jeudi 31 décembre 2020

Le Nouvel avent - 32



 Les lettres ont des yeux,

comme dans ses yeux s'inscrivent les lettres

que je ne saurais jamais inscrire ailleurs

que sur sa nuque,

surplombée de ses cheveux 

affalés de rebiques et de brocs, 

calfeutrés au grand airs capables de tout.

Le lampadaire s'incline

jusqu'à ses pieds,

carapaté comme un quelconque vassal

que ses ondes viennent corrompre

 à l'effigie du dernier des étangs.

Au regard de ses ténèbres,

le jour n'y vois plus clair

et même le cœur des étoiles

s'y sent sombre.

C'est ténèbres. Et c'est éblouissant.

A peine - 31


 

Au sommet d'une dune de neige éclatante

gît le cristal, en son cœur brille l'amarante.

Là, le blanc empoigne le rouge en des noces

embaumées des déserts du noble sacerdoce.


Ombre caligineuse, au

fait de l'abîme des nues eaux,

elle est l'empreinte

de nos mains jointes.

Flot de nectar

Parâ Devî, par Ekabhûmi


prakāśāṃ śītalāmekāṃ śuddhāṃ śaśikalāmiva |

dṛśaṃ vitara me nātha kāmapyamṛtavāhinīm || 5 ||

 

Maître !

Accorde-moi la vision

de la Lumière consciente,

fraîche, unique,

transparente comme le clair de lune,

flot d'une ineffable ambroisie.

Utpaladeva, Hymnes à Shiva, III, 5, Arfuyen


Kshemarâja explique : La lumière consciente (prakāśa) est "fraîche" (śītala) comme la Lune est réputée être source de fraîcheur et de fécondité. Elle est "lumière" car elle est évidente et "fraîche" parce qu'elle apaise la fièvre du samsâra. Elle est "transparente", pure, car elle transcende toute séparation (bheda). Elle est "une" (ekām) car il n'y a rien d'autre qu'elle. Elle est "ineffable" car elle est sans équivalent. Elle est "flot d'ambroisie", pluie de nectar. Ô toi qui est le maître et le refuge de tout et de tous, purifie ma conscience (samvidam), ma vision (dṛśam).

mercredi 30 décembre 2020

Saint-Samson

 


Là, le vide est tout plein.

Jean de Saint-Samson

La merveille


 oṃ sadasattvena bhāvānāṃ yuktā yā dvitayī gatiḥ |
tāmullaṅghya tṛtīyasmai namaścitrāya śambhave || 1 ||

Il est juste qu'il y ait
deux voies pour les choses :
être ou ne pas être.
Mais je salue la troisième voie,
qui n'a cure de cette dualité.
Je salue la merveille, le Bienfaisant !

Utpaladeva, Hymnes à Shiva, III, 1, Arfuyen

Les choses, nous explique Ksehmarâja, n'existent pas avant leur naissance. Or la conscience transcende ces alternatives qui ne peuvent l'indiquer. Ce qui l'indique bien plutôt, c'est justement qu'elle transcende (ullaṅghya) ce couple de l'être et du non-être. Elle est la merveille (citra), le miracle de la fresque universelle. Hommage à cette ineffable présence, c'est-à-dire reconnaissance de ces qualités dans la conscience ici présente.

mardi 29 décembre 2020

Suite nuptiale - 30



 Les pluies sont passées,

les gouttes ont infusé le drap noir

dans la chambre vide.

Les eaux salées ont révélé 

les lettres de jade

qui disent le secret

d'un moment hors d'ici.

Les plis défont les habitudes

et les perles pendent jusqu'à

ce que vérité soit dite.

Mais nul ne l'entend

car ces murs n'ont point de dehors.

Le lit flotte sans rivages

entre le rien et le tout,

l'avant et l'après de nos soucis.

Son apparence est transparence,

simple comme une fin d'orage.

Et dans cette suite royale,

tous attendent le réveil nuptial.

A force d'absence - 29


 

A la force de son absence,

elle transperce tous les avoirs cachés

dans les replis de ma veste en loup fumé.

Au-delà des broutilles,

par-delà les brindilles jetées par-dessus soi,

elle rougeoie dans les angles défunts.

Sur sa langue d'abricot gisent les embryons à venir,

enrobés des hauts habits de splendeurs.

Mon manteau est tombé, lourd sur les flocons légers,

et je me suis envolé, comme l'ombre dans le soleil

s'en retourne à pas de pèches mûres.

Mes dents ont éclatés, les grains de grenades

ont relâché leur noyaux fécond,

les doigts dedans les mains des airs silencieux.

Ces carrosses endiablés se sont égaillés 

en rondes volubiles,

le centre partout, la circonférence, 

vous irez voir,

et il ont baillé en éventails diaprés

jusqu'au bout des maintes ruelles.

Le villageois en est resté tout coi,

ranimé par son cabri dressé

au parvis des fontaines de l'éternel couchant.

Le plus grand des Mantras



 
Je rends hommage

à ta forme transparente et fraîche

- la pleine conscience de soi -

essence excellente d'un incomparable parfum,

débordante d'une ultime ambroisie.

Utpaladeva, Hymnes à Shiva, II, 26, Arfuyen

En sanskrit :

mahāmantramayaṃ naumi rūpaṃ te svacchaśītalam |
apūrvāmodasubhagaṃ parāmṛtarasolvaṇam || 26 ||

"La pleine conscience de soi" : litt. "plein du grand Mantra". 
Le commentateur Kshemarâja nous explique que ce grand Mantra 
est la réalisation spontanée 'je', c'est-à-dire 'je suis je' (aham aham), pleine . Cette réalisation (parāmarśa) est 
la conscience authentique (akṛtrima) 'je suis tout et au-delà de tout'. 
C'est le plus haut Mantra, c'est-à-dire l'état de conscience
qui englobe tous les autres, la matrice de toutes les expériences possibles.
Et c'est a ton essence que je rends hommage (naumi tava rūpam).
Cette essence ou cette forme est "transparente" (svaccha) 
car elle est le miroir où l'univers vient se refléter.
Elle est "fraîche" (śītala) car elle apaise la fièvre du samsâra.
Elle déborde d'un parfum (āmoda), d'une joie incomparable, inédite,
qui ne se laisse comparer à aucun autre parfum, 
car son essence est une délectation, un parfum qui infuse tout et qui, 
pourtant, n'est pas de ce monde. 
C'est une "ultime ambroisie" (parāmṛtarasa),
un débordement  (solvana) de félicité suprême.

lundi 28 décembre 2020

Aux grands froids - 28



 Au titre de ses gloires dépouillées de tout soupçon,

les vents d'ouest proclament les richesses d'avant 

la venue des grands savants,

du temps où la meute suivait les loups

dans les traces de la spirale adamantine,

quand les enfants savaient hiberner

au rythme de leurs parents,

nus sous les feuilles rouges du sang

des étés brefs mais forts.

Entre ses cuisses résonnent les antres de la sagesse,

aux entrées cachées 

sous les pieds d'arbres au nœuds puissants,

ancrés dans les nuées des rêves mérités par les dos fourbus.

Le cerf demande grâce devant ses blanc éclats

aux brises de glaces bleues tonitruantes. 

