jeudi 29 août 2013

Bien profond...

Je ne sais pas pour vous, mais je suis assailli par un déluge de boniments de cette farine :


       
Méditation


Connaissez-vous le point commun entre les PDGs les plus performants, les athlètes de haut niveau, le Dalaï-Lama et les artistes les plus reconnus ?

Du regretté Steve Jobs à David Lynch, en passant par Madonnna, la pratique de la Méditation fait partie intégrante de leur vie... et de leur talent !

Ce n'est donc pas une surprise si les autorités scientifiques et médicales les plus sérieuses recommandent la Méditation Profonde - une pratique quotidienne pour des millions de gens dans nos contrées.

Le problème, c'est qu'il faut plusieurs années de pratique pour obtenir de vrais résultats. La plupart des gens sont rapidement frustrés de leur manque de progrès et finissent par abandonner... et se privent ainsi de la possibilité d'améliorer véritablement et durablement leur vie.

Heureusement, une toute nouvelle approche vous permet d'atteindre efficacement et rapidement la méditation profonde, grâce au fonctionnement naturel de votre cerveau. Vous pourrez constater les résultats en quelques jours seulement !

Ca paraît presque incroyable, mais tout est expliqué dans ce guide que nous vous offrons :
   

Méditation

 
 
Nous sommes heureux de vous offrir ce guide de référence qui vous aidera à atteindre la Méditation Profonde :
  • Accueillez le bien-être
  • Eliminez le stress
  • Maîtrisez votre Mental
  • Améliorez votre santé
  • Connectez-vous avec la partie supérieure de vous-même
  • Vivez des expériences profondes
  • Développez votre Intuition
  • Augmentez vos facultés
  • ...
 

PS : cette approche a été citée dans les plus grands médias (France2, France5, Télé7jours, Psychologies, ...). Vous pouvez maintenant la découvrir gratuitement !
 
   
 
Et ce n'est même pas une parodie !
Vive le zen business !
La mutation initiatique vibratoire planétaire est proche !
OM

jeudi 22 août 2013

Malgré la nuit

"Je sais bien la source qui coule et fuit,
    malgré la nuit.

Cette source éternelle est hors de vue,
moi je sais bien là où est sa venue,
    malgré la nuit.

L'origine n'en sais, car n'en a point,
mais je sais que toute origine en vient,
    malgré la nuit.

Du fond je sais qu'on n'en peut découvrir
et que nul à gué ne peut la franchir,
    malgré la nuit.

Sa lumière n'est jamais obscurcie
et je sais que tout éclat en surgit,
    malgré la nuit.

Je sais qu'ils sont si puissants ses courants,
qu'ils baignent tout, l'enfer, les cieux, les gens.
    malgré la nuit.

Issu de cette source le courant
est si vaste je le sais, si puissant,
    malgré la nuit.

Le courant qui de ces deux-là procède
aucune, je le sais, ne le précède,
    malgré la nuit.

Cette éternelle source, elle est enfouie
en ce pain vif pour nous donner la vie,
     malgré la nuit.

C'est là qu'on appelle les créatures
qui boivent de cette eau, même en l'obscur,
    malgré la nuit.

Cette source vive que je désire,
c'est de ce pain de vie que je la tire,
    malgré la nuit."

Jean de la Croix, trad. Jacques Ancet, Pléiade, p. 893.


lundi 19 août 2013

Gagnant-gagnant !

Un documentaire avec un diplomate que j'ai toujours admiré : Hubert Védrine.
Il revient sur l'évolution des cinquante dernières années et sur les perspectives à venir.
Il y a beaucoup de choses, beaucoup de pessimisme, mais aussi des raisons d'espérer. Par exemple, l'utilisation d'Internet pour se rebeller, mais aussi la capacité des peuples à se révolter contre les tyrannies et les idéologies totalitaires. L'Inde est resté une démocratie. La Chine se réveille aussi sur ce plan. Le plus grand espoirs est que les gens conquièrent eux-mêmes leur liberté. Comme dit Védrine : "La démocratie n'a pas été importé en Europe par des ONG de martiens !" C'est ce que l'on voit aussi au Maghreb, en Égypte, mais aussi en Turquie. Quand les gens (surtout les jeunes) se prennent en main, cela marche mieux. Comme dit Claude Lévi-Strauss : "Si nous savons être très pessimistes aujourd'hui, peut-être qu'un jour nous pourrons nous permettre d'être optimistes".
Un exercice salutaire pour éviter de sombrer dans le syndrome de la Tour d'Ivoire, dans la tentation de se voiler la face et de nier le réel en se réfugiant dans de grands discours vagues.
(Pour ouvrir la vidéo sur un nouvel onglet, cliquez sur son titre ci-dessous)



