jeudi 13 décembre 2018

Prendre soin du corps ?



Un bel extrait d'un Tantra d'alchimie, l'Océan mercuriel (Rasa-arnava) ou Mer savoureuse. Traduit de l'original sanskrit (I, 1-31):




Tout est en lui.
Tout vient de lui.
Il est tout, partout.
Tout est fait de lui,
Toujours.
Hommage au Soi
De tout et de tous ! 

Dans un agréable jardin
A la cime du mont de cristal, 
Orné de myriades de joyaux,
Traversé de lianes et d'arbres variés, 
Vierge de tout défaut caché, 
Le Dieu des dieux trônait à son aise,
La gorge teintée de bleu sombre,
Le visage paré de ses trois yeux.
La Déesse, fille de la montagne,
Se prosterna en touchant de son front
(Les pieds de Dieu). 

La sublime Déesse demanda :

Dieu des dieux !
Dieu qui enveloppe toute divinité !
Toi qui consume le corps
D'Eros et thanatos !
Par ta grâce, j'ai écouté avec attention 
Tout ce qui est enseigné
Dans les traditions du Kula, du Kaula, 
Du Kaula intégral, 
Du Kula des Parfaits et du
(Kula des Yoginis).

Si tu désir me prendre auprès de toi,
Si je te suis chère,
Ô maître !
Alors je suis bien digne 
Que tu me révèle
Quelle est cette liberté en cette vie même
Qui est suggérée dans tous les tantras,
Et qui pourtant n'y est pas
Mise en pleine lumière....

Le sublime Dieu, le Bhairava, répondit :
Bien ! Excellent, ô toi
Qui possède cette fortune qui contient et surpasse toutes les autres !
Excellent, ô joie des montagnes !
Ta question est excellente, ô Déesse !
Tu l'as posée pour le bien des amoureux.

Ô Déesse qui contient toute divinité !
La liberté incarnée est difficile à gagner,
Même pour les dieux.
Elle est la conscience de ne faire qu'un avec Dieu
Pour qui est doté d'un corps sans vieillesse ni mort.
La liberté présentée comme une délivrance
Qui a lieu à la mort du corps
Est une liberté bien vaine !
Déesse, si l'on est libre quand le corps meurt,
Alors les ânes aussi sont libres !
Et si la liberté consiste dans l'excitation sexuelle,
Pourquoi les ânes ne sont ils point libres ?
Et pourquoi pas les boucs et les taureaux,
Et pourquoi pas tout le monde,
Ô Mère (du monde) ?
Par conséquent, il faut veiller sur le corps
Grâce aux élixirs,
Et surtout par l'entremise du mercure 
Et du fluide vital (qui est sa contrepartie dans le corps).
Si la liberté consistait seulement
A vénérer le sperme, l'urine et les excréments,
Alors pourquoi, ô grande Déesse,
Les chiens et les porcs ne sont-ils pas libres ?
De même encore, 
La liberté prônée dans les six doctrines,
Présentée comme faisant suite à la mort,
N'est pas objet d'expérience directe,
A la manière d'un fruit 
Dans la paume de la main.

Souveraine des dieux !
Cette essence réelle, cette substance véritable, 
Est ineffable.
Je vais pourtant te la révéler...

Même l'homme vertueux,
Livré aux rituels mantriques,
Ne parvient pas à conserver son corps.
Les dieux mêmes, ô maîtresse des dieux,
On bien du mal à conserver leur corps !
Alors que dire des hommes 
Qui habitent la surface de cette terre...

Si le corps périt,
Comment pratiquer une spiritualité ?
En l'absence de spiritualité,
Que deviendrait la pratique spirituelle ?
En l'absence de pratique,
Que deviendrait le yoga ?
En l'absence de yoga, à quoi bon 
Rêver de salut ?
Et en l'absence de salut, 
A quoi bon parler de liberté ?
Et s'il n'y a pas de liberté,
Il n'y a plus rien !

La sublime Déesse demanda : 

Dieu des dieux !
J'ai entendu cette définition
De la liberté incarnée.
Si tu a de la compassion pour moi,
Révèle-moi le moyen de l'atteindre !

Dieu répondit :

Maîtresse des dieux !
C'est par l'Œuvre que l'on 
Parvient à conserver le corps.
On considère que l'Œuvre est double :
A la fois mercure et souffle vital.
Cristallisés, le mercure et le souffle vital 
Guérissent les maladies.
Morts, ils ressuscitent.
Maîtrisés, ils procurent le pouvoir 
De voler dans l'espace,
Ô Bhairavî !

Souveraine des dieux !
La liberté naît de la connaissance,
La connaissance naît de la conservation du souffle.
Alors, ô Déesse, le corps se conserve.
Et quand il se conserve, ô Déesse,
Le mercure puissant
Engendre sans délai 
Un corps sans vieillesse ni mort,
Et aussi une vision mentale lucide,
Grâce à l'application du mercure.
Ô Déesse, vraiment, 
On obtient la connaissance théorique
Puis la connaissance (qui libère).
Les mantras de celui qui
Goûte le mercure neutralisé
Deviennent efficace.

Mais tant que l'on n'a pas reçu la grâce,
On ne se libérera point des liens.
Comment, (sans la grâce),
Comprendrait-on ?
Quand le mercure est neutralisé,
On devient le maître.
Pour ceux qui sont avides d'alcool et de viande,
Plongé dans l'adoration du vagin et du phallus,
Et dont l'intellect est, par conséquent, réduit à néant,
La connaissance du mercure est
(Certes) bien difficile à atteindre !

(D'un autre côté),
Ceux qui s'attachent aux six doctrines,
Privés de l'enseignement du Kula,
Ne réalisent pas non plus le mercure,
Ô Déesse :
Ils s'abreuvent à un mirage !
Mais celui qui mange de la viande de vache
Et l'immortelle liqueur,
Celui-là est un membre de la divine Famille, le Kula,
Que je respecte.
Les autres (prétendus) experts en mercure
Sont inférieurs.

Dans la transmission traditionnelle,
Il n'y a qu'une vérité :
Celle du travail du mercure.
C'est par lui qu'on atteint la réalisation.
Pas de réalisation sans mercure.
Tant que l'on n'ingère point
La semence de Dieu,
Le fluide vital qui procure la transcendance,
D'où viendrait la liberté ?
D'où viendrait la conservation du corps ?
Les "sages" qui affirment que la sagesse
Consiste à s'adonner
A l'alcool et à la viande
Sont égarés par le pouvoir magique
De Dieu.
Ils divaguent quand ils disent :
"Nous sommes délivrés,
Nous nous en allons vers 
Le sanctuaire de Dieu".
Ils ne se préoccupent pas
De la conservation de leur corps,
Ces imbéciles !
Parce que leur connaissance
Est chaotique, ô Maîtresse des dieux,
Ils sont conditionnés par les êtres et les choses.

Atteindre en ce corps même
Le pouvoir de voler dans l'espace,
C'est être Dieu.
C'est à cette connaissance mercurielle
Que tu dois chaque jour t'exercer,
Ma bien-aimée !

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