J'entends claquer la langue du lac

au grès des pointes altruistes.

Son ressort m'est maintenant livré

sans apprêts.

Vous l'entendrez si vous savez vous arrêter.



Des airs inconnus - 27



 A la volée des volutes échappées de son ventre,

les relents du couchant ventilent les chants du jour.

Il y a ce mystère des fins, l'énigme de ce frêle passage

quand la mort est mangée par la naissance.

A moins qu'elle ne l'engendre -

le zénith embrasse le zéphir

où il rejoint la courbure de notre terre.

Dans son souffle sortant, les créatures s'éveillent

en des printemps de jamais.

Dans ses courants descendants,

la lune se déverse à travers les strates de la chair,

jusqu'à l'orée de toute parole.

Suivre le papillon au fond de sa gorge

réveille la divine en sa forteresse d'amoureuse solitude.

Tel est l'insigne pouvoir des eaux du reflux,

elles bringuebalent les bavards dans le sillage du simple,

au clair de l'astre de l'entraille.

Sa main resuscite les apparences de vie

et restaure, l'air de rien, les reins de l'âne solitaire.

Jaillit des eaux crustacées, le pingouin le rejoint

sur les banquises fertiles d'un respir égal.

Là, la nuit rend ses constellations

et le jour s'abaisse de sa lune et de son soleil,

jusqu'au tréfond des océans discrets.

Elle est une vallée traversée de ruisseaux scintillants

qui font mal de bonheur, épais comme une couette d'oie.

Et tout là-haut, elle fredonne des airs inconnus aux oreilles

des hommes.


L'enseignement ineffable



 Seigneur !

Je salue ton enseignement,

dénué de la moindre complexité,

inscrit sur l'immense toile

de la conscience d'être toi, 

saturée du nectar de l'absolue liberté.


Utpaladeva, Hymnes à Shiva, II, 27, Arfuyen

dimanche 27 décembre 2020

Moue rapace - 26



 Elle est assise à contre-jour,

la main sur la feuille.

La lumière déchiffre tous les mondes

à travers elle.

Il n'y a plus qu'un secret,

que seule la fin de toutes les lignes

pourra révéler.

Au détour d'une traîne, 

la brume laisse passer de quoi

guider les anges jusqu'à son cou.

L'arc des sourcils sourit

à la moue rapace.

La présence s'enflamme à son contact,

soutenue de la nuit vraie.

En son éclat les étoiles se retirent,

larmes lactées du passé révolu,

cachées dans l'avenir résolu

de son aura ouverte aux courants d'avant.

Houles perdues - 25



Aux matins de son âme, 

l'altitude des noces compte pour peu

dans l'étreinte de ses os courageux.

Tout en haut de la faille,

elle plane sur la plaine vide,

à la poursuite des horizons plus que vastes.

Et voici que la main de l'enfant se dépose sur la feuille.

Il n'y a que le silence pour donner plus.

Tout en haut de l'alpage, 

là où l'herbe le rend à la rocaille,

les pierres sont assez muettes pour tout dire.

La marmotte même est incapable de l'entendre.

Alors, pauvres de ce viatique,

nous sommes passés à l'école du ressac,

moi sur les planches radoucies, elle sur le sable dur.

Les chiens entre deux, à creuser la fraîche.

La respiration marine apaise les mâchoires des hommes.

Les pattes plantées dans les générations oubliées,

les yeux fixés sur l'auréole de coton blanc,

le souffle du nourrisson au bas du ventre,

ils lui rendent un hommage mérité.

A dire vrai, la horde suit les salutations du soleil,

à l'aube des rousses souris aux serres paresseuses.

Les vapeurs tardent, intimidées par l'arc de ses pieds.

Les coquilles vides viennent baiser ses talons 

entre les houles salées.

La lune s'est égarée sur son épaule,

prise dans ses filets murmurés.

Quand bien même, une mouette sautille

dans le labyrinthe intangible de ses songes.

Les gesticulations humaines s'évaporent 

dans les lignes de l'étendue sableuse.

Les vagues vont s'éteindre en un scintillement croissant,

et ces étincelles vont mourir sur la ligne de fond.

L'arrangement se fait écho dans le ciel,

là où les nuées vont se perdre dans l'espace bleu nuit,

pupille des univers endiablés.

C'est là qu'elle a sa demeure, 

élancée vers le zénith intense,

œil unique de tous les paysages.

samedi 26 décembre 2020

Le seul bien


La réussite et l'échec, la santé et la maladie... : toutes ces qualités sont indifférentes en vérité. Certes, il est préférable d'être riche et en bonne santé, mais cela n'est ni vraiment bon, ni vraiment mauvais.

Le seul bien véritable, c'est de vivre chaque instant orienté du fond de mon être vers la source. Le seul mal est de vivre dans l'oubli de ce mystère très vivant. D'autant plus que mon énergie est faible : si j'accorde tant soit peu la priorité à autre chose, j'échouerai en tout. Je n'aurai, au mieux, que de fausses richesses, et la véritable continuera à m'échapper.

Il ne s'agit pas de vivre pauvre et malade, mais de donner la priorité absolue à l'abandon à la source. Et je ne parle pas d'une idée générale ou d'une vague croyance, mais d'une attention qui se poursuit d'instant en instant. C'est un abandon total, qui revient à vivre sans savoir comment je pense, comment je parle, comment j'agis. Je remets tout entre les mains de la source. Ainsi, je ne sais pas comment ces mots surgissent, comment ils s'agencent. Je peux certes l'analyser après coup, mais de fait, je ne le sais pas sur le moment. Ou plutôt, je sais qu'ils viennent par une union de mon attention avec mon centre, qui est le centre de tout, et que j'appelle ici "source". Mais cet abandon doit être absolu. Je ne décide rien, ne choisit rien. Je choisit les choix de la source. En silence et en paix. Je ne laisse rien au hasard, je n'exclu rien. Je pense, je parle, j'agis : mais plutôt, je laisse penser, parler, agir. Quant à moi, tout mon travail, si j'ose dire, consiste à reposer en confiance. Aveugle à tout, ne voyant que cette immensité de silence, que cette obscurité ineffable. C'est toute mon action, très difficile et très facile. Je n'ai pas assez de force pour faire plusieurs choses à la fois. Alors je contemple et me laisse unir à la source, et la source fait le reste. C'est-à-dire tout. Mais je ne me dit pas "oh, la source fait tout". Je demeure en silence, à l'unisson du silence, sans rien faire d'autre. Je ne nourri pas les pensées, je ne les rejette pas. Je laisse faire la source.

C'est l'unique nécessaire. Sans cela, les biens tournent en maux. Avec cela, les maux tournent en bien. Si je me ment en disant cela, la source corrige. Si je m'attache, si je me berce d'illusions, si je me paie de mots, la source corrige. Les maux servent à ajuster, à dépouiller, à éprouver. Mais je ne fais rien d'autre que me laisser faire en m'abandonnant à cette présence. Je me repose sur le seuil. Je sais bien que rien, absolument rien, n'existe en dehors de cette présence quasi absente. En ce sens, je n'existe pas, rien n'existe. Mais toute ma pratique est de rester comme aimanté, centré vers ce centre qui est partout indéniable et nulle part confiné. Tout le reste est, en vérité, indifférent, ni bon ni mauvais. Le seul mal est l'oubli de la source, le seul bien est d'y revenir. 