P.S. : Merci au blogue Conscience sans objet pour avoir attiré mon attention sur ce documentaire, et sur tant d'autres !

vendredi 16 août 2013

Comme un miroir, et au-delà

La nature de l'esprit est comme l'espace vide.
Mais elle est supérieure, car elle est consciente.
La claire lumière est pareille au soleil et à la lune.
Mais elle est supérieure, car elle n'est pas une chose.
La présence innée est comme une boule de cristal.
Mais elle est supérieure, car rien ne peut la  recouvrir.

Le vagabond du pays qui n'est pas de ce monde, contemporain de la Révolution

Les sages le disent :
"L'essence de la Lumière consciente
Est la sensibilité, la réflexion".
Autrement cette Lumière resterait inerte
Comme un cristal de roche,
Même si elle acueillait des reflets !

Le dieu pareil à une fleur de lotus, contemporain de la Grande Peur


Puissances de la méthode expérimentale

Dans la vie, on rencontre toutes sortes de personnes. Mais l'on s'aperçoit vite que leurs visions du monde s'articulent sur des oppositions. L'une d'elle consiste à opposer raison et intuition. D'un côté, il y aurait l'intellect. De l'autre, le cœur. Dans les milieux spirituels, il faut être du côté du cœur, de l'intuition, amalgamés aux sentiments du mystère et du merveilleux. Cependant, outre que cette opposition vient plutôt de la tête que du cœur, elle est ruineuse. Et contredite par les faits. Il y a des occultistes raisonneurs, de froids systèmes abracadabrants, des révélations surnaturelles aussi passionnantes qu'un sous-sol de parking ; et des philosophes nourris d'intuitions, des scientifiques rêveurs, des mathématiciens possédés par l'expérience du mystère. Tout le monde connaît Hubert Reeves. Mais il est loi d'être un cas à part dans sa tribu. De fait, il y a des astrophysiciens bien plus intimes de la non-dualité vécue, que ne le peuvent être certains astrologues qui croient tout comprendre avec leur Tétrabible, aussi bouleversante, à vrai dire, qu'un quadruple bottin...

De plus, croire que tout vient de l'expérience, de l'intuition, ou que tout vient de la raison (ces éléments étant plus ou moins confondus en vérité), est stérile. Songeons que les Grecs avaient les connaissances mathématiques pour développer les sciences de la nature. Or, ils n'en ont presque rien fait. Pourquoi ? Parce que, suivant Pythagore et Platon, ils croyaient qu'il suffit de "se connaître soi-même pour connaître l'univers et les dieux". Mais les choses ne sont pas si simples. Les systèmes platoniciens, hermétiques, gnostiques, alchimiques et astrologiques sont passionnants... comme expressions de l'expérience intérieure. Mais ils ne sous apprennent quasiment rien sur l'univers. Ils parlent de ceux qui les ont inventés, guère de ce dont ils prétendaient parler. Et encore, le peu d'éléments intéressants qu'ils recèlent ne provient pas d'une pure expérience intérieure, mais toujours d'un dialogue entre la théorie et l'expérience. C'est la méthode expérimentale. Francis Bacon décrit, de façon imagée, la fécondité de cette méthode dans ce texte célèbre écrit à l'aube de la science moderne : 

"Les philosophes qui se sont mêlés de traiter les sciences se partageaient en deux classes, à savoir : les empiriques et les dogmatiques. L'empirique, semblable à la fourmi, se contente d'amasser et de consommer ensuite ses provisions. Le dogmatique, tel que l'araignée, tisse des toiles dont la matière est extraite de sa propre substance. L'abeille garde le milieu ; elle tire la matière première des fleurs des champs et des jardins ; puis, par un art qui lui est propre, elle la travaille et la digère. La vraie philosophie fait quelque chose de semblable ; elle ne se repose pas uniquement, ni même principalement sur les forces naturelles de l'esprit humain, et cette matière qu'elle tire de l'histoire naturelle et des expériences mécaniques, elle ne la jette pas dans la mémoire telle qu'elle l'a puisée dans ces deux sources, mais après avoir aussi travaillé et digéré elle la met en magasin. Ainsi notre plus grande ressource et celle dont nous devons tout espérer, c'est l'étroite alliance de ces deux facultés : l'expérimentale et la rationnelle, union qui n'a point encore été formée."

