illustration du geste de Shiva par Gopinâth Kavirâj
Je découvre le silence vivant entre deux pensées, entre deux respirations, en retournant mon attention vers moi, ou en laissant l'attention s'élargir à l'infini.
Puis, les yeux grands ouverts, la bouche détendue, le corps lâché comme des nuages autour d'une montagne, je plonge en moi, dans la vibration, dans l'émerveillement, dans la présence instantanée :
tam adhiṣṭhātṛbhāvena svabhāvam avalokayan /
smayamāna iva āste yas, tasya iyaṃ kusṛtiḥ kutaḥ ? // SpandaKâ I, 11 //
ukta-upapatty-upalabdhy-anuśīlana-pratyabhijñātaṃ taṃ spanda-tattva-ātmakaṃ svabhāvam ātmīyam adhiṣṭhātṛbhāvena vyutthāna-daśāyām api vyāpnuvantam avalokayaṃś cinvānaḥ /
na vrajen na viśec chaktir marudrūpā vikāsite /
nirvikalpatayā madhye tayā bhairava-rūpa-dhṛk ||
iti tathā /
sarvāḥ śaktīś cetasā darśanādyāḥ sve sve vedye yaugapadyena viṣvak /
kṣiptvā, madhye hāṭaka-stambha-bhūtas tiṣṭhan, viśva-ākāra eko 'vabhāsi ||
iti śrī-vijñāna-bhairava-kakṣyā-stotra-nirdiṣṭa-sampradāya-yuktyā nimīlana-unmīlana-samādhinā, yugapad-vyāpaka-madhya-bhūmy-avaṣṭambhād adhyāsita-etad-ubhaya-visarga-araṇi-vigalita-sakala-vikalpo 'krama-sphārita-karaṇa-cakraḥ ||
antar-lakṣyo bahir dṛṣṭir, nimeṣa-unmeṣa-varjitaḥ /
iyaṃ sā bhairavī mudrā sarva-tantreṣu gopitā ||
ity āmnāta-bhagavad-bhairava-mudrā-anupraviṣṭo, mukura-antar-nimajjad-unmajjan-nānā-pratibimba-kadamba-kalpam an-alpaṃ bhāva-rāśiṃ cid-ākāśe eva uditam api, tatra eva vilīyamānaṃ paśyan, janma-sahasra-apūrva-paramānanda-ghana-lokottara-sva-svarūpa-pratyabhijñānāt jhaṭiti truṭita-sakala-vṛttiḥ, smayamāno vismaya-mudrā-praviṣṭa iva, mahā-vikāsa-āsādanāc ca, sahasâ eva samudita-samucita-tāttvika-svabhāvo yo, yogīndra āste tiṣṭhati, na tv avaṣṭambhāc chithilībhavati.
"Contemplant cela, sa véritable nature,
en tant qu'on fait l'expérience d'être cela qui porte [les phénomènes],
se tenant là comme émerveillé,
d'où viendrait ce mauvais samsâra ?"
Kshéma Râdja explique :
"Contemplant, atteignant clairement, méditant, cela, sa propre véritable nature qui est l'être de la vibration reconnu, devenu intime grâce aux raisons et aux expériences que l'on est en train d'expliquer, en tant qu'on fait l'expérience d'être cela qui porte [les phénomènes], c'est-à-dire même dans l'état où les sens et le mental sont actif (vyutthâna).
'Quand l'énergie du souffle
n'ira ni vers l'intérieur,
ni vers l'extérieur,
elle entrera en expansion.
Grâce à cette énergie sans dualité
qui [se dilate] dans l'intervalle [entre inspir et expir],
il y a vision de l'essence absolue.'
De même,
'Toutes les énergies d'attention, comme la vision, etc.,
sont laissées libres de s'élancer toutes
vers leurs objets respectifs.
Alors tu es présent au centre,
tel un pilier d'or.
Un, tu te manifeste sous toutes les formes [qui apparaissent].'
Ainsi, selon l'enseignement traditionnel du Vijnâna Bhairava Tantra comme de l'Hymne à la Déesse, qui est la pratique d'une concentration à la fois 'les yeux fermés' et 'les yeux ouverts', on se fixe dans l'état qui est présent dans ces deux sortes de concentration, [comme si] on consumait toute dualité [dans le feu allumé] par le "frottement" des deux bouts de bois [que sont la concentration les-yeux-fermés et celle les-yeux-ouverts], et alors la "roue" de nos énergies [physiques et mentales] entre en expansion sans tarder.
'L'attention vers l'intérieur,
le regard vers le dehors,
sans dualité vers le dedans ou le dehors :
telle est le geste de Shiva,
caché dans les tantras.'
Ainsi pénétré et envahi dans ce geste traditionnel et sacré de Shiva, le meilleur des yogis demeure là, soudain uni à et en harmonie avec, la réalité, parce qu'il est entré en expansion infinie, et il se tient ainsi comme émerveillé, saisi, comme absorbé dans un geste d'étonnement. Il se tient fixe, dans déchoir.Tous ses préoccupations s'effondrent d'un seul coup car il a reconnu son essence intime qui transcende le monde, félicité et conscience ininterrompues. Or, cela il ne l'avait jamais fait durant les milliers d'expériences d'avant [cette reconnaissance]. Et bien que toutes les choses variées apparaissent dans l'espace de la conscience, comme dans l'orbe d'un miroir, elles s'y résorbent toutes, ce que l'on voit [directement]."
Ce verset décrit l'incroyable expérience du geste de Shiva, où les sens sont pleinement éveillés, mais où l'attention est complètement ouverte. Libre activité des sens, mais sans aucun commentaire intérieur. Lumières et silence. Simple transparence.
Cette pratique, très simple et accessible à tous, ne dépend d'aucune grâce, ni d'un gourou, ni d'une initiation, ni d'une technique, ni d'une croyance, ni de la foi, ni de l'acuité intellectuelle, ni de la forme physique, ni d'un mode de vie spécial.
Elle est la pratique centrale du shivaïsme du Cachemire, sans laquelle on ne peut parler d'un enseignement "traditionnel", comme nous le rappelle ici Kshéma Râdja.
Avec le geste de Shakti, qui la complète, c'est le coeur du coeur de la vie intérieure.
C'est le yoga royal, l'état non-mental, le samâdhi, l'expérience directe du Soi, la liberté en cette vie, l'éveil immédiat, l'initiation véritable (akritrimâ), le Mantra authentique, le salut sans y croire, etc.
C'est LA pratique du tantra, la clé oubliée de cette tradition.
N'oublions jamais : tout ce qui est décrit dans le shivaïsme du Cachemire, c'est ce qui est donné à chaque instant, mais qui n'est pas reconnu, faute d'attention, de dévotion et d'audace. Le shivaïsme du Cachemire, derrière les symboles et les clichés sur "LE TANTRA", parle juste de ce qui jaillit, ici et maintenant, qui est simplement recouvert d'un voile de préjugés et d'indifférence. Ni plus, ni moins.
illustration du geste de Shiva par un yogi tibétain