samedi 21 septembre 2024

Le Jeu de la conscience


 

Aujourd'hui, c'est mon anniversaire.

Aussi, j'ai pensé vous offrir ce souvenir et la traduction d'un petit texte qui va avec.


Il y a bien des années, je marchais dans les ruelles de Bénarès, la Cité de Lumière. Je cherchais la demeure d'un vieux sage. Au détour d'une coure couverte de bouse et peuplée de buffles, j'accédais enfin à une pièce plongée dans la pénombre. Tout était comme un village : le sol et les murs en terre.

J'étais un peu essoufflé, car j'avais du courir pour échapper à un taureau - chose assez courante (c'est le cas de le dire !) à Varanasi - et aussi pour fuir des gangs de singes racailleux. 

Je m'asseyais donc sur un charpay - un genre de lit en cordes - et attendais que mes yeux se fissent à l'obscurité. La pièce était vide, sauf pour un coffre, une étagère et un autre lit, face à moi.

Je commençais alors à distinguer une silhouette assise, deux yeux lumineux. Deux yeux bleus profonds. Une chemise de coton blanc - le fameux chikan de Lucknow - et une couverture sur les jambes. Le regard ouvert semblait jeté dans l'immensité.

Je m'installais dans la même attitude - mudrâ - car j'y avais été initié par un autre maître, dans cette même ville. 

Au bout d'un temps indéterminé, je sus que l'essentiel avait été dit.


Mais cette présence m'adressa ces paroles : "Prends le livre sur l'étagère, il vous sera utile à tous ("for all of you")". Sans savoir ni comprendre, je pris un petit livre. La présence joignit alors les mains sur la poitrine et j'entendis "aham aham". Il m'invitait ainsi à prendre congé, tout en me signifiant que nous étions uns (sic) à jamais.

Cet homme était Janârdan Pandey. C'est avec émotion que j'évoque son souvenir. Il avait travaillé à la grande bibliothèque de Bénarès où sont conservés d'innombrables manuscrits uniques. Malheureusement, nul n'en prend soin et j'ai pu voir par moi-même que la plupart sont à l'état de confettis. Aussi, nous ne remercierons jamais assez cet homme qui, pendant des décennies, a recopié discrètement plusieurs manuscrits du Tantra non-duel et les a ensuite publié dans un demi secret. 


Le petit texte ci-dessous, que je vous traduit et dont je chanterai peut-être un jour, si la Yoginî le veut, le texte sanskrit, est extrait du recueil "Vingt textes du shivaïsme non-duel" publié en sanskrit par J. Pandey que j'ai évoqué plus haut.

Je mets le texte sanskrit tout en bas, après la traduction.


Titre : Bodhollāsavilāsa, Le Jeu de la manifestation de la conscience


Il s'agit d'une version versifiée du Pratyabhijñāhṛdayam de Kṣemarāja, texte très diffusé du Trika d'Abhinavagupta. En fait, on trouve des manuscrits de cette "Quintessence du Tantra" dans toute l'Inde et surtout dans le Sud, souvent sous le titre de Śaktisūtra ou "Aphorismes de la Puissance". Il existe une autre version en vers de la Quintessence, composée par Sāhib Kaul Anandanātha, un Cachemirien, et insérée dans son Jeu des Noms de la Déesse (Devīnāmavilāsa). 

La version que voici est anonyme. Elle semble faire partie d'un tantra, car la Déesse est mentionnée.

_____

Hommage à Śiva, 

Lui qui effectue continuellement les cinq actes, 

Lui qui fait apparaître la vérité ultime, 

Déploiement homogène de félicité et de conscience. /1/


La conscience est libre.

Elle est la cause de l’univers.

Elle est liberté et sujet connaissant, 

Elle est l’accomplissement. /2/


Elle fait éclore l’univers

En son propre fond, par son seul désir,

En (se) différenciant en sujet et en objet variés,

Selon des formes multiples. /3/


La diversité de l’univers existe

En raison de la différenciation de l’objet,

En s’unissant à cette diversité,

En haut, en bas, d’innombrables (manières). /4/


Bien que la conscience soit le Seigneur,

Elle devient l’âme lorsqu’elle se contracte.

Les sages savent que la forme de l’univers

Existe en elle comme l’arbre dans sa graine. /5/


La conscience est notre essence 

Absolument pure et limpide.

L’âme, quand elle n’est pas attachée aux limitations,

Est la conscience. /6/


Tournée vers les objets, la conscience 

Vient reposer dans l’âme.

Les sages disent que la conscience devient l’âme

Quand la contraction devient prédominante. /7/


Le sujet soumis à l'Illusion est l’être incarné.

Il reçoit son existence de cette conscience.

Il s’attache aux choses,

Privé du juste discernement. /8/


Et cet Un apparaît multiple 

A cause des aspects et des qualités comme la légèreté.

Il apparaît comme les sept (sortes de) sujets connaissants,

Et comme les trente-six catégories. /9/


Un, omniprésent, 

Le Seigneur est pure conscience.

Telle est la délivrance, évidente

Par la parfaite connaissance de la subjectivité. /10/


Connu comme étant les sept sujets connaissant

Et les trente-six catégories,

Le Grand Seigneur procure

Cette fortune qu’est la délivrance. /11/


Assurément, les doctrines ne sont que

Des personnages (assumés) par lui, selon son désir, 

Comme des personnages factices

Assumés par un homme. /12/


De la même manière, le Soi immense,

Qui est félicité et conscience,

Est nourri et animé par son propre désir.