Les fourmis sont esclaves de la tyrannie de l'expérience. Les araignées vivent en ressassant "la tradition". Remarquez que les adeptes de l'intuition pure et dure peuvent se trouver dans les deux camps, car l'intuition est, au fond, un concept bien flou. Quoiqu'il en soit, soyons abeilles : butinons, et faisons notre miel des expériences, de l'intuition et de la raison !

Quel lien avec l'expérience mystique ? Celle-ci n'est-elle pas purement intérieure ? Peut-être. Mais, en tous les cas, elle est expérimentale. En effet, la théologie mystique concerne ce que l'on peut savoir de Dieu en s'appuyant sur la raison et sur l'expérience. Alors que la théologie dogmatique s'appuie uniquement sur la raison et la révélation.  La mystique est une démarche expérimentale, c'est-à-dire un dialogue permanent entre l'expérience et la raison, ou plutôt entre les discours que nous élaborons et des protocoles pour tester la validité de ces discours. Raisonner dans le vide, c'est spéculer. Ressentir sans jamais réfléchir, c'est ne rien ressentir, c'est rester comme une vache qui regarde passer les trains.

L'intérêt des méthodes du shivaïsme du cachemire, du dzogchen et de la Vision Sans Tête tient justement dans ce mariage de la théorie et de l'expérience. On fait des hypothèses. Et on les teste. Voilà la clef. Conceptualiser à vide (fut-ce sur des non-concepts et le vide) est vain. Jouer les Forest Gump de l'expérience pure mène aussi à une impasse. Soumis à l'instant présent, je suis comme un consommateur lambda qui papillonne dans les rayons d'un hypermarché. Pif paf pouf... pschchittt ! En haut le samedi après-midi, en bas le lundi matin. Comme disait Jean Klein, tant que l'expérience est privée de ce qu'il nommait la "représentation géométrique", elle reste instable. D'un autre côté, la représentation, sans expérience, nous laisse en famine.

La mystique est une science expérimentale. La science est une mystique nourrie de mathématiques.

Voyez ces beaux documentaires d'Arte sur les étoiles, et sur l'immensité intérieure, sur la joie sans fin de l'émerveillement. Ici, au-dessus des épaules, pas de tête, mais un champ infini de surprises qui nous arrachent encore et encore à nos croyances nombrilistes : 


mardi 13 août 2013

Techniques du corps

Tout dépend de tout. Ou presque. Du corps, c'est certain.

J'avais déjà évoqué plusieurs traditions dans ce domaine, celui des manières de bouger.
Je vais vous faire une confidence : j'ai toujours eu tendance à marcher en posant d'abord la pointe des pieds, "comme une danseuse". Évidemment, cette tendance spontanée, je l'ai souvent réprimée, à cause du ridicule. Aussi, je découvre avec plaisir que cette tendance devient aujourd'hui très "tendance". Voici un petit document intéressant sur cette façon de marcher et de courrir :



Il y a quelque temps, Arte avait diffusé un autre document, passionnant, sur la question, dont voici la fin :



Ils ne parlent que de la course, mais je crois que ce genre de recherche concerne aussi la marche. Et tout le reste : la manière de se tenir debout, de dormir, de s'asseoir, de parler, etc. Un exemple parmi mille autre, celui du japonais Kono Yoshinori :


Kono Yoshinori 1 par Gebo88

Et Tetsuzan Kuroda :



Ce domaine est, bien sûr, propice aux charlatans. Après plusieurs billets sur la "projection à distance", voici une compilation sur les bouffons des "bambous jaunes" . Bien jaunes, en effet ! Et on retrouve partout ce genre de drôles. Par exemple dans le Sud de l'Inde. Mêmes costumes kitsch (l'uniforme, ah l'uniforme !), même bla-bla grandiloquent, même indigence des gestes techniques : hilarant.




samedi 10 août 2013

Effets d'infinis

C'est La Nuit des étoiles. L'occasion de prendre conscience que l’univers n'existe pas "pour nous", tel un scénario conçu sur mesure. L'univers des Anciens était petit. La science, grâce à la méthode expérimentale, l'a fait exploser. Nous sommes passés "d'un monde clos à un univers infini". Incroyable, le pouvoir de l'idée d'infini ! 

