Philosophie et mystique, voie de la connaissance et de l'amour. Philo-sophia, amour de la sagesse, désir de vérité, expérience et réflexion. Yoga ou union du cœur et de la tête. La philosophie comme yoga, la philosophie comme pratique, éclairée et nourrie par la tradition du Tantra et autres sources que nous ont léguées nos ancêtres. Formation tantra traditionnel.
Il y a plusieurs approches de l'éveil : La voie directe et la voie progressive. Mais dans la voie directe, on finit par attendre l'éveil comme une sorte de mystère impénétrable. Dans la voie progressive, on se trouve des excuses pour reporter l'éveil à plus tard. Il existe un troisième chemin : celui de l'abandon gratuit, du don total, sans recherche de profit. Pratiquer assidûment, mais sans but. Non pas pour atteindre le réel, mais parce que le réel est toujours déjà atteint. Non pas pratiquer pour toucher le réel, mais parce que le réel nous touche, "plus moi que moi". Pratiquer sans raison, sans tension, laisser les raisons et les tensions se dissoudre à leur rythme dans l'évidence. Ne pas juger, ne pas chercher un résultat. Pas de "oui, mais..." Juste un arrêt qui est vision, comme une éponge immergée dans la masse océane. Pratiquer par admiration, par émerveillement, par fascination, par surprise, par étonnement. Comme quand on s’assoit, épuisé, et qu'on se laisse hypnotiser par un petit rien. Pratiquer par amour, en don gratuit, en gratitude. Pratiquer comme on respire : parce que c'est notre nature. Se laisser prendre, emporter, ravir. Pratiquer par courtoisie. Parce c'est comme ça. Pour la beauté de la chose.
Comment faire cesser le bavardage mental sans effort ? Il suffit d'écouter la respiration. Extrait de l'Anthologie du shivaïsme du Cachemire, à paraître le 18 juin 2020 chez Almora. Ce recueil complète le manuel Les Quatre yogas, chez le même éditeur. Voici une sélection de versets tirés de la Lampe du Yoga Technique (Hatha-pradîpikâ en dix chapitres, différente de la version en cinq chapitres déjà publiée en français), qui est elle-même une sorte de compilation de versets pris dans différentes traditions tantriques. Ces passage constituent aussi bien une description de la méditation de Shiva (Bhairava-mudrâ) et de "l'éveil de la Kundalinî" (shakti-bodha) :
Quand le mouvement des souffles est stoppé Grâce l'attention (portée aux intervalles), La (conscience) non-mentale Apparaît d'elle-même et sans effort. (2, 27)
On pose d'abord les mains sur les genoux, Les doigts étalés, Puis, la bouche grande ouverte, On pose le regard dans le prolongement du nez. (2, 35)
Tant que le souffle est stoppé dans le corps, L'esprit est sans maladies. Tant que le regard est posé entre les sourcils, Comment donc pourrait-on craindre la mort ? (4, 28)
Quand le souffle traverse le centre, L'esprit se stabilise. Cet état où le mental est complètement immobile Est l'état mental libre du mental. (4, 30)
La rétention du souffle aisée, Qui laisse de côté remplissage et vidage : Cet arrêt du souffle Est ce que l'on entend par "rétention pure". Quand on maîtrise la rétention pure, Dépourvue de remplissage et de vidage, Plus rien n'est difficile à obtenir Dans les trois mondes.
En maîtrisant la rétention pure, Peut peut tenir le souffle à volonté, Et on gagne le royaume du yoga royal Sans le moindre doute. (4, 64-65)
Il y a une rétention (spontanée) à la fin du vidage. Il vide le mental de tout point d'appui. En s'exerçant à ce yoga, On atteint le royaume du yoga royal. (4, 67) Quand le souffle est dans le domaine du vide, Il est de fait sur la voie royale. L'esprit est alors sans point d'appui Et on triche avec la Mort.
Voie creuse, domaine du vide, Ouverture vers l'Immense, grande voie, Champs de crémation, attitude de Śiva Et voie du centre : toutes ces expressions ont un seul et même sens. (5, 3-4) La vie s'écoule Dans l'expir et l'inspir, Vers le haut et vers le bas, Dans les chemins de gauche et de droite. Quand elle va et vient (ainsi) on n'en a pas conscience. Jeté contre le sol avec un bâton, Une balle rebondie. De même, la vie est emportée Par l'expir et l'inspir, De sorte qu'elle va et vient.