Il assume différents points de vue à cause de sa plénitude. /13/


Le Soi se déploie dans la manifestation du divertissement 

De la félicité et de la conscience.

L’âme se souille dans le saṃsāra

Parce qu’elle est contractée par ses propres puissances. /14/


« Je suis imparfait », ainsi est-elle souillée 

Par de multiples souillures 

– De finitude, relative à Māyā et relative aux (conséquences des) actes –

Alors qu’elle est le Seigneur des mondes, omniprésent. /15/


De même que le Seigneur omniprésent 

Effectue les cinq actes,

De la même façon ce Soi (limité les) effectue,

(Mais) égaré par (ses propres) puissances. /16/


Le Seigneur des Puissances est célébré 

Par les adeptes du Principe

Grâce à l’épanouissement de la Puissance.

Le sujet transmigrant est contracté à cause de la contraction (de la Puissance). /17/


Car, quelque soit la forme de Māyā 

Qu’il désire voir, 

On doit savoir que c’est une création du Soi. 

On considère que sa Puissance est subsistance. /18/


On considère que la Déesse, 

Ayant résorbé le Samsâra,

Le reprend dans l’unité de la conscience. 

L’occultation de cette essence est le voilement. /19/


Ainsi, le processus

Du quintuple flot est toujours proche.

Connu, il est comme le joyau qui exauce les désirs.

S’il ne l’est pas, il est comme du bois ou de la boue. /20/


Qui le cultive continuellement 

Par la force d’une juste prise de conscience

Est délivré de tous les liens.

Il devient félicité éternelle. /21/


Lorsque le feu de la conscience dévorant 

Est bien éveillé,

Ce feu immaculé 

Consume tout le connaissable. /22/


Le yogin unit à sa force

Possède les signes du Nirvāṇa.

Assurément, il atteint sans délai

Le domaine immaculé. /23/


Bien que le feu de la conscience ait été obtenu, 

L’univers qui est conscience apparaît néanmoins.

Cette manifestation de l’ambroisie de la félicité du Soi

Se déploie à l’extérieur. /24/


Cela même, en se cristallisant,

Apparaît sous la forme des phénomènes.

Dieu, le Grand Seigneur qui est notre Soi,

Le Seigneur suprême, se divertit. /25/


Celui qui voit cela continuellement

Est délivré, et en un instant

Il délivre la totalité des êtres 

Des liens du saṃsāra effroyable. /26/


« Quiconque possède la force de la félicité

Se tient dans le domaine de sa propre essence » :

Ainsi, celui pour qui 

L’éclat de la joie est apparu, /27/


Qui repose en sa propre essence,

Celui-là atteint cet (état) même après le samādhi (vyutthāne).

En raison de l’efficience de sa persévérance,

Il est recherché par les gens. /28/


La félicité de la conscience apparaît

Par l’épanouissement du domaine du centre.

Quand il apparaît, la vision divine

En forme de connaissance apparaît. /29/


Immaculée, lumineuse, pure, 

Félicité éternelle, suprême,

Sans même avoir tranché le filet du corps,

La vision qui est connaissance se déploie. /30/


La puissante méthode 

Pour épanouir le centre

Est multiple :

Anéantissement des vikalpas, épanouissement, contraction, etc. /31/


C’est en ne pensant à rien 

Que les vikalpas seront anéantis.

Quand la conscience s’éveille,

La Puissance en train d’apparaître s’éprend du royaume des phénomènes. /32/


(La Puissance étant) éprise d’eux,

On voit le flot divin immaculé.

C’est cette contraction de la Puissance

Qui est enseigné par les partisans d’un Brahman (passif). /33/


L’absorption dans le nâda et le bindu, 

Le repos dans les extrémités initiales et finales, etc. ;

S’emparer du dégoût, de la colère, 

De la peur, de l’incertitude : /34/


Ainsi enseigne t-on, Ô déesse (?), 

Ce qui fait s’épanouir le centre.

S’il s’y dévoue, c’est en quelques jours

Qu’il atteindra le domaine suprême. /35/


Celui qui cultive 

Les impressions du samādhi intérieur,

Immaculé, prend conscience encore et encore,

Par la seule force de la juste prise de conscience. /36/


Son essence propre apparaîtra entièrement,

Même après le samādhi.

Ce yogin établi dans l’éveil 

Est éternellement heureux. /37/


La conscience du yogin

Se déploie parfaitement. 

Elle est la parfaite subjectivité,

Faite de lumière, elle est la vitalité des mantras. /38/


Se divertissant en elle,

Le yogin se tient dans le domaine des Souverains des Mantras.

S’adonnant à cela, il se divertit comme le Seigneur,

Nourri par les Puissances. /39/


Ainsi la liberté du Seigneur des mondes, omniprésent,

Possède de multiples aspects, 

Existe sous des formes diverses.

Elle est une souveraineté indivise. /40/


« Il est sans-second » : 

Telle est, dit-on, cette suprême ambroisie qu’est la connaissance.

Celui qui en boit 

Neutralise ce puissant poison qu’est le saṃsāra. /41/


Cette méthode pour rendre la conscience évidente

Vise à faire atteindre Śiva aux magnanimes.  

