samedi 27 novembre 2010

Sans traces

Genre de perroquet, paroksa, en état de yoga, yogabhrashta, posture non mentale, amanaska, bien au-delà de l'imaginaire, kalpana, des bourgeois, purika, dégénérés, hopla (selon la tradition du yoga cachemoirien, s'entend)


"Le parfum[1] (de la dualité) est anéanti

(Et) l'état de Bouddha est atteint pour toujours

Grâce à la conscience non duelle,

Parce qu'elle n'a, par sa nature même, qu'une seule forme. 49b-50a[2]

(Si) la (conscience) non duelle ne s'éveille pas,

C'est qu'elle est imprégnée de la mauvaise odeur (de la dualité),

Par les différentes manifestations de ses océans multiples[3],

A cause de la prolifération des points de vue. 50b-51a

Cette conscience non duelle, la meilleure des connaissances,

Est sans origine, sans milieu ni fin,

Sans les phases de création et de perfection[4],

Sans esprit ni conscience[5]. 51b-52a

Ce que l'on nomme

"(Conscience) non duelle d'un Bouddha"

Est révélé par le vénérable Bhadra.

Parce qu'il a cette conscience d'un Bouddha,

Le meilleur des adeptes devient un Bouddha. 52b-53a

Un Bouddha est imaginé

(Comme conscience) non duelle

A travers les paroles de l'enseignement.

(Mais) en réalité absolue,

Il n'y a ni Bouddha ni (conscience) non duelle. 53b-54a

Quand la vraie connaissance surgit,

Les défauts imaginés sont vu pour ce qu'ils sont[6]. 54b

On atteint (alors) de fait

L'invisibilité[7] - l'absence de concept en toute chose[8].55a

Par la bonté des paroles Bhadra,

Et en les écoutant encore et encore,

J'ai compris la (conscience) non duelle :

Que les yogins soient (donc) patients avec moi ![9] 55b-56a

Les sages doivent s'efforcer

D'anéantir toutes les traces inconscientes[10]. 56b

Autrement, ils n'atteindront jamais

L'état de Bouddha,

Même en des milliards d'âges cosmiques.

Les traces inconscientes

Sont anéanties

Par (l'unique) refuge :

La conscience non duelle. 57

En effet, celui en qui

Cette destruction des traces inconscientes

Est accomplie

Est un Bouddha doué de (conscience) non duelle.

L'homme qui n'est pas affranchi

Des traces inconscientes

Est le plus misérable des hommes. 58

Mais pour celui que

L'on nomme "éveillé",

Il n'y a aucune partialité.

Parce que sa nature - vraie nature -

Est d'être sans nature propre,

Il demeure comme il se doit

Dans la demeure de la sagesse[11]. 59

(...)[12]

...Parce que ces deux (facettes de l'Éveil) sont enracinées

En une seule et même (source)

En vertu du fait que toutes les formes

(Assumées par la conscience non duelle)

Ont la même saveur.

Cette (conscience) non duelle suprême

Est enseignée par le vénérable Bhadra.

Félicité ultime,

Elle n'est pas une fable, ni une culture,

Ni une méditation.

Habilement révélée par Bhadra,

C'est la cause de l'obtention

De l'état de Bouddha. 60-61

De plus, il n'y a aucune limite

A la métaphore (qui compare la conscience) avec chacun des phénomènes[13].

La conscience (non duelle)

Ne peut être illustrée par aucun phénomène,

Que ce soit par l'œil et autres (facultés sensibles)

Ou par l'organe mental. 62

Elle est absolument unique,

Sans origine,

(Et pourtant présente) à travers les formes,

Sans fin.

Suprême, elle est connue

Par une seule chose :

La bonté des paroles du maître. 63

Le yoga, c'est la pure conscience[14] (durant une séance de méditation).

Le yoga qui s'ensuit, c'est l'apparence[15] (des choses innombrables après une séance de méditation).

(Mais s'il réalise) la conscience non duelle

- Le yoga parfait -[16] ,

(Alors) le yogin atteint l'état de Bouddha. 64

Une fois le soleil et la lune domptés[17],

Quand (l'esprit) est complètement dissous

Dans la conscience non duelle

Au moyen du symbole indestructible de la sagesse,

On est un Bouddha ici-même, en cette vie. 65

Ce yoga de la félicité au sens absolu

Est sans sujet no objet.