Un aigle attaché à une corde S'envole puis est ramené en tirant sur la corde. De même, la vie, prisonnière des qualités, Est entraînée par l'expir et l'inspir. L'inspir appelle l'expir Et l'expir entraîne l'inspir. Ils sont présents vers le bas et vers le haut (respectivement). Celui qui le sait est un expert en yoga.
La vie sort en faisant "ha" Et rentre en faisant "sa". La vie récite donc sans interruption Ce mantra : "haṃsa, haṃsa". La vie récite ce mantra sans interruption, Vingt-et-un mille six cent fois En un jour et une nuit. (5, 155-160) Quand le souffle s'amenuise, Le mental se résorbe. Quand il devient homogène, C'est ce que l'on appel "contemplation". (7, 5)
Tant que les les souffles n'entrent pas dans le canal du centre, Tant que la semence n'est pas stabilisée par l'éveil des souffles, Tant que la vision naturelle de l'espace ne surgit pas dans l'esprit, Parler de "connaissance" n'est que bavardage mensonge et hypocrisie. (7, 15)
Quand les souffles Entrent dans le flot du canal vide, Vide de souffles, L'expert en yoga déracine Toutes les conséquences des actes passés.
Déesse ! Comment la connaissance pourrait-elle vivre dans l'esprit Tant que le souffle et le mental vivent ? Quand le souffle et le mental disparaissent, L'homme atteint la liberté. Il n'y a pas d'autre méthode. (7, 18-19)
Bhairavi ! Quand le mercure ou le souffle sont neutralisés (mūrcchita), Ils sont un remède aux maladies. Morts, ils donnent la vie. Emprisonnés, ils offrent la vie céleste (khecaratā).
Le mental est le maître des sens. Le souffle est le maître du mental. La résorption est maîtresse des souffles. Or, cette résorption dépend de la résonance (nāda). (7, 21, 22)
Quand l'expiration et l'inspiration des yogins Ont cessé, La saisie des objets cesse. Immobiles, inactifs, Ils se résorbent. (7, 25)
Le mental se résorbe Là où se résorbe le souffle. Le mental et le souffle sont inséparables, Comme l'eau et le lait. Quand le souffle s'élance, Le mental s'élance dans l'action. Quand il se détend, Le mental se détend. Anéantir l'un, C'est anéantir l'autre. Puisque l'activité de l'un Est celle de l'autre. (7, 32-33)
Celui dont le regard est fixe Sans même un objet, Dont le souffle est immobile Sans effort, Dont l'esprit est stable Sans point d'appuis, Lui seul est un vrai maître, Digne d'être servi.
Quand le souffle Ne sort ni n'entre A droite et à gauche, Alors il s'élance vers le haut Dans la voie du milieu. Alors on est libre, Sans aucun doute. (10, 35, 36)
Le Miel de la non-dualité (Advaita-makaranda) est un poème sanskrit composé par Lakshmidhara. J'en ai publié une traduction commentée, que vous pouvez commander en cliquant sur ce lien : Commander le Miel de la non-dualité Voici une explication orale de ce poème par Dayânanda Sarasvati, un maître de Vedânta très célèbre qui nous a quitté récemment. Le son n'est pas très bon, mais l'enseignement est excellent :
Liberté intérieure, sans gourous ni églises : "Vous êtes jeune encore, et vous devez grandir : il vous est bien meilleur de supporter les peines, si vous voulez suivre sa voie, et de souffrir pour l’honneur de l’amour, que de chercher à le sentir. Prenez ses intérêts, comme étant vouée pour toujours à son noble service. N’ayez souci ni d’honneur ni de honte, ne craignez ni les tourments de la terre ni ceux de l’enfer, dussiez-vous les affronter pour servir dignement cet amour. Son noble service est dans la peine que vous prenez pour réciter vos Heures, pour suivre votre règle, pour faire sa volonté en toute chose, sans chercher ni recevoir satisfaction. Et si vous trouvez plaisir en chose quelconque qui n’est point ce Dieu même promis à votre jouissance, ne vous y arrêtez point, jusqu’à ce qu’il vous illumine par son Être et vous permette de goûter l’amour fruitif dans l’essence de l’Amour, — là où l’Amour est tout entier à lui-même et se suffit à jamais. Servez en toute beauté, ne veuillez rien, ne craignez rien : laissez l’amour librement prendre soin de lui-même ! Sachez qu’il paye toute sa dette, fût-ce tard bien souvent. Que nul doute, nulle déconvenue ne vous détourne de faire le bien, que nul échec ne vous fasse perdre espoir dans le secours divin. Il ne faut ni douter de la promesse de Dieu, ni en croire aucun autre : ni homme, ni saint, ni ange, quelque preuve qu’ils donnent." Hadewij d'Anvers, Lettre II à une jeune béguine, vers 1240 trad. Martingay, 1972