Cet enseignement absolument immaculé, 

Extrait de l’océan de la connaissance parfaite,

Est l’œuvre de Kṣemarāja. /42/

 

Traduit par David Dubois


namaḥ śivāya satataṃ pañcakṛtyavidhāyine /

cidānandaghanasvātmaparamārthāvabhāsine // 1 //


citiḥ svatantrā viśvasya hetur ity abhidhīyate /

svātantryarūpā jñātā ca siddhīr vā saṃprayacchate // 2 //


sā svabhittau svecchayaiva viśvasyonmīlanāya ca /

nānānurūpavaicitryād grāhyagrāhakabhedataḥ // 3 //


viśvasya tasya vaicitryaṃ grāhyabhedena saṃsthitam /

nānāvaicitryayogena cottamādhamasaṅkhyayā // 4 //


citisaṅkocanāc cittaṃ cetano 'pi maheśvaraḥ /

vaṭadhanikāvat tatra viśvarūpaṃ ca tad viduḥ // 5 //


caitanyam ātmano rūpaṃ śuddham atyantanirmalam /

tad eva niyamāsaktaṃ cittaṃ cid abhidhīyate // 6 //


arthonmukhatayā saṃvic citte viśrāntim āgatā /

saṅkocātmapradhānatvāc citiś cittaṃ vidur budhāḥ // 7 //


māyāpramātā cidrūpas tanmayatvena dehinām /

vartate viṣayāsaktaḥ sadvivekavivarjitaḥ // 8 //


sadaikaḥ pratithaś cittaṃ kalāsattvaguṇādibhiḥ /

saptapramatṛkatvena ṣaṭtriṃśattattvasaṅkhyayā // 9 //


ekaḥ sarvagataḥ śuddhaḥ sambodhātmā maheśvaraḥ /

saivāhantāparijñānān muktiḥ karatale sthitā // 10 //


pramātṛsaptakatvena ṣaṭtriṃśattattvasaṅkhyayā /

bhāvitaḥ sa maheśāno mokṣalakṣmīḥ pravartate // 11 //


tadbhūmikā darśanādyās sarvā eva na saṃśayaḥ /

bhūmikāḥ kṛtrimā yadvan naṭo gṛhṇāti svecchayā // 12 //


tadvad eva cidānandasvecchocchalitabṛṃhitaḥ /

ātmā gṛhṇāti vipulā darśanādyā vibhūtayaḥ // 12 //


cidānandasamullāsollasitātmā virājate /

cidvatsvaśaktisaṅkocāt saṃsāre malināyate // 13 //


apūrṇo 'smīti vividhair malaiḥ sa malinīkṛtaḥ /

māyīyāṇavakārmākhyair vyāpako 'pi jagadvibhuḥ // 15 //


vyāpī yadvan mahādevaḥ kroti pañcakṛtyatām /

tadvad evāyam ātmāpi kurute śaktimohitaḥ // 16 //


śakto vikāsāc chaktīśo gīyate tattvavādibhiḥ /

saṅkocanāt saṅkocitaḥ saṃsārīty abhidhīyate // 17 //


māyā rūpaṃ hi yat kiṃcid ālokayitum udyatā /

sādhyasṛṣṭiṃ vijānīyād anyā śaktiḥ sthitir matā // 18 //


saṃhārāt saṃhṛtā devī cidaikye 'nugraho mataḥ /

tadekasārāprathanāt tirodhānābhidhīyate // 19 //


itthaṃ sadā saṃnihitaḥ pañcavāhavidhiḥ kramāt /

jñātaś cintāmaṇir asāv ajñānāt kāṣṭaloṣṭavat // 20 //


sadvimarśabalenaivaṃ nityaṃ yaḥ pariśīlate /

sa muktaḥ sarvabandhebhyo nityānandamayo bhavet // 21 //


cidvahnir grasate so 'yaṃ suprabuddho 'sty asau yadā /

tadāsau vimalo jñeyaś cidvahniḥ sarvabhakṣakaḥ // 22 //


etadbalena saṃyukto yogī nirvāṇalakṣaṇaḥ /

padaṃ prāpnoti vimalaṃ so 'cirān nātra saṃśayaḥ // 23 //


cidvahnir balalābhe 'pi viśvam ābhāti cinmayam /

svānandāmṛtakallolam etad ucchalitaṃ bahiḥ // 24 //


tad eva śyānatāṃ yātaṃ bhāvarūpair vibhāvyate /

svātmā maheśvaro devaḥ krīḍate parameśvaraḥ // 25 //


iti yaḥ satataṃ vetti sa mukto mocayaty api /

sattvavrātaṃ kṣaṇenaiva ghorāt saṃsārabandhanāt // 26 //


yaḥ kaścit ānandabalaḥ sa svarūpapadasthitaḥ /

iti yasya samullāsollāsitodayaśālinaḥ // 27 //


tasya svarūpaniṣṭhasya vyutthāne 'pi tad arthyate /

etat prayatnasāmārthyāj janair evādhigamyate // 28 //


madhyadhāmavikāsāc ca cidānandāt prakāśate /

tatprakāśād divyadṛṣṭir jñānarūpā vibhāvyate // 29 //


nirmalā suprabhā śuddhā nityānandamayī parā /

nirdehacchedajālāpi jñānadṛṣṭir vijṛmbhate // 30 //


madhyadhāmavikāse tu upāyo balavatsthitiḥ /

vikalpakṣayasaṅkocavikāsādyā anekaśaḥ // 31 //


akiñciccintanād eva vikalpānāṃ kṣayo bhavet /

cidbodhād vilasacchaktī raktāsau bhāvamaṇḍale // 32 //


tatrānuraktā divyaughaṃ paśyate vimalātmakam /

śaktisaṅkocam etad dhi procyate brahmavādibhiḥ // 33 //


ādyantakoṭiviśrāmabindunādalayās tathā /

aśaṅkitabhayakrodhabībhatsādiparigrahāḥ // 34 //


ity etat kathitaṃ devi madhyadhāmavikāsakam /

tatra śakto dinair evaṃ prapnoti parasampadam // 35 //


