lundi 29 février 2016

L'éveil au silence - nouvelle traduction du sanskrit



Nouvelle traduction du sanskrit.
Deux tantras sur la non-dualité.
Extrait :

Cette conscience immuable et pure
Qui est présente dans le lotus du cœur sous la forme "je",
Est la conscience qui libère
En vertu du renoncement au sens du "je" factice. 46

La conscience qui est ininterrompue,
Totalement libérée de toutes les circonstances,
On doit la contempler en se disant "Je suis Dieu".
Elle engendre alors un détachement universel. 47

Il faut délaisser ces phénomènes
Qui sont conditionnés par le pays, la caste, etc.
Et qui sont accompagnés par l'âge et l'état social.
Le sage réalise alors sa vraie nature. 48

Je suis un. Rien n'est à moi,
Je ne suis à personne.
Je ne vois personne pour qui je puis être,
Comme je ne vois personne qui soit mien. 49

Je suis l'absolu suprême,
Le refuge du monde, le grand Seigneur.
Si c'est là une certitude, on est libre.
Sinon, l'homme est esclave. 50

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La vie ressuscitée



La vie intérieure est une succession de morts et de renaissances, de vides et de plénitudes.
Après le vide où l'on meurt à une façon d'être, on renaît à une autre. Voici laquelle : dans cette vie nouvelle, la personne ne vit plus par elle-même, mais le divin vit à travers elle. Cela n'est pas vu des autres, mais sa vie intérieure est toute différente. Elle ne fait plus rien, mais Dieu fait à travers elle, car elle est vide, disponible, ouverte aux impulsions de la grâce, de sorte que

"Dieu ne trouvant plus d'entre-deux ni de milieu entre soi et elle... elle se va plonger tout soi-même dans le sein de cette mer d'amour, créée à la vérité, mais pourtant qui n'a point d'autres limites que celles de l'infinie bonté de Dieu... Cette créature est engloutie et abîmée par l'amour infini et incompréhensible de son Dieu dans le sein de la divinité, qui est le principe et le centre de tout être créé, et où les esprits bienheureux et vraiment amoureux recoulent, reposent et sont unis par le lien d'une charité admirable."

Mais cela ne revient pas à dire que cette personne soit merveilleuse et parfaite aux yeux des autres : "Ce n'est pas à dire que tout ce qu'on fait [dans cet état] soit toujours bien trouvé de tout le monde : au contraire, il s'en trouvera toujours plus qui trouvent à redire dans les façons de faire de ceux que Dieu tient dans cet état, qu'il ne s'en trouvera qui les approuvent."

Maur, Sanctuaire de la divine sapience, p. 125

L'auteur explique qu'il y a à cela deux causes : premièrement, les mouvements de la grâce sont inconnus à ceux qui s'en détournent. Et deuxièmement, Dieu laisse les personnes qui vivent en lui et par lui être méprisée, afin qu'elle ne sombrent pas dans la mégalomanie spirituelle...

Mais l'essentiel est qu'on peut dire que cet état est un même état avec Dieu, un état d'union où la personne se laisse librement posséder par la liberté divine.

samedi 27 février 2016

S'abreuver à la paix d'être une simple chose

Souvent, nous envions aux choses leur paix. 
Contrairement à nous, elles se contentent d'être, sans être tourmentées par aucune conscience de soi. Les choses sont. Elles n'ont pas conscience d'elles-mêmes, et donc elles ne se jugent pas, ne s'inquiètent pas, ne se déchirent pas entre des possibles. Elles sont simples. Pas dédoublées entre ce qu'elles sont et ce qu'elle devraient, ou pourraient être.
Prenez donc l'une de ces choses. Un vase, par exemple. 



Goûtez son silence. Son immobilité, et constatez l'impact sur vos muscles, votre souffle, le ressenti de votre ventre. Puis, au lieu de simplement regarder ce vase, glissez vous en lui, comme dans un gant. Éprouvez le vide qu'il enveloppe. Et soudain, donnez toute votre attention à cet espace, comme si les parois du vase avaient disparues. Rien que l'espace dans l'espace. Puis faites de même pour la pièce dans laquelle vous vous trouvez. Savourez sa tranquillité. Puis donnez-vous à l'espace que cette pièce enveloppe. Prenez le temps, quoique l'intensité soit plus importante que la durée. Et soudain, sentez que les murs disparaissent, comme une bulle de savon qui éclate. En cet instant, tout notre être réalise que l'intérieur et l'extérieur ne font qu'un, qu'ils n'ont jamais été séparés. Souvent, la respiration s'arrête, comme devant un spectacle sacré. Et faites de même pour toutes les cloisons. Que l'espace, au lieu d'être un vide inerte et oublié, devienne vivant. Faites l'expérience de vivre sans murs, sans frontières. A l'infini, un seul espace.

Voilà comment les choses, même les plus anodines, peuvent nos délivrer de notre agitation. L'objet nous emporte au-delà de lui-même. Nous ne sommes plus face à lui, une chose face à une autre, mais nous ne sommes plus qu'un seul ciel. Chaque objet porte ainsi en lui le pouvoir ne nous ramener à l'infini, à cela qui n'est pas une chose mais qui fait être toutes les choses. Cela est peut-être la vérité de l'art.

Dépendre de soi ou dépendre d'un autre ?



Il y a près d'un an, je publiais une traduction d'un abrégé du Yoga selon Vasishta, le livre de non-dualité le plus influent en inde, et la source principale du non-dualisme tel qu'il est exprimé dans le monde aujourd'hui. C'est un livre sublime, vertigineux. A travers des récits, des contes initiatiques, il éveille son lecteur à la connaissance de l'illusion universelle, au lâcher-prise, à la pure présence ineffable, libre de toute dualité, affranchie du mental.