Les gens croient souvent que les "sages" orientaux ignoraient toute polémique, qu'ils évitaient toute controverse. Selon cette vision populaire, un "éveillé" se reconnaîtrait, entre autres, à son absence de désir d'argumenter afin d'établir une quelconque vérité. Mais cette vision n'est qu'un cliché sans fondement. En Inde, du moins, il n'existe pas un seul texte spirituel qui ne soit polémique par quelque endroit. D'abord, tous ces textes se présentent comme un débat, un échange de questions et d'objections, d'allers-retours entre une doctrine imparfaite (pûrva-paksha) et une doctrine parfaite (siddhânta). Bouddhistes ou Hindouistes, tous se conforment à cette vue. N'importe quel sanskritiste sait que tout texte sanskrit s'accompagne d'un commentaire (mais il y en a souvent bien plus), et que ce ce commentaire consiste à expliciter les objections auxquelles répond le texte expliqué. C'est le plan de base de toute la littérature spirituelle et philosophique de l'Inde. Nous somme là très loin du monde de la "bienveillance" prônée par les néo-libéraux, les écolos et les alter-mondialistes. Sans parler du New Age et du "marché du bien-être", lesquels ne sont que des niches du Marché omniprésent, ennemis de la libre-pensée. Le Bouddha critique, juge, pointe l'erreur et la confusion. Shankara se moque du Bouddha et des crétins qui le suivent. Abhinavagupta est souvent sarcastique, quand il n'insulte pas ses interlocuteurs. Longchenpa traite certains d'imbéciles. Et ainsi de suite. Le mythe d'un Orient de bisounours qui n'envoient que des "rayons d'amour" n'est qu'un mythe de neurasthéniques effrayés par leur ombre. Et ce mythe est devenu un outil fort utile pour marchandiser la spiritualité, à l'abri de tout esprit critique susceptible de venir gâcher la grand-messe consumériste. L'Orient n'est pas plus consensuel que l'Occident de Platon ou de Schopenhauer, car la liberté est à ce prix. Ainsi le plus ancien texte philosophique de l'Inde, la Brihad Âranyaka Upanishad, comporte de vifs échanges entre rois et intellectuels, entre hommes et femmes, au risque d'y perdre la tête. Ainsi le texte spirituel le plus célèbre de l'Inde, le Chant du Bienheureux (Bhagavad-gîtâ) est un dialogue philosophique entre deux guerriers, prenant place au milieu d'un champ de bataille, à l'aube d'un gigantesque massacre. Enfin, voici un exemple de ton critique, de jugement de valeur, de jugement moral, porté par un maître du shivaïsme du Cachemire, le maître Râma, lui-même disciple d'Utpaladeva. Il écrit ceci dans les versets introductifs à son Explication du Poème du frémissement (Spanda-kârikâ-vivriti) : "Laissons-donc errer sur ce chemin, profond par nature et abrupt, ceux qui s'y sont engagé d'eux-mêmes sans être guidés par ceux qui le connaissent. Mais immense est leur erreur quand ces mêmes égarés attirent les autres à cette voie de perdition ! 2 Ils agitent les océans de textes avec leurs livres pleins de mots errants qui agressent (nos) oreilles et qui soulèvent de terrifiantes vagues qui s'affrontent, tempêtes soulevées par les vents de leurs théories variées et hors de propos. Leurs 'débrouilles' (vivarana) engendrent le terrifiant tourbillon (âvarta) de l'erreur dans lequel sombre le navire du sens des Écritures, jetant dans la confusion l'esprit de leurs élèves qu'ils (prétendent) 'sauver'1. 3 L'un connaît l'être suprême mais, comme il désire autre chose (qu'il croit être séparé de l'être suprême), il s'égare. L'autre a l'intellect mis de travers, aveuglé qu'il est par la haine. Tandis qu'un dernier encore est imbécile de naissance. De fait, il est bien difficile de trouver une parole qui dit tout et qui parle au cœur de tous ! Et pourtant, il y a aujourd'hui quelques êtres doués de discernement qui sont là, digne de la vérité. 4" Au temps pour le cliché d'un shivaïsme du Cachemire douillet et proto-CVN-iste. Non, la recherche de la vérité est un combat. Il se fait selon des règles, un code d'honneur et des valeurs. Mais c'est bien une lutte contre les ténèbres de l'erreur et non une séance de papouilles "en conscience". Que celles et ceux qui se sentent nostalgiques des dessins animés de leur enfance se contentent donc des produits "Nature et Découverte" de type "salon zen", propres à la triste "post-vérité" trumpienne. Et qu'ils laissent les autres à leur quête courageuse. Pour ma part, j'estime qu'il n'est pas toujours nécessaire d'aller jusqu'au insultes platoniciennes ou longchenpiennes afin d'établir une authentique aspiration vers le Vrai. Toutefois, je déplore le ton mielleux obligatoire qui s'impose aujourd'hui comme une nouvelle dictature de la bêtise, au détriment de l'élan sincère vers la vérité.