yo 'ntaḥsamādhisaṃskāraṃ bhramate vimalatviṣām /

sa visargabalād eva vimṛśya ca punaḥ punaḥ // 36 //


vyutthāne 'pi yatas tasya svarūpaṃ samprakāśate /

yogino bodhaniṣṭhasya nityānandarasasya ca // 37 //


tat prakāśānandamayī mantravīryopabṛṃhitā /

pūṛnāhantācid ity antaḥsamullāsābhiyoginaḥ // 38 //


tatrāsau vilasan yogī mantreśvarapade sthitaḥ /

tatra śakto vibhur yadvat krīḍate śaktibṛṃhitaḥ // 39 //


evaṃ svatantratā tasya vyāpakasya jagadvibhoḥ /

nānābhedajuṣaś citrapadasthitasyākhaṇḍitā // 40 //


etad advayam ity uktaṃ jñānāmṛtam anuttamam /

yaḥ pibec chāmyate tasya saṃsāraviṣamūrchanam // 41 //


bodhollāsavidhāneyaṃ śivaprāpyai mahātmanām /

rājñaḥ kṣemābhidhānasya śāstram atyantanirmalam // 42 //


iti śrīkṣemarājakṛtaṃ bodhavilāsākhyaṃ yogaśāstram //


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jeudi 19 septembre 2024

Qu'est-ce que la toute-puissance ?

 


Aujourd'hui, j'entends cette pensée de Pierre Magnard :

"La toute-puissance est celle qui est capable de se vaincre elle-même, capable de se renoncer elle-même, capable de se dépasser".

En un sens, c'est la définition de la volonté depuis les Stoïciens. C'est aussi la définition de la liberté souveraine (svâtantrya) dans la philosophie de la Reconnaissance, pratyabhijnâ.

L'amour peut-il être mauvais ?

 


Selon Platon, l'amour est élan vers le bien. Il ne peut donc être mauvais.

François de Sales, dans son riche Traité de l'amour de Dieu (p. 42), tient que l'amour est, en lui-même, neutre. Selon la volonté, c'est-à-dire selon le "libre" ou "franc-arbitre", il peut s'orienter vers le bien ou le mal. 

L'amour est la passion primordiale dont dérivent toutes les autres. En réalité, ajoute-t-il, il n'y a qu'une seule passion, un seul mouvement de l'âme, mais il reçoit différents noms selon les objets auquel il s'applique.

Cet amour, ainsi décrit, ressemble à la conscience, conçue comme "mouvement total" dont tous les autres mouvements - dont les émotions - ne sont que des vagues, des aspects particuliers mais inséparables du tout.

Platon, François de Sales et le Tantra se rejoignent pour affirmer l'unité d'un seul désir infini tendu vers l'Infini.

lundi 16 septembre 2024

Des signes de l'éveil ?


Le Tantra n'est pas centré sur l'éveil, mais plutôt sur ce qui s'ensuit.

A quels signes reconnaît-on l'éveil ? Que dit la tradition à ce sujet ? Y a-t-il des preuves ? 

Oui, il y a des symptômes qui servent de preuves, des pratyayas. Ensembles, ils forment les traits caractéristiques de l'éveil.

L'éveil est défini comme l'expérience de notre vraie nature, inséparables de ses pouvoirs : permanence, omniprésence, omniscience, omnipotence et, finalement, liberté souveraine.

 Reconnaître en soi ces pouvoirs, reconnaître en toute expérience de libre jeu de cette souveraine indépendance, est l'éveil en sa plénitude.

 Cette intuition peut s'exprimer sous la forme d'un "Je suis l'océan de la conscience dans lequel se déploient les vagues des univers". En d'autres termes, il s'agit d'une participation intime à la Conscience universelle, à l'acte créateur qui jaillit, toujours nouveau, à la Présence qui se présente à chaque instant, toujours présente et toujours neuve.

Un autre symptôme est alors la sensation de plénitude, pûrnatâ. Rien ne manque, il n'y a plus de vide, plus rien à faire en tant qu'individu.

 Il est dit que cette sensation peut être si puissante que l'individu ne satisfait plus ses besoins naturels. Il est donc possible que, dans des cas d'éveil extrêmement puissants, la vie incarnée cesse. 

Il peut aussi y avoir des éveils partiels, des pressentiments de plénitude qui se traduisent par un détachement partiel ou par une remise en question de certaines habitudes, de certaines addictions. 

