vendredi 31 juillet 2020

Vijnâna Bhairava Tantra 139-142 La vie éveillée

File:17th Century Aiyyanar Bronze.jpg - Wikimedia Commons


Shiva décrit le fruit de ces pratiques, la vie éveillée :

nistaraṅgopadeśānāṃ śatam uktaṃ samāsataḥ |
dvādaśābhyadhikaṃ devi yaj jñātvā jñānavij janaḥ || 139 ||
"Ces 112 instructions secrètes ont été dites :
qui les connaît est une personne savante, Ô Déesse !"

atra caikatame yukto jāyate bhairavaḥ svayam |
vācā karoti karmāṇi śāpānugrahakārakaḥ || 140 ||
"De plus, qui épouse l'une d'elles plus sépcialement,
renaît en le divin incarné.
Sa parole est créatrice,
source de malédiction et de bénédiction."

ajarāmaratām eti so 'ṇimādiguṇānvitaḥ |
yoginīnām priyo devi sarvamelāpakādhipaḥ || 141 ||
"Il atteint l'immortalité et la jeunesse éternelle,
orné des pouvoirs surnaturels.
Cher aux Yoginîs, Ô Déesse,
il est roi de leurs rencontres."

jīvann api vimukto 'sau kurvann api na lipyate |
"Bien que vivant, il est libre.
Agissant, il n'agit pas."

jeudi 30 juillet 2020

Vijnana Bhairava Tantra 22-24 The Most Natural Practice

The Goddess asks for direct experience and the Firt Practice of Feeling Life :

śrī devy uvāca |
"The Sublime Goddess said :"

Parvati — Wikipédia


devadeva triśūlāṅka kapālakṛtabhūṣaṇa |
digdeśakālaśūnyā ca vyapadeśavivarjitā || 22 ||
yāvasthā bharitākārā bhairavasyopalabhyate |
"Ô God of gods ! You who have the Trident as your mark !
You who bear a skull as an ornament !
That state of full awareness is empty of place and time
and dévoid of example, both.

kair upāyair mukhaṃ tasya parā devi katham bhavet |
yathā samyag ahaṃ vedmi tathā me brūhi bhairava || 23 ||
"By what means can it be experienced ?
How does the Supreme Goddess
becomes the 'door' to (God) ?
Tell me that, O God,
so that I may know truly."

bhairava uvāca |
"God said :"

ūrdhve prāṇo hy adho jīvo visargātmā paroccaret |
utpattidvitayasthāne bharaṇād bharitā sthitiḥ || 24 ||
"Up is going life-breath. Down is going life.
Let one speak/ elevate the Suprême, who is both aspects.
By living fully in their two rising points,
one shall live a life of fullness."


mercredi 29 juillet 2020

Vijnâna Bhairava Tantra 138 La liberté de la conscience


VINTAGE INDE HINDOU Chola Style Dansant Shiva Nataraja On Apasmara Bronze  Statue - EUR 1.529,33 | PicClick FR

La liberté de la conscience :

mānasaṃ cetanā śaktir ātmā ceti catuṣṭayam |
yadā priye parikṣīṇaṃ tadā tad bhairavaṃ vapuḥ || 138 ||

"Mental, attention, énergie vitale et identification :
quand ces quatre (formes d'incarnations) 
ont entièrement disparu,
alors c'est l'incarnation divine."

mardi 28 juillet 2020

Vijnana Bhairava Tantra 16-21 How To Know the Divine

An important bronze figure of Uma, South India, Chola period, 12th century  - Alain.R.Truong

How can I know the Divine in its fullness ?

The Divine is full awareness. That only is the Goddess :

tad vapus tattvato jñeyaṃ vimalaṃ viśvapūraṇam |
evaṃvidhe pare tattve kaḥ pūjyaḥ kaś ca tṛpyati || 16 ||
"That essence (of awareness and bliss) is to be known 
as really being (the Divine) : it is (both) pure and (yet) full of all.
In such a suprême state, 
who is worshipped ? who is to be satisfied ?"

evaṃvidhā bhairavasya yāvasthā parigīyate |
sā parā pararūpeṇa parā devī prakīrtitā || 17 ||
"That state of the Divine 
thus celebrated,
that Suprême one who is suprême,
is renowned as the Suprême Goddess (that is, full awareness)."

śaktiśaktimator yadvad abhedaḥ sarvadā sthitaḥ |
atas taddharmadharmitvāt parā śaktiḥ parātmanaḥ || 18 ||
"The Divine and its Power
alway dwell as one.
Thus, because the One who has Power isnot différent froms his Power,
the Suprême Power is (the Power) of the Supreme Self."

na vahner dāhikā śaktir vyatiriktā vibhāvyate |
kevalaṃ jñānasattāyām prārambho 'yam praveśane || 19 ||
"One doesn't think of fire
as being différent from its power to burn.
That (distinction between a thing and its powers) 
is only (a way) a starting point to enter in knowledge."

śaktyavasthāpraviṣṭasya nirvibhāgena bhāvanā |
tadāsau śivarūpī syāt śaivī mukham ihocyate || 20 ||
"Full realisation 
of the one who is possessed of that state of Power
is, then, the Divine (himself) :
that Power is called 'the Doorway' (to the Divine), here (in this tradition)."

yathālokena dīpasya kiraṇair bhāskarasya ca |
jñāyate digvibhāgādi tadvac chaktyā śivaḥ priye || 21 ||
"Just like places are known 
through the light of a lamp or of the sun,
juste like that is the Divine known (through its Power),
o my Dear one !"

lundi 27 juillet 2020

Vijnâna Bhairava Tantra 137 L'expérience de la non-dualité

A bronze figure of Shiva Vinadhara Dakshinamurti | SOUTH INDIA, CHOLA  PERIOD, LAST QUARTER 10TH CENTURY FIRST QUARTER 11TH CENTURY | Sculptures,  Statues & Figures, figure | Christie's

L'expérience de la non-dualité :

jñānaprakāśakaṃ sarvaṃ sarveṇātmā prakāśakaḥ |
ekam ekasvabhāvatvāt jñānaṃ jñeyaṃ vibhāvyate || 137 ||

"Tout est manifesté par la conscience,
le Soi se manifeste en tout :
réalisons que la conscience et l'objet sont (donc) un,
car il ont une même nature."

