. Dans le cas du serpent projeté sur la corde, le serpent disparaît une fois la corde vue. Ici, l'illusion disparaît en même temps que l'erreur est corrigée. Mais dans le cas du bleu confondu avec le ciel incolore en lui-même, ce n'est pas pareil : quand la confusion est levée, l'illusion n'en continue pas moins d'apparaître comme avant. Tu en convenais toi-même.

Dharma : En effet. C'est vrai, le ciel bleu persiste, même lorsqu'on sait que le ciel n'est pas réellement bleu. Mais qu'est-ce que cela change ?

Carotte : Cela veut-dire que ta soit-disant connaissance de la non dualité est un simple placebo.

Dharma : Peut-être. Mais un placebo suffit pour un mal illusoire, aussi réel qu'un rêve de la nuit passée. Quant à tes impressions sur le monde, n'oublies-pas qu'elles font aussi partie du grand mensonge. Le monde est une illusion. De même, le mental qui se dit : "oh, le monde continue de m'apparaître !" est aussi une illusion. Les impressions laissées par l'ignorance sont aussi une illusion, nulle et non avenue (sic). L'illusion n'est rien. Encore une fois, la non disparition ne signifie rien dans le cas d'une apparence irréelle, car rien n'est jamais apparut, rien n'apparaît maintenant, et rien n'apparaîtra jamais.

Carotte : Alors il suffit de voir l'illusion comme illusion !?

Dharma : Nan, ça marche pas.

Carotte : Hein ? Mais pourquoi donc ? Nous sommes déjà le Soi. Voir l'illusion comme illusion devrait donc suffire.

Dharma : Non. Parce qu'alors, le Soi n'est toujours pas connu.

Carotte : C'est quoi le Soi déjà ? Un truc d'un doux ?

Dharma : C'est la conscience, le Témoin-de-tout, l'espace-vide-mais-conscient qui lit ces lignes, ou plutôt qui est témoin de la lecture de ces lignes. L'important, c'est de savoir quel le mental-monde est aussi irréel que la vertu d'un prêtre, et que le Soi est plus réel que la mort. Ne pas confondre les deux, et hop, c'est l'Eveil. Il n'y a que le Soi, rien d'autre. Être-conscience-Youpi.

Carotte : C'est tout ?

Dharma : Je ne sais pas.

Carotte : T'es quand même un peu taré comme chien, non ?

Dharma : Pas plus.

mercredi 24 février 2010

Védique véridique

L'adjectif "védique" est aujourd'hui mis à toutes les sauces : rituel védique, mantra védique, science védique, médecine védique, mathématiques védiques, société védique, cuisine védique, management védique, arnaque védique...
Mais qu'est-ce que cela veut dire ? vaidika, en sanskrit, veut dire "relatif au Veda". Des éléments du Veda se retrouvent dans de nombreux rituels hindou-tantriques (par ex. l'archi-fameusement célèbre et rebattue Gâyatrî). Mais la religion vraiment védique, c'est, en sanskrit, la culture shrauta, relative à la shruti,i.e. le Veda, par opposition avec la religion smârta, relative à la smriti, c'est-à-dire la Bhagavadgîtâ, les purânas, etc.
A quoi ressemblait la religion vraiment védique, shrauta ? Voici un extrait d'un document exceptionnel qui permettra aux êtres curieux d'authenticité de s'en faire une première idée :


Pour comparaison, voici un exemple de rituel pseudo-védique :


En enfin un exemple de rituel pseudo-védique et réellement shivaïte :

Douze aphorismes de Shiva

Double serpent à Bangalore, 2008


Douze aphorismes de Śiva



Célébration du maître unique


Absence de doutes


Respect pour tous les points de vue


Agir sans espoir


Abandonner les activités superflues


Ne rien espérer, ne rien essayer


Tout ce qui peut être connu est à offrir en sacrifice


Les sens sont les dieux créateurs


Ils sont la splendeur de la Puissance


Le purificateur est Śiva, notre Soi


Nous sommes le sacrificateur


Le fruit est la réalisation de la conscience sans objet


Source : ben... Shiva ! Traduit à partir d'une transcription de l'IFP. Voir le site de Muktabodha. Voici :


Śivasūtram

1 - ekagurūpāsti

2 - asaṃśaya

3 – sarvadarśanānindanam

4 – phalantyakvā karmakaraam

5 - anityakarmalopa

6 - nirīhāssarvata

7 - sarva vedya havi

8 – indriyāni sja

9 - śaktyojjvālāḥ

10 - svātmaśiva pāvaka

11 - svayahotā

12 - nirviayacidvimarśa phalam

iti śivasūtram dvādaśa