Un "examinateur" de FB vient de me "punir" de 24 heures d'interdiction de publier et de commenter, parce j'avais publié ce commentaire "d'incitation à la haine" :
Puis pour avoir publier cette odieuse parodie de notre cher et estimé Président :
Je ne vais donc pas pouvoir faire de vidéo sur le Vijnâna Bhairava demain.
Je la ferai mardi.
Dois-je envisager de démissionner de FB ?
Je parle bien de démissionner, car tout moment passé sur FB est un moment passé à enrichir FB.
Or, enrichir FB, c'est lui donner encore plus de puissance.
Lui donner la puissance de nous censurer, de nous faire chanter,
de nous conditionner comme des cobayes.
De manière général, travailler pour quelqu'un,
c'est l'enrichir
et donc s'appauvrir.
C'est le rendre plus puissant
et donc s'affaiblir.
Plus je suis productif,
plus je donne à ceux pour qui je travaille
les moyen de m'imposer leurs conditions.
Et bien sûr, FB me laisser accès à mon "compte",
afin que je puisse continuer à travailler pour eux
et à nourrir mon addiction,
mon aliénation.
C'est ça, le "libre marché".
Plus tu l'alimente,
plus tu as faim.
Plus tu le renforce,
plus tu deviens dépendant.
Je songe donc à m'éloigner de ce monstre
et à trouver d'autres solutions pour les vidéos.
Mais, même ces vidéos participent
d'un mouvement mondial
de virtualisation, de dépersonnalisation,
de désincarnation et, finalement,
de déhumanisation, de perte des repères,
de la décence, au profit de règles et de procédures
toujours plus nombreuses, abstraites et complexes.
Il existe dans les traditions tibétaines une forme de méditation de l'espace, de la contemplation de l'espace, de la fusion dans l'espace : les mains posées, la bouche béante, le regard déposé dans le ciel. La mise en pratique de ces points physiques induit l'éveil de la conscience, son ouverture dans les mouvements de lumières intérieure. Cette approche de la "méditation" (bhâvanâ) est l'équivalent bouddhiste de la méditation de Shiva/Bhairava, dite "attitude de "l'étonnement" (vismaya-mudrâ) à cause des yeux grands ouverts. Voici des illustrations. "Le poids des mots, le choc des photos." Un aperçu, non pas de "la méditation" idéalisée, transformée en icône, mais la méditation comme pratique finale, ultime, comme savoir-faire artisanal. Ces images montrent l'intimité, très différente des poses convenues. L'intimité de la méditation ultime, de l'éveil qui est méditation. Une vidéo extraite d'un film d'Arnaud Desjardins. Des méditations de l'espace dzogchen et mahâmudrâ, mais pas que. Chacun reconnaîtra :
Nyoshul Khenpo dans cette attitude :
Nyoshul Khenpo :
Nyoshul Khenpo "mélange des trois cieux" :
Nyoshul Khenpo :
Quelques images de Nyoshul Khenpo expliquant cette méditation, avec sa voix :
Khyentse Tcheuki Lodreu :
Khenpo Tsultrim Gyatso :
Khenpo T. gyatso :
Même méditation, dans l'autre sens :
Tentative plus formelle pour exprimer la présence éveillée :