Vijnâna Bhairava Tantra 136 Transcender le corps

68 fantastiche immagini su Giainismo | Luoghi, Incredibile india e Arte  indiana

L'expérience du lâcher-prise vis-à-vis du corps :

indriyadvārakaṃ sarvaṃ sukhaduḥkhādisaṃgamam |
itīndriyāṇi saṃtyajya svasthaḥ svātmani vartate || 136 ||

"Toute expérience du plaisir, de la douleur, etc.,
advient à travers les sens (du corps et de l'esprit).
Les transcender, c'est se tenir en soi,
vivre en soi-même / dans notre Soi."

Vijnâna Bhairava Tantra 135 Transcender l'intellect

Jina Rishabhanatha South India, Karnataka Ganga period, c. 900 Copper alloy  Height: 5 ¾ in. (14.6 cm) Prove… | Indian sculpture, Buddhist art, Indian  art

L'expérience du lâcher-prise vis-à-vis de l'intellect :

na me bandho na mokṣo me bhītasyaitā vibhīṣikāḥ |
pratibimbam idam buddher jaleṣv iva vivasvataḥ || 135 ||

"Il n'y a pour moi ni lien, ni délivrance :
ce ne sont là que des épouvantails pour les peureux.
Ce sont des reflets dans l'intellect,
comme le soleil dans (différentes) surfaces d'eau."

Vijnâna Bhairava Tantra 134 L'Immuable

Standing Jina<br>Copper alloy<br>South India | lot | Sotheby's 4-3/8" 12C  USD 8,125 | Buddhism art, Indian sculpture, Miniature art

L'expérience de l'immuable :

ātmano nirvikārasya kva jñānaṃ kva ca vā kriyā |
jñānāyattā bahirbhāvā ataḥ śūnyam idaṃ jagat || 134 ||

Le Soi ne change pas.
Dès lors, comment pourrait-il faire une expérience ou agir ?
Quand aux phénomène extérieurs, il dépendent de la conscience.
Ce monde est donc vide (d'existence indépendante)."

Vijnâna Bhairava Tantra 133 L'illusion

Une exposition sur l'histoire du yoga à Washington

L'expérience de l'illusion :

atattvam indrajālābham idaṃ sarvam avasthitam |
kiṃ tattvam indrajālasya iti dārḍhyāc chamaṃ vrajet || 133 ||


"'Tout est sans réalité, l'apparence d'un tour de magie :
quelle réalité dans un tour de magie ?' 

Quand cette (certitude) est inébranlable, on atteint la paix."

vendredi 24 juillet 2020

La méditation de Shiva dans la Bhagavad Gîtâ

A chola bronze figure of krishna | Olympia Auctions
Krishna / Kâlî, bronze Chola

Le Chant du Bienheureux ou Bhagavad Gîtâ est le livre le plus célèbre de l'hindouisme.
Le shivaïsme du Cachemire en propose une interprétation ésotérique.

Selon Mahesvarânanda, Krishna est Kâlî, c'est-à-dire la conscience universelle envisagée comme Temps. Le Temps est le pouvoir suprême selon le Mahâbhârata, dans lequel s'inscrit l'enseignement de la Bhagavad Gîtâ.

Krishna est Kâlî, la conscience comme Temps qui, simultanément, engendre tout et engloutit tout. Elle est la conscience en tant que vie, qui crée et qui détruit à chaque instant. De même que Krishna a ses 16 000 bergères, la conscience est douée de 16 000 énergies qui sont les différentes facettes de notre existence.

Si je reconnais la source de ces pouvoirs, je suis libre. Si je la méconnais, je suis prisonnier de ces mêmes énergies.

Dans ce cadre, la pratique principale est la méditation de Shiva, que j'ai évoquée ici à de nombreuses reprises et que j'expose plus en détail dans les Quatre yogas et l'Anthologie du shivaïsme du Cachemire, qui viennent de paraître chez Almora.

Dès lors, il est logique de retrouver cette pratique dans la Bhagavad Gîtâ. Par exemple ici, dans ce passage très célèbre où Krishna/Kâlî se révèle à Arjuna dans sa forme divine. Mais seul le divin peut voir le divin. Krishna a donc d'abord fait grâce à Arjuna de la vision divine (XI, 8). Or, cette vision divine n'est autre que la vision de Shiva, le geste de Bhairava qui définit la méditation de Shiva (shiva-mudrâ, shâmbhavî, etc.), décrite dans ces versets (XI, 23, 24) :

rūpaṃ mahat te bahuvaktranetraṃ
mahābāho bahubāhūrupādam /
bahūdaraṃ bahudaṃṣṭrākarālaṃ

dṛṣṭvā lokāḥ pravyathitās tathāham //

nabhaḥspṛśaṃ dīptam anekavarṇaṃ 
vyāttānanaṃ dīptaviśālanetram /
dṛṣṭvā hi tvāṃ pravyathitāntarātmā dhṛtiṃ na vindāmi śamaṃ ca viṣṇo //


"Je (contemple) ta forme immense" : l'espace.
"... aux nombreux visages et yeux" : l'expérience de reconnaître l'unique conscience en amont de tous les visages et de tous les regards.
"Toi, aux bras immenses" : l'expérience de l'immensité des bras qui s'étalent dans l'espace.
"Toi, aux multiples bras, genoux, pieds, aux nombreux ventres" : une seule conscience en amont de tous les corps.
"Te voyant, les mondes tremblent, et moi aussi" : le bavardage intérieur cesse, le Moi s'ouvre, entre en expansion par la puissance de la vibration.
"Tu sens l'espace, enflammé, aux multiples couleurs" : l'espace se rempli de teintes, de lumières pulsantes. Le corps s'ouvre et se répand dans l'espace, comme une lampe à travers les ouvertures d'un vase.
"Ton visage est illuminé" : la sensation de rayonner dans l'espace.
"Ton regard, vaste, s'allume" : le "troisième oeil" s'ouvre, le regard se réveille à soi.
"T'ayant vu, je tremble en moi-même, incapable de trouver un support stable, ni aucun repos" : l'attention ne trouve plus de référence dans l'espace, elle se noie en lui, comme la vague en l'océan.

