dimanche 8 novembre 2020

Dans le sanctuaire du corps

Etienne Dinet


aṇḍamaye nijapiṇḍe pīṭhe sphuranti karaṇadevyaḥ |
prasphurati ca paramaśivo jñānanidhistāsāṃ madhye || 34||
sa tatrārcanīyo vimarśapuṣpādhivāsasurabhibhiḥ |
cittacaṣakārpitairvedyasudhāvīrapāṇavastubhīḥ || 35 ||

"Les déesses des organes créateurs
brillent clairement sur le trône sacré
de notre chair pareille à l'œuf cosmique,
et le dieu excellent brille plus encore
en leur centre, tel un trésor de connaissance.
C'est là qu'il faut l'adorer 
avec les meilleures des épices,
avec les parfums des fleurs de la réalisation de soi,
avec des substances réelles,
avec des liqueurs viriles, 
avec l'ambroisie des choses
offertes dans la coupe de l'attention."

Le Bouquet de tout ce qui importe (Mahârthamanjarî), 34-35

Dans ces verset de poésie intense, chaque mot a plusieurs sens.
Les "Les déesses des organes créateurs" sont les huit facultés, c'est-à-dire les cinq sens, plus l'ego, le mental et l'intellect. Ces deux dernières facultés sont définies l'une par rapport à l'autre : le mental doute et analyse, l'intellect décide et synthétise.
Ces déesses brillent dans "notre chair pareil à l'œuf cosmique" : notre corps est toutes choses "tout ce qui peut être perçu", et finalement, il est conscience, ressenti, sensibilité, extase de se sentir, de s'éprouver, vertige de s'explorer. 
Ces déesses et le dieu "brillent clairement" : elles sont en expansion, en pulsation, elles palpitent comme un coeur qui bat, dont le sang se répand, explose dans les chairs, va et vient comme le souffle et les cycles de la lune.
Le corps est le "trône", le sanctuaire de la réalisation spirituelle, et c'est lui qui est adoré, car il est la merveille des merveilles : le divin incarné, fait chair concrète, pour pouvoir s'adorer. Le divin fait animal pour que l'animal se divinise par honneur gratuit. Et c'est aussi par des "substances réelles" que ce culte est offert : vins, viandes, parfums, tout ce qui charme, tout ce qui ravit le cœur, musique, danse, comédie, drame, tragédie, et, par-dessus tout, par l'union sexuelle et par la parole. Et plus encore par la parole poétique, acmé des toutes les puissances incarnées. C'est dans la voix que tous ces pouvoirs convergent et viennent hurler les cris qui libèrent de la peur de la vie - naissance, vieillesse et mort, gain et perte. C'est dans la création buccale que les opposés se marient enfin, que l'esprit se matérialise en spiritualisant la matière, que l'individu devient à nouveau capable de chanter l'univers, de célébrer le mystère de la personne qui n'est personne, tout et rien, une et unique.
Ainsi, le corps est le trône, le mandala, le sanctuaire de la fête qui réunit nature et culture.

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