Mais j'ai toujours éprouvé quelques réserves à propos de cette voie.
Je m'en suis expliqué à plusieurs reprises. J'ai souligné l'opposition entre le non-dualisme védantique ou impersonnel, celui du Yoga selon Vasishta donc, fondé sur l'exclusion de la dualité, et le non-dualisme des tantras, de la tradition du Cœur (kula) et de la mystique chrétienne, fondé sur l'inclusion ou la réintégration de la dualité au sein de l'unité. Il s'ensuit des visions de la vie intérieure, du corps, de la sexualité, de la vie en société, radicalement différentes.

Une autre manière de les distinguer est de dire que, dans le non-dualisme, le détachement est la clé de la liberté, celle qui donne à la vie tout son sens. Le Védânta prône un détachement extérieur, une vie de moine, tandis que le Yoga selon Vasishta prône une vie dans le monde, mais sans attachement intérieur. Dans les deux cas donc, la clé est le détachement, ou le non-attachement (vairâgya en sanskrit, le "dépassionnement").

Dans la voie du Cœur ou du Christ, en revanche, l'attachement devient la solution, la clé : en s'attachant en Dieu, en reconnaissant dans l'amour un élan vers Dieu, l'attachement devient la voie du salut, ce qui donne tout son sens à la vie.

Il y a donc deux voies : 

la voie du non-attachement 
et 
la voie de l'amour. 

L'une rejette l'attachement, l'autre y voit un élan vers l'absolu, une passion salvatrice. C'est très différent ! Dans la voie du non-attachement, je renonce à l'amour, sous toutes ses formes. Bien sûr, je peux bien parler "d'amour inconditionnel", mais c'est amour n'est qu'un mot privé de sa réalité, puisque dans cet "amour", je n'aime rien ni personne : l'amour impersonnel est comme une joie triste. Au fond, c'est impossible et impraticable. par contre, je peux décrire l'amour de chaque personne en Dieu en termes de détachement, manière de dire qu'à travers l'amour de tel individu unique, j'aime l'Unique. Autrement dit, fidèle à son orientation embrassante (et à l'essence de l'amour), la voie du Cœur inclue le détachement et autres aspects de la voie du non-attachement, mais l'inverse n'est pas vrai. La voie du Cœur enveloppe les autres en elle, mais les autres ne l'incluent point.

Voici, à présent, un autre trait qui les différencie :
Dans la voie de l'éveil impersonnel, celle du non-attachement, je m'appuie sur mes propres forces, comme l'indiquent ces paroles tirées du Yoga selon Vasishta :

"Animé par le Seigneur,
on va au Paradis ou en Enfer :
Qui pense ainsi dépendra toujours d'un autre que lui-même.
Il n'est qu'un animal, un esclave aliéné,
c'est clair !" (II, 6, 28)

De même, le destin n'existe pas :
"Le Destin n'existe pas." (II, 8, 13)
Il n'est qu'une excuse inventée par les faibles. La voie du non-attachement, à l'image du stoïcisme, est donc fondé sur le courage, la bravoure, l'audace, et l'effort personnel... paradoxalement :
"Le Destin est aussi facile à vaincre qu'un enfant par un homme fort..." (II, 6, 4) Le Yoga selon Vasishta n'a pas de mots assez fort pour célébrer la puissance de l'effort humain (paurusha), de la réflexion (vicâra) et de la pratique répétée (abhyâsa). Ce qui est la suite logique de l'importance qu'il accorde à la toute-puissance du mental (manas) ou de l'imagination (kalpanâ).

Dans la voie du Cœur, en revanche, on s'appuie sur un autre, sur le divin au centre de soi, qui est "plus moi que moi". Et on cultive la douceur, l'ouverture à ce courant d'amour...ce qui demande non moins de courage, mais d'un genre différent. La clé n'est pas l'effort, ni la résignation au Destin, l'amor fati des stoïciens, mais l'ouverture à la grâce, la conversion, le retournement de tout l'être vers son centre, la disponibilité aux caresses de l'intérieur. La raison en est, qu'au lieu de voir le mental (et donc, le corps et tout le reste) comme une magie trompeuse, on y reconnaît la majesté divine. La réflexion y joue un rôle centrale, mais elle est une connaissance amoureuse. La connaissance n'y est pas abstraite, froide et sèche, mais chaleureuse et humide, capable d'assouplir l'être, de le rendre réceptif aux invitations de la grâce dans l'instant. 
La voie où l'on s'appuie sur ses propres forces est une voie de philosophie. La voie où l'on s'appuie sur les forces d'un autres (même si cet "autre" est notre centre, notre Soi), est une voie mystique. La mystique dépasse et intègre la philosophie, mais la philosophie, à elle seule, est incapable de nous apporter ce que nous désirons c'est-à-dire l'union avec le divin. La philosophie, c'est-à-dire la voie où l'on ne dépend que de soi, la voie du non-attachement, la voie de la non-dualité, de l'éveil impersonnel, ne peut nous conduire à cette plénitude. Elle est une étape vers elle. En effet, le non-attachement peut amener à prendre du recul amis, à plus moins long terme, il est impraticable et frustrant : qui vit sans aucun attachement ? Personne. Qui vit comme s'il n'était pas une personne ? Personne ! 
Ensuite, il y a des philosophies qui s'intègrent plus ou moins bien avec la mystique. A mon avis, la Reconnaissance (pratyabhijnâ) s'intègre très bien avec la mystique, presque sans rupture.

Il y a une foule d'autres nuances. Mais voilà ce que je voulais dire aujourd'hui.