Il est sans conteste

La forme achevée,

La compassion non duelle,

La meilleure des compassions. 66"

Kuddāla[18], Instructions sur la méthode de la (conscience) non duelle inconcevable (Acintya-advaya- [jñāna]-krama-upadeśa), (l'édition dont je dispose comprend 124 stances).



[1] vāsanā : terme important du bouddhisme. C'est le parfum laissé par le contact prolongé avec une chose. Synonyme de conditionnement, d'habitude, compris comme désir. Proche de la notion de "prédisposition inconsciente" (saṃskāra). Ces sont ces traces, ces impressions qui expliquent la persistance, voire la résistance, de l'esprit à l'enseignement de la non dualité.

[2] A partir de là, le fait que les phrases semblent décalées suggère qu'un vers manque.

[3] Redondance délibérée.

[4] Les deux étapes du yoga des yoginīs tantras. Ce sont respectivement, un yoga de l'imagination, et un yoga sexuel, axés sur un paradigme visuel, puis tactile.

[5] Proposition étrange : que la conscience-connaissance non duelle soit sans esprit, sans doute. Car l'esprit (citta) est définit par la dualité. Mais sans conscience en acte (caitanya) ? Peut être faut-il lire cetanam, intention, conscience constructrice, utilitaire et mondaine, caractérisée par la tension du manque (ābhoga).

[6] Litt : "il y a éloignement de la souillure de l'imaginé".

[7] Ou le mystère, la subtilité (parokṣatām).

[8] "En tous les états (de conscience)".

[9] Évidemment, c'est de l'ironie...

[10] Toujours vāsanā : impression inconsciente, trace, inclination, tendance.

[11] prajñā : la connaissance qui comprend l'absence de "soi" dans les choses et les êtres.

[12] Je crois qu'il manque encore un vers ici, qui devait parler des "moyens habiles". Car plus haut la proposition "il n'y a pour lui aucune partialité" disait littéralement, "il n'y a pas deux ailes". En plus, on lit juste après plus bas "de ces deux". On suppose qu'il s'agit des deux "ailes" mentionnées plus haut, c'est-à-dire la sagesse et les moyens habiles.

[13] Les vertiges de l'analogie, de la comparaison (upamā) sont illimités. La conscience non duelle peut être comparée à n'importe quoi. On pourrait comparer ce point avec ce qu'en dit le pseudo-Denys dans les Noms divins.

[14] L'auteur emploie encore un terme du Sāṃkhya : puruṣa.

[15] saṃvṛtti : "l'enveloppement". Le yoga est "vérité ultime" (paramārtha-satya); l'anuyoga est "vérité relative" (saṃvṛtti-satya); le mahāyoga est non dualité des deux vérités. Le couple formé par les deux premiers plans, indispensables selon la pédagogie mādhyamika, correspond, selon l'école d'Aryadeva, respectivement au yoga de la "perfection (dans la réalisation de la vacuité sans concept)" et au yoga de la "production (imaginaire du maṇḍala de la divinité)". Durant la pratique d'une séance typique du yoginītantra, le yogin contemple la vacuité (sous la "forme" sans forme de l'espace); puis il visualise le maṇḍala, etc. qui en émerge ; puis il dissout progressivement cette image dans l'espace vide (mais conscient) ; enfin, parfois, il re-visualise, en un ultime flash, le maṇḍala. Ce yoga est ainsi un aller-retour répété entre les deux plans, afin de réaliser, dans l'union achevée (yoga, yuganaddha), l'identité du vide et de la forme, du saṃsāra et du nirvāṇa.

[16] Mention peu connue, dans un texte indien, d'une triade qui deviendra célèbre dans l'école Nyingma du bouddhisme tibétain : yoga, anu-yoga et mahā-yoga. Selon Kuddāla, le yoga correspond à l'état de l'esprit durant une séance de méditation ; anuyoga est l'état de l'esprit une fois que l'on est retourné à la vie ordinaire. Et le yoga "parfait" (mahā), intégral, est l'état qui englobe les deux précédents, l'état en lequel il n'y a plus de dualité entre méditation et vie quotidienne.

[17] Symboles des couples de contraires (dvandva) qui animent le devenir. Ce sont notamment les souffles inspirés et expirés.

[18] Litt. "balayette", "millet", autre nom de la ville de Mangalore au Karṇātaka, nom du Bouddha dans l'une de ses vies antérieures. Désigne ici un mahāsiddha.

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