Et ainsi de suite. Ce chapitre est une évocation de cette pratique "cachée dans tous les tantras". De même, la Bhagavad Gîtâ est l'enseignement du tantrisme non-dualiste, mais à travers des symboles et de manière détournée.

Il existe, à ma connaissance, au moins deux commentaires à la Gîtâ composés par des adeptes du shivaïsme du Cachemire. Ils restent à traduire. Mais surtout, il reste encore à proposer une interprétation de toute la Bhagavad Gîtâ dans la perspective ésotérique du shivaïsme du Cachemire.






mercredi 22 juillet 2020

Pourquoi la conscience passe-t-elle inaperçue ?

Linga with Face of Shiva (Ekamukhalinga) | India (Jammu and Kashmir,  ancient kingdom of Kashmir) | The Met
Ekamukhalinga, Cachemire

La conscience se manifeste en manifestant toute chose. Alors que tout dépend de cette manifestation (prakâsha) pour apparaître, la conscience se manifeste par elle-même (sva-prakâsha). Donc rien ne peut la cacher et elle n'a besoin de rien pour apparaître. Elle est évidente.

Mais alors, pourquoi est-il si difficile de ne pas se laisser distraire ?
Si tout est conscience, pourquoi le moindre mouvement de l'attention suffit-il à dérober la conscience ?
Pourquoi, se demande Saint Bonaventure, voit-on les choses sans voir la lumière dans laquelle on les voit ?

Abhinavagupta répond :

yato'yamatra paramārthaḥ - yathā darpaṇāntaḥ
kumbhakāranirvartyamānaghaṭādipratibimbe darpaṇasyaiva
tathābhāsanamahimā [tathāvabhāsanamahimā - K. ṣ. ṣ.], tathā
svapnadarśane saṃvidaḥ (Vimarshinî II, 4, 4)

"Voici la vérité de (notre relation au monde) : Quand un potier qui fait tourner son pot se reflètent dans un miroir, la grandeur de cette manifestation appartient au miroir seul (et non pas au potier). Et il en va de même lors d'une vision onirique (: la grandeur de cette vision n'appartient pas à ce que l'on voit, mais à) la conscience (en qui apparaît cette vision)."

Donc, tout est conscience, car tout baigne dans cette lumière créatrice.
Mais alors, pourquoi cette lumière semble s'oublier elle-même, semble oublier sa propre "grandeur" ?
Pourquoi la reconnaissance de sa grandeur devient-elle nécessaire, si elle est évidente ? Utpaladeva, dans ses Stances, évoque un "égarement". Mais d'où vient cet égarement, si la conscience est "grande" et évidente ?

Abhinavagupta en vient à un point essentiel : 

tathāpi tanmahimnaiva etenedaṃ bahiḥ
sphuṭarūpaṃ kriyata ityabhimāna ullasati | evaṃ saṃvinmahimnā
kumbhakṛti daṇḍacakrādau ghaṭe sthite [ghaṭe'vasthite - K. ṣ. ṣ.]
tanmahimnaiva abhimāno jāyate; yathā mayā idaṃ kṛtam, anena idaṃ
kṛtam, mama hṛdaye sphuritam, asya hṛdaye sphuritamiti | tatra jaḍasya
mṛdāderdūrāpeto'bhimāna iti saṃvitsvabhāve kartṛtvaṃ
vyavasthāpyate | 

"Et pourtant, par cette grandeur même, cette croyance erronée se déploie : 'cela, à l'extérieur (de moi), apparaît clairement, (et cela est créé) par ce (potier)'. Ainsi, alors que le potier, ton tour, etc. et le pot existent (tous) par la grandeur de la conscience, par cette même grandeur est engendrée cette croyance erronée : 'J'ai fait cela ; de même, il fait cela ; ce (désir de faire cela) est apparu en mon coeur, ce (désir) apparaît clairement en son coeur'. En tout cela, la croyance erronée selon laquelle (on dépend) de choses privées de conscience telles que l'argile, etc. est fort éloignée (de la vérité) : cette (croyance en une) capacité créatrice (limitée) est suscitée par notre nature qui est conscience."

Quand on regarde un miroir, on n'a d'attention que pour ce qui s'y reflète et on oublie le miroir. Alors qu'en réalité, ces reflets n'apparaissent que dans le miroir et grâce à lui : grâce à sa pureté, sa limpidité, sa surface bien lisse. N'oublions pas qu'à l'époque d'Abhinavagupta, les miroirs étaient rares, précieux et bien loin de la perfection industrielle des miroirs que nous connaissons. Le miroir était donc un objet magique. Les reflets impressionnaient et ils apparaissaient comme des manifestations potentiellement surnaturelles. C'est bien pourquoi la divination sur miroir (dont nos "boules de cristal" sont de lointains descendants) est très ancienne en Inde. 
Et donc, à cause même de la transparence du miroir, j'oublie le miroir.
De même, à cause même de la transparence de la conscience, moi, conscience, je m'oublie.


Ainsi, la conscience s'oublie à cause de "sa propre grandeur", c'est-à-dire à cause de sa pureté même. C'est cette limpidité qui rend possible la profusion des reflets. Et du coup, nous oublions cet espace absolument pur. Et nous nous plaignons de cette profusion. Nous croyons qu'elle "cache" la conscience, qu'il faut purifier la conscience. Alors que c'est, au contraire, cette pureté même de la conscience qui la dérobe à elle-même, à son propre regard. Comme le soleil est "caché" par son propre éclat.

