samedi 3 juin 2023

L'éveil incarné


L'éveil n'est pas le renoncement au corps, mais l'éveil du corps. 

Pourquoi ? Parce que le corps est de la conscience contractée. La conscience éveillée est un corps décontracté. Parfois au-delà des limites du corps "conventionnel". Le corps est, potentiellement, tout ce qui est perçu. Mais il y a toujours un corps : corps vaste, corps divin, fait de mantras, de yoginîs, ou même corps d'espace ou corps de conscience. Mais corps toujours.

Voilà pourquoi l'éveil proposé par le Tantra est incarné, vivant : jîvan-mukti. Libération (mukti) tout en étant vivant (jîvat).

Pour cela, il y a une pratique : la méditation de Shiva, décrite dans ce verset :

svatantraśivatām eti bhuñjāno viṣayān api /

animīlitadivyākṣo yāvad āste muhūrtakam //

L'adepte atteint la divine liberté

même en jouissant des objets des sens,

quand il reste un moment

l'œil divin ouvert.

Tantra de la Déesse-alphabet, 18, 23

"Rester avec l'œil divin ouvert", c'est rester avec le regard grand ouvert, les sens grands ouverts. Pourquoi ? Parce que cette ouverture des sens appelle l'ouverture de la conscience, aussi appelée "roue principale". Voilà pourquoi, dans la Méditation de Shiva, on reste le regard grand ouvert, comme dans une expression d'étonnement. Il en va comme dans la Vision Sans Tête de Douglas et Catherine Harding, aujourd'hui partagée par mon ami José Leroy. Le regard grand ouvert, l'attention se retourne, plonge dans l'immensité. Et ce regard qui ne débouche sur rien de saisissable, c'est l'éveil, c'est le corps de pleine conscience, dans lequel le corps énergétique va baigner et s'assouplir, comme une éponge plongée dans l'eau.

"Un moment" : le temps d'une séance de méditation assise, à peu près 48mn. Muhûrta désigne aussi un moment propice, car quand on reste ainsi dans cette attitude, on ne perd pas son temps.

Voilà un éveil incarné où l'ouverture des sens induit l'ouverture de la conscience. Comme un bâillement, mais en plus profond.

Pour apprendre la Méditation de Shiva et les autres pratiques du Tantra, inscrivez-vous à la Formation Tantra, prochain cycle à débuter en octobre 2023 :

https://david-dubois.com/enseignement/

lundi 29 mai 2023

La liberté d'être autre



L'Être n'est pas seulement

"Cela Qui Est".

L'Être est liberté, libre d'être 

ceci ou cela, 

libre de le nier aussi,

libre d'en réaliser la synthèse,

et libre enfin d'aller au-delà encore,

vers l'Inexplicable, anâkhya.

Abhinava dit :

asthāsyad ekarūpeṇa vapuṣā cen maheśvaraḥ // 3, 100

maheśvaratvaṃ saṃvittvaṃ tad atyakṣyad ghaṭādivat /

 "Si le Grand Seigneur avait un corps 

d'une (seule) forme,

il nierait sa souveraineté et sa conscience,

(car il serait alors) comme un vase (inerte et fixe)."

Une chose est confinée en elle-même. Définie, située. Elle est ce qu'elle est, et rien d'autre.

La conscience n'est pas ainsi délimitée. Elle est ceci, et cela aussi,

et la négation des deux, et leur synthèse. 

La conscience est "conscience de", tout en étant toujours "au-delà de". 

Elle n'est pas "être", car elle est au-delà de tout ce qui est.

Elle n'est pas "non être", car elle se manifeste clairement d'instant en instant.

Elle est tout et son contraire : liberté sauvage.

Formation Tantra 2023-2024 :

https://david-dubois.com/enseignement/

dimanche 7 mai 2023

Pourquoi le corps ?


Aujourd'hui, je sens la vie couler dans mes veines. A d'autres moments, je me sens abattu, voire dans la peine.