Je finirai sur une remarque secondaire : mon interprétation du Yoga selon Vasishta me semble confortée par le fait que l'auteur de la Doctrine secrète de la Déesse Tripurâ (Tripurârahasya) semble avoir voulu s'inspirer du Yoga selon vasishta, comme s'il avait voulu le corriger ou le compléter conformément à la voie du Cœur (kula-mârga), sachant que le Yoga selon Vasishta, composé au Cachemire au Xème siècle, empruntait beaucoup à la voie du Cœur, justement... De plus, un maître cachemirien du XVIIème siècle, Bhâskara, a lui aussi commenté le Yoga selon Vasishta dans la perspective de la voie du Cœur, dans un traité peu connu mais magnifique, intitulé le Traité pour le réveil de l'âme (Cittânubodhashâstra).

vendredi 26 février 2016

L'inconnaissance comme connaissance ultime



Dans la "religion de Shiva", on trouve de tout.
Même la doctrine du non-moi et de l'illusion universelle, professée aujourd'hui par les partisans de l'éveil impersonnel et des matérialistes comme Comte-Sponville ou Dennet. Selon eux, le moi est une illusion et, au fond, rien n'existe. Le bonheur consiste à voir cela et à l'accepter de tout son être, à le ressentir. Voir que personne ne voit, etc.

C'est la doctrine des sophistes, des sceptiques, des matérialistes, des bouddhistes anciens, des scientistes réductionnistes, de Nietzsche, de Wittgenstein, et, enfin, d'une bonne partie des scientifiques d'aujourd'hui.

Un tantra de Shiva, intitulé Essence des tantras, ou Vérité des tantras (sadbhâva), professe une doctrine du non-moi radicale (mais il y a d'autres tantras de ce genre) :

"Laisse tomber le sens du 'mien'...
En toute circonstance, familiarise-toi avec cette vérité :
'Je n'existe pas'.
'Je n'existe pas, et le reste non plus' :
tant que l'on ne se dévoue pas
à cette pratique de la non-dualité,
on n'a rien du tout !" (I - 327)

Les autres pratiques sont 
"le piège des intentions et non la cause de l'éveil.
La non-dualité est sans construction mentale.
Comment ce qui n'est pas un but pourrait-il être atteint ?
Comment le mental pourrait-il atteindre le non-mental ?
Les sages savent que le mental
est toujours dans le non-mental.
Que l'on pratique donc le "il n'y a pas",
et qu'on abandonne le "il y a" !" (I - 314-315)

"Le 'il n'y a pas' est la délivrance.
Tout [le reste] est le grand obstacle.
Que l'on réalise donc
que tout cela est vide !" (I - 317)

Mais la philosophie de la Reconnaissance, les grands maîtres du cachemire, rejettent cette "méditation du non-être" pour les raisons que j'ai expliquées ailleurs (voir ici). Leur principal argument est que le non-être n'existe pas. Eh oui. Et donc, ceux qui méditent le non-être, méditent en réalité un objet qui fait partie de l'être : le vide, qui est comme la toile de fond de tous les objets, une fois que la conscience n'est librement oubliée elle-même. Les adeptes du "je n'existe pas" sont donc victimes d'une terrible erreur. Et donc, quand Shiva parle de "vide", il désigne en réalité la conscience, la conscience en laquelle se manifestent à la fois l'être et le non-être. Mais la conscience ne peut se reconnaître en méditant le non-être, qui n'est qu'un objet, mais en se ressaisissant elle-même par elle-même, en une sorte de retournement du regard. De même, dire "je n'existe pas" ne peut avoir du sens que si l'on ajoute "je n'existe pas seulement comme corps, esprit, etc., mais aussi comme conscience infinie." De toute façon, affirmer ou faire l'expérience "je n'existe pas", c'est encore s'affirmer. De sorte que cette affirmation se réfute elle-même... Simple, mais efficace. CQFD. Que des gens puissent affirmer sérieusement "je n'existe pas" m'étonnera toujours...



mardi 23 février 2016

Nul moyen pour parvenir à Dieu, que Dieu



La mystique, c'est-à-dire la vie intérieure, est universelle. Non qu'elle soit présente partout et en tous temps également. Mais quand elle est présente, elle présente les mêmes traits. Les mystiques nous donnent les mêmes conseils de vie.

Voici un exemple clair.
Il n'y a pas d'autre moyen pour atteindre Dieu, que Dieu. Et, comme Dieu est amour, l'amour est le moyen d'atteindre Dieu.

D'abord, un moine français du XVIIème siècle, célèbre en ce temps du côté de Montmartre :

"Il semble nécessaire que je montre le moyen de parvenir [à Dieu], moyen, dis-je, sans moyen.
Car soyez assuré que nul acte, méditation, pensée, aspiration ou opération profitent ici. De même, aucun discours, nul exercice ou enseignement, ni nul moyen doit ici moyenner entre l'âme et cette volonté essentielle ou essence de Dieu, mais cette seule fin [à savoir, Dieu] sans aucun moyen nous doit attirer à elle et nous élever à l'heureuse vision et contemplation d'elle."
Benoit de Canfield, La Règle de perfection, p. 30

Le message est clair : le seul moyen d'arriver à Dieu, c'est Dieu. 

Lisons maintenant ce que dit un mystique du Cachemire du XIème siècle, quand il explique le vers d'un autre mystique qui "Salue l'être plein d'amour divin à qui Dieu se manifeste sans aucun moyen" :