Dès lors, vouloir purifier la conscience est une impureté. Comme il est dit ailleurs, à trop vouloir purifier ce qui est déjà naturellement pur, on ne peut que le salir, comme un enfant qui s'approche d'un miroir et qui l'obscurcit par son haleine.

La seule pratique consiste à réaliser cela de tout son être. Plonger directement : s'abandonner en entier, faire confiance, avoir la foi. Tout est là, en pratique. A quel point ai-je confiance ? Est-ce que je suis dévoué ? Que se passe-t-il dans les situations "de stress" ? Je ne parle pas d'être détendu, de n'avoir que des bonnes sensations : ce sont là des critères trompeurs, car les situations peuvent toujours nous déborder. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la spiritualité contemporaine est généralement un échec : à tout miser sur le ressenti, on finit encore plus stressé. 

Le point est plutôt de s'abandonner du fond du cœur. Dans cette certitude que tout baigne dans la lumière, même si mon ressenti me dit le contraire - surtout si mon ressenti me dit le contraire. Car c'est cela la foi. Autrement, aucune confiance, aucun abandon ne seraient nécessaires. L'essentiel est dans l'intention profonde, la fidélité au milieu des péripéties, des hauts et des bas. Si je prends le ressenti comme critère, je suis perdu, car je fais de la surface, la profondeur. Je suis alors perdu, exactement comme le riche attaché à son argent etc. Je me fais moi-même esclave, librement. 

Bien sûr, cette erreur est enveloppée dans le jeu de la conscience. Mais ce jeu doit évoluer. C'est dans la nature de la conscience. 

dimanche 19 juillet 2020

Vijnâna Bhairava Tantra 130 131 132 : La compréhension du divin en soi

Chola - Shiva Vinadharadaksinamurti Maître de la musique - LANKAART

L'expérience de la force du Nom :

bhayā sarvaṃ ravayati sarvado vyāpako 'khile |
iti bhairavaśabdasya santatoccāraṇāc chivaḥ || 130 ||


"Il fait tout 'hurler' (rava) par la peur (bhay),
il est présent en tout (comme condition de possibilité) :
en énonçant sans cesse le mot 'Bhairava',
on (redeviendra) divin."

L'expérience du passage de l'ego au Soi :


ahaṃ mamedam ityādi pratipattiprasaṅgataḥ |
nirādhāre mano yāti taddhyānapreraṇāc chamī || 131 ||


'Je suis', 'c'est à moi' : 
au moment de ces intuitions,
l'attention se tourne vers ce qui ne dépend de rien.
Par la force de cette contemplation,
on guérit."

L'expérience de la reconnaissance :

nityo vibhur nirādhāro vyāpakaś cākhilādhipaḥ |
śabdān pratikṣaṇaṃ dhyāyan kṛtārtho 'rthānurūpataḥ || 132 ||


"Permanent, puissant, sans support,
omniprésent et maître de tout :
en méditant ces mots à chaque instant,
on atteint ce qui doit l'être, selon le sens (de ces mots)."




samedi 18 juillet 2020

La pratique du shivaïsme du Cachemire

Yogini | Freer Gallery of Art & Arthur M. Sackler Gallery
Kâpâlinî Yoginî

Résumé de la pratique du shivaïsme du Cachemire :

"Dans cette (pratique), 
rien n'est obligatoire, 
rien n'est interdit.
Tout, absolument tout, est obligatoire !
Tout, absolument tout, est interdit !
Mais ici, ô Déesse, 
la (seule) règle à pratiquer,
la voici :
le yogî plein d'ardeur doit
stabiliser son attention dans l'être.
Et on doit se conduire exactement
selon cette compréhension."

Mâlinî Vijaya Uttara Tantra, XVIII, 79

Comment progresser dans notre compréhension de la situation ?

Cycladic Thinker Statue Like Rodin The Thinker Early Greek Adaptation

I - La base logique

Le complotisme est à la véritable science politique ce que le Père Noël est au business réel. C'est une caricature simpliste de la situation objective et de sa compréhension possible.

Mais comment atteindre à cette compréhension ? Ne sommes-nous pas limités dans nos capacités cognitives ?

Il est vraiment que nous sommes inégaux sur ce plan, comme sur le plan des capacités physiques. Mais ces inégalités intellectuelles sont moindres ou, du moins, elles peuvent être comblées en partie grâce aux exercices adéquats.

Lesquels ?

- La méditation, le silence intérieur, améliorent la mémoire, la concentration, l'élocution. Heureusement, la méditation est à la mode. Il suffit de s'asseoir et écouter les sensations. Encore plus simple : sans s'asseoir ni rien faire d'autre, se taire à l'intérieur.

- La logique. En Europe et en Méditerranée, il y a l'Organon d'Aristote. Il y a aussi la Logique de Port-Royal. En Inde, il y a le Nyâya, "l'art de conduire (la pensée)", l'une des trois "portes vers la délivrance" (moksha-dvâra), avec la grammaire et l'interprétation. Malheureusement, la logique n'a pas bonne réputation. 

Cependant, il est certain que l'on ne peut comprendre quoi que ce soit si l'on ne s'exerce pas à bien penser. Cette pratique est la grande absente des voies spirituelles. Et je crois que cette lacune explique en grande partie le sentiment de frustration que l'on rencontre souvent dans la clientèle des coachs, thérapeutes, etc. Si je ne sais pas comment distinguer un raisonnement valide d'un sophisme, comment pourrais-je m'éveiller ? Si je ne connais rien à l'art de penser, je risque fort de tomber sous le contrôle d'une idéologie ou d'individus peu scrupuleux. Je vais me retrouver dans les impasses du complotisme, de l'occultisme, du consumérisme, du fanatisme ou d'une doctrine superficielle, sans réelle solidité. La vie me rappellera sans cesse que tout cela n'est qu'illusion et faux-semblants, et je finirai déçu.


Pour s'exercer à la logique, il y a des sites sur les paralogismes (les raisonnements erronés) et des vidéos :







Il faudrait proposer des stages de logique. Ou faire de la logique dans les séminaires de yoga. Mais cela n'aurait guère de succès. Pourtant c'est l'un des fondements de la tradition. Et, selon le shivaïsme du Cachemire, "la raison/logique est le suprême auxiliaire du yoga". 