Or, il en ressort différentes philosophies. 

Quand je me sens plein de force, je suis enclin au Tantra. Je dis oui aux instincts, oui à la vie. Tout est réel, tout manifeste la vérité, tout proclame l'élan primordial. J'ai alors envie de tout, je me sens généreux. Je me fous du bonheur, de la paix, de l'équilibre, de la "santé" même. Ce ressenti me rend généreux, au point que la mort et la souffrance ne sont rien, englouties comme paille dans un feu de canicule.

Quand je me sens abattu, je ne crois plus en rien, je me sens enclin à voir du mensonge en tout et j'ai envie de tout condamner au nom d'une "pure conscience" très abstraite. Un désir de paix s'empare de moi, qui n'est au fond qu'un élan destructeur. Je me réfugie dans la non-dualité, dans l'impersonnel, dans les écrans, dans le virtuel, dans les jeux, dans les séries, peu importe, pourvu que je fuis et que je puisse détester cette vie qui semble me quitter.

Il y a donc comme une bipolarité. Une "polarisation", comme on dit.

Cependant, vous observerez autre chose :

dans les deux états, malgré les différentes visions et valeurs qui en ressortent, j'ai "envie". Envie de créer, envie de détruire. Mais envie. En vie. Quoi qu'il arrive, en effet, la vie continue. L'élan demeure, indestructible, quelque soient ses effets. 

Je ne peux refuser la vie. Si je la refuse, elle me détruit. Concrètement : si je déteste mes instinct, mes instincts me détestent. La vie semble alors se retourner contre elle-même. L'intelligence devient "le mental", le goût du sang devient obsession moralisante qui s'exprime, par exemple, dans des choix alimentaires extrêmes qui m'affaiblissent. Les maladies "auto-immunes" prolifèrent. La fécondité baisse. L'identité, la famille, le clan, l'ethnie, la hiérarchie (et donc les autres !) deviennent des ennemis. Et ceux qui ne souffrent pas ce poison sont jugés immoraux, barbares. Ceux qui ne veulent pas mourir sont jugés ennemis, à supprimer, à oublier. La vie entre en guerre contre la vie. C'est tout cela ce que nous voyons dans le monde aujourd'hui, et spécialement dans la "Vieille Europe". Bien sûr, il y a des îlots de résistance, de tous les bords politiques, du reste.

Bref, ce qui nous a permis d'arriver jusqu'à ce point de progrès, est désormais rejeté. Et toute cette puissance vitale qui nous a permis de survivre et de bien vivre, est détesté, condamné à longueur de vidéos, de pubs, de discours "spirituels", de séries, de films et de livres (pour ce qu'il en reste). 

Mais si nous laissons nos instincts s'exprimer, l'humanité n'ira-t-elle pas à sa perte ? Peut-être. Mais faire la guerre à la vie ne nous permettra pas de continuer à vivre.

Alors, que faire ? Existe-t-il une troisième voie ?

Oui. La voie de la sublimation. De la transmutation du plomb en or. La voie de l'alchimie a toujours été la voie. La voie de la transformation du corps. Ni expression chaotique, ni répression (au nom du progrès, de l'"éthique", des "victimes", de la "bienveillance", etc.), mais œuvre. Opéra. 

Cette œuvre, cette voie opérative, le Tantra la nomme vritti. "Opération". Plus précisément sâhasa-vritti : l'œuvre audacieuse. Le courage d'essayer la synthèse. Répétée, encore et encore, reprise et perfectionné. 

Or, cela passe par le corps. La culture du corps. Mais une vraie culture, intégrale. Un corps qui pense. Une pensée incarnée. Une philosophie intégrale. Une philosophie en marche. Non une philosophie de l'esprit pur et éthéré. Une philosophie de l'esprit incarné. Et de ce qui va avec. L'environnement, le climat, la lumière, le paysage. 