"Je salue celui à qui Dieu se manifeste sans aucun moyen" relevant du plan de la dualité, je salue celui pour qui se déploie son propre Soi qui est Dieu. Lui seul est "plein d'amour", riche, parce qu'il est possédé par l'amour, et par lui seul, et parce qu'il n'est point sali par l'espoir de quelque chose de plus que l'amour. Je salue cet amoureux, cet être doué de l'amour inséparable de Dieu, lequel est révélé par la force du miracle de l'amour. Et "je le salue" dans un état de pleine conscience, un état de possession en Dieu qui n'est pas différent du sien. Dieu se manifeste "ainsi", parce qu'il se manifeste d'une manière qui n'est pas de ce monde, il se manifeste "sans image ni prière". En effet, images sacrées et prières apparaissent aux autres comme leur propre essence qu'ils doivent contempler et prier en une forme limitée séparée d'eux-mêmes. A "L'être plein d'amour", par contre, sa propre essence divine se manifeste clairement et en toute circonstance sans aucun moyen, sans forme limitée, douée de toutes les formes, masse de conscience ininterrompue. C'est pourquoi l'auteur dit que Dieu se manifeste à lui "sans moyen". Un moyen, c'est ce qui se pratique en récitant d'abord des louanges, etc. et qui est une cause. Dès lors, attendu que toutes les pratiques sont "contractées", elles ne peuvent servir de moyen pour atteindre notre essence qui n'est pas "contractée". Cette essence n'est atteinte, par la grâce de l'intelligence divine, que par ceux qui ont la bonne fortune de se laisser posséder par l'essentiel. "

Kshemarâdja, Explication des Hymnes à Shiva, I, 1 

Nous retrouvons ici le même conseil : l'amour est Dieu, et l'amour ramène à Dieu. Pas d'autre moyen.

De la même région et de la même époque, on pourrait citer un anonyme (bien que ce poème soit souvent attribué à Abhinavagoupta, mais je crois que c'est une erreur) :

"Ici, ni transmission, ni exercice,
Ni révélation, ni raison,
Ni quête, ni méditation,
Ni concentration,
Ni effort, ni pratique, ni répétition.
- Alors dis, parle en vérité !
Écoutes cela,
Entends cette vérité souveraine,
Très certaine :
Ne lâche rien,
Ne prends rien.
Savoure toute chose
A ton aise,
Tel que tu es."

 Hymne à l'Insurpassable, 1

Ici, pas d'amour, mais une invitation au lâcher-prise. A mon sens et selon mon expérience, il s'agit, au fond, du même ressenti, même si on peut discuter de ce point.

J'en retiens que la mystique, comme science de l'intérieur, est universelle, et qu'elle est la vie bonne, la voie du salut pour nous, malgré nos limites.

Tout est contenu dans la contemplation



L'acte mystique - se laisser emporter par la vibration du cœur, tout simplement - est l'essence de tous les actes bons, beaux et justes, de tout ce que l'on appelait autrefois les "vertus".
Un moine français, Maur de l'Enfant Jésus, nous rappelle d'abord que cet acte, nommé aussi "contemplation", est un silence, mais un silence savoureux, un silence de plénitude. En lui, on se sent incapable d'agir, mais par excès et non pas à cause d'un manque :
"Cette impuissance d'agir [que l'on ressent alors] vient plutôt d'abondance et de plénitude, que de privation et de disette." Ce vide accueille les débordement de l'amour divin.
Ensuite, "on ne s'aperçoit plus que d'une lumière universelle, qui fait connaître une bonté infinie." Dans cette connaissance amoureuse ou amour pénétré de science divine, l'âme
"ne voit plus qu'une simple vérité ou lumière, et ne goûte plus qu'un simple et unique bien ; aussi ne faut-il qu'elle n'ait pour tout acte qu'une simple attention vers cette vérité, et qu'une simple inclination vers cette unique bonté, qu'elle ne doit plus regarder hors de soi ; mais elle doit contempler et aimer en soi-même, comme son unique félicité, oubliant toutes choses pour prendre en elle son seul plaisir, et pour se transformer en elle autant que la faiblesse et l'infirmité humaine le pourra permettre. Il faut dire de même des attributs divins, des illustrations admirables, des lumières, des sublimes intelligences, des profondeurs et de tout ce qu'on saurait dire et penser de distinct de la divine Essence, au moins selon notre concept ; car il faut désormais regarder tout cela comme un dans cette même Essence divine, par un simple regard actuel qui suit en tout cet état, comme la vie de notre âme."
Autrement dit, cette vibration du cœur, contemplée comme vérité et ressentie comme bonté, est simple. De sorte qu'il n'y a pas besoin de contempler ni de ressentir autre chose. De plus, cet amour véritable est "en soi", et il est vain de le chercher au-dehors. 
Et donc, attendu que cette vérité bonne est en soi et qu'elle est absolument simple, "il n'est point besoin de sortir de cette simple contemplation pour réfléchir sur les effets particuliers de l'amour de Dieu envers les hommes, puisqu'on les comprend dans l'éminence de ce regard simple et amoureux dans leur propre cause, qui est l'amour, beaucoup plus parfaitement qu'on ne pourrait faire en les considérant eux-mêmes." En d'autres termes, inutile de chercher les effets particuliers de cet amour vrai : tous les effets désirables sont contenus dans l'amour vrai lui-même, comme les rayons sont dans le soleil. Et donc, au lieu de nous disperser dans la considération de ses effets, restons recueillis dans la contemplation simple de cette Source de tous les dons, source qui est en nous, qui n'est jamais séparée de nous, même quand nous nous détournons d'elle par notre libre-arbitre.
Maur s'appuie ici sur la distinction platonicienne entre deux formes de connaissance : la connaissance discursive (dianoia), qui regarde un à un les aspects de la vérité, comme les facettes d'un diamant ; et l'intellect (noesis) qui contemple simultanément, hors du temps donc, toutes ces facettes.

Extraits du Sanctuaire de la divine sapience, de Maur, pp. 116-117

vendredi 19 février 2016

Peut-on être heureux seul ?

Peut-on être heureux seul ?
Peut-on être heureux si les autres ne le sont pas ?
Peut-on être heureux si le reste du monde est plongé dans le malheur ?
Peut-on être heureux à Auschwitz ? Sous la torture ? En Syrie ?

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Autrement dit, le mythe du bonheur par soi, indépendamment du monde et des autres, a-t-il un sens ? Est-il crédible ?