Dans cet abandon total, je ne perd rien du tout. Mes facultés restent intactes. Je ne deviens pas stupide. Mais je ne fais plus d'autre effort que me tourner vers la source. La source fait tout. Elle m'utilise. Je ne l'utilise plus. Je ne chercher pas d'autre succès que de vivre ainsi. Je ne redoute pas d'autre échec que d'oublier de vivre ainsi. Je ne suis pas sans opinions, mais je ne suis plus l'auteur de rien. Je ne suis que l'auteur de vivre orienté vers la source, ou désorienté. Sans doute, mes opinions sont encore miennes dans la mesure où elles reflètent mon passé. Mais plus je vis à l'unisson du chef d'orchestre, moins la musique est mienne, encore qu'elle ne cesse pas d'être unique, bien au contraire. Cependant, je ne l'utilise pas. Si je l'utilise, c'est que j'ai oublié la source, je ne vis plus à l'unisson. 

Au fond, aucun élément n'est supprimé ou ajouté. Seules changent les priorités, l'ordre des biens et des maux. Vivre à l'unisson de la source ineffable est le seul bien véritable.

Lectio divina


 Il faut vous faire une règle de bonnes lectures selon votre goût et selon votre besoin. Il faut lire simplement, assez courtement; se reposer après avoir lu, méditer ce qu’on vient de lire ; le méditer sans grand raisonnement, plus par le cœur que par l’esprit, et laisser faire à Dieu son impression dans votre cœur sur la vérité méditée. Peu d’aliment nourrit beaucoup quand on le digère bien. Il faut mâcher lentement, sucer l’aliment, et se l’approprier, pour le convertir tout en sa propre substance.

Fénelon, Lettre à un converti

vendredi 25 décembre 2020

Elle en bas en haut - 24

 



Il y a loin de moi à moi,

en chacun de mes émois,

jusqu'à ici.

Mais la tension libère le trait,

et l'air qui frotte est le même qui porte.

Laisse-là les rondes et les tourmentes,

passe en ton rien, car elle est tout,

tout ou rien, c'est tout comme.

Ses ailes larges comme un passé et un avenir,

nulle cabrette n'a jamais posé l'orteil sur sa cime.

D'un pas elle engendre, de l'autre elle remet en terre,

au travail du terreau tous ces vermis

ingénus, faussement innocents !

La ville se meurt.

L'aigle n'y peut, qui se pâme des spirales de leurs banquets.

En surplomb du nid salvateur,

elle attend, haute penchée sur le cas de l'horizon.

Il recule de crainte d'avoir des comptes à rendre

à son délicieux bec, 

suave comme une grenade, âcre comme un pétard mouillé.

La prudence des grenouilles est de ne point attendre

les offrandes des nuées.

Ses serres assurées sur la veine céleste,

elle n'est certes pas née du dernier œuf.

Sa peau ne se laisse pas comparer :

le léopard a laisser des tâches

en se risquant à l'imiter.

Elle est descendue :

la terre a paru s'élever.

Plus haut que le dessus des mondes,

elle s'est enfoncé dans les univers

qui n'en demandaient pas tant.

Le mystère est révolu :

son ramage a tout aveuglé.

Le labeur des omoplates - 23

 


L'ellébore à juré sur son tablier,

le ventre nu des paliers arborés.

Du derrière de la nuque

deux ailes ont poussé jusque loin dans les horizons.

Il faudrait revenir au commencement d'avant

pour laisser le frémissement courir dans les blés.

Quand bien même un homme saurait cela,

les yeux de la pierre de lune lui feraient subir

mille voiles d'un bout à l'autre de l'étendue.

En travers de sa bouche il n'y a que sa largeur.

Elle s'ouvre, la baleine de beauté

figurée dans l'astre de sa face.

Il faudrait être idiot pour confondre le soleil et la lune

avec jupiter et saturne : 

le maître du ciel et le mangeur mangé

semblent s'assembler 

mais jupiter est plus proche de cette branche

que du temps qui passe,

pour qui vomir c'est manger,

s'affamer se rassasier.

Laideur qui de son total

ne lance qu'un grain d'œillade,

caché depuis les dunes de sa peau nacrée.

Son front s'abaisse d'un degré,

une torpille s'élance de sa pupille,

vierge grosse de tous les mondes.

Voilà l'obscurité, une neige invisible

fait fondre les pieds dans les bois ajustés.

Elle a dit : les épaules sont trop larges ;

mais les filles d'Atlas n'ont rien de trop

pour asseoir la démesure à leur dos.

Les omoplates pleines d'analogies,

le flocon se pose au bas des reins,

et un rien de vent passe entre les feuilles.

Il ne faut pas dire,

parce qu'il ne peut se dire sans se démembrer.

Elle est toute dans son tout :

découper serait battre la plume

au son des tempêtes jusqu'aux fins de la terre.

Il n'y a que cette pose : à genoux 

la tête aux orients, 

les mains englouties dans la pâte.

Elle est tout cela qui échappe,

à l'horizon comme aux sommets.

La fable de la Pierre Philosophale


 Il était une fois un homme fortuné qui réunissait en lui toutes les qualités habituellement contradictoires, tout comme l'océan contient à la fois les eaux et les laves souterraines. Habile dans les arts et les armes, il était expert en commerce, il réalisait tous ses projets. Mais ne connaissait pas l'Être. Il faisait tous les efforts possibles et se livrait à toutes les pratiques pour se procurer la Pierre Philosophale, à la manière dont les laves souterraines aspirent à dévorer les mers. Par son effort immense et sa persévérance il obtint un jour cette pierre, car l'homme ardent peut tout. Celui qui s'engage avec courage et lucidité atteint son but, même s'il n'est rien.

La Pierre se tenait devant lui, à portée de main. Il la voyait, tout comme l'ermite au sommet de la plus haute montagne voit la lune. Il contemplait l'éclat de ce joyau ; mais il manqua de conviction. Il n'en cru pas ses yeux, comme un mendiant qui serait élevé au rang de roi. Il se mit alors à cogiter, perplexe qu'il était. Du coup, il oublia de mettre la main sur la Pierre et se tourmenta longtemps en ces termes : 

"Cette pierre est-elle un joyau, ou pas ? Ce joyau est-il bien la Pierre, ou pas ? Puis-je la toucher ? Car si je la toucher, j'ai peur qu'elle s'envole ou qu'elle soit souillée ! Personne ne peut obtenir la Pierre Philosophale en si peu de temps. C'est seulement à la fin d'une longue vie d'effort que l'on peut l'obtenir : telle est la tradition ! C'est sûrement ma misère et mon désir qui me fait voir cette pierre brillante devant mes yeux. Un aveugle ne voit-il pas des éclairs de lumière et d'autres, deux lunes dans le ciel ? Comment donc la fortune pourrait-elle me sourire ainsi ? Comment donc pourrai-je réussir si vite, dès à présent, alors que cette Pierre est la source de toutes les perfections ?Les bienheureux qui la trouvent doivent être très rares et ils ont beaucoup de chance. Eux seuls peuvent la trouver en peu de temps et avec peu d'efforts. Moi, je suis pauvre, un brave type, un moins que rien. Comment pourrai-je réaliser ce suprême bonheur ?"