Mais je ne me fais guère d'illusion. La raison ne fait pas vendre. Au contraire, elle dégoûte. Or, il s'agit bien de vendre, n'est-ce pas ? Bref.
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II - La situation

Une fois cette base posée, voyons quelle est notre situation ?

On peut la schématiser ainsi les fouillis apparemment inextricable des idées, des doctrines et autres idéologies :

Trois visions : 

1 - La vision pré-moderne : 
Il existe des valeurs éternelles venant du passé, transmises par la tradition ou telle Autorité. Le progrès est une illusion. Le meilleur est derrière nous. L'Homme doit se soumettre à la tradition. Il y a une réalité atemporelle. La Nature est belle et bonne. L'Homme doit l'imiter. Tout dégénère. Si l'Homme désobéit à Dieu ou à la Nature, il est puni. La Nature nous montre quoi faire, il suffit de l'imiter. Il y a un ordre naturel ou divin des choses. Il n'y a pas de hasard.

2 - La vision moderne :
L'Homme peut choisir son avenir. Le progrès est possible et il est un devoir. L'Homme doit se bâtir son propre monde, parfois contre la Nature ou mieux qu'elle. Dieu et la Nature sont rationnels. La raison est fiable. L'Homme peut progresser vers la vérité, améliorer sa condition, inventer des techniques, comprendre la Nature et Dieu, et même améliorer sa nature, son éthique et sa politique. Il existe des valeurs universelles, des Droits de l'Homme, une égalité des races et des sexes. L'Etat ne doit pas décider des conditions du bonheur, ni de toutes les valeurs, ni des croyances, mais seulement poser un cadre minimum. L'individu existe, il est doué de libre-arbitre. La liberté de conscience est essentielle. Même si Dieu existe, chacun doit être libre de croire ou non. Les libertés d'expression, de circulation, d'échange, sont essentielles.

3 - La vision post-moderne :
Tout est relatif, tout est construit par des pouvoirs. Il n'y a aucune vérité universelle, aucune valeur universelle. Il n'y a pas de progrès, pas d'individu, pas de sujet, pas de libre-arbitre, mais seulement des forces qui s'affrontent. Tout est subjectif : il n'y a pas de vérité objective. Il est donc impossible de vraiment communiquer. Les cultures comme les points de vue individuels n'ont rien de commun. Chacun dit vrai de son point de vue. Tous les points de vue se valent. Il n'y a pas de critère de vérité, de beauté, de bonté, de justice. Les minorités sont plus importantes. Le laid est beau. Le faux est vrai. Le mauvais est bon. Tout est construit par les mots, les mots ne connaissent rien de la réalité. L'homme blanc est toujours méchant, raciste et sexiste. L'Autre est sacré. Il n'y a pas d'essence, il ne faut pas juger, on ne peut rien définir. L'Occident est mauvais. 


Ces trois visions ont dominé
1 - Prémoderne : Jusqu'à la Renaissance
2 - Moderne : Jusqu'aux années 1960
3 - Postmoderne : Depuis les années 1960

Mais attention : en réalité, ces trois visions se retrouvent à chaque époque, dans toutes les grands cultures (Europe, Inde, Chine). 

Ainsi, dès l'Antiquité il y a eu des postmodernes : les sophistes en Grèce, les Cârvâkas en Inde et "l'Ecole des Noms" en Chine.

Chaque vision a ses qualité et ses défauts.

Cependant, dans la situation présente, il y a deux visions en position dominante et une vision en état de faiblesse.

Les deux visions qui dominent aujourd'hui sont la vision prémoderne (islamisme, intégrisme, fondamentalisme, traditionalisme, écologisme radical, boboisme populaire, occultisme, complotisme, etc.) et la vision postmoderne (justice sociale radicale, politiquement correcte, bien-pensance, wokeness, racialisme, communautarisme, indigénisme, relativisme, LGBTisme, inclusivisme, décolonialisme, etc.).

En outre, ce qui se passe est que la vision postmoderne fait le lit du retour de la vision prémoderne :

En effet, s'il n'existe pas de vérité objective, il devient impossible de réfuter les croyances et les superstitions. 
S'il n'existe pas de critère universel de justice, il devient impossible de dénoncer les injustices de "l'ordre naturel. divin des choses". 
Si tout se vaut, alors à quoi bon discuter ? 
Si tout n'est que verbiage creux, à quoi bon discourir ? 
Il n'y a plus de morale, plus de politique, plus de culture, plus de mémoire, plus d'identité, plus de repères, plus d'âme, plus rien... Et dans ce désert, dans ce magma impersonnel, la vision prémoderne peut fleurir. C'est le "retour du religieux", si vous voyez ce que je veux dire.

Paradoxalement, la destruction des traditions par la vision postmoderne permet le retour au prémoderne. La terre est plate pour ceux qui croient qu'elle est plate, etc. Tout se vaut. Toute velléité de défendre un point de vue au nom de quelque chose de plus que ce point de vue - comme la raison, la vérité, l'objectivité, la cohérence - est immédiatement interprétée comme l'expression d'une volonté de pouvoir, généralement occidentale, c'est-à-dire mauvaise, raciste, "fachiste", etc. 

L'un des buts initiaux de cette "déconstruction", qui est en fait une véritable destruction, est de neutraliser le racisme en détruisant la raison. Autrement dit : casser le thermomètre dans l'espoir de faire baisser la température....
 Mais ce qui se passe bien plutôt, c'est que tout les prophètes et autres charlatans peuvent désormais raconter n'importe quoi sans crainte d'être contredits. Car à présent, tout le monde craint d'être labellisé "occidental", "intellectuel", "rationaliste", c'est-à-dire raciste et "facho", terme qui constitue l'horizon ultime de la vision actuellement dominante et le centre de son champ lexical.

