(peinture Giorgio Kienerk)
Selon certains, la "pure" conscience est sans émotion, c'est-à-dire sans mouvement, sans transformation, sans énergie.
Mais est-ce possible ?
Si je regarde mon expérience, l'immobilité est mouvement intense, frémissement. Tremblement de présence, émerveillement, étonnement d'être. Mais ça n'est pas immobile, inerte.
Est-ce indestructible ?
Oui, mais pas comme un bloc de granite, lequel est certes bien solide, mais au prix de son inconscience apparente.
Mais alors, d'où viennent les émotions ?
Tout éclot, fleurit et se fane dans l'espace de la conscience. Cela est certain, chacun peut le vérifier pas soi.
Donc le "mental", "l'ego" et les émotions, bonnes ou mauvaises, viennent de cet espace, de même que les corps physiques n'ont pas d'autre possible que de s'étendre dans l'espace physique.
Les émotions mauvaises sont une manifestation déformée de la majesté du mystère. Déformées par quoi ? Par l'aveuglement. D'où vient cet aveuglement ? De la conscience, aussi. Laquelle est absolument libre, soumise à aucun autre. C'est elle qui se réalise librement comme autre. Comme soi. Comme union des deux et comme séparation.
Les émotions sont conscience, rien d'autre. Mais déformées par une conscience incomplète. Car oui, la conscience étant libre, elle est libre de ne pas se réaliser telle qu'elle est, partiellement, ou de manière erronée. La colère est cette clarté. Le corps est cette clarté. La passion, l'avidité, la jalousie, sont des manifestations de Soi-même (âtmânam en sanskrit). Tant qu'elles ne sont pas reconnues comme telles, elles sont "mauvaises" : source de mal-être. Mais reconnues comme des manifestations de la conscience, elles deviennent les amies de la vie intérieure, des manifestations du mystère, source d'un inépuisable étonnement.
Concrètement, je me détends. Plutôt que de mettre toute mon attention sur le sens de l'émotion, je la ressens comme une vague. Je reste le plus possible dans l'ouverture des tensions, comme des vagues offertes à l'océan. C'est comme si je regardais un panneau, mais sans trop faire attention à ce qu'il indique. Plutôt, je le contemple, comme un jeune enfant le ferait.
Bien entendu, cette pratique est constamment à reprendre. Seul un esprit d'adoration, d'amour pur, en est capable. Si j'en fais un système dont j'attends un résultat, comme si j'entrais dans un supermarché, je me retrouverai dans une impasse. Car dans cette ouverture, l'émotion s'ouvre ; mais surtout, je m'ouvre à ce qui est plus vaste que moi. Je découvre un éveil qui ne vient pas de moi, mais qui passe à travers moi. Je découvre un remède qui ne dépend pas de mon art. Je reçois un enseignement sans mots, qui n'a jamais été transmis par aucune lignée ; car enfin, comment l'espace pourrait-il être transmis ? Ce qui se donne à moi est avant tout cela. Et du coup, je sens en moi cet élan de me donner à mon tour, sans espoir, parce que c'est l'absolu absolument bon. Et j'entre dans une relation. C'est la vie intérieure. Et cela enveloppe tout. Mondain, spirituel, tout. C'est l'absolu. Pas de négociation ici. Une relation absolue. Des questions silencieuses, des réponses indifférenciées. Une entrée dans la nuée, sans savoir, mais porté par le pressentiment d'entrer en toutes les puissances.
Or, tout cela est émotion. Émotion indicible. Je ne connais pas de conscience inerte, impassible, indifférente. Et donc, le grand mystère est que la conscience absolue souffre. Dieu souffre. Le divin souffre. Le cosmos souffre. Et là est le nœud insondable entre l'universel et le singulier. Mais tout cela, aucune langue ne saurait en venir à bout.
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