La vie intérieure comprends deux grandes étapes : l'éveil ou la découverte du silence au-delà des pensées ; et l'intégration et pensées, des sensations, du corps et du monde, au sein de cet espace silencieux. Cela correspond à l'ouverture et à la fermeture des yeux. Selon le premier verset du Poème du frémissement (Spanda-kârikâ), nous créons le monde en ouvrant les yeux et nous le résorbons en les fermant. Tout est embrassé dans cette respiration : inspir-expir, veille-sommeil, conscience-conscience, mouvement-repos... Le point est de comprendre que ce sont deux moments d'une même vie, d'une même danse, comme l'explique ce mystique catholique qui parle de deux phase de l'amour, "l'amour de fruition" qui consiste à jouir de Dieu au centre de soi, et "l'amour pratique" qui consiste à aimer son prochain. "Pour expliquer cette doctrine si difficile, un auteur [Jean Rusbroeck ?] donne l'exemple de l'inspiration et de l'expiration de l'air avec lequel la vie se nourrit et peut continuer de façon naturelle et sans que nous en prenions le soin ; nous expulsons l'air chaud qui est en nous, et nous attirons l'air frais sans penser à ce que nous faisons. De même, nous ouvrons et fermons continuellement les yeux sans que cela empêche de voir ce qui est devant nous, comme s'ils étaient toujours ouverts. Ou encore l'âme pénètre-t-elle en Dieu et y meure à elle-même par l'amour de fruition, et aussitôt et tout d'un coup, elle sort d'elle-même par l'amour pratique : elle sort avec vertu et entre avec bonheur, demeurant ainsi unie à Dieu en ces entrées et sorties, comme si jamais elle ne sortait. Et telle est la vie spirituelle des parfaits : elle est tissée et formée de ces introversions et extraversions, ou entrées et sorties, sans que les unes ne gênent les autres ; et cela se fait aussi facilement que d'inspirer et d'expirer l'air pour vivre, ou ouvrir et fermer les yeux pour voir." Juan de Los Angeles, mort en 1609, Manuel de vie parfaite
Le Vijnâna Bhairava Tantra est un recueil d'expériences d'éveil. Il fait partie de ce genre très rare : les collections d'éveil (upadesha-samhitâ), les conseils pratiques des adeptes (siddhâ-mukha-âgama-amnâya). J'en ai proposé une traduction, avec les commentaires sanskrits traditionnels et plusieurs autres textes apparentés : Commander chez l'éditeur Je propose une série de lectures traditionnelles, directement à partir de l'original sanskrit, sur FaceBook et Youtube :
Mais d'autres proposent des enseignements sur ce trésor de la spiritualité universelle. Voici d'abord les leçons d'une disciple directe de la lignée du shivaïsme du Cachemire, fiable et clair :
Voici ensuite les leçon d'un pratiquant érudit, dans la lignée de Muktânanda, très détaillé et sérieux :
Il y a d'autres vidéos, mais elles ne sont pas fiables. J'attire en particulier votre attention sur certaines prétendues "traductions" qui annoncent la "révélation des secrets des yoginîs" et qui sont tissus de mensonges, des produits marketings destinés aux âmes fragiles. Bien des gens enseignent des variétés de New Age en prétendant enseigner le shivaïsme du Cachemire, comme c'est le cas en France. Défions-nous de ces menteurs, de ces imposteurs, de ces charlatans, tout en gardant l'esprit ouvert et serein.
L'Itinéraire de l'esprit vers Dieu, composé par Saint Bonaventure en 1259 après une vision, est un chef-d'oeuvre que j'admire depuis longtemps, mais dont je n'ai guère eu l'occasion de parler. C'est un petit livre doté d'une architecture impressionnante par sa clarté, sa simplicité et sa lumière. Le lecteur a le sentiment d'entrer dans une église romane, sobre, minérale, translucide, où toutes sensations appellent au retournement du regard vers la lumière intérieure qui illumine toute vision.
