Qu'est-ce que l'être ?
Chercher à répondre à cette
question s'appelle l'ontologie. La science de l'être, depuis Aristote jusqu'à Heidegger.
Pour la majorité d'entre nous, une chose
existe parce qu'elle s'imprime en notre conscience, parce qu'elle l'affecte comme un
objet qui vient se reflèter en un miroir. Cette ontologie présuppose donc une dualité
du sujet et de l'objet. Les choses se manifestent à notre conscience, qui les
enregistre plus ou moins passivement. C'est l'ontologie dualiste ou
externaliste : exister, c'est exister en dehors de la conscience,
indépendamment d'elle. La conscience naïve croit en cela. Et même la conscience la moins naïve, du reste.
Si le cerveau est l'organe de la
conscience, il n'est alors qu'un ensemble de réactions à des stimuli externes.
Mais cette vision est en train d'être remise en question. Un chercheur
colombien, Rodolpho Llinas, défend la thèse selon laquelle le cerveau construit
littéralement notre monde à partir d'un très petit nombre d'informations venues
des sens (lesquels sont bien plus nombreux que les cinq sens d'Aristote : il y
a aussi l'équilibre et la proprioception, par exemple). Le fondement
physiologique de la sensation de la permanence du monde, de la réalité externe,
serait l'activité électrique constante du cerveau, jusqu'à la mort.
Donc percevoir, expérimenter,
sentir "le monde", c'est en réalité pour le cerveau se sentir
lui-même.
Si l'on pousse ce raisonnement,
le cerveau lui-même étant un objet dans le monde, il faut conclure qu'il est
une construction construite... mais par quoi ou par qui ?
L'expérience répond : par la
conscience. La conscience n'est pas la pensée ou le calcul, mais la présence en
laquelle le monde se présente, elle est la lumière qui éclaire les choses, non seulement de l'extérieur, mais même qui les fait être. Certes, sans
le cerveau, il est probablement difficile de percevoir quelque chose. Mais la
conscience ne disparaît pas pour autant. Cette croyance vient du fait que nous
avons pris l'habitude de commettre l'erreur qui consiste à confondre les
qualités de l'objet (par exemple son absence) avec celles de la conscience :
quand l'objet est absent, nous croyons que la conscience est absente elle
aussi. Comme la conscience embrasse et est la condition de possibilité de l'être comme du non-être, elle est nécessairement la source de ce qui est. Et, même, du "non-être" de ce qui n'est pas.
Donc, "être" et
"conscience" sont synonymes. La conscience n'est pas un réceptacle inerte
des choses, mais leur existence même, leur présence vivante. Utpaladeva dit :
"Exister, c'est être manifeste",
c'est littéralement "fulgurer", "scintiller".
Donc tout est conscience. Dans
cette ontologie de l'être comme conscience, il n'y a pas lieu de distinguer
entre réalité absolue et réalité de surface ou illusion. Que l'argent soit
réel ou s'avère n'être qu'un faux-semblant de la nacre, dans tous les cas, ces
apparences sont pénétrées, imbibées et comme infuses de l'être-conscience, lequel
n'est rien d'autre que leur clarté, leur manifestation, leur présence même.
Telle
est la véritable non-dualité selon la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijñā) du soi-disant shivaïsme du Cachemire.
Réalité ou illusion, tout est conscience. La conscience est la réalité de la réalité,
de même qu'elle est la réalité de l'irréel. Toutes choses ne sont que la perception
d'une seule et même réalité de mille manières différentes. Qui perçoit cette réalité
? Cette réalité elle-même - la conscience !
C'est donc le Bienheureux en personne
Qui se construit lui-même/ qui s'imagine
lui-même.
C'est le Seigneur suprême
Qui existe comme ceci ou comme cela,
Sous la forme des choses, des états, des êtres.
Somânada, Vision de Shiva, IV, 47.
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