Et c'est ainsi que l'on voit des féministes (postmodernes) manifester avec des femmes voilées (prémodernes). Les premières luttent pour que les secondes puissent imposer leur volonté aux premières. Mais il est vrai que l'incohérence fait la fierté de la vision postmoderne. Plus c'est obscur, charabiatesque et imbitable, plus on se donne des airs de supériorité "mystérieuse", voire "poétique". C'est de l'art, alors circulez, pauvres débiles réfractaires ! 

En fait, il n'y a rien d'autre, dans cette vision postmoderne, que des sophismes. L'actuelle domination postmoderne dans tous les secteurs de la société mondialisée, c'est la victoire des sophistes. Tout simplement. De la fumée.

Or, ce triomphe fait aussi la joie du capitalisme libre-échangiste. Car il a toujours prôné la dérégulation, la disparition des frontières et l'uniformisation au sein d'un Marché divinisé, présenté comme la solution à tous les problèmes. 



Le commerce a joué un rôle dans l'Histoire, certes. Mais il a toujours été perçu, à raison, comme une source de déséquilibre potentiel. La vision prémoderne et la vision moderne n'ont jamais voulu mettre les commerçants au pouvoir. Platon parlait juste quand il décrivait ainsi les marchands : "Il s'agit le plus souvent de ceux qui sont faibles physiquement et inaptes à exécuter un autre travail. La tâche qui leur convient est de rester au marché, d'acheter des marchandises contre un paiement en argent à ceux qui ont besoin de les vendre, et de les revendre contre paiement en argent à ceux qui ont besoin de se les procurer" (République, 371b-d, GF). On voit de suite qu'ils sont le point faible de la cité, le ver dans le fruit. 

Aujourd'hui, le Marché est idolâtré : considéré comme omniprésent, omniscient et omnipotent. Et avant que le Marché ne soit divinisé, la divinité a été marchandisée, par des marchands qui se sont proclamé prophètes. 

Ainsi, la plus récente des "grandes religions" (grande par la quantité) a été fondée par un marchand, propagée par des marchands. Ceux-ci ont d'abord mis à leur service les guerriers, puis les intellectuels et les prêtres. Leurs premières cités furent donc bâties dans l'excès, en détruisant les forêts. Aujourd'hui, cette religion est l'alliance la plus aboutie du consumérisme et du fanatisme. 

Le consumérisme se nourri de la vision postmoderne ("tout est relatif" = "tout est à vendre") et le fanatisme, à son tour, se nourri de cette même vision postmoderne et de quelques éléments prémodernes pervertis, en une sorte de culte de l’Oeil Unique. 

Toujours est-il que le capitalisme s’accommode parfaitement de ce fanatisme, et concourt à une stupéfiante renaissance du communautarisme, du tribalisme et des formes les plus primitives d'identité, à l'opposé de l'universalisme des grandes civilisations. Voulant détruire les identités, le postmodernisme accouche des pires monstres identitaires.

Enfin, le culte de la tribu trouve un dernier allié dans le boboisme apparemment écologiste et réellement capitaliste qui s'étale partout, dans un moment de triomphe inédit. Sans doute victimes d'un accès virulent du Syndrome de Stockholm, les classes moyennes en voie d'extinction célèbrent à tue-tête, dans un dernier cri aussi fou que touchant, les valeurs sacrées qui sont en train de les anéantir. Car les classes moyennes, "l'honnête homme", étaient l'humain moderne, celui des Lumières, épris d'idéaux harmonieux.

III - La solution

A mon sens donc, il faut aujourd'hui se battre pour toutes sortes de valeurs et de choses. Mais l'axe doit être moderne : raison, progrès, universalité, république, égalité des chances, éducation, méritocratie, vertu, fraternité dans la fierté assumée d'un héritage unique. La France a toujours été le fer de lance du progrès de l'humanité. Elle doit le redevenir, au lieu de se complaire dans une culpabilité aussi imaginaire que mortifère.

Au fond, tout ceci est une question d'équilibre, de juste mesure. L'Autre, oui, mais dans un cadre universaliste et juste. La diversité certes, mais dans l'unité d'une raison seule capable de juger, de répartir, d'assigner à chacun sa juste place, de faire progresser l'ensemble, d'émanciper des superstitions, de former des citoyens, de discerner le bon grain de l'ivraie. Sans cela, nous allons droit à la libanisation du pays, à l'image des reste du monde. C'est déjà le cas et cela empire, sous l'emprise du poison postmoderne et des filous qui en profitent, tant du côté des tribus, des religions, que du Marché.

Nous avons de quoi nous en sortir : c'est la vision moderne. Un héritage exceptionnel. Une véritable sagesse. Équilibrée, juste, rationnelle, faite pour évoluer, en elle est notre salut. Sinon, c'est la barbarie. C'est elle qu'il faut redécouvrir. 

Un exemple de défense de ces valeurs : Paul Boghossian, La Peur du savoir. Le voici dans une conférence :


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IV - Un idéalisme moderne est-il possible ?

Soit. 
Mais comment adhérer à cette vision moderne quand on épouse une doctrine de la conscience universelle ? Si "tout est conscience", tout n'est-il pas subjectif, et donc relatif ? Si tout est conscience, alors cela ne va-t-il pas dans le sens du narcissisme new age actuel ? Le divin, le cosmos, la Nature ne sont-ils pas au servie de "mes envies" ? 

Non.
Il est possible de maintenir à la fois que "tout est conscience" et qu'il existe des critères universels et rigoureux de jugement du vrai, du beau, du bon. Idéalisme (l'appellation technique du "tout est conscience") ne rime pas avec relativisme.

Deux exemples : le platonisme et le shivaïsme du Cachemire.

Ces deux doctrines sont 1) idéalistes ("Penser et être sont le même") et 2) très conscientes de la relativité des opinions ("Tout est illusion").

Pourtant, elles ne sonnent pas du tout comme le relativisme actuellement omniprésent.

Pourquoi ?

Parce qu'elles prennent soin de distinguer entre l'opinion et la science, entre l'imagination et la raison. 