Voilà donc pourquoi je suis optimiste : je vois dans le soucis actuel du corps un regain de santé, de générosité, de grandeur d'âme. Être magnanime, c'est aussi danser, respirer. Je pense avec mon corps, en parlant, en marchant, en transpirant. Voilà aussi pourquoi le Tantra propose des actes. Chanter, faire vibrer le corps, l'immerger dans l'eau, le mettre face à un feu, le faire respirer, manger, boire, copuler. Qu'est-ce qui rend le corps plus fort ? Capable de plus ? 

Mais attention : cette expansion continue sans fin ! La vie brûle jusque dans la vieillesse. Jusque dans l'agonie, jusque dans les saines larmes. Et jusque dans le sommeil profond, dans le vide, le sommeil. Car il existe un sommeil sain, bien sur. De sages siestes. 

Le point est : grandit, croît, brûle, explose. Tremble, mais tremble d'extase. Vis. La Kundalini, c'est la vie. La vie qui coule. Ni une quête absurde d'une vie idéale, ni un puritanisme nourri par la haine de la vie. Notre état naturel. Svastho bhavatu : Demeure dans l'état naturel, et tu oubliera le "bonheur" et toutes ces idées déprimantes, culpabilisantes. 

Plus : le but n'est pas la paix, mais l'harmonisation des forces en guerre. Et même plus que cela, mais pour le sentir, point besoin d'autre mots. Bref, en toutes choses : l'appétit, l'élan, la soif. Certains veulent l'éteindre dans un monde lisse, impersonnel. La rage égalitarisme a sa logique, qui conduit au néant. J'y vois un moment dans le cycle. Car cette énergie pervertie est un aspect de la totalité du mouvement qui est la vie.

Et cette totalité, cet élan absolu qui est la vie, je la ressens. Et alors, l'excitation est célébration. Le repos est admiration. Voilà l'éveil de la kundalini, et non pas une retraite anticipée. La méditation est bouillonnement, éveil au frémissement, guérison. Le vide n'est pas pour le vide. Le vide est pour le plein. Le rien est rien pour les choses. Shiva sans Shakti n'est qu'un cadavre indigne même d'une sépulture. Être canal, se faire vitrail, pour toutes les vagues. 

Le Tantra ne prône pas d'idolâtrer la vie. Mais de brûler avec élégance. Amor tutti.

lundi 24 avril 2023

L'espace de la conscience


 

Ramana Maharshi est, avec Nisargadatta et Âtmânanda, le plus influent maître de non-dualité au XXè siècle.

Il a peu écrit, mais surtout des poèmes de dévotion, dans différentes langues. Plusieurs textes sont en sanskrit, que j'ai traduis et publiés.

Un texte important que je n'ai pas traduit est l'Enseignement secret de la science suprême selon Ramana, Ramana-para-vidyā-upaniṣad. Il s'agit d'un poème en 700 versets qui présente sa pensée. Il n'a pas été rédigé directement par Ramana, mais par Lakshman Sharma, l'un des rares élèves à qui il a donné des cours particuliers. Ce poème didactique est particulièrement intéressant, car il reflète la pensée de Ramana à la fin de sa vie et il a été composé sous son contrôle direct. Il aurait, en effet, vérifié chaque verset et l'aurait remanié quand cela lui semblait nécessaire.

Le contenu est, au départ, assez classique : le monde et l'individualité sont une illusion qui se dissolvent dans l'évidence de la pure conscience. Mais un bref passage, 507-515, détonne. Il y est question de ce qui tient le plus à coeur au sage d'Arunâchala : la plongée en soi, dans le "coeur", ce lieu en soi où se révèle l'énergie du Soi, ātma-śakti. Dans cette dizaine de versets étonnants, il n'est plus question d'illusion et de pure conscience, mais de la Shakti divine qui prend possession du corps et de l'âme, pour les transformer à jamais.