Sur l'idée d'infini, mais en anglais, car le monde est vaste :



L'infiniment petit, grand, temporel, spatial, effraie Pascal, hériter d'une vision tribale du monde. D'où, a-t-on spéculé, un éclatement des valeurs pré-modernes face à la "philosophie nouvelle" : la science moderne. Mais d'autres cultures se sont d’emblée ouvertes à l'idée d'infini. Et donc, à la possibilité d'une d'évolution, à rebours de tout anthropocentrisme mesquin. Voici un extrait de La Doctrine secrète de la déesse Tripurâ, un texte du tantra non-dualiste. Un homme ressort d'un rocher dans lequel il a visité un univers magique. Mais au-dehors, des millions d'années se sont écoulées :

"Tout va sans cesse se transformant. Le monde se modifie d'instant en instant. A travers une longue évolution la face même de la terre, avec ses montagnes, ses lacs et ses rivières, est devenue différente. Telle est la loi qui préside au cours du monde. Les collines s'applanissent et les plaines se soulèvent. Les déserts se mettent à regorger d'eau et les montagnes se transforment en plages de sable. Un solo aride et caillouteux devient une terre de douceur et une terre de douceur devient dure comme la pierre. Un sol stérile devient fécond et un sol fécond stérile. Les gemmes se transforments en graviers et les graviers en gemmes. Une eau douce devient salée et une eau salée douce. Tantôt ce sont les hommes qui se multiplient sur la terre et tantôt les quadrupèdes, ou les vers et les insectes. Tout se transforme donc avec le temps, et telle est la raison pour laquelle notre pays présente maintenant cet aspect."

Tripurârahasya, section de la connaissance, trad. M. Hulin, Fayard, 1979, p. 116.

Un autre texte du même calibre, le Yoga Vâsishtha, composé vers 950 au Cachemire, explique également que tout surgit au hasard dans la conscience : il n'y a pas de plan élaboré par un "Grand Architecte", rien de conçu pour l'homme. Exit le "principe anthropique". Les choses se produisent par hasard mais donnent l'impression illusion de résulter d'une volonté, comme la noix de coco qui tombe sur le corbeau et le tue (kâkatâlîya). Des êtres se prennent pour des dieux, voire pour Dieu, mais ils se trompent et trompent les autres. Brahmâ n'est qu'un ignorant qui, suite à un malencontreux concours de circonstances, a cru qu'il avait créé un univers, une "sphère de Brahmâ". En réalité, il en existe une infinité, qui surgissent spontanément dans l'espace infini de la conscience, tels des grains de poussière dans un rayon de lumière. Et dire que certains fondent leurs actions sur des légendes sumériennes qui proclament que le monde a été créé il y a quelques milliers d'années en une semaine ! Et ces pieuses personnes sont prêtes à se faire tuer et à tuer pour ces fariboles. Comme c'est étrange.

D'où l'utilité des documentaires sur l'univers tel que nous le connaissons grâce à la libre recherche expérimentale libérée du joug des dogmes archaïques. Méditer sur l'infini est un véritable exercice spirituel. Voici une excellente chaîne sur Youtube.
Sur la terre :


Sur les fins de l'univers :


Sur la violence de l'univers :


Et tout ceci n'est que grains de poussière dans l'immensité transparente de la conscience.