Certes, le shivaïsme du Cachemire ne fonde pas sa théorie de la science sur une opposition entre monde sensible et monde intelligible. Néanmoins, le shivaïsme du Cachemire prend soin de montrer que "les idées" ne sont pas de simples "constructions" subjectives ou sociales. Car il y a un critère du Vrai : la cohérence. L’objectivité étant une forme de cohérence entre sujet et objet ; et l'efficacité étant une autre forme de cohérence, entre le moyen et la fin. 

Ce n'est pas le lieu ici de rentrer dans les détails, mais le platonisme (c'est-à-dire presque toute la philosophie européenne) est idéaliste sans être relativiste. Or, le shivaïsme du Cachemire offre l'exemple d'une entreprise semblable. 

Voilà pourquoi je suis convaincu que le platonisme et le shivaïsme du Cachemire sont des visions vitales pour notre avenir. Nous devons les explorer, de même que nous devons redécouvrir la pensée moderne. Et nous devons trouver le courage de la mettre en pratique. Nous n'avons pas le choix. Les Lumières ou la mort.

No Ritual No Yoga, Just Self-Experience : Vijnâna Bhairava Tantra 2b-15

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The Goddess asks whether the Divine is any Form worshipped in the following Tantric Traditions (listen to the video for some details about them) :

kiṃ rūpaṃ tattvato deva śabdarāśikalāmayam || 2 ||
"Is God..."

kiṃ vā navātmabhedena bhairave bhairavākṛtau |
triśirobhedabhinnaṃ vā kiṃ vā śaktitrayātmakam || 3 ||

nādabindumayaṃ vāpi kiṃ candrārdhanirodhikāḥ |
cakrārūḍham anackaṃ vā kiṃ vā śaktisvarūpakam || 4 ||

"...or is it of the essence of Shakti ?"

parāparāyāḥ sakalam aparāyāś ca vā punaḥ |
parāyā yadi tadvat syāt paratvaṃ tad virudhyate || 5 ||

"(For forms) both middling and inferior
do have parts/ do have organs/ various powers.
But the superior one is not (like that).
If the superior one would be like that,
it's superiority would stand contradicted."

na hi varṇavibhedena dehabhedena vā bhavet |
paratvaṃ niṣkalatvena sakalatve na tad bhavet || 6 ||

"For (that superiority) is not possible
with different letters (of a Mantra) of with différents bodies (for visualization).
To be superior, is to be devoid of parts.
And this is not possible when one has parts."

prasādaṃ kuru me nātha niḥśeṣaṃ chinddhi saṃśayam |

"Grace me, O Lord, cut through my doubt !"

The Answer :

bhairava uvāca |

"(God) the Terrible, said :"

sādhu sādhu tvayā pṛṣṭaṃ tantrasāram idam priye || 7 ||
"Good, good, my Dear, your question is about the essence of Tantra."

gūhanīyatamam bhadre tathāpi kathayāmi te |

"It is most secret. Yet, O Dear One, I shall tell it to you (because you are dear to me). 

yatkiṃcit sakalaṃ rūpaṃ bhairavasya prakīrtitam || 8 ||
"Whatever form with parts is spoken of as mine...

tad asāratayā devi vijñeyaṃ śakrajālavat |
māyāsvapnopamaṃ caiva gandharvanagarabhramam || 9 ||
"...should be reckoned, O Goddess, as devoid of any substance, 

like a magic trick, like a dream,
and just like an imaginary city in the clouds".

dhyānārtham bhrāntabuddhīnāṃ kriyāḍambaravartinām |
kevalaṃ varṇitam puṃsāṃ vikalpanihatātmanām || 10 ||
"Those forms with parts are for the visualisation

of those whose intelligence is deluded,
(for) they are engrossed in 
the agitated whirpool of business.
They are described only for those individuals
who are deep down loaded with (vain) choices." 

tattvato na navātmāsau śabdarāśir na bhairavaḥ |
na cāsau triśirā devo na ca śaktitrayātmakaḥ || 11 ||
"Really, God is not..."

nādabindumayo vāpi na candrārdhanirodhikāḥ |
na cakrakramasambhinno na ca śaktisvarūpakaḥ || 12 ||
"...of the essence of Shakti."

aprabuddhamatīnāṃ hi etā balavibhīṣikāḥ |
mātṛmodakavat sarvaṃ pravṛttyarthaṃ udāhṛtam || 13 ||
"For those (formsà are for those whose intelligence is not awake :

(for them, those forms are like) tales to frighten children,
like sweets of a mother : 
all that is given as a model for business."

dikkālakalanonmuktā deśoddeśāviśeṣinī |
vyapadeṣṭum aśakyāsāv akathyā paramārthataḥ || 14 ||
"(The real Divine) is freed 

from the mesures of place and time,
devoid of a special 'here' or 'there'.
It is (thus) not possible to point at her :
really, she cannot be told."

antaḥsvānubhavānandā vikalponmuktagocarā |
yāvasthā bharitākārā bhairavī bhairavātmanaḥ || 15 ||

"(Yet) she is the bliss of self-experience, 
(turned) to the inside,
a realm freed from choices/ doubts.
That state, full to the brim,
is the Goddess, the (very) self of God."

vendredi 17 juillet 2020

Le monde est le jeu de l'espace

Bonhams : A COPPER ALLOY FIGURE OF DANCING KRISHNA TAMIL NADU ...
Krishna


L'espace en lequel ces mots apparaissent, résonnent et disparaissent,
est l'espace absolu, le mystère (guhya) suprême, la science royale :

mayā tatam idaṃ sarvaṃ jagad avyaktamūrtinā 
matsthāni sarvabhūtāni na cāhaṃ teṣv avasthitaḥ 

na ca matsthāni bhūtāni paśya me yogam aiśvaram 
bhūtabhṛn na ca bhūtastho mamātmā bhūtabhāvanaḥ 

yathākāśasthito nityaṃ vāyuḥ sarvatrago mahān 
tathā sarvāṇi bhūtāni matsthānīty upadhāraya 


Bhagavadgîtâ IX, 4-6

"Tout cela se déploie par moi :
le monde (se déploie) par (ma) forme universelle.
Tous les êtres existent en moi,
mais je ne suis pas confiné en eux.