Cet ignorant resta ainsi longtemps à tergiverser, résolu à hésiter. Hypnotisé par sa bêtise, il ne tendit même pas la main pour prendre la Pierre qui se tenait devant lui. Tout ce que l'on trouve, on le perd souvent  par négligence, comme cette Pierre philosophale qui était pourtant à portée. Pendant que cet homme balançait, la Pierre s'envola et disparu de sa vue, à la vitesse d'une flèche. La chance bénit untel de la sagesse, mais elle reprend tout à l'imbécile. Cet homme s'efforça à nouveau de réaliser la Pierre Philosophale, car ceux qui sont persévérants n'abdiquent jamais. Il finit par tomber sur un bout de verre, brillant d'un faux éclat, déposé là par quelque ange facétieux.  L'imbécile pris la verroterie pour la Pierre, comme l'ignorant prend un sable brillant pour de l'or pur. Il en va ainsi de l'esprit égaré, il confond son huit et son six, l'ennemi pour un ami et il prend la corde pour un serpent. Il s'abreuve aux mirages, il voit deux lunes quand il n'y en a qu'une et il prend le poison pour d'un nectar d'immortalité. Notre bougre prit cet ersatz pour l'authentique Pierre philosophale et crut qu'elle réaliserait ses désirs. Il donna alors tout ce qu'il avait, comme s'il n'en avait plus le besoin. Il commença à croire que les autres de sa société, le tiraient vers le bas. Il abandonna sa demeure et sa famille, ennemis de son bonheur. Il parti dans une forêt lointaine et sauvage, emportant son bout de verre. Là, son "joyau" s'avéra stérile. Il fut pour lui source d'innombrables calamités, pareilles à l'ombre d'une haute montagne, les ténèbres de l'ignorance. Les afflictions engendrées par notre ignorance sont bien pires que celles de la vieillesse et de la mort. 

Le Yoga selon Vasishta, VI, 1, 88

jeudi 24 décembre 2020

Le Hatha Yoga, yoga contre nature



Le dernier article de James Mallinson confirme ce que l'on savait déjà : l'expression hathayoga apparaît d'abord dans des tantras bouddhistes, où elle désigne la rétention spermatique, par compression, crispation, etc. Hathayogena signifie "par la force". Il s'agit de copuler sans éjaculer afin d'acquérir divers pouvoirs surnaturels et, finalement, l'immortalité.

Donc, après le yoga de Patanjali qui est un suicide méthodique, voici le Hatha Yoga qui est à l'origine un yoga de la violence visant à contrarier les tendances naturelles.

Bon courage à toutes et à tous !

Thèses sur la conscience



1 . Toute conscience est permanente, omniprésente, omnisciente et omnipotente.

2 .  Toute conscience est acte.

3 . Toute conscience est réflexive.

4 . Toute conscience est de même nature qu'un langage.

5 . Toute conscience est un Moi.

6 . Toute conscience est liberté.

7 . Toute conscience est "conscience de".

8 . Toute conscience comporte un fond de félicité. 

Autrement dit, il n'y a pas de conscience accidentelle ou limitée, pas de "dehors" de la conscience dans l'espace ou le temps, pas de conscience statique, pas de conscience sans conscience de soi, pas de conscience qui ne soit source de parole, pas de conscience sans subjectivité, ni sans libre-arbitre, pas de conscience qui ne soit animé d'une fond d'extase créatrice. Ces thèses sont interdépendantes, voire équivalentes.

Bon Noël à tous !

Le Tantra selon Abhinavagupta

dessin par Ekabhumi


Méditation sur le Tantra ultime de la Déesse - Srīmālinīvijayavārtikam.

Ce texte, peu connu et inédit en France, est une sorte de libre commentaire sur le tantra ("livre") ultime selon Abhinavagupta. Dans ce livre il aborde ne nombreux points ésotériques, tels que la pratique de la "méditation de Shiva" (shiva-mudrâ). Il part du premier verset du tantra, mais son commentaire porte sur l'ensemble du livre qui comprend 23 chapitres. La Méditation elle-même est en deux parties : la première couvre les 17 premiers chapitres du tantra et comporte 1135 versets. La seconde porte sur les chapitres 18 à 23 et contient 335 versets.

Les versets 1 à 12 de la première partie invoquent le couple divin et les maîtres d'Abhinavagupta.

Tout commence par un couplet extraordinaire, que l'on retrouve en tête de tous les œuvres d'Abhinavagupta et qui contient tout son enseignement est qui peut se lire au moins sur deux plans, celui de la vie d'Abhinavagupta lui-même, et celui de la vie universelle de l'être et de la conscience :

vimala-kalā-aśrayā-abhinava-sṛṣṭi-mahā jananī
bharita-tanuś ca pañca-mukha-gupta-rucir janakaḥ |
tad-ubhaya-yāmala-sphurita-bhāva-visarga-mayaṃ
hṛdayam anuttara-amṛta-kulaṃ mama saṃsphuratāt ||1||

"La Génitrice est grosse de créations nouvelles
qui dépendent de (son) dynamisme immaculé."

Cette première ligne s'adresse à la fois à la Déesse et à la mère d'Abhinavagupta - sa mère (jananî) - dont la grandeur (mahâ) fut n'avoir engendré (shrishti) Abhinavagupta (abhinava) et qui se nommait Vimalâ, "Immaculée".

"Et le Géniteur, dont le corps est à la fois maigre et gras,
cache son désir en ses cinq faces".

Le père d'Abhinava est mort quand il était encore jeune. Le premier composé le décrivant (bharitatanuśca) peut signifier "dont le corps est plein". Cela pourrait faire référence à sa beauté. Cependant, tanu- signifie, en plus de "corps", "émacié, maigre, mince, atténué". Il pourrait s'agir d'une allusion à des pratiques ascétiques : le père d'Abhinava se serait livré à des jeûnes qui auraient affaiblis (tanu) son corps (tanu) pourtant parfait (bharita). Et il en serait mort ; ce qui, par ailleurs, éclairerait le rejet de toute mortification dans l'enseignement d'Abhinava. Sur le plan universel, ce vers décrit Dieu, le géniteur (janaka) des univers innombrables, dont le corps de conscience déborde d'infinis potentiels. "Il cache (Abhinavagupta=abhinava/mère/shakti+gupta/père/shiva) son désir (ruci) en ses cinq faces". On sait que son père se prénommait Narasimgagupta. Les "cinq faces" de Dieu peuvent désigner ici toutes sortes de pentades : les cinq faces dont sont issus tous les savoirs et le Tantra ; les cinq pouvoirs à commencer par la conscience ; les cinq facettes de toute expérience selon l'enseignement ésotérique de la tradition de la Déesse (devî-naya, mahâ-artha-krama, kâlî-krama, etc.) : apparence, délectation, réflexion, inconscience et ineffable conscience, laquelle à la fois inclus et transcende ces quatre aspects ou moments.