Cet ensemble culmine dans le verset 15, qui aurait pu être proclamé par un maître du Tantra, de la Pratyabhijnâ, ou plus encore, de la tradition de Kâlî :

jñāna-agninā viśvam idam pradagdham

saha ahamā yatra mahā-śmaśāne

cid-vyomni tatra aham-ahantayā 

sadā-śivo nṛtyati kevalaḥ san

Cet univers est consumé par le feu de la connaissance,

avec le 'je', dans le grand champ de crémation,

dans le ciel de la conscience.

Là, cet éternel Shiva danse, seul

en tant que 'je suis je'.

_____________________

Mais dans les versets qui suivent, cette énergie, cette Shakti se dissout dans le Soi sans formes. Dans l'état de réalisation, il n'y plus de Shakti, plus de Mâyâ...

Ici encore, j'observe une certaine tension dans la pensée de Ramana, autour de la problématique de l'énergie, de la vie : 

L'éveil est-il la fin de la vie, ou la transformation de la vie ? 

J'ai brièvement évoqué ce conflit intérieur, dans l'introduction de ma traduction des œuvres sanskrites de Ramana. 

Quoi qu'il en soit ce verset est magnifique et très clair.

vendredi 21 avril 2023

La liberté, et rien de plus !



prakāśa-mātraṃ yat proktaṃ bhairavīyaṃ paraṃ mahaḥ /

tatra sva-tantratā-mātram adhikaṃ pravivicyate // 1

Ce que l'on dit être 'pure lumière'

est la suprême grandeur divine.

Là, ce que l'on peut discerner de plus

est pure liberté.

Abhinavagupta, La Lumière des tantras, II, 1


Ce verset est extrêmement profond !


Autre traduction :


Ce que l'on déclare 'manifestation et rien de plus'

est la majesté transcendante de Bhairava. 

Ceci étant posé, ce que l'on distingue outre (cette manifestation)

est liberté souveraine, et rien de  plus.

________________________

'Manifestation', prakāśa. Littéralement 'lumière', 'illumination'. 

A la fois la lumière manifestante et ce qui est ainsi manifesté. 

La lumière manifestante est le sujet, l'expérience, la source ; ce qui est 'ainsi manifesté' est l'objet, le contenu.

Et ce contenu n'est rien de plus que sa manifestation.

Comme une sorte de projection holographique dans le vide, sans support, l'objet lumineux n'est rien d'autre que la lumière 

qui l'illumine. 

Une sculpture de lumière : voilà ce que sont toutes choses.

La lumière n'illumine pas les choses : elle les fait exister ainsi.

L'acte de manifestation ne manifeste pas des choses préexistantes à cette manifestation. Non, manifester, c'est faire exister, jusqu'au moindre atome.

Pourquoi ? Parce que rien - et même le 'rien' - ne peut être perçu, ni imaginé, ni conçu, en dehors de l'acte de conscience qui en prend conscience.

Il n'y a donc que lumière, illumination, manifestation.  

Et pourtant, nous observons 'autre chose'. Des choses, faites de différences. 

Comment peut-il y avoir de l'ombre, des ombres, si tout est lumière ? 

Parce que cette Lumière est libre. Libre de resplendir comme 'ombre', aussi. Elle n'est pas comme la lumière matérielle. Elle n'est pas comme une chose, condamnée à être ce qu'elle est, et c'est tout. Elle, elle peut tout être. Tout et son contraire. Rien ne peut la définir. Elle joue à se définir, mais ça n'est qu'un jeu. Elle reste indéfinissable. Incompréhensible. Ni ceci, ni cela, ni néant, ni autre chose. Liberté.

Ainsi, il n'y a que lumière. Et ce que je distingue de plus que la lumière, n'est que liberté. 

Ainsi, tout est conscience. Et ce dont je prend conscience 'en plus' de l'acte de conscience, n'est que la liberté de la conscience de se manifester comme 'autre', alors qu'elle n'est rien d'autre.

Le Tantrâloka traduit en anglais par Mark Dyczkowski :

https://amzn.eu/d/16u2PUO

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