Le signe principal de l'éveil est donc, vu de l'extérieur, l'indépendance de l'individu. Paradoxalement, reconnaître que l'individu est une manifestation bien plus vaste, permet à l'individu de gagner en autonomie. Plus l'individu abandonne sa volonté à la volonté infinie, plus il se sent libre.

Donc, la personne éveillée n'a, idéalement, plus de besoins. Dès lors, pourquoi continue-t-elle à agir ? 

La réponse traditionnel de l'Inde est que "la vie continue par habitude, comme la roue qui continue à tourner, même une fois qu'on arrête de la faire tourner". C'est le fameux karma "déjà entamé" (prârabdha) que même l'éveil ne peut détruire. C'est le destin, c'est le corps.

La réponse du tantra est différente : La personne continue à agir, mais pour les bien des autres, paropakâra, et sous l'impulsion de l'énergie infinie qui est la liberté même. 

Dans le cas des non-éveillés, cet altruisme est sans doute très partiel, voire impossible. On peut toujours soupçonner un intérêt égoïste. Mais si l'on admet la réalité de l'éveil tel que le Tantra le définit, alors il existe des individus qui n'ont plus besoin d'agir dans leur propre intérêt. L'altruisme est donc leur seul mobile. C'est le cas des maîtres du Tantra.

Donc, on reconnaît l'éveil à l'altruisme, de même que la fumée permet d'inférer le feu. 

Tout éveil se traduit pas de l'altruisme, qui peut rester discret certes, invisible aux yeux du vulgaire, "caché en Dieu". Mais attention, toute apparence d'altruisme n'est pas une preuve d'éveil, puisqu'un mobile égoïste est toujours possible. Il y a seulement des signes qui ne sont jamais des preuves indubitables.

Ce qui me frappe, au regard de cette vision de l'éveil, c'est son absence dans la spiritualité contemporaine. Dans le Tantra, l'éveil est plénitude qui déborde dans une activité altruiste - principalement la transmission de la tradition. Aujourd'hui, l'éveil est un évènement intime, "privé" et "laïque" qui concerne peut-être la psychologie, jamais la morale ni la politique.

Pourquoi cette absence ? Peut-être parce que nous vivons dans un monde plus individualiste et plus averti des tromperies de l'ego. L'altruisme ne figure donc plus vraiment parmi les signes de l'éveil idéal. Il y a donc, à la place, d'autres preuves, comme le bonheur ou la paix intérieure. Des signes moins visibles, plus subjectifs.

 Autrement dit, il n'y a plus de tradition, plus rien à transmettre, plus d'insertion nécessaire dans un collectif, dans un "tissu social". Plus de devoir de transmission. Plus d'héritage à assumer, ni à donner. Aujourd'hui, les gens cherchent plutôt à se débarrasser de leur héritage, notamment familial. 

Il faut dire que l'idée même de vérités à transmettre semble menacer le droit égal de chaque individu à proclamer la vérité - donc "sa" vérité. Chacun se sent menacé par la possibilité qu'il existe des vérités, des valeurs ou des personnes supérieures à soi, aux notres. 

D'où le rejet épidermique de toute "hiérarchie", en faveur d'une hiérarchie tacite : "Moi, je suis supérieur à vous, avec 'ma' vérité, 'mon' point de vue, 'mon' ressenti." 

Seul le relativisme - qui aujourd'hui tient lieu de politesse, peut tempérer en partie cet égocentrisme radical. Le "vivre ensemble" se paie au prix fort - plus rien n'a de valeur.

Dans ces conditions, chacun peut certes prétendre également à l'"éveil" - mais n'est-ce pas au prix d'une dévalorisation de l'éveil ? De même, chacun peut clamer "sa" vérité - mais n'est-ce pas au prix d'un renoncement à toute vérité vraie ? Chacun peut revendiquer son "droit" à être libre - mais n'est-ce pas au prix du véritable accomplissement, avec ce qu'il suppose d'engagement ?

Et cette déconnexion totale entre bonheur individuel et altruisme ne mérite-t-il pas d'être remis en question ? 

Autrement dit : Peut-on atteindre l'éveil tout seul, isolé de toute tradition, mais aussi de toute société, de toute relation avec autrui ?

Je dis que l'éveil est relation. Pas nécessairement avec nos voisins. Il ne s'agit pas nécessairement d'être "gentil", "cool", "sympa", et encore moins "politiquement correct". Mais du moins, une relation est nécessaire. Avec un Autre.

L'union tactile, au-delà de la conscience ?



Le Tantra affirme, avec Abhinavagupta, que le toucher est plus élevé que la vision.

Or, on trouve cette même hiérarchie chez Plotin, dans un passage de son enseignement oral ici traduit par le savant Jean Trouillard : 

"Il faut qu'un être qui pense saisisse une chose, puis une autre et que ce qui est pensé, puisqu'on le conçoit distinctement, offre de la diversité. Sinon, [dans l'union directe avec l'Un au-dessus de, et avant la Pensée], il n'y a pas pensée, mais un toucher (thizis) et une sorte de contact (oion épaphè) qui est purement ineffable et inintelligible, antérieur à la pensée (pronoousa), quand la pensée n'est pas encore née et qu'il y a toucher sans pensée" (Ennéades, 6, 3, 10, 40-44)

Plotin essaie ici de décrire l'union immédiate avec l'Un, principe absolument premier. Or, selon Plotin, l'Un est avant la Pensée, c'est-à-dire avant la Conscience : il est principe de la conscience qui est, elle-même, principe de tout. Pourquoi la Conscience n'est-elle pas absolument première ? Parce que, selon lui, toute conscience, discursive ou même intuitive, implique une différence, une "multiplicité", de la "diversité", donc une sorte ou une autre de dualité, même s'il y a aussi en elle de l'unité. 