Les deux lignes suivantes évoquent l'union de ce couple :

"Puisse mon Cœur fulgurer en toute évidence,
ce Cœur qui est la totalité immortelle, 
absolu débordant d'extase, 
émotion éclatante de l'étreinte de ce couple."

Comme précédemment, ces lignes décrivent le fait que les parents d'Abhinavagupta sont réputés l'avoir conçu dans le cadre d'une union rituelle selon la tradition Kaula, bien que la chose ne soit pas très claire. En tous les cas, Abhinavagupta se considérait comme un "fils de la Yoginî". Mais cette yoginî peut désigner, outre sa mère, la partenaire dans les rituels sexuels, une entité féminine source de connaissance, ou encore la Déesse elle-même, c'est-à-dire la conscience en ses différents aspects. 

Sur le plan à la fois philosophique et mystique, ces lignes contiennent tout le Tantra, le total de toutes les connaissance, la pleine conscience que l'Être a de lui-même. "L'absolu" (anuttara) est à la fois transcendant et immanent, absolu et relatif, la transcendance de la transcendance même, par-delà toute hiérarchie. L'extase (visarga) est à la fois le moment de l'orgasme, et l'acte d'être, l'émerveillement de la pleine conscience de soi, acte sous-jacent à toute expérience. 

Je le répète, ces lignes contiennent tout l'enseignement d'Abhinavagupta, c'est-à-dire tout le Tantra, la réalisation entière du mystère en toutes ses facettes.

Pour approfondir, je vous conseille la lecture du commentaire de ce verset par Alexis Sanderson.

L'enfantement de chacun en Dieu



 S'éveiller, c'est voir et sentir et aimer que tout naît, vit et meure dans le mystère ineffable qui se dévoile à nu entre deux pensées.

C'est voir, sentir et aimer que tout est engendré en ce mystère. C'est pour cela que nous naissons dans la présence : afin de réaliser que tout nait en elle. Il y a donc deux naissances : la naissance des êtres et des choses dans la conscience universelle ; et la naissance de cette conscience en chacun, naissance qui est un éveil, une seconde naissance. Ainsi le monde naît au cœur de la lumière, puis cette lumière renaît au cœur de la nuit. Comment ? Par une attention fine et aveugle comme cette nuit même.

L'hivers est engendré dans l'été, les chaleurs s'allument dans les glaces. A la fin de l'inspir, le début de l'expir. Au plus profond de la nuit, l'aurore, d'abord une espérance, puissance à peine distincte du néant, présence dépouillée de tout éclat. Pourquoi ? - pour que chacun puisse la voir, la sentir et l'aimer.

D'abord, nous pressentons le mystère en chacun. Mais enfin, nous voyons, nous sentons et nous aimons toutes choses dans sa source, dans la présence germinale.

Ainsi notre vie intérieure part de l'expérience commune. Mais par la force de cette reconnaissance de tout en son Tout, cette expérience courante s'en trouve profondément modifiée. Rappelez-vous quand on vous montre un mouton dans un nuage. D'abord, vous ne voyez qu'un nuage comme les autres : c'est l'expérience commune. Puis soudain vous reconnaissez le mouton. Le nuage n'a pas changé et pourtant il n'offre plus le même visage. Et ceci, par le simple pouvoir de l'attention, de la dévotion, de la participation d'une conscience entière. Ainsi la conscience est naissance à travers la porte de l'attention.



Au Versatile




 Essence de la voie droite,

tu désires la voie gauche.

Tu pratiques tout

sans rien pratiquer :

je salue le Versatile !


Hommage à Dieu,

qui doit être adoré de toutes les manières,

qui doit être vénéré partout et toujours,

ineffable, mystérieux,

ainsi et autrement aussi.


Quel que soit le dieu que l'on vénère,

de quelque manière que ce soit,

c'est toi le dieu que l'on adore.

Hommage à toi !


Utpaladeva, Hymnes à Shiva, II, 19-20, Arfuyen

mercredi 23 décembre 2020

Miroir - 22

 


Givre blanc du lit au sombre de sa chambre
Cramoisi nonchalant mon doute assuré
Alors je me penche sous les yeux qui rassemblent les mots
Comme les branches en un florilège égal
Rassemblant les nuées éparses une pierre de lune
L'esprit large des aigles du levant
Silences vidés de leur langue résonnent à chacun
Démêlant les souvenirs en un frais courant
Où l'éléphant viendra poser ses nuances de gris passez-moi l'expression
Où jamais l'éternel ne tombera dans la cage du verbe 

Sur le chemin - 21



Sur le bord du chemin, un miroir.

Aux alouettes, fraîches mais naïves créatures.

Tout ce qui brille n'est pas d'or.

Qui n'est pas sobre le saura bien assez tôt.

Sans le jeûne du silence intérieur,

le banquet des expériences fascinantes

nous entraîne dans le labyrinthe d'une confusion sans issue.

Hors l'hiver de la froide lucidité,

le cristal du discernement mystique

fondra bien vite

au soleil de ces frivolités.

Pour voir ce que mon cœur désire,

je dois m'enfoncer là où je ne vois plus.

En ces ténèbres, le regard s'accoutume

peu à peu à cette nuée obombrée de la vraie clarté

et se sèvre doucement des vaines curiosités.

Seul le désert est assez pur pour nourrir en son sein

les abondantes semences du bien.

Tout doit passer par le sépulcre

d'une mort dépouillée, comme sans retour.

Ne rien exclure, car tout est divin,

revient à ne rien laisser en place du silence,

car le Transparent demande cette transparence

pour paraître trésor tel qu'il est,

seul avec la seule âme diaphane.

Les yeux grands ouverts,

les paumes déposées sur des jambes fourbues,

le paradis entre en nous

si nous ne sommes plus.

En toute évidence, l'aube lointaine

se précipite dans le Loin-proche,

l'intime en amont de tout Moi.

Dans cet oubli je me souviens.

En cette déprise je suis pris en charge.

Plus je consens à cette mort invisible,

plus limpidement je renais.

Plus je me perds, plus je me retrouve,

autrement, en ce que je désire.

Ce ne sont plus que cycles veloutés

et nouveautés renouvelées.

Les aubes se succèdent, 

uniques mains tendues vers l'un.

Alors tout se transmute de soi

et tend au bien,

dans l'assurance que tout est déjà bien.