P.S. : peut-être certains lecteurs se demandent-ils pourquoi je célèbre le désir et la pensée dans un billet (le précédent), pour célébrer une vision impersonnelle du réel, dans laquelle tout serait livré au hasard. D'autant plus que La Doctrine secrète de la déesse Tripurâ et le Yogavâsistha, bien que proche sur certains point (notamment certains récits), divergent fondamentalement sur d'autre. Le YV défend une position impersonnaliste : le désir est toujours connoté péjorativement, de même que la pensée (sauf quand il faut penser pour comprendre cela...). Alors que le tantra non-dualiste, dont La Doctrine est un bourgeon, défend au contraire que le désir et la pensée sont essentiel à la conscience. Il y a là deux genres de non-dualisme bien différents : le premier - celui de Shankara, du YV (à nuancer) et du néoadvaita - qui met l'accent sur l'objectivité : l'éveil, c'est voir ce qui est. Cette perspective est objectiviste (vastu-tantra en sanskrit : elle dépend du réel, pas de mon bon vouloir). Alors que le second - celui du shivaïsme du Cachemire, etc. - met l’accent sur la subjectivité : l'éveil, c'est s’éveiller à soi comme conscience libre. cette perspective est subjectiviste (purusa-tantra : elle dépend de la liberté du sujet, de la conscience, de la grâce).
Mais alors, où se situe le tantra non-dualiste entre la vision impersonnelle et la vision théiste personnelle ? Pour le tantra non-dualiste, ce qui arrive n'est ni le fruit d'un concourt de circonstances (modèle de la noix de coco qui tombe sur le corbeau), ni l’œuvre d'un Grand Architecte (modèle du potier, de l'artisan). Ni hasard, ni dessein intelligent, le surgissement des choses est improvisation (modèle de l'artiste, de l'esthète ou de l'amant). Il y a désir (contre l'impersonnalisme) mais pas de plan (contre le personnalisme dualiste).

vendredi 9 août 2013

L'éveil n'est pas une lobotomie !


Notre vraie nature est-elle  un néant dans lequel tout se vaut ? Un genre de coma ?

Non. Notre vraie nature est conscience, et être conscience, c'est être sensibilité, pensée, jugement, appréciation, réaction. La conscience est tout le contraire de l'inertie, de la passivité, de l'inconscience, du néant, de l'immobilité.

Les maîtres du shivaïsme du Cachemire, amoureux de cet amour universel qu'est la conscience, ne se lassent pas de le répéter : notre vraie nature n'est pas que lumière qui infuse toute chose, pareille à l'espace ou à un miroir, mais aussi et surtout pensée, réaction à ce qui apparaît, à ce qui est. Notre vraie nature est un couple : dieu et déesse s'appellent et se répondent sans fin. Le dieu est prakâsha, manifestation. La déesse est vimarsha. Ce terme est parfois rendu par "prise de conscience". Mais son sens premier est "penser", "réfléchir", "méditer", "évaluer", "cogiter", "éprouver", "ressentir", de façon discursive ou non. D'ailleurs, dans le Vedânta non-dualiste, vimarsha a une connotation péjorative : il est synonyme de vikalpa, "construction imaginaire dualiste", pensée dichotomique et paralysante, faux dilemme, alternative ruineuse. Mais dans le tantra non-dualiste, vimarsha a le sens le plus positif.

La grande originalité du tantra non-dualiste est de décrire la vie véritable non seulement comme espace infini, mais aussi et surtout comme réactivité, ressaisissement, réflexion. D'où la valorisation du mouvement, du jaillissement, de la vibration, de la vie, du corps et de tout ce qui palpite, qui s'élance, qui se reproduit et prolifère, imprévisible et libre. Un autre terme désigne cette prolifération en sanskrit : prapancha. D'ordinaire, c'est aussi un terme péjoratif. Il désigne les bavardages sans fin du mental, les machinations qui n'en finissent jamais, jusqu'à ce qu'on réalise qu'elles ne sont qu'illusions. Mais la tradition Krama, la plus secrète du shivaïsme du Cachemire, emploi plutôt ce mot pour décrire la déesse conscience, le cœur du cœur de tout, l'âme universelle, quand elle compare cette déesse joueuse à un arbre qui prolifère dans toutes les directions.

L'éveil est-il donc un suicide intellectuel ? Un ascétisme morbide ? Quand j'observe le néoadvaita (la non-dualité version cool, "qui vous parle") et la scène spirituelle contemporaine, j'ai bien peur que l'on croie que oui. On entend partout "pureté", "simplicité", "c'est la faute à l'intellect ! ", "ce ne sont que des concepts ! ", "tout ça, c'est des mots !" et autres mantras ruineux qui, si l'on se réfère à la généalogie nietzschéenne, ressemblent fort à des symptômes de la dépression. La non-dualité n'est pas indifférence, ni haine de soi, du mental, des mots, de la liberté, de la vie. Cette expérience est tout le contraire. Elle est magnanimité, ouverture vers l'autre et intelligence.