Donc, l'expérience de l'Un est 1) avant la Conscience et 2) n'est pas comparable avec la vision, expérience qui implique une séparation entre le sujet qui voit et l'objet vu, une distance entre le voyant et le vu. 

Bien plutôt, l'expérience de l'Un est comparable à un toucher, à un contact. Pourquoi ? Parce que le toucher est plus immédiat, direct. On ne touche pas "à distance", mais bien par un contact direct, sans distance. Dès lors, le toucher est plus à même de suggérer l'unité absolue, que la vision, laquelle convient mieux à la Pensée, discursive (vision graduelle) ou intuitive (vision globale). 

Cependant, ce toucher de l'Un est "ineffable" et donc il est "une sorte" de toucher, et non pas un contact au sens littéral. De même, la Conscience, principe absolument premier et ultime selon le Tantra, n'est pas une "vibration" (spanda) physique, mais "une sorte de" (kimcit) vibration, un mouvement extraordinaire, car aussi immobile, comparable en ceci à l'océan, à la fois immobile et en mouvement.

Ainsi, la différence entre le Tantra et Plotin est que, pour ce dernier, la Conscience (ou la Pensée) ne peut être première, car elle implique nécessairement une très subtile différenciation. 

Ce qui est intéressant, c'est que le Tantra admet aussi que toute Conscience comporte une certaine différence (une vibration), mais ne voit pas en cela une raison de refuser à la Conscience la première place. Bien plutôt, le Tantra voit dans cette "vibration" la liberté qu'est la Conscience, son pouvoir de transcender les opposés - par exemple l'opposition entre l'Un et le Multiple, entre unité et dualité. La conscience est supérieur à la simple unité en raison même de son pouvoir d'être conscience différenciée sans cesser d'être parfaitement une. 

Voilà pourquoi la "non-dualité" (advaya) du Tantra est "suprême" (parama), car elle embrasse en elle les "ennemis irréconciliables" que sont la dualité et la non-dualité. 

Il est troublant de constater que 1) Plotin, malgré son refus de la Conscience, de la Vie et du Corps, se tourne malgré tout vers le toucher pour décrire l'absolument intangible ; et que 2) ses successeurs (Jamblique, Ploclos, Damascios) vont redonner une place plus importante à la Pensée, à la Conscience, convergeant ainsi avec le Tantra.

Voici pour finir un autre passage de Plotin mentionnant le toucher, aussi traduit par Trouillard :

"L'âme engendre des dieux dans le silence par son contact (épahè) avec l'Un. Elle engendre la beauté, elle engendre la justice, elle engendre la vertu . Voilà tout ce que conçoit l'âme fécondée par la divinité et tel est son principe et sa fin" (En. 6, 9, 9, 18-21)

Pour mesurer combien ces affirmations de Plotin sont audacieuses, mettons-les en apposition à ces autres, du célèbre "platonicien" Marsile Ficin :

"L'Amour se propose comme fin la jouissance d ela beauté ; celle-ci relève de l'esprit, de la vue et de l'ouïe exclusivement. Donc l'Amour se limite à ces trois puissances ; quant à l'appétit, qui s'attache aux autres sens, il ne mérite pas le nom d'Amour, mais de concupiscence et de rage."

D'où l'Amour "platonique", lancé par ce Monsieur qui se disait Platon réincarné. Au cas où l'on n'aurait pas compris, il ajoute un peu plus loin :

"Les plaisirs du goût et du toucher, qui sont si violents et si déments qu'ils dérangent l'équilibre de l'esprit et perturbent l'homme tout entier, l'Amour non seulement ne les désire pas, mais les a en horreur et les fuit, comme contraires, en raison de leur déséquilibre, à la beauté."

Et donc,

"le désir de copulation ou d'union charnelle et l'Amour se révèlent-ils être des mouvements non seulement différents, mais même opposés" (Sur le Banquet de Platon, I, 4, traduction Pierre Laurens)

Dans l'Amour platonique, on parle, on regarde, mais on ne touche pas. Je ne sais si Platon serait content de cette interprétation.

On voit l'écart avec le Tantra, mais aussi avec Plotin, que l'on ne pourra pourtant pas accuser de luxure.

Discernement


Certaines expériences se ressemblent - et vont pourtant dans des directions opposées.

Ken Wilber attire notre attention sur la distinction entre "pré rationnel" et "trans rationnel" : quand je rejette la raison, suis-je en train de régresser dans un état infantile, ou bien suis-je en train de dépasser la raison, dans un état de sagesse ? Les deux se ressemblent.

Ju Mipham attire notre attention sur la distinction entre le mental et la présence : quand je suis dans un état "sans pensées", suis-je dans un état où je ne vois rien parce mes facultés sont endormies (un état mental), ou bien suis-je dans un état où je ne vois rien parce tout baigne dans une seule lumière (la présence) ? Les deux se ressemblent.

Abhinavagupta attire notre attention sur deux sortes d'extases ou "éveils de la Kundalinî" : vers le bas, qui provoque confusion et addiction ; vers le haut, qui libère et clarifie l'esprit. Les deux se ressemblent et sont pourtant opposées.

