Souvent, nous avons le sentiment que la spiritualité est une négation de la vie.
Pourquoi ?
Parce que ces spiritualités s'inscrivent dans un schéma binaire, thèse/antithèse. Ce que l'on appelle parfois des antinomies, des "lois" qui s'opposent.
Ainsi :
1 - Je suis mon corps VS 2 - Je ne suis pas mon corps
1 - Je suis une personne VS 2 - Je ne suis personne
1 - Je suis le mental VS 2 - Je ne suis pas le mental
D'où une sensation de conflit, de déchirement, et des hauts et des bas en conséquence. Ces variations ne sont pas un mal en elle-même, mais dans ce contexte elles sont mal vécues, car elles sont interprétées comme des retour en arrière, des chutes. On a donc le sentiment de perdre son temps, et on se décourage, ou on culpabilise, ou on cherche d'autres méthodes, etc. On essaie la méditation, l'ascèse, la diététique, on a le sentiment d'en faire trop ou pas assez, d'être balloté entre des vents contraires, d'être instable, pas fait pour la spiritualité, etc. Ainsi, ce schéma binaire est une impasse. C'est pourtant celui de la plupart des spiritualités : pas éveillé/ éveillé, profane/sacré, bas/haut, impur/pur, échec/réussite... Encore une fois, ce schéma conduit à des impasses, car sa logique du "tout ou rien" et du "ou bien... ou bien" engendre des tensions insupportables. On a le sentiment de retomber au point de départ, de stagner, de "perdre l'éveil", de redevenir décentré, d'être repris par l'agitation, le mental, et ainsi de suite.
En réalité, il n'y a pas de retour au point de départ. Pourquoi ?
Parce qu'en réalité, le schéma de la vie dans tous les domaines, et pas seulement dans la spiritualité, n'est pas binaire, mais ternaire.
Ainsi :
1 - Je suis mon corps 2 - Je ne suis pas mon corps 3 - Je suis plus que le corps et j'intègre je corps
1 - Je suis une personne 2 - Je ne suis pas une personne 3 - Je suis plus qu'une personne et j'englobe cette peronne
1 - Je suis le mental 2 - Je ne suis pas le mental 3 - Je suis plus que le mental et j'embrasse le mental
Je suis "à la fois x et non-x" : thèse, antithèse, synthèse.
Le troisième temps, qui est le plus important, est celui de la synthèse. C'est lui que je peux, à tord, prendre pour un retour en arrière. Le mouvement de la vie n'est pas une oscillation de haut en pas, sur place. C'est un mouvement en spirale. Je reviens au-dessus de mon point de départ (le corps, la personne, le mental), mais pas au même point. En effet, je suis désormais plus haut, c'est-à-dire que, oui, j'ai un corps et je suis ce corps, mais je suis plus que lui. Mais ce dépassement inclut le corps, il ne l'exclu pas. La formule de la vie - spirituelle ou non - est donc "dépasser et inclure". Mieux : "dépasser en incluant".
Il n'y a donc pas de chute. "Perdre l'éveil", c'est en réalité revenir vers le corps, vers la personne, vers le mental, pour les intégrer, afin de réaliser qu'ils sont inclus dans la conscience infinie que je suis, dans le silence que je suis. Et cela est vari pour tout, pour tous les couples de contraires. C'est d'ailleurs la tension entre eux qui anime le mouvement vital, comme dans la respiration. Le vide appelle le plein, le plein a besoin de vide pour s'étendre. Quand j'e "perds l'éveil", il ne faut surtout pas nier ces opposés en prétendant les dépasser sans aucune synthèse : il faut comprendre que l'un des termes est inclus dans l'autre.
Par exemple, 1 - je suis perdu dans mon bavardage 2 - Je découvre le silence
Ensuite, j'ai l'impression d'être repris par le bavardage, un état d'hypnose.
Pour sortir de cette impasse, je dois réaliser que les pensées nourrissent mon expérience du silence, un peu comme des mantras ou comme des bols tibétains. Et que les pensées sont des manifestations de la conscience silencieuse, comme les vagues mettent en valeur l'océan en dehors de laquelle elles n'existent pourtant pas.
Ainsi, il n'y a pas de retour en arrière, seulement des cycles d'intégration. Je vais du mental à l'au-delà du mental, dans un mouvement d'intégration, de synthèse, de réconciliation toujours plus complet. Et donc je ne me décourage pas. J'acquière cette sagesse de comprendre que la vie est dialogue, va-et-vient, oscillation, vibration, cycles. Aller d'un extrême à l'autre est naturel : c'est la naissance et la mort, le jour et la nuit, l'expir et l'inspir. Et je ne cherche pas non plus un "juste milieu" en étouffant les extrêmes. Non, j'essaie d'intégrer un extrême dans l'autre, et vice-versa. C'est tout le secret de la vie intérieure. Pas de régression, seulement des mouvements d'intégration. Nous le savons tous, au fond. Alors prenons-en acte.
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