Les adeptes des psychologies du bonheur diront que oui, c'est possible, comme l'ont affirmé les bouddhistes et les stoïciens. 
Mais dire que je peux être heureux quelles que soient les circonstances, n'est-ce pas profondément immoral ? Est-il juste d'être serein et plein de joie quand mes proches souffrent et meurent ? N'est-ce pas indécent ? 
Et puis, est-ce possible ? Existait t-il des gens vraiment heureux dans les camps de concentrations ? 
Les partisans du bonheur vont alors convoquer Etty Hillesum ou quelques autres figures, certes magnifiques, mais comment être sûr que ces gens étaient heureux ? Finalement, cette doctrine du bonheur par soi, du bonheur indifférent au sort du monde, est-elle praticable ? N'est-elle pas autre chose qu'une nouvelle religion qui ne dit pas son nom ?

Les partisans du bonheur m'accuseront peut-être de pessimisme, s'ils ne tiennent pas tout simplement un discours du genre : "Mais si, il faut y croire"...

Mais, comme je l'ai dit, il ne s'agit pas seulement de savoir si un tel bonheur par soi est possible, mais également s'il est souhaitable. Encore une fois, est-il juste de sortir le champagne quand on apprend qu'un proche va mourir, par exemple ? Et qui le fait ?

Mais si l'on renonce au bonheur par soi, quoi d'autre ? 
Le sens.
L'amour.
L'amour ne craint pas la souffrance, et il n'exclut pas la joie.

Quoi d'autre ?
La foi, l'espérance, et le combat pour un avenir meilleur, pour ne pas retomber dans les erreurs du passé.
"Aimer ce qui est", cela va quand tout va bien, et même parfois dans l'adversité. Aimer ce qui est, quand je suis sur une plage en train de regarder les petits poissons, cela est juste. C'est un moment de grâce.
Mais comment aimer la torture, le viol des enfants, les massacres, comment aimer les camps de concentration ? 
Je crois qu'il y a de l'acceptable, mais aussi de l'inacceptable.
Et que l'on ne peut pas être heureux seul.

Mais alors qu'en est-il de la "vibration du cœur", de la vie intérieur ?
Eh bien, elle ne vise pas le bonheur en cette vie.
Cette vibration nourrit l'amour, nous donne la force de se battre, d'aimer ce qui peut l'être et d'endurer le reste, mais aussi de nous indigner et de nous révolter quand il le faut. 
"Aimer le destin" "être heureux en toute circonstance" : impossible et souvent injuste.

dimanche 14 février 2016

Dans le rien, l'amour vibre



Le vide, l'immensité, le silence, sont le trône de la fontaine de vie, de l'amour plus fort que la mort. 
Le vide n'est pas un but en soi. En son vaste sein, quelque chose, un je-ne-sais-quoi, se met à couler, un nectar dont jamais nulle âme ne fût rassasiée, une vibration au centre de la poitrine :

"Et ainsi, [dans le vide], l'âme ne voit plus rien, ni en Dieu ni dans les créatures, vers quoi elle puisse ou doive tendre, ni aucune manière d'agir qui lui puisse être utile".

C'est le fameux "il n'y a rien à faire" des "éveillés" d'aujourd'hui, le non-agir du Tao, l'in-action chrétienne, qui veut tout simplement dire qu'on se laisser agir.
Soit. Mais à quoi bon, s'il ne reste rien ?
A ceci de bon, car ceci reste :

"Ce qui lui reste, c'est qu'au milieu de son obscurité elle sent au plus profond de soi-même, une vertu secrète qui l'attire sans pouvoir, savoir ni comprendre ce que c'est, et comment cela se fait : car il ne lui paraît rien du tout qui puisse tomber dans son entendement, ni que sa volonté puisse embrasser ou poursuivre, et encore qu'elle ressente bien l'opération de cette vertu qui la pénètre, elle ne peut pourtant y contribuer autrement qu'en la laissant faire et en se laissant (pour ainsi parler) dévorer à elle... C'est ce feu qui doit consommer toute la propre vie de l'âme, et lui en redonner une toute nouvelle.. qu'il la transforme enfin et la fasse semblable à Dieu, autant que la créature lui peut ressembler."

Maur, Théologie chrétienne et mystique, p. 86 

La vie intérieure, comme toute vie, est faite de morts et de renaissances.

jeudi 11 février 2016

Le mythe de l'éveil



C'est quoi l'éveil ?

Chacun y va de son avis, mais au fond, l'éveil est d'abord une métaphore.
De même que nous croyons vivre une terrible ou une merveilleuse expérience, avant de nous réveiller et de réaliser que tout ceci n'était qu'un rêve, il nous arrive de réaliser que ce que nous prenions pour la réalité n'était qu'un songe ou un tissu de croyances sans fondement. On a l'impression de se réveiller. Cette expérience du réveil se retrouve dans bien des traditions, depuis le Bouddha (l’Éveillé) jusqu'à la Caverne de Platon. 
Nous rêvons et nous nous réveillons. 
L'éveil est alors l'image d'une compréhension profonde et assez soudaine. Nous avions cru, mais maintenant nous savons, nous avons compris. Et ça change tout.

Mais dans la culture contemporaine, l'éveil est devenu autre chose. 
Ça n'est plus seulement la métaphore d'une compréhension, mais un terme qui désigne une transformation radicale de l'être, sans retour en arrière. Un "éveillé" est un être qui n'est plus tout à fait humain. Il vit en permanence dans une sorte de pure conscience bienheureuse. Il a des pouvoirs et n'est plus victime d'aucune illusion. Il est une sorte de Dieu sur terre et, quelles que soient les apparences, tout ce qu'il fait est bon, ou alors il est carrément au-delà de toute morale. Souvent, il est oriental, féminin, sans éducation, drôle, charmeur, etc. 

J'en retiens deux traits : 
- l'éveil est subit
- l'éveil est irréversible

Or, à mon avis, ce sont là des mythes, et des mythes mauvais, mauvais au sens où ils bloquent la vie intérieure. Je voudrais donc comparer deux sortes de discours : ceux sur l'éveil ; et ceux sur la vie intérieure.