L'éveil n'est pas une lobotomie. S'il s'agissait de cela, alors oui, Carrefour et autres temples de la consommation seraient bien plus efficaces ! Qu'il est triste de voire ces tribus de chercheurs spirituels errer dans les stages de développement personnel, où ils sont censés fuir le troupeau, mais où, en réalité, ils cultivent un comportement en tout point grégaire et conforme à la société de consommation, avec son rejet de l'intellect, de la culture, de la complexité, de l'intelligence, de l'esprit critique, du libre-arbitre, avec son attirance pour les théories du complot et pour les rumeurs sans fondement et, finalement, sa détestation de tout ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue. Que leur paix est lourde, frileuse, suant l'angoisse et le refus !

Pour que la spiritualité ne soit plus confondue avec la mélancolie.

jeudi 8 août 2013

Délectation

Un des tout premiers enregistrement de musique indienne que j'ai entendu adolescent. Les jeux du dieu et de la déesse, râga gurjarî todî, duo de Vilayat (sitar) et Bismillah (shehnaï) :


Jeu de la conscience

Extrait d'un commentaire de Hara Bhatta Shâstrî aux Quinze versets sur la conscience, ou L'Eveil en quinze versets, composés par Abhinavagupta :



Le Seigneur suprême accompli des œuvres non-duelles, et non pas des œuvres faites de dualité. C'est ce que l'auteur dit :

Ce dieu est toujours enthousiaste
A jouer avec cette déesse.
Le Seigneur agence en un instant
Des fresques merveilleuses qui sont à la fois création et destruction.

Ce dieu de conscience que l'on atteint par la reconnaissance, qui est manifestation, etc., joue sans cesse, sans se lasser, avec cette déesse douée des attributs que l'on a décrit. Elle est parole suprême qui joue spontanément aux jeux de manifester des univers (innombrables) et autres (jeux). Ou encore, elle est la partenaire du dieu, elle est son attribut qui ne forme qu'un seul tout avec lui, (comme les fils et le tissu). Ces jeux sont toujours en acte, car ils sont ininterrompue, même quand ils se déploient dans différents rôles (assumés par le dieu et la déesse). Ils consistent en les cinq actes. Celui qui désire la délectation, qui en est épris, et qui a conquis l'indépendance, s'y délasse. Ce qui est dit (dans La Guirlande des hymnes à Shiva, 22, 6) :

Il joue sans trêve au jeu de la création,

Est à l'aise dans la subsistance (des choses),

Et se trouve comblé par la résorption des trois mondes :

Hommage à ce maître !

De même, il est dit (dans La Pierre philosophale des hymnes, 112) :

Bien qu'il imagine les trois mondes

A chaque instant et sans se lasser

Par des centaines de constructions,

Cet être ineffable, unique, reste sans imagination dualiste.

Gloire à cet incréé !

En outre, ce jeu est une fresque. En effet, au plan suprême, il accomplit les cinq actes de sorte qu'ils soient toujours pleinement réalisés en des manifestations non-duelles de choses et d'êtres qui sont Lumière consciente homogène. Au plan de la (parole) globale, il déploie une esquisse de dualité qu'il ressent néanmoins comme son propre corps. Cette esquisse est la manifestation naissante de ce qui est à venir, elle est l'objectivité dominée par la saveur de la subjectivité. Puis, au plan de la (parole) intermédiaire, son œuvre semble s'obscurcir car il manifeste (alors) les choses et les êtres de manière obscure, c'est-à-dire que l'objectivité l'emporte désormais sur la subjectivité. Enfin, (au plan de la parole articulée), qui est celui des conditions qui contractent (la conscience) et de la subjectivité entièrement soumise à Mâyâ, sa conscience de lui-même est du même ordre : elle est dualité absolue. Dans cet état, il reconnaît que ses œuvres ne sont que Lumière consciente, car le bleu, etc. n'ont pas de fondement en eux-mêmes, mais seulement dans la Lumière consciente, dans le sujet. Les tantras de Shiva proclament que c'est la délivrance de notre Soi, grâce e à l'expérience intuitive dans laquelle nous atteignons notre vraie nature. Voilà pourquoi l'auteur parle de "fresques merveilleuses".