Le lâcher-prise n'est pas la mollesse




L'abandon au divin ne peut porter fruit que sur la souche d'un caractère solide.
Fénelon, apôtre de l'oraison de silence et de repos, disciple de l'enfance spirituelle, clarifie ici la nécessité d'une certaine discipline, sans laquelle rien de bon n'est possible. L'intérêt de cette lettre, outre son éloquence à la fois forte et précise, est de faire voir l'abyme qui sépare la véritable paresse - la quiétude du lâcher-prise - d'une mollesse consumériste, cette pseudo-liberté qui est un vrai esclavage. Il s'agit d'une lettre adressée à un jeune aristocrate engagé dans le métier des armes et qui mourra peut-être en 1704 :

"Ce que vous avez le plus à craindre, Monsieur, c’est la mollesse et l’amusement. Ces deux défauts sont capables de jeter dans les plus affreux désordres les personnes même les plus résolues à pratiquer la vertu, et les plus remplies d’horreur pour le vice. La mollesse est une langueur de l’âme, qui l’engourdit, et qui lui ôte toute vie pour le bien; mais c’est une langueur traîtresse, qui la passionne secrètement pour le mal, et qui cache sous la cendre un feu toujours prêt à tout embraser. Il faut donc une foi mâle et vigoureuse, qui gourmande cette mollesse sans l’écouter jamais. Sitôt qu’on l’écoute et qu’on marchande avec elle, tout est perdu. Elle fait même autant de mal selon le monde que selon Dieu. Un homme mou et amusé ne peut jamais être qu’un pauvre homme; et s’il se trouve dans de grandes places, il n’y sera que pour se déshonorer. La mollesse ôte à l’homme tout ce qui peut faire les qualités éclatantes. Un homme mou n’est pas un homme ; c’est une demi-femme’. L’amour de ses commodités l’entraîne toujours malgré ses plus grands intérêts. Il ne saurait cultiver ses talents, ni acquérir les connaissances nécessaires dans sa profession, ni s’assujettir de suite2 au travail dans les fonctions pénibles, ni se contraindre longtemps pour s’accommoder au goût et à l’humeur d’autrui, ni s’appliquer courageusement à se corriger.

     C’est le paresseux de l’Écriture’, qui veut et ne veut pas; qui veut de loin ce qu’il faut vouloir, mais à qui les mains tombent de langueur dès qu’il regarde le travail de près. Que faire d’un tel homme ? il n’est bon à rien. Les affaires l’ennuient, la lecture sérieuse le fatigue, le service d’armée trouble ses plaisirs, l’assiduité même de la cour le gêne. Il faudrait lui faire passer sa vie sur un lit de repos. Travaille-t-il ? Les moments lui paraissent des heures. S’amuse-t-il ? Les heures ne lui paraissent plus que des moments. Tout son temps lui échappe, il ne sait ce qu’il en fait; il le laisse couler comme l’eau sous les ponts. Demandez-lui ce qu’il a fait de sa matinée: il n’en sait rien, car il a vécu sans songer s’il vivait, il a dormi le plus tard qu’il a pu, s’est habillé fort lentement, a parlé au premier venu, a fait plusieurs tours dans sa chambre, a entendu nonchalamment la messe. Le dîner est venu : l’après-dînée se passera comme le matin, et toute la vie comme cette journée. Encore une fois, un tel homme n’est bon à rien. Il ne faudrait que de l’orgueil, pour ne se pouvoir supporter soi-même dans un état si indigne d’un homme. Le seul honneur du monde suffit pour faire crever l’orgueil de dépit et de rage, quand on se voit si imbécile.

     Un tel homme non seulement sera incapable de tout bien, mais il tombera peu à peu dans les plus grands maux. Le plaisir le trahira. Ce n’est pas pour rien que la chair veut être flattée. Après avoir paru indolente et insensible, elle passera tout d’un coup à être furieuse et brutale ; on n’apercevra ce feu que quand il ne sera plus temps de l’étouffer.

     Il faut même craindre que vos sentiments de religion, se mêlant avec votre mollesse, ne vous engagent peu à peu dans une vie sérieuse et particulière qui 101 aura quelques dehors réguliers, et qui, dans le fond, n’ aura rien de solide. Vous compterez pour beaucoup de vous éloigner des compagnies folles de la jeunesse, et vous n’apercevrez pas que la religion ne sera que votre prétexte pour les fuir: c’est que vous vous trouverez gêné avec eux; c’est que vous ne serez pas à la mode parmi eux ; c’est que vous n’aurez pas les manières enjouées et étourdies qu’ils cherchent. Tout cela vous enfoncera par votre propre goût dans une vie plus sérieuse et plus sombre : mais craignez que ce ne soit un sérieux aussi vide et aussi dangereux que leurs folies gaies. Un sérieux mou, où les passions règnent tristement, fait une vie obscure, lâche, corrompue, dont le monde même, tout monde qu’il est, ne peut s’empêcher d’avoir horreur. Ainsi peu à peu vous quitteriez le monde, non pour Dieu, mais pour vos passions, ou du moins pour une vie indolente qui ne serait guère moins contraire à Dieu ; et qui serait plus méprisable selon le monde, que les passions mêmes les plus dépravées. Vous ne quitteriez les grandes prétentions, que pour vous entêter de colifichets et de petits amusements dont on doit rougir dès qu’on est sorti de l’enfance.

  Venons aux moyens de vous précautionner contre vous-même là-dessus.

   Le premier est de vous faire un projet pour remplir votre temps, et de le suivre, quoi qu’il vous en coûte. Le second, c’est de mettre dans ce projet, comme l’article le plus essentiel, celui de faire tous les jours une demi-heure de lecture méditée, où vous ne manquerez jamais de renouveler vos résolutions contre votre mollesse. Le troisième, c’est que vous ferez tous les soirs un examen de votre journée, pour voir si la mollesse vous a entraîné et si vous avez perdu du temps.

  Le quatrième est de vous confesser régulièrement de quinze en quinze jours à un confesseur qui connaisse votre penchant, et que vous engagiez à vous soutenir vigoureusement contre vous-même. Le cinquième moyen est d’avoir quelque bon ami ou quelque domestique assez discret et assez zélé pour pouvoir vous avertir secrètement quand il verra que votre mollesse commencera à vous engourdir. Pour se mettre en état de recevoir de tels avis, il faut les demander cordialement, montrer aux gens qu’on leur sait bon gré de ce qu’ils les donnent, et leur faire voir qu’on tâche d’en profiter. Jamais ne leur montrez ni chagrin, ni indocilité, ni hauteur, ni jalousie.

     Pour vos occupations, il faut les régler, soit à l’armée ou à la cour. Partout il faut se faire une règle, et ranger si bien toutes les choses, qu’on y manque fort rarement. Le matin, votre lecture méditée avant toutes choses, et lorsqu’on vous croit encore au lit. Vers le soir une autre lecture. Si vous vous sentez alors quelque goût à vous recueillir un peu en la faisant, vous vous accoutumerez par là peu à  peu à faire le soir comme le matin. Mais d’abord il ne faut pas vous gêner et vous lasser de prières. Pendant la messe, vous pourrez lire l’épître et l’évangile, pour vous unir au prêtre dans le grand sacrifice de Jésus-Christ ; quelque pensée tirée de l’évangile ou de l’épître, qui aura rapport au sacrifice, pourra vous aider à tenir votre esprit élevé à Dieu.

     Il faut voir civilement tout le monde dans les lieux où tout le monde va, à la cour, chez le Roi, à l’armée, chez les généraux. Il faut tâcher d’acquérir une certaine politesse, qui fait qu’on défère à tout le monde avec dignité. Nul air de gloire, nulle affectation, nul empressement: savoir traiter chacun selon son rang, sa réputation ; son mérite, son crédit ; au mérite, l’estime; à la capacité accompagnée de droiture et d’amitié, la confiance et l’attachement; aux dignités, la civilité et la cérémonie. Ainsi satisfaire au public par une honnête représentation dans ces lieux où il n’est question que de représenter; saluer et traiter bien en passant tout le monde, mais entrer en conversation avec peu de gens. La mauvaise compagnie déshonore, surtout un jeune homme en qui tout est encore douteux. Il est permis de voir fort peu de gens, mais il n’est pas permis de voir les gens désapprouvés. Ne vous moquez point d’eux comme les autres, mais écartez-vous doucement.