L'éveil est subit : souvent les éveillés racontent leur éveil, comme s'il s'agissait d'un événement bien précis. Mais dans la vie intérieure, il y a plutôt des éveils. L'éveil au silence. L'éveil du cœur. L'éveil à l'unité. L'éveil à la valeur de la dualité. L'éveil à la liberté. L'éveil de la conscience pure. L'éveil de la conscience morale. L'éveil à la complexité. L'éveil à l'infini. L'éveil qui n'en finit pas. L'éveil du corps. Et ainsi de suite. Certains éveils sont la clef des autres, mais il n'en reste pas moins qu'il existe une infinité d'éveils. De plus, les choses sont bien moins nettes dans la vie intérieure que dans le mythe de l'éveil. Souvent, on comprend, mais on met du temps avant de comprendre... qu'on a compris ! C'est ainsi. Ou alors, on met du temps à tirer les leçons. A intégrer. A exprimer. A incarner. A transposer. Ou alors, on a pas confiance. Un doute ou des doutes viennent faner cet éveil. Bref, il existe autant d'éveils potentiels que de situations de vie.

L'éveil est irréversible : rien de plus faux. La vie est respiration. Rien n'est gagné à jamais. La conscience est. L'être est. La belle affaire ! Oui, c'est vrai. Comme avant on disait "Dieu est éternel". Bah oui, sinon il ne serait pas Dieu. Mais moi - quoi que cela veuille dire - je suis dans le temps. Ou aussi dans le temps. Je ne suis pas que une pure conscience éternelle. Et donc, je peux perdre l'éveil. 
Tâchons d'être clairs : je ne peux pas perdre mon essence. Mais je peux perdre la reconnaissance de mon essence, et ma foi en elle, de même qu'un croyant peut perdre la foi. L'éveil n'est pas mon essence, mais la reconnaissance de mon essence. Cette prise de conscience peut s'obscurcir, être ternie par des émotions négatives, des cauchemars, des trauma, etc., de même que le soleil, quoique toujours présent, peut être caché par les nuages. 
Donc l'éveil n'est pas irréversible.

Or, croire à ces mythes à des conséquences désastreuses pour la vie intérieure. Si je crois en un éveil ultime et définitif, alors je serais constamment aux aguets, et non à l'instant présent. Si je ne suis pas éveillé, j'attendrais l'éveil. Et si je suis éveillé, je veillerais à ce qu'il ne disparaisse pas. Combien de d'éveillés sont-il déçus par la disparition de leur éveil ? Combien sombrent dans le découragement, voire le cynisme ? De plus, l'angoisse de l'éveil, du "grand jour", du "basculement" qui doit être permanent, tout cela empêche de savourer l'éveil, de vivre la vie intérieure. Et je vis alors selon des schémas artificiels au lieu de me fondre dans l'expérience comme un enfant qui se laisse guider par la main. 
Bref, les conséquences de ces mythes sont terribles. 
Mais ça n'est pas le pire. 
Le pire, c'est que les "éveillés" nous confortent dans ces mythes, tout en affirmant qu'il ne faut pas chercher l'éveil, que "personne ne s'éveille", etc. Cela peut sembler magique pendant un temps, si l'éveillé est charismatique. Mais la magie passe et on se retrouve dans une impasse. La spiritualité des "éveillés" est pleine de paradoxes qui rendent dingue. Au lieu de vivre, on cogite en rond.

Il est donc préférable de laisser tomber ces mythes de l'éveil, de garder l'éveil juste comme une métaphore parmi d'autres, et de replonger dans la vie intérieure.

Est-ce à dire qu'il ne faut pas du tout, jamais, chercher à comprendre ?
A mon sens, il n'y a qu'une seule compréhension irréversible dans la vie intérieure : comprendre que je suis conscience, et tout est conscience, dans la conscience et par la conscience. Cet éveil, fondé sur l'intelligence et l'expérience la plus immédiate, est irréversible, car la conscience qui prend conscience d'elle-même est d'un genre tout à fait unique. Ceci étant, il me semble que cette compréhension est bien rare dans les milieux de l'éveil, y compris dans sa variété "non-duelle".
De plus, même cet éveil-là, irréversible, n'est pas pour autant la fin de la vie intérieure. Bien plutôt, cet éveil en est le début. Car comprendre que je suis conscience en laquelle tout passe et qui ne passe pas, qui crée tout mais qui ne se laisse enfermé dans rien, cela rend possible un abandon profond et sur le long terme, une conversion de tout l'être qui, en se répétant, sera le moteur de l’évolution intérieure. Mais cette compréhension, en elle-même, n'est pas le tout de la plénitude. Elle n'en est que le principe. Quand je dis que "il y a du soleil dans la pièce", alors qu'il n'y a qu'un rayon, je joue sur les mots. Ne laissons pas les mots se jouer de nous.

Résumons : l'éveil, on s'en fout. 
Vivons pleinement ce qui s'offre à nous dans l'instant, sans nous soucier de savoir si c'est le "vrai" éveil ultime et définitif, ou bien si ça n'est qu'un avant-goût. Jetons cette fable à la poubelle, et vivons sans attente ni angoisse, sans espoir ni crainte. Et alors, nous ferons l'expérience que chaque moment de la vie intérieure est un cadeau parfait, en même temps que nous serons ouverts à une évolution sans fin.


mardi 9 février 2016

Du souffle à la vibration



"Le mantra du Soi ultime,
le mantra de toujours
est "je suis lui".
Il devient Om,
la syllabe impérissable,
quand ha et sa disparaissent.

