En Occident, Descartes a fondé la science sur la conscience : quand je doute de tout, je réalise que je suis, que je suis conscience, sans quoi je ne pourrais douter ni être trompé. Même si tout n'est que rêve et rêve dans un rêve, il est certain que je suis, comme conscience de ce rêve. Il ne saurait y avoir illusion sans conscience de cette illusion. Pour que l'objet puisse être incertain, il faut que le sujet, la conscience, soit certain. "Je suis, j'existe" est l'évidence absolue, qui survit aux doutes même les plus délirants, dit Descartes.
Mais en fondant ainsi la science sur la conscience de soi, Descartes ouvrait aussi la porte au subjectivisme : tout dépend de "moi", de mon point de vue, donc tout est relatif, y-compris les théories scientifiques. Relativiser peut avoir du bon, mais on en voit aujourd'hui les ravages. A force de déconstruire, les parents ne savent plus éduquer les enfants, et les enseignants n'ont plus rien à transmettre à des élèves qui, de toute façon, sont mal éduqués. En l'absence de tout autre repère que les caprices et humeurs de l'instant présent, la culture disparaît, l'obscurantisme et le fanatisme peuvent se donner libre carrière, en même temps, du reste, que le consumérisme.
C'est pourquoi l'évidence de la conscience doit être celle d'une conscience universelle.
Une conscience, oui. Et celle qui se donne ici et maintenant. Certes. Mais elle n'est pas ma conscience au sens où elle n'est pas française, ou chinoise, de gauche ou de droite. Cette conscience est impartiale. Elle est universelle. Et, par conséquent, son point de vue n'est pas mon point de vue, mon invention, ni les banalités du "moi, mon avis personnel, c'est que...", mais un point de vue universel. A ce titre, il peu s'imposer à toutes les subjectivités individuelles.
Pour le dire autrement, l'univers est un rêve, mais un le rêve de la conscience universelle.
Et ce rêve a des lois. Les phénomènes ne s'y succèdent pas dans l'arbitraire, mais selon des rapports réguliers, des lois donc. Et nos rêves individuels s'inscrivent dans ce rêve. Même s'il y a du relatif, nous ne pouvons donc pas légitimement nous vautrer dans le relativisme. Il n'y a que des points de vue, mais des points de vue individuels subordonnés au point de vue universel - à tous points de vue, si j'ose dire - de Dieu, ou quelque soit le nom qui vous plaira.
Tout est magie dans la conscience. Mais une magie rationnelle, intelligente. La conscience crée librement. Et nous, qui sommes des dieux miniatures, créons librement dans le cadre de la liberté divine absolue. Et ce cadre s'appelle "le monde". La nécessité des lois de la nature est, pour nous, la liberté divine. Mais nous restons conscients, donc divins, donc libres et créateurs. Non pas absolument comme Dieu, mais gratuitement et en Dieu. En tant que conscience, je suis Dieu, je suis libre. En tant que je suis capable de me ressaisir purement comme conscience, je puis alors être libre comme Dieu, et heureux comme lui. Mais, au plan pratique, je ne suis qu'un seul corps, et donc, par là, ma liberté est déterminée. Mais ce déterminisme ne s'oppose pas à ma liberté. Au contraire, il la rend possible. Peut-on être libre dans un rêve ? Sans doute pas vraiment, tant que ce rêve reste chaotique, sans lois, sans régularité. Il n'y a pas de liberté sans règles. Et la conscience crée des règles. Il existe donc des lois, des lois que notre raison peut comprendre. Le monde est sans doute un rêve, mais il reste beau. Et nous pouvons éduquer nos enfant. Et leur enseigner, et même leur transmettre un héritage, afin que leur sort soit meilleur que le notre et que l’humanité progresse.
Tel était la sagesse des Anciens, des Modernes, mais aussi des Indiens, que nos contemporains s'acharnent à déconstruire depuis 200 ans environs.
Donc tout s'enracine dans la conscience, mais une conscience universelle, dont les inventions font nos découvertes. Et je puis participer à cette conscience. En fait, tout être y participe plus ou moins, en fonction de son degré de réflexion. Tout ce qui est vu, en effet, n'est pas pour autant reconnu.
Et le fait que cette conscience soit universelle n'ôte aucune valeur à l'individu en son unicité.
En Occident, c'est l'enseignement du platonisme.
En Inde, c'est la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijnâ en sanskrit) qui s'épanouit entre le Xè et le XVè. Selon cette philosophie d'une profondeur abyssale, nous sommes des êtres divins, car nous sommes conscients. Même si notre conscience semble limitée, elle suffit à nous rendre libres et créateurs, ou cocréateurs. Et plus nous réfléchissons, plus notre conscience s'épanouit, et plus notre liberté augmente. Cela s'appelle la culture. Et le monde est notre création en tant que conscience universelle, mais il est le cadre de notre vie individuelle en tant que conscience individuelle. Donc, dans ce rêve divin, nous n'inventons pas les règles, pas plus que nous n'inventons la grammaire ou l'orthographe. Il y a une logique qui s'impose à nos caprices. Il y a une physique qui force nos humeurs. Donc il n'y a pas de quoi sombrer dans le relativisme. Que tout soit conscience n'implique pas que tout dépendent de notre individualité. Au plan du monde, il y a une physique, une logique, et donc aussi une éthique, une politique, et même une esthétique universelles, qui servent d'idéaux à nos efforts individuels et dons nous aspirons à nous approcher, comme une courbe asymptote qui s'approche infiniment d'une limite, sans jamais néanmoins coïncider avec elle.
Dire "tout est conscience", ce n'est donc pas tout se permettre. C'est, au contraire, se reconnaître un devoir de grandir toujours sans cesse, à la fois tirés par la grâce et poussés par nos efforts.
Ce non-dualisme ci, inclusif ou dialectique, si vous me permettez cette expression, est compatible avec la démocratie et l'avenir de nos enfants.
En revanche, le non-dualisme qui pose que tout est subjectif et que la raison n'est qu'un mythe auquel chacun peut croire à sa guise, est destructeur de l'avenir de nos enfants. Il ne débouche que sur le chaos.