L'idée de gourou est d'origine indienne.
Il y a l'idée de guru en général, et l'idée de guru tantrique, c'est-à-dire hindou.
En général, le gourou doit être respecté. Ce qui se comprend. Selon la morale commune (sâmânya-dharma), il ne faut pas coucher avec sa femme, etc. Sans quoi, il faut expier en étant ligoté à un lit de fer chauffé au rouge. Tuer le gourou, coucher avec sa femme ou le voler est un crime que seule la mort peut expier. Comme on voit, la morale brahmanique est violente et radicale. Le respect de la personne n'y est guère à l'honneur. Le gourou, à l'image du père dans le droit romain et la plupart des société traditionnelles, à droit de vie et de mort sur ses disciples.
Pour illustrer ce point, voici la rencontre entre Kumârila et Shankara, en sanskrit sous-titré en anglais, dans un film sympathique dont je vous conseille vivement le visionnage. Kumârila explique qu'il a suivi l'enseignement d'un gourou bouddhiste pour pouvoir ensuite combattre le bouddhisme. Mais ce faisant, il a trompé son gourou, même si ce gourou était un vilain bouddhiste, et même si c'était pour la victoire du brahmanisme : il doit expier en se faisant cuire à petit feu :
La leçon est claire : contredire ou humilier son gourou est punissable de mort, même si c'est avec les meilleures intentions du monde.
Dans le tantrisme, qui est la source principale de l'hindouisme, c'est encore pire : même la mort ne peut purifier un tel karma. Il est dit que même Shiva/Vishnou/les Bouddhas ne peuvent sauver celui qui à péché contre son gourou.
Selon la Lampe du Koula (Kula-pradîpa), qui cite le Tantra de l'Océan du Koula (XII, 72):
vidyā caurogurudrohī brahmarākṣasatāṃ vrajet // 7-156 //
"Celui qui vole la connaissance au gourou,
qui insulte le gourou,
celui-là devient un démon brahmanique"
qui est une sorte de zombie cannibale amateur d'énigmes impromptues.
De manière générale, le gourou est au centre de règles initiatiques à ne pas transgresser. Sinon, on chute :
vīrahatyā vṛthāpānaṃ vīrapatnīniṣevaṇam |
vīradravyāpaharaṇam tatsaṃyogaśca pañcamaḥ |
mahāpātakamityuktaṃ kaulikānāṃ kulānvaye
(Kulârnava, XII, 70)
"Tuer un héros, boire en vain (en dehors de l'orgie rituelle),
séduire la femme du gourou, voler les substances des héros
et s'y unir, tels sont les cinq grands péchés dans la tradition du Koula."
Selon le Yoga-pīṭha-krama-udaya, un tantra "ancien" :
gurudrohaṃ kṛtaṃ tena avicīnarakaṃ vrajet //
"Qui insulte le gourou va dans l'enfer Avîtchi !"
ou encore, dans l'enfer "des pieux" (shûla-).
Pour comprendre le fond de la chose, il faut ensuite se pencher sur les "règles initiatiques" (samaya). Dans le tantrisme, il y a toujours des règles, des sanctions et des expiations. Le samaya est si important que l'initiation de base, dans le shivaïsme initiatique, est "l'initiation avec règles" (samaya-dîkshâ) qui fait de vous un samayî "quelqu'un qui suit les règles". Si vous êtes une femme, un enfant, un débile mental ou un handicapé, vous pouvez recevoir une initiation simplifiée, nirbîja-dîkshâ. Respecter ces règles (samaya-pâlana) vous garanti les accomplissement (siddhi, bhoga-moksha) ; les enfreindre (bhanga, bhrashta) vous garanti l'enfer et divers destins malheureux, ainsi que toutes sortes de maladies en cette vie.
Quelles sont ces règles ?
En bref, il ne faut jamais désobéir au gourou. Et il n'y a pas de rétractation possible. C'est un contrat sans retour, où l'on vend son âme au gourou. Or, là est le vice :
il s'agit de donner librement sa liberté ; étant libre, de se faire esclave, de s'aliéner à jamais, même si le gourou est un psychopathe.
Or, peut-on librement aliéner sa liberté ?
Cela paraît discutable, à tout le moins.
De plus, le bon sens voudrait que ce "contrat" ne soit valide que si le gourou est bien un gourou qui possède toutes les caractéristiques de la bonne gourouïtude.
Mais comment s'en assurer ? Et s'il y a eu tromperie ou erreur, le contrat est-il rompu ?
C'est là que la tradition tantrique se trompe, à mon sens : le consensus tantrique semble être que le contrat ne peut être rompu, même si le gourou s'avère être un faux gourou. Avant, on peut et on doit examiner le gourou. Après, on va en enfer, même si on est victime d'un margoulin.
Exemple d'une mésaventure récente dans ce genre :
Le fond du problème est là : la relation gourou-esclave est, selon la tradition tantrique, un type de contrat. Mais c'est un contrat irrévocable, même en cas de mensonge ou de faillite de l'une des parties. Bref, le contrat tantrique est une arnaque.
Je propose donc que l'on jette ce délire dans les poubelles de l'histoire, et que l'on garde l'eau sacrée du simple respect pour celle ou celui qui nous enseigne.
Encore que, même cette relation pose problème, car elle est asymétrique : quand on est en situation de demande, on est plus fragile. Le disciple doit donc être protégé de l'enseignant/expert/guide/gourou, comme dans le droit moderne, les enfants sont protégés d'éventuels abus de leurs parents.
Et donc, au final, laissons-tomber tout ce qu'il y a de superstitieux, inutile et dangereux dans ces vénérables traditions, et gardons seulement ce qui est bon.
Signé : gourou drohî droopy, et fier de l'être
Philosophie et mystique, voie de la connaissance et de l'amour. Philo-sophia, amour de la sagesse, désir de vérité, expérience et réflexion. Yoga ou union du cœur et de la tête. La philosophie comme yoga, la philosophie comme pratique, éclairée et nourrie par la tradition du Tantra et autres sources que nous ont léguées nos ancêtres. Formation tantra traditionnel.
mercredi 25 septembre 2019
Pourquoi le modèle indien du gourou est-il problématique ?
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