Le Mantra du Soi ultime est l'expérience en forme de re-connaissance "je suis lui" (so'ham); On peut faire cette expérience du "je suis cet être-là" grâce à l'enseignement sacré, aux instructions du maîtres, et aussi par notre propre expérience.
A ce sujet, on dit que ce mantra est répété 21 600 fois par jour. C'est là sa forme duelle..." 

...car dans ce "je suis lui", il y a encore une distinction, entre "je" et "lui". 
Cette dualité se manifeste dans la dualité de la respiration : l'alternance inspir-expir. 
Le "je" et le "lui", "ham" et "sa" en sanskrit, disparaissent quand l'inspir et l'expir disparaissent. 
Comment ? 
En se donnant tout entier au silence qui suit l'expir. 
Alors, l'expir "ha", qui est la lune, l'extraversion, s'amenuise peu à peu ; de même que le "sa", soleil de l'introversion. 
Il ne reste plus que "om", la vibration du silence, l'intensité de la pure présence.

so'ham = je suis lui
sa (expir) et ha (inpir) disparaissent peu à peu,
il ne reste que om, Lumière consciente, vibration de pure présence, vie du souffle et de toute vie.

Le verset traduit plus haut est du Shivasiddhântashikhâmani (VIII, 20) de Shivayogi, et le commentaire est de maître Maritonda. Ce sont des textes composés au Karnâtaka vers le XIIIe-XVe siècles.

om

dimanche 7 février 2016

Dans le rien



Le vide est le trône du cœur :

"Ici, l'âme...demeure comme sans mouvement, et sans envie d'en avoir : aussi ne voit-elle rien, ni de plus bas ni de plus haut, et même elle n'a plus d'idée de Dieu formée par le concept. Et son opération ne trouvant plus de contrariété en elle, ne se fait plus sentir comme avant. On dirait que l'âme est comme toute fondue dans une certaine vacuité abyssale où l'on ne voit ni fin ni commencement... L'on ne saurait donner de préceptes pour cet effet, ni bien décrire ce que c'est."

Maur, Théologie chrétienne et mystique, p. 83

jeudi 4 février 2016

Deux versions du Dharma du Bouddha



Beaucoup de gens voient dans le bouddhisme un "culte du néant". Selon André Comte-Sponville, le but but de cette religion qui n'en est pas vraiment une, serait non pas de libérer le "moi", mais de se libérer du "moi".
Je voudrais dire ici que cette interprétation n'est pas juste. Du moins, elle n'est pas le seul idéal du bouddhisme. Car le "dharma" (la religion) du Bouddha est sans aucun doute la plus complexe des religions, celle qui enveloppe dans son sein les doctrines les plus diverses, voire les plus opposées. Shankara, un critique du bouddhisme, a pu ainsi dénoncer dans le Bouddha une sorte de démon qui se serait incarné pour égaré les hommes en leur enseignant des voies de salut contradictoires.
Il y a plusieurs bouddhismes. Ils sont tous présents, en germe, dans ce que l'on a coutume d'appeler le "bouddhisme ancien".

Je repère au moins deux versions du bouddhisme. Et, comme nous allons le voir, ces deux versions offrent deux visions de l'homme et de son salut. 

D'abord, il y a le bouddhisme contre le Soi, contre ce que nous appelons le "moi". Le message du Bouddha, son 'éveil", ce serait alors sa découverte du "constructeur" de toutes nos souffrances, le "moi". Nous croyons que nous sommes un moi, un centre d'action et d'expérience autonome, mais c'est une illusion. En réalité, ce "moi" n'est qu'un mot, ou une projection faite sur la base d'un flux évanescent de sensations, de pensées, de souvenirs. Mais comme cette croyance est immémoriale (elle n'a pas commencé dans le temps), elle se prend elle-même pour une réalité. Le nirvâna, ou "extinction", c'est la fin de cette illusion, donc la fin du moi. Être libre, c'est être libre de la croyance en un moi. On ne se sauve pas. On disparaît, comme est soufflée la flamme d'une bougie. Où va la flamme ? Nulle part. Elle cesse. Elle s'éteint. Pschitt. Fin de l'histoire. 
Cette version du bouddhisme est en accord profond avec ce que nous dit la philosophie matérialiste qui réduit le moi à un phénomène cérébral. La mort est la fin de nos souffrances, parce qu'elle est la fin. Tout simplement. Il n'y a rien après. En attendant, la science peut nous confirmer cette vérité du non-moi. Il n'y a que des atomes. Pas de moi. "Je" n'existe pas. La vérité est, littéralement, im-personnelle. Le salut du moi est la fin du moi. L'éveil est le réveil, la bougie se souffle elle-même. Evidemment, personne n'est sauvé. Personne n'a jamais existé. Les variétés de non-dualisme qui, aujourd'hui, proclament le non-moi comme remède ultime, dérivent de cette version du bouddhisme. Les variétés de non-dualisme qui affirment que le moi se fond, lors de l'éveil, dans une réalité impersonnelle, relèvent aussi de cette même version. Ils peuvent alors dire, avec un sourire satisfait : "il n'y a pas de moi, il n'y en a jamais eu, être libre, c'est être libre de l'idée d'être une personne", etc.