Dans toutes ces expériences, il y a un point commun : la dissolution du mental, l'arrêt des perceptions ordinaires, la disparition des repères habituels. Cela est vrai, tant pour les expériences spirituelles, que pour les troubles mentaux ou bien divers états qui ne sont pas toujours bons.

Jamblique distingue ainsi deux sortes d'extases :

"D'emblée, il faut distinguer deux sortes d'extase :

- l'une est tournée vers l'inférieur, l'autre, vers le supérieur.

- l'une remplit de folie et de délires ; tandis que l'autre donne des biens plus précieux que la sagesse humaine.

- L'une dégénère en un mouvement désordonné, confus et inerte ; l'autre s'abandonne à la cause suprême qui préside à l'ordre cosmique.

- L'une, privée de connaissance, est séparée de la sagesse ; l'autre est séparée de la sagesse humaine car elle s'attache à des êtres qui dépassent notre compréhension.

- L'une est instable ; l'autre est immuable.

- La première va contre la nature ; la seconde transcende la nature.

- L'une fait descendre l'âme ; l'autre l'élève.

- Et, tandis que la première prive l'âme de son héritage divin, l'autre connecte l'âme au divin." (Les Mystères d'Egypte)

De même, Damascios distingue deux sortes de silence :

"Sauter dans le vide se prend en deux sens : l'un quitte le langage pour aller dans l'ineffable ; l'autre tombe dans le néant" (Traité sur les premiers principes). Les deux sont ineffables, mais le second est inférieur, comme dit Platon dans Le Sophiste.

Enfin, Proclos attire notre attention sur la distinction entre l'Un pur qui transcende le mental par excès d'unité, et le Multiple pur qui transcende lui aussi le mental, mais par défaut d'unité. Les deux sont "au-delà des concepts", et sont pourtant opposés.

On pourrait ainsi distinguer ainsi tous les termes négatifs de la spiritualité (vide, rien, néant..) qui se prennent en deux sens à distinguer soigneusement.

Faute de ce discernement, notre vie intérieur est un désastre.

mercredi 11 septembre 2024

Weekend Méditation à Paris - 5 et 6 octobre 2024

Espace

L'Eveillé primordial à dit un jour, maintenant : 

"Je suis l'espace - tout est imprégné de ma présence. 

Il n'y a donc pas de dualité".

L'espace est la reine des métaphores.

Le yoga de l'espace est le roi des yogas.

La méditation de l'espace est la reine des méditations.

Weekend Méditation

Dates : 5 et 6 octobre 2024

Lieu : Nogent sur Marne 94130 (adresse communiquée à l'inscription)

Tarif : 70e sur place

Horaires : 10h-17h, 9h-16h (arriver avant)

Inscription : deven_fr@yahoo.fr

_________________

Pour vous aider à décider si cette pratique vous concerne, voici :

- si vous croyez que ce weekend sera un "stage de bien-être", de "développement personnel" ou l'une de ses variantes, si vous croyez avoir la science infuse et êtes addict aux "expériences puissantes", si "moi-m'aime" est votre maxime, vous ne serez pas à votre place dans cet atelier.

- si vous croyez en la valeur de l'étude, de la réflexion et de la discipline méditative, et si vous croyez qu'il existe une transcendance et que les traditions sont un héritage précieux, qu'il existe des valeurs éthiques, vous serez à votre place.

Faites preuve de discernement et de sérieux.

mardi 10 septembre 2024

Cycle de conférences près de Vendôme - début 12 octobre 2024

 Cycle de conférences pratiques pour s'initier au Tantra

Dates 

2024 - Samedis : 12 octobre , 7 décembre

2025 - Samedis : 1er février , 29 mars et 7 juin

Les ateliers auront lieu de 15h à 18h.

Lieu 

salle du petit Salon à la Picotière à Villetrun (à 10 minutes de Vendôme)

11 rue de la Picotière - 41100 Villetrun https://www.picotiere.com/

Il serait bon d'arriver à 14h45, pour que nous puissions démarrer l'atelier à 15h.

Accessible aussi en visio

Pour le visio, réglez 40e sur Paypal avec l'adresse mail deven_fr@yahoo.fr et recevez l'invitation Zoom par mail

Ces rencontres seront des explorations du Tantra selon Abhinava Gupta

A la découverte de la tradition avec son représentant le plus génial

"Loin des clichés sur le yoga sexuel ou le développement personnel, le Tantra reste une tradition méconnue. Aussi, je vous propose d'en faire l'expérience directe, en allant à la source. Abhinava Gupta (Cachemire, vers l'An Mille) nous a transmis une synthèse de toutes les traditions. De plus, il en partage l'esprit à travers des méditations qui pointent vers l'essence divine dans les expériences quotidiennes comme les relations, la joie, la peine ou la musique.

A travers ces rencontres, allons à la rencontre du plus profond maître du Tantra, à la rencontre d'une tradition à la fois solide et ouverte, ancienne et plus actuelle que jamais." David

Tarifs

45€/séance ou forfait pour le cycle complet 185€ (réglable en deux ou trois fois) . 40e/séance en visio

Je vous remercie de me faire un retour par mail pour me confirmer votre souhait de participer à ces rencontres.