Et (en réalité), ces êtres ne sont pas en moi !
Vois mon yoga, vois ma souveraineté.
Fondement des êtres, je ne suis pas (confiné) en eux.
Mon Soi est l'acte qui les engendre.

De même que le vaste vent qui pénètre tout 
est (lui-même) toujours dans l'espace,
de même tous les êtres sont en moi :
fais attention à cela !"

Tout est dans l'espace.
L'espace n'est enfermé nulle part.
Il n'y a rien d'autre que l'espace, 
car rien ne peut exclure l'espace.

Ce qui ne peut être perdu, exclu, mis à l'écart, 
cela est l'absolu, digne de tous les désirs.

Vijnâna Bhairava Tantra 129 Le lâcher-prise

India – TravelMadeOf
Shiva Natarâja, l'icône de Chidambaram


L'expérience du lâcher-prise :

yatra yatra mano yāti tat tat tenaiva tatkṣaṇam |
parityajyānavasthityā nistaraṅgas tato bhavet || 129 ||


"Où que l'attention/ l'esprit aille,
par cela même, à cet instant,
que l'on lâche prise, sans poser (l'attention) ailleurs :
alors on deviendra immobile."

Le premier hémistiche est identique à celui du verset 116 : on laisse donc d'abord l'attention butiner à sa guise, à la manière que les neurosciences appellent le "mode par défaut".  

jeudi 16 juillet 2020

Vijnana Bhairava Verse 1 The Goddess said


Shrî Jnâna Sambandha, a great devotee of Shiva


śrī devy uvāca |
The Goddess said :
śrutaṃ deva mayā sarvaṃ rudrayāmalasambhavam |
trikabhedam aśeṣeṇa sārāt sāravibhāgaśaḥ || 1 ||

"O God !
I have heard all that is born 
from the union of Shiva and Shakti.
I have heard the whole (of it),
extracting the essence from the essence,
(up to and including) the secret of the Triad."

adyāpi na nivṛtto me saṃśayaḥ parameśvara |

"Still, my doubt is still operating, o supreme Lord !"

La spiritualité peut-elle se passer de politique ?

Michael Griffin

Une attitude courante, dans les milieux spirituels, est de rejeter la politique. Il suffirait de "travailler sur soi" pour changer le monde en mieux, par le truchement d'une mystérieuse influence.

Et si, vraiment, tout était lié ? Et si, comme le cosmos et l'homme sont proportionnés, de même, le politique et le psychique l'étaient aussi ?

Reste que la politique est peu intéressante, austère, pleine de vice, sans espoirs, remplie d'illusions.
A quoi bon perdre son temps, et peut-être son âme, à ces questions obscures et vaines ? Ne vaut-il pas mieux se concentrer sur soi ? N'est-ce pas abandonner un diamant pour une verroterie ? 

Cependant, il se pourrait que ce raisonnement soit erroné. En effet, la connaissance politique peut fort bien être envisagée comme une sorte de connaissance de soi, ou comme un outil de connaissance de soi. 
Comment ? Parce que la politique porte sur le groupe, la cité, la société. Et si la société n'était qu'une sorte d'humain, mais en plus grand ? Et si l'individu était une société, mais en plus petit ?

Si cela s'avérait vrai, alors il n'y aurait qu'une différence de degré, une différence d'échelle, entre la politique et la spiritualité. La science politique ne serait qu'un aspect de la connaissance de soi, et vice-versa. Si la société est comme un "grand individu", alors réfléchir à son organisation, c'est réfléchir sur soi. Inversement, qu'est-ce qu'un individu, si ce n'est une société faite d'individus encore plus petits, mais fort nombreux, dont l'individu cherche la meilleure organisation ?

Cette meilleure organisation, c'est la politique qui l'étudie pour la société, et c'est la spiritualité qui l'étudie pour l'individu. Et une société bien organisée, c'est une société juste, tout comme un individu bien organisé, c'est un individu en bonne santé. De sorte que l'on en vient à pressentir comment la politique pourrait ne pas être si éloignée que cela de la spiritualité. Ce sont deux aspects de la réflexion sur l'organisation, avec comme but l'harmonie - ici justice, là santé.  

Enfin, étudier la politique, entendue comme réflexion sur l'organisation collective, facilite la connaissance de soi, car le collectif est un "grand Soi", comme si l'on se regardait soi-même avec une loupe.

Telle est l'analogie que formule Socrate et la méthode qu'il en tire :

"Si, devant des gens dont la vue manque d'acuité, on disposait des lettres formées en petits caractères pour qu'ils les reconnaissent de loin, et que l'un d'eux s'avise que les mêmes lettres se trouvent ailleurs en plus grands caractères et dans un cadre plus grand, je crois que cela leur apparaîtrait comme un don d'Hermès de reconnaître d'abord les grands caractères, pour examiner ensuite les petits et vois s'il s'agit des mêmes. 
(...) Peut-être existe-t-il une justice qui soit plus grande dans un cadre plus grand, et donc plus facile à saisir (...) Nous effectuerons d'abord notre recherche sur ce qu'est la justice dans les cités ; ensuite, nous poursuivrons le questionnement de la même manière dans l'individu pris séparément, en examinant dans la forme visible du plus petit sa ressemblance avec le plus grand..."
(République, 368d-e, GF, trad. Leroux)

Autrement dit, étudier la société, c'est aussi s'étudier soi-même, mais à une échelle bien plus vaste, ce qui permet d'y voire plus aisément. 

La politique est donc cela : une forme grossie, mais non pas nécessairement grossière, de la connaissance de soi. Elle constitue donc un outil précieux et nécessaire. Croire que l'on peut faire l'impasse sur cet aspect des choses, à cause de sa complexité ou de son inutilité apparente, c'est donc commettre une grave erreur.