L'image du gourou n'est pas brillante. Ce mot est devenu synonyme de charlatan et de scandales sexuels. Il faut dire que les abus n'ont pas manqués depuis quelques décennies. Depuis toujours, en fait.
Je crois que le pouvoir corrompt. Tout simplement. Quand un maître a du pouvoir, les tentations ne sont jamais loin. C'est une loi de la nature humaine. Et rares sont les humains qui la transcendent. Surtout ceux qui prétendent la transcender.
Faut-il pour autant renoncer à l'idéal du maître ?
J'ai eu beaucoup de gourous dans ma vie. Quelques uns ont tenté de me manipuler, mais la plupart étaient des gens droits.
Ce qui est difficile, c'est de concilier la tête et le cœur. Quand on se laisse séduire, on devient aveugle. Et pourtant, le cœur est vital. Sans émotion, on ne bouge pas, rien ne change. Comment concilier émotion et lucidité ? Pas facile... C'est un peu comme dans les relations amoureuses. Vivre à la fois du cerveau gauche et du droit est un art que nous ne maîtrisons pas. Cela s'apprend.
D'où l'importance d'une spiritualité qui affirme la complémentarité de la connaissance et de l'amour. Je crois que c'est possible. Si dès le départ on vous conditionne en vous disant que l'intellect est mauvais, qu'il faut s'abandonner aveuglément, la catastrophe n'est pas loin.
Et surtout, il faut voir qu'il y a plusieurs modèles de maître. A côté de l'Avatar Suprême et du culte de la personne, dont il faut se méfier, il y a d'autres modèles possibles : l'ami, le guide, le conseiller, l'aîné, le frère, l'enseignant, l'instructeur, l'exemple, le partenaire de discussion, le maître-artisan, l'expert...
Mais, me demanderez-vous, que devient alors le noble idéal de l'abandon inconditionnel, de se perdre totalement dans le maître ?
A mon sens, cet idéal et bon et beau, à condition de ne pas s'adresser à la personne du maître, mais au maître vivant en nous-mêmes. Dès que l'on se focalise sur une personne en chair et en os, il y a projection et la porte s'ouvre à tous les abus.
Par exemple, si l'on se donne entièrement à Krishna, très bien. Par contre, si l'on fait une confiance aveugle à une personne qui se dit (explicitement ou non, les choses sont souvent subtiles) être Krishna ou je ne sais quel Avatar de l'amour, alors il faut rester lucide. Quitte à vivre un moment de frustration temporaire. D'autant plus que le véritable Amour vit au fond de nous.
Projeter le divin que nous portons sur une personne est puissant, et donc tentant. Mais c'est jouer avec le feu. J'ai rencontré tant de gens qui prétendaient pouvoir jouer sans se brûler ! Mais ils ont presque tous été blessés et déçus. Les projections psychologiques, héritées de l'enfance et de nos ancêtres, sont des forces qui nous dépassent. Les exemples ne manquent pas. Génération après génération, des chercheurs l’apprennent à leurs dépends.
Quand une personne a du charisme, de l’ascendant, pour une raison ou une autre, il est très, très difficile de ne pas en devenir dépendant. Et les promesses de liberté au bout du tunnel de l'obéissance ne sont bien souvent que des attrapes-nigauds. C'est comme en amour : il faut savoir à la fois ouvrir son cœur et raison garder. Il y a le "coup de foudre", mais aussi les affinités profondes qui sont importantes.
En vérité, ce que nous cherchons est au fond de nous. Cela nous dépasse, mais c'est en nous, caché dans nos sensations, nos émotions, nos pensées. Là, au centre, au cœur, à la source. Trouver le maître, c'est répondre à l'appel, se souvenir (smara) et ainsi réveiller le désir divin (smara aussi) en nous.
Le chercheur a besoin d'un maître.
Mais qui est le chercheur ?
Qui est le maître ?
Le maître est la vérité du chercheur.
Le trouver, c'est se trouver.
S'éveiller à ce qui, en nous,
est plus vaste que nous.
Alors, dans ce rappel atemporel (smara),
il y a enfin révélation de l'union (yoga)
toujours déjà accomplie,
mais comme cachée par
les fausses croyances.
Les personnes sont des maîtres extérieurs et donc temporaires. Abhinava Goupta conseille de les questionner, comme une abeille qui va butiner de fleur en fleur. Mais le miel est à l'intérieur. Le discernement est vital à l'amour. Sinon c'est l'impasse. L'abandon, oui. Mais à qui ?
- Au maître intérieur, à la Déesse du cœur. Au mystère insaisissable qui attend patiemment notre écoute.