D'ailleurs, Bonaventure reconnait cette lumière, celle de l'être, et s'étonne que nul, ou presque, ne la reconnaisse, alors qu'elle est la Lumière sans laquelle aucune expérience n'est possible : "Quel étrange aveuglement pour notre esprit de ne point apercevoir ce qu'il voit en premier, et sans lequel rien ne peut être connu. Mais c'est comme notre œil, concentré sur diverses couleurs : il ne voit pas la lumière qui les rend visibles. Ou s'il la voit, il ne la remarque pas. Il en est de même pour l’œil de notre âme : concentrée sur les choses particulières et générales, il ne remarque pas l'être qui est au-delà de toutes les catégories, alors que c'est l'être qui se manifeste en premier dans l'âme, et que c'est grâce à lui qu'il voit le reste. Ainsi la formule se vérifie pleinement : 'semblable à l’œil du hibou aveuglé par la lumière, l'oeil de notre âme est ébloui par trop d'évidence'. Habitué aux fantômes du sensible, dès qu'il regarde la lumière de l'Être souverain, il lui semble ne plus rien voir. Il ne comprend pas que cette obscurité suprême opère l'illumination de notre esprit. Ainsi l'oeil du corps en face de la pure lumière a l'impression de ne rein voir." (trad. Duméry modifiée). Comme les prisonniers de la Caverne de Platon, nous ne "voyons rien" quand notre regard se retourne vers sa source. Nous sommes aveuglés par l'évidence. Cette lumière est simple, si immédiate, que nous la prenons pour une absence de lumière. Trop proche, trop simple, trop clair. Incroyable. Ainsi, nous pouvons dire que cette connaissance de l'Être, cette vision de la vision, est une "docte inconnaissance": une inconnaissance pour la connaissance ordinaire, mais une science, une connaissance au plus haut point en vérité. Quand je retourne mon regard - le regard de l'attention - "je ne vois rien". Mais cette absence de vision est en réalité une vision pure, une vision du regard lui-même, sans autre contenu, comme si la lumière s'éclairait elle-même, par elle-même. Habitué à me concentrer sur le contenu, je crois que, en l'absence de contenu, la vision elle-même disparaît. Mais si elle disparaissait vraiment, comment pourrais-je affirmer que "je ne vois rien" ? Cette obscurité pour l'attention exclusivement tournée vers les choses est bien la véritable illumination, quand la Lumière qui s'illumine en tout se remarque enfin, et se reconnait simplement, plus facilement que tout. Le message des mystiques, des sages, est universel. Cet éveil à la Lumière, à l'Être, est simple et accessible à chacun. Je note, au passage, que Bonaventure se situe dans le sillage de la belle école victorine, qui s'est épanouit à Paris en son Âge d'Or, et qui réconciliait la mystique la plus radicale avec la philosophie, la physique et les arts. Cet esprit victorin reste pour moi une source d'inspiration irremplaçable. Une musique de cette époque (un siècle après, mais c'est en vérité le même siècle) et de ce lieu, pour goûter cet esprit d'harmonie, où l'intellect et le cœur chantent de concert :
Assis face au ciel, j'avale les vents. Les rafales en riant m'éveillent, me réveillent et veillent au diaphane. Je suis une prairie luxuriante, mais transparente. Ce qui fait bouger le visible demeure invisible. Je ne sens, je le respire, je ne le vois pas. La chevelure des reliefs semble animée d'un seul mouvement, la plaine est traversée de trains d'ondes irrégulières mais continues. Le vent révèle l'espace ? Les souffles célestes sont des mains qui massent une immensité habituellement inerte. Des mains qui poussent, pétrissent et roulent les chairs. Le corps se fond dans le paysage, le pays se refond dans les bourrasques. C'est aussi sonore : des vagues invisible viennent s'échouer sur les versants. Les chants des bêtes peinent à percer les rugissement graves ou légers. Les vents deviennent mes souffles. Mais leur magnitude m'empêche de les posséder. Ils me ballottent tandis que je m'allonge dans la vallée. Je ne respire plus : les poussées du ciel inspirent en se déversant, expirent en repartant au loin, des nuées imprévisibles. D'où un sentiment de liberté. Je me sens comme une pâte qu'on travaille, qu'on étire, qu'on écrase. La masse me respire, je suis une éponge dans une mer de fraîcheur, juste ce qu'il faut. Je suis une pâte à pizza : la masse rejoint peu à peu l'intangible, les respirations du mistral m'étalent dans toutes les directions. Le vent est aussi sonore. Bruits sourds, à coups, arrêts, élans inopinés, exploration des contrastes. Le mouvement réveille l'inerte. Retour au repos, dégagé, clair. Des vies en accéléré. Sensation de nettoyage : le vent pense pour moi. Ses poussées internent désormais mes pensées. Une musique qui ne laisse pas de traces. Les mains du vent se referment sur l'ouvert.