    Lisez les livres qui conviennent à votre état, surtout l’histoire de votre pays. Voyant tout le monde d’une manière gaie et civile en public, et ayant des occupations louables pour votre métier selon le monde même, vous ne devez pas craindre d’être retiré. Autant qu’une retraite vide est déshonorante, autant une retraite occupée et pleine des devoirs de sa profession élève-t-elle un homme au-dessus de tous ces fainéants qui n’apprennent jamais leur métier. Quand on saura que vous travaillez à n’ignorer rien dans l’histoire et dans la guerre, personne n’osera vous attaquer sur la dévotion: la plupart même ne vous en soupçonneront point: ils croiront seulement que vous êtes un sage ambitieux. Par ces soins, vous pouvez vous dispenser d’être avec la folle jeunesse, et par là vous pourrez être retiré pour vous donner tout à Dieu et aux devoirs de l’état où la Providence vous a mis.

    Outre qu’il ne faut jamais paraître se préférer à personne, il faut encore certaines manières simples, naturelles, ingénues; un visage ouvert, quelque chose de complaisant dans le commerce passager: que tout marque de la noblesse, de l’élévation, un cœur libéral, officieux’, bienfaisant, touché du mérite ; de l’industrie pour obliger, du regret quand on ne le peut pas, de la délicatesse pour prévenir les gens de mérite, pour les entendre à demi-mot, pour leur épargner certaines peines, pour dire à demi ce qu’il ne faut pas achever de dire, pour assaisonner un service de ce qui peut le rendre obligeant sans le faire valoir. L’orgueil cherche la gloire par ce chemin, et il faut que la religion cherche par ce chemin la vraie bienséance par des motifs tout divins. Rien n’est si noble, si délicat, si grand, si héroïque, que le cœur d’un vrai chrétien; mais en lui rien de faux, rien d’affecté, rien que de simple, de modeste et d’effectif en tout.

    Voilà à peu près les choses qui regardent le commerce public. Il y a encore le commerce de certains amis d’une amitié superficielle. Il ne faut point compter sur eux, ni s’en servir sans un grand besoin; mais il faut, autant qu’on le peut, les servir, et faire en sorte qu’ils vous soient obligés. Il n’est pas nécessaire que ces gens-là soient tous d’un mérite accompli ; il suffit de lier commerce extérieur avec ceux qui passent pour les plus honnêtes gens. C’est ceux-là avec qui on s’arrête et on raisonne, au lieu qu’on ne dit que bonjour aux autres. On les va voir chez eux aux occasions de compliments, on se trouve avec eux en certains endroits: mais on n’est point de leurs plaisirs, et on ne les met point dans sa confidence. S’ils veulent pousser plus avant la liaison, on esquive doucement; tantôt on a une affaire, tantôt une autre.

    Pour les vrais amis, il faut les choisir avec de grandes précautions, et par conséquent se borner à un fort petit nombre. Point d’ami intime qui ne craigne Dieu, et que les pures maximes de religion ne gouvernent en tout; autrement il vous perdra, quelque bonté de cœur qu’il ait. Choisissez, autant que vous pouvez, vos amis dans un âge un peu au-dessus du vôtre : vous en mûrirez plus promptement. À l’égard des vrais et intimes amis, un cœur ouvert ; rien pour eux de secret que le secret d’autrui, excepté dans les choses où vous pourriez craindre qu’ils ne 103  fussent préoccupés’. Soyez chaud, désintéressé, fidèle, effectif, constant dans l’amitié ; mais jamais aveugle sur les défauts et sur les divers degrés de mérite de vos amis : qu’ils vous trouvent au besoin, et que leurs malheurs ne vous refroidissent jamais.

     Traitez bien vos domestiques : une autorité ferme et douce, un grand soin d’entrer dans leurs besoins, de leur faire tout le bien qu’on peut, de distinguer ceux qui méritent quelque distinction, et de les attacher à soi par le cœur; supporter leurs défauts, lorsqu’ils ne sont pas essentiels, et qu’ils ont bonne volonté de s’en corriger ; se défaire de ceux dont on ne saurait faire d’honnêtes gens selon leur état.

     Enfin souvenez-vous, Monsieur, (et je finis par où j’ai commencé) que la mollesse énerve tout, qu’elle affadit tout, qu’elle ôte leur sève et leur force à toutes les vertus et à toutes les qualités de l’âme, même suivant le monde. Un homme livré à sa mollesse est un homme faible et petit en tout: il est si tiède, que Dieu le vomit. Le monde le vomit aussi à son tour, car il ne veut rien que de vif et de ferme. Il est donc le rebut de Dieu et du monde, c’est un néant ; il est comme s’il n’était pas; quand on en parle, on dit: Ce n’est pas un homme. Craignez, Monsieur, ce défaut, qui serait la source de tant d’autres. Priez, veillez ; mais veillez contre vous-même. Pincez-vous comme on pince un léthargique; faites-vous piquer par vos amis pour vous réveiller. Recourez assidûment aux sacrements, qui sont les sources de vie, et n’oubliez jamais que l’honneur du monde et celui de l’Évangile sont ici d’accord. Ces deux royaumes ne sont donnés qu’aux violents qui les emportent d’assaut’."

mardi 22 décembre 2020

Yoga non violent

 


Nous connaissons aujourd'hui le "yoga violent", hatha-yoga. Sur le modèle donné par Patanjali, et sans doute inspiré par le bouddhisme, il propose une démarche appuyée sur huit "auxiliaires" (anga) qui permettent la suppression des émotions et l'anéantissement du Moi. L'effort discipliné est le fondement commun à toute cette démarche. L'effort (prayatna) est le moteur du progrès spirituel, lui-même étant nourri par le détachement (vairâgya) qui découle d'une vision lucide des défauts inévitables des objets que nous désirons.

Mais Abhinavagupta récuse cet édifice, tant la violence que l'effort et le détachement. A la suite d'une lignée informelle d'intellectuels lettrés du Cachemire, il propose une alternative qui s'appuie sur d'autres valeurs. Voici l'un des passages qui expriment cette vision alternative. Beaucoup moins connue que le yoga comme discipline et comme gymnastique de purification ou de thérapie, elle mériterait d'être méditée.

Le contexte de cet extrait est une réflexion d'Abhinavagupta sur la "méditation dans l'attitude de Shiva" (shiva-mudrâ) qui est la principale pratique contemplative dans le shivaïsme, en particulier dans le shivaïsme shâkta, "de la Shakti", lequel met l'accent sur le pouvoir divin reconnu dans la conscience et dans les facultés du corps.