Après le premier atelier, qui reste ouvert à toutes/tous, l'engagement serait souhaité pour l'ensemble du cycle.

A la joie de vous retrouver pour poursuivre cette découverte et explorations de l'enseignement du Tantra.

Contact 

Émilie Moreau 06 69 98 96 67

Praticienne Shiatsu Santé

& Okyu, Moxibustion japonaise

www.artdesante.com

lundi 9 septembre 2024

L'éveil est-il une expérience nouvelle ?


L'éveil est-il une expérience nouvelle ? ou l'expérience d'un nouveau contenu d'expérience ? ou une nouvelle expérience de l'expérience ?

La question se pose, car plusieurs tradition qui sont à l'origine de la notion d'éveil, affirment que l'éveil n'est pas une expérience nouvelle.

Je pense à l'Advaita Vedânta. L'éveil n'est même pas une expérience, mais la compréhension de l'expérience. Comment ? Par la compréhension de la phrase "Tu es cela", c'est-à-dire, toi, tu es l'absolu, et il n'y a rien d'autre. Absolument rien. Les expériences sont des illusions, donc il n'y a rien à chercher de ce côté. Pas d'expérience mystique, ni de méditation, par exemple. 

La phrase sacrée "Tu es cela" est un jugement, car elle fait un lien entre deux éléments "tu" et "cela" qui n'ont a priori aucun lien. Mais ce lien n'apporte en réalité rien de nouveau, aucune expérience nouvelle. Il s'agit juste d'une nouvelle interprétation de l'expérience commune, normale, ordinaire : perception, imagination, oubli... veille, rêve, sommeil... En termes kantiens, je dirais que "Tu es cela" est un jugement analytique : rien n'est véritablement ajouté à l'expérience par ce jugement.

Mais alors, s'il n'y a pas d'expérience nouvelle, à quoi bon l'éveil ?

Dans le Tantra non-dualiste, la même phrase sacrée est employée. Par exemple, dans l'Hymne à Dakshinâmûrti, que j'ai traduit et publié sous le titre "Les Jubilations de l'esprit" (traduction du titre du commentaire Mânasollâsa). 

Là, le "Tu es cela" est un jugement, mais un jugement synthétique : c'est-à-dire qu'il relie un élément connu à un autre, nouveau. En effet, contrairement à l'Advaita Vedânta, le Tantra ne dit pas seulement que la conscience "ordinaire" est l'absolu, mais pointe plus précisément ce qu'elle est, pour en faire faire l'expérience précise. Et surtout, ce jugement, assumé de tout notre être, avec une entière certitude et une complète assurance, a le pouvoir de changer notre expérience. En ce sens, l'éveil est une expérience nouvelle. 

Pourtant, l'absolu est toujours l'absolument. Avant, pendant, après. Par définition. Sinon il ne serait pas l'absolu. Mais l'expérience change. Imaginons que je pleure parce que j'ai perdu mes lunettes. Puis soudain, quelqu'un me dis que "tu as tes lunettes sur le nez !" Donc, en un sens, je faisais déjà l'expérience des lunettes. Et pourtant, en un autre sens, réaliser que je n'avais jamais perdu mes lunettes a le pouvoir de changer mon expérience, puisque j'arrête de pleurer, mon corps se calme et je me sens rempli de joie. C'est bien une nouvelle expérience. 

Ensuite, il est nécessaire de se familiariser avec cette réalisation, afin de stabiliser cette expérience nouvelle. Sans doute pas dans le cas des lunettes, mais bien dans celui de mon essence absolue, ma véritable nature de conscience infinie, que j'ai oubliée depuis des temps sans commencement. Les habitudes formées depuis un temps infini peuvent mettre un temps infini à disparaître, même si l'éveil est instantané et parfait, "comme des éons de ténèbres s'évanouissent en un instant de lumière".

Donc, l'éveil est est une expérience nouvelle.

www.david-dubois.com

L'exercice du silence - 2

 La pratique du silence intérieur, un enseignement de Martial d'Etampes. 

Fait suite à l'introduction.



L'essence du Tantra

Voici l'essence du Tantra, formulée en un bref poème par son plus célèbre maître : Abhinavagupta. 

En quinze versets, il y transmet l'éveil intégral propre au Tantra.

Dans la vidéo ci-dessous, je récite le sanskrit, puis ma traduction, laquelle avait été publiée avec un commentaire sanskrit traditionnel, lui aussi traduit dans ce livre : 
https://amzn.eu/d/2GCPNZM

Je propose aussi un cours de méditation axé sur l'essence intérieure de l'enseignement du Tantra traditionnel :
www.david-dubois.com/enseignement/




dimanche 1 septembre 2024

La raison



Deux excès : Exclure la raison, n’admettre que la raison. 

Pascal, Pensées



Nous ne pouvons sans la raison estimer à sa juste valeur ce qui n'est pas de la raison. Et la question même de savoir ce qui revient à la raison et ce qui ne revient pas à la raison, ce n'est que par le travail de la raison que nous pouvons nous la poser. 

Charles Péguy, De la raison



Vous qui séparez la raison et la religion, sachez que vous détruisez l'une et l'autre. la religion est la santé de la raison ; la raison est la force de la religion. La religion sans la raison devient de la superstition et la raison sans la religion devient de l'incrédulité.

 Antoine Blanc de Saint-Bonnet, De l'unité spirituelle de la société

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