Mais à côté de cette version radicale et, à vrai dire, assez terrifiante, du dharma du Bouddha, il y en a une autre.
Selon cette version, qui a aussi sa philosophie, le Bouddha n'a jamais affirmé que le moi n'existe aps, mais seulement qu'il n'existe pas comme on se l'imagine. Comment se l'imagine t-on ? De deux manières, en gros, dit le Bouddha. D'un côté, il y a ceux qui croient que le moi n'est que les atomes, et qu'il est donc une illusion, qu'il n'y a rien après la mort, ni même réellement avant. Ce sont les partisans de l'anéantissement. On voit que cette doctrine est précisément la version du bouddhisme décrite précédemment. Mais il y a de bonnes raisons de penser que le Bouddha n'y adhérait pas. Et, d'un autre côté, il y a ceux qui croient que le moi est immuable, qu'il est éternel au sens où il ne change jamais, quoi qu'il arrive, quoi qu'il fasse, quoiqu'il souffre. En fait, le moi ne souffre pas. Comme l'espace, il est une sorte de témoin immuable de toutes les expériences. 
Pourquoi le Bouddha rejette t-il ces deux versions du "moi" ?
Parce qu'elles ont en commun de rendre impossible toute morale.
En effet, si "je" suis une illusion, à quoi bon chercher à m'améliorer ? Et si "je" suis une sorte de conscience absolument immuable, de même, l'idée de progrès est vaine.
Car au contraire, le Bouddha croyait au progrès moral. Voilà le cœur du message du Bouddha : nous pouvons changer. Contrairement à un cliché rebattu, le message central du Bouddha n'est pas l'impermanence universelle. Si son "éveil" se réduisait à cela, il serait banal. A son époque déjà, tout le monde avait conscience de cette impermanence. "Tout va, avec le temps tout s'en va"... : non, ça n'est pas le dharma du Bouddha, ou disons que ça n'est pas son "intention profonde" (âshaya en sanskrit). Son idée, c'est plutôt de comprendre le moi d'une manière qui rendre possible et crédible son progrès. Comme Socrate et Confucius, le Bouddha est avant tout un moraliste, non au sens de La Rochefoucauld, évidemment. Pour lui, le moi est perfectible. Pour cela, il doit être fluide. S'accomplir, ça n'est pas être ce que l'on est, à sa place, mais c'est actualiser son potentiel. Et, comme chez rousseau, c'est pouvoir aller contre sa nature, contre ses habitudes. Voilà pourquoi le Bouddha considérait que son enseignement était "contre-nature" et que les animaux peuvent difficilement atteindre l'Eveil. Le Bouddha ne nie pas l'existence du moi, mais seulement l'existence du moi tel qu'on se le représente, car cette représentation empêche le moi d'évoluer librement et pleinement. Il y aurait encore beaucoup à dire, mais ceci suffit pour comprendre mon point.

Alors quelle est son idée du moi, s'il n'est ni matériel, ni immuable ?
Pour lui, le moi est éternel, au sens où il continue d'exister après la mort. Il n'est donc pas matérialiste. Mais il n'est pas pour autant immuable ! Pourquoi ? Parce qu'autrement, nous ne pourrions ni évoluer, ni progresser. Le salut serait soit vain (pour quel "moi" ?), soit impossible (un moi immuable ne change pas). Son idée est que nous avons un potentiel infini, et que nous pouvons et devons évoluer.

C'est cette version du dharma du Bouddha, à mon avis la plus juste et complète, que le Grand Véhicule" a développé à partir des débuts de notre ère. Le Grand Véhicule, c'est le bouddhisme qui tire pleinement les implications des intuitions du Bouddha. Le but n'est pas de se sauver du moi, mais bien de sauver le moi. Le salut est une affaire personnelle. Voilà pourquoi, même après leur éveil "parfait et complet", ils restent des personnes. Ils ne se fondent pas dans un Grand Tout, même s'il baignent dans une même réalité. Chaque Bouddha conserve sa personnalité. On peut même dire que l'Eveil développe le caractère unique, propre à chaque Bouddha. Ainsi, Avalokiteshvara est unique, Amitâbha est unique, Manjoushri est unique, etc. L'Eveil n'efface pas leur individualité, il l'accomplit. C'est un point que l'on néglige souvent. L'Eveil est une sorte de développement personnel. Ça n'est donc pas étonnant si, aujourd'hui, les gens qui s'intéressent au développement personnel se disent souvent proche du bouddhisme.
Et, plus important à mes yeux, le bouddhisme est une philosophie de l'affirmation de la vie, de l'augmentation de la liberté, du progrès, de l'autonomie. Un Bouddha ne dépend plus de personne. Et, avant l'Eveil, un progrès quasi infini est possible. Et l'humanité peut progresser. Sur le plan politique, le message du Bouddha est en harmonie avec celui de la démocratie et des Droits de l'Homme. Du reste, le Bouddha était né dans une petite république du Nord de l'Inde.

Récapitulons : il existe deux versions du bouddhisme. 
Selon la première, le bouddhisme est une quête matérialiste qui vise à s'éveiller de l'illusion du moi.
Selon la seconde, le bouddhisme est une voie spirituelle de plein développement de la personne. 

Je crois que cette seconde version, en plus d'être plus juste historiquement, est plus satisfaisante humainement. Ce qui ne veut pas dire que je suis bouddhiste. Mais cette vision d'un moi en perpétuelle progrès, de ce moi fluide, qui n'est rien en lui-même et qui peut donc tout devenir, est assez géniale et riche en possibles.

mardi 2 février 2016

Cercle de méditation du dimanche 7 février 2016




Communier en silence, savourer ensemble la joie simple d'être.
Quoi de plus beau ?
Gratuit.
Limpide.
Profond.

Sur ce chemin, nous avançons jour après jour.
Pas de technique, point d'assurance, nous marchons sans savoir, en nous abandonnant à ce je-ne-sais-quoi insaisissable mais bien réel qui s'empare de nous quand nous lâchons prise.

Je vous propose de partager un moment de calme, 
sans rien faire, juste nous laisser faire.

Entrée libre. Tous sont les bienvenus pour ce temps de partage en silence, suivi d'un moment où chacun pourra, s'il le sent, partager son expérience, en sirotant un thé chaud.

C'est aussi l'occasion de découvrir la méditation et la vie intérieure, en toute simplicité, entre amis.

Pas de maître, pas de système, pas de recettes, pas de prêchi-prêcha, juste se laisser prendre par le mystère.

Dimanche 7 février 2016
de 15h à 17H

Pour s'inscrire et connaître l'adresse exact :

deven_fr@yahoo.fr

A bientôt !

David Dubois