D'abord, voici cet extrait en sanskrit translittéré :

sa yogī vismayāviṣṭo labhate svātmasaṃvidam
tattaddṛśyodayāpāyayoge 'py anapayatsthiti // 2.99 //

taḍāgavartinimnāmbu tannānyatra pravartate
prayatnenāpi tanmātrapūraṇāya yad akṣamam // 2.100 //

yadā tvantaḥdvāravāridhārasaṃpūritaṃ rasāt
bhaved bhaveyustatpūrṇāḥ pravāhāḥ sarvatomukhāḥ // 2.101 //

evaṃ svollāsarabhasāc caitanyaṃ pronmiṣatsvayaṃ
avibhāgena bhāvāṃśān svātmābhedena bhāsayan // 2.102 //

mīlanāviṣayībhāvaṃ śrayed yadi muhūrtakaṃ
māyāvigalanād bhūmir bhairavīyā virājate // 2.103 //


vaikalpiko 'hyavacchedaḥ paścād yāṃ darśayed bhidām
saiva māyā svatantrasya bhedadṛṣṭiprakāśinī // 2.104 //

unmeṣamātrarūḍhasya sā nirmūlā na saṃbhavet
itthaṃ kiṃ bahunoktena naye 'nuttarātmani // 2.105 //

vastuto 'sti na kasyāpi yogāṅgasyābhyupāyatā
svarūpaṃ hyasya nīrūpam avacchedavivarjanāt // 2.106 //

upāya 'pyanupāyo 'syāyāgavṛttinirodhataḥ
recanapūraṇair eṣā rahitā tanuvātanauḥ // 2.107 //

tārayaty evam ātmānaṃ bhedasāgaragocarāt
nimajjamānam apy etan mano vaiṣayike rase // 2.108 //

nāntarārdratvam abhyeti niśchidraṃ tumbakaṃ yathā
svaṃ panthānaṃ hayasyeva manaso ye nirundhate // 2.109 //

teṣāṃ tatkhaṇḍanayogād dhavaty unmārgakoṭibhiḥ
kiṃsvid etad iti prāyo duḥkhe 'py utkaṇṭhate manaḥ // 2.110 //

sukhād api virajyeta jñānād etad idaṃ [tv iti]
tathāhi gurur ādikṣad bahudhā svakaśāsane // 2.111 //

anādaraviraktyaiva galantīndriyavṛttayaḥ
yāvat tu viniyamyante tāvat tāvad vikurvate // 2.112 //

"Ce yogî (plongé dans l'attitude de Shiva,
les yeux grands ouverts et la bouche bée),
est pénétré d'étonnement.
[En effet, cette expression ressemble à celle d'un visage étonné,
et en même temps cette attitude induit un état de présence 
qui ressemble à un état de surprise, vertige en un nu silence ; à noter aussi que cette attitude ressemble à celle d'un enfant face à une fresque, comme le note Utpaladeva].
Il atteint la conscience qui est son Moi (véritable).
Alors même qu'il est en contact avec
les perceptions qui apparaissent et disparaissent,
il est dans l'état qui ne disparaît pas.
Une piscine profonde ne perd pas son eau.
(Mais) nous ne pouvons la remplir
à raz-bord, quelque soient (nos) efforts.
En revanche, elle est remplie sans effort
par la pluie qui entre en elle par un canal.
(De même), que les phénomènes adviennent
pleins de cette (conscience),
flots qui arrivent de tous côtés.
[Ces "flots" sont les perceptions des cinq sens].
Ainsi la conscience s'éveille d'elle-même
en un surgissement sauvage,
faisant apparaître les facettes des choses,
(mais) indifférenciées et non séparées de soi.
Si elle se repose une demi-heure
sans fermer les yeux,
l'état divin (bhûmir bhairavîyâ=bhairava-mudrâ)
se met à resplendir,
car l'illusion magique de la séparation (mâyâ)
s'est effondré.
En effet, quand cette interruption des pensées
fait enfin voir cette destruction,
alors cette illusion magique,
qui appartient à (ce Moi ineffable) qui est souverainement libre,
et qui manifeste la vision de la séparation (entre les choses, etc.),
ne peut plus advenir,
car elle est déracinée
pour celui qui demeure dans cette simple expansion
(de la conscience dans le flot des cinq sens).
En vérité, aucun des "auxiliaires" (anga) du yoga n'est utile.
De fait, la forme [de notre Moi véritable] est d'être sans forme,
car il est libre de toute limite.
Sa "méthode" est l'absence de méthode,
car elle ne comporte ni pratique rituelle,
ni suppression des opérations (mentales et sensorielles).
C'est un navire qui va par douce brise,
sans inspir ni expir (forcés).
Ainsi se sauve-t-il
des eaux de la mer de la séparation,
alors même que ce mental
est immergé dans le nectar des objets des sens.
Il en va comme d'une calebasse sans fissures,
en laquelle l'humidité ne pénètre pas (?).
Ceux qui stoppent brutalement
le cours naturel du mental
- tout comme ceux qui contrarient 
la course naturelle d'un cheval -
ceux-là verront (leur mental comme leur cheval)
se mettre à courir par mille autres chemins
qu'ils ne veulent pas,
parce qu'ils cherchent à briser 
le (mouvement naturel du mental et du cheval).
[Cela rappelle l'image du chameau : plus vous le forcez à rester assis, plus il va s'agiter]
Et pourquoi donc ?
Sans doute le mental
aspire parfois à la douleur,
tandis qu'il peut se dégoûter
du plaisir et de la connaissance.
Car c'est là ce que le maître (Vîranâtha)
a enseigné maintes fois dans son traité.
Les mouvements des sens s'apaisent
seulement par un détachement nonchalant.
En revanche, ils se rebellent tant
que l'on cherche à les soumettre à une règle."

Abhinavagupta, Libre méditation sur le Tantra de la gloire de la Déesse-alphabet (Mâlinîvijayavârttika), II, 99-112

Ce passage, très clair malgré quelques expressions que je ne suis pas sûr de comprendre, affirme sans ambiguïté que l'on arrive à rien par la violence. Seule la douceur maîtrise. Il s'agit d'apprivoiser plus que de dompter. Séduire, plutôt que soumettre. 

Un extrait du Mahâyanaprakâsha anonyme suggère que la pratique des "trois brahmans" (viande, vin et sexe) a ainsi pour raison d'être de ne pas brusquer les inclinations naturelles, qui ne sont certes pas mauvaises en elles-mêmes, puisqu'elles proviennent toutes de l'unique source divine. 

Mais ici, Abhinavagupta propose la version raffinée de ce qui pourrait passer pour un grossier compromis : il conseille de laisser les cinq sens grands ouverts afin de guérir en douceur l'agitation mentale. L'image du cheval indomptable est très parlante. 

Ce détachement tout de velours, sans volonté de briser la nature, est très proche de la mahâmudrâ bouddhiste et de l'oraison de quiétude prônée par certains mystiques chrétiens. "Sans se bander l'esprit", il s'agit plutôt de se laisser aller, ouvert à l'Ouvert. 

Enfin, l'image du navire qui va par vent de brise évoque l'image offerte par Madame Guyon, de larguer les amarres et de se laisser emporter au grand large de l'Esprit, qui souffle où il veut.

Le traité du maître Vîranâtha est le Bouquet pour l'éveil spontané (Svabodhodayamanjarî), que j'ai traduit notamment dans


et