Il emploie le pluriel quand il parle (des fresques) qui sont "à la fois créations et destructions" pour suggérer les autres œuvres et pour signifier qu'il n'est pas comme les dieux Brahmâ, etc., qui ne peuvent créer que de façon déterminée, car leur pouvoirs sont contractés et dépend d'un autre agent (qui est Shiva). Il agence donc ainsi les créations, les subsistances, les résorptions, les occultations et les révélations. Et le temps et autres (restrictions) ne restreignent nullement ses (œuvres). Voilà pourquoi il dit "en un seul instant", sans succession, puisque ces choses n'existent pas dans le Seigneur suprême qui n'est pas affecté par le passage du temps. Il est "le Seigneur" parce qu'il n'est pas délimité par le lieu, etc. Il est donc l'agent créateur des fresques merveilleuses qui sont à la fois création et destruction, et qui (pourtant) ne peut être délimité par ces états merveilleux qu'il crée d'un seul coup. 

Le Seigneur suprême est aussi épris du jeu qui consiste à créer, etc. sans cesse dans le sujet factice (qui résulte de l'identification au corps, etc.) : par la majesté de sa liberté souveraine, il excite la roue des divinités des organes (internes et externes) et il manifeste la totalité des choses à la manière d'un jeu de balançoire en s'appuyant sur la Kâlî de la création et autres (aspects de la déesse). Ou bien, il accomplit (tout cela) successivement, en se reposant dans le royaume de la (déesse) qui détruit le temps : il réalise le royaume de l'émerveillement, la parfaite conscience du "je" en sa plénitude, qui est repos en soi-même, dans son Soi. C'est ainsi que, passionné par l'expérience délectable de ces jeux, il prend l'habitude de créer et de résorber encore et encore. On doit comprendre par là que seuls les êtres doués de cœur peuvent faire cette expérience. Tels sont les signes qui permettent de reconnaître que Shiva a assumé l'état d'être aliéné. C'est ce que dit Kshemarâja :
Même dans cet état d'aliénation, il accomplit les cinq actes.

Tout ceci n'est donc que le jeu de l'absolue liberté.


mercredi 7 août 2013

Vedânta en Inde

La non-dualité est à la mode. 
J'aime ces expressions nouvelles. Je crois à l'évolution, voire (péché rédhibitoire je le sais), au progrès.
Mais je regrette que les gens ne s'intéressent pas davantage aux traditions qui ont donné naissance à l'enseignement non-dualiste. Il y a, en (très) gros, trois traditions : le Vedânta, la non dualité tantrique, et le non-dualisme bouddhique.

Le Vedânta se réclame de Shankara, qui aurait vécu vers 800. Mais son enseignement, radical et non-systématique, a d'emblée été trahi. Parfois pour le mieux. D'abord son enseignement a été réinterprété selon les idées de son adversaire Mandana Mishra (avec Vâcaspati). Puis réinterprété selon la doctrine dualiste du Sâmkhya (avec le Vivarana). Puis réinterprété selon le non-dualisme non-ascétique du Yoga Vâsistha (avec Vidyâranya), puis réinterprété (lourdement) selon le non-dualisme tantrique de la Reconnaissance (avec la Shrîvidyâ), d'origine cachemirienne. Puis mélangé au hathayoga (avec des gens comme Vivekânanda, notamment). Enfin, au XXe siècle, on l'a mis a toutes les sauces : platonisé par Guénon, occulté par Blavatsky, il a finalement disparu sous une montagne de discours qui prétendaient parler à sa place. Rien de pire que les disciples !

Voici un documentaire, un peu kitsch certes, sur Shankara et la redécouverte de son lieu de naissance : Kâlâdi au Kérala. On peut ici voir et entendre le Jagadguru de Shringéri, principal centre réputé fondé par Shankara, dans l'état du Karnâtaka. C'est un gros village plein de temples, de brahmanes et d'adeptes du tantrisme de la Shrîdyâ (apparentée au shivaïsme du Cachemire). On peut entendre le Jagardguru actuel (genre de pape) enseigner en sanskrit (sous-titré en anglais) sur un petit trône d'argent. Le commentaire est un peu niais, mais les images sont intéressantes et les musiques sont belles :



Un autre documentaire, sur un autre Jagadguru. Aperçu intéressant de l'éducation traditionnelle et de la culture védântique et sanskrite :



Chant védique, Sâmaveda (les traductions en anglais des hymnes sont médiocres, mais les interprétations sont belles) :