La conscience est la condition du libre-arbitre.
Pour pouvoir dire que l'on choisit,
il faut, au minimum, être conscient.
Le shivaïsme du Cachemire va jusqu'à identifier
conscience et liberté.
Une conscience limitée a une liberté limitée,
mais elle est quand même partiellement libre.
L'individu, selon l'enseignement des Versets sur la Vibration (Spanda-kârikâ)
est doué de libre-arbitre parce qu'à chaque acte libre,
il plonge dans son essence de pure liberté,
- la pleine conscience.
Mais la plupart des individus n'en ont nulle connaissance,
ils s'attribue ce pouvoir.
Reste qu'il y a une liberté, un pouvoir
qui dépasse les lois de la nature (niyati, la Nécessité, en sanskrit).
Dès lors, il ne s'agit pas, pour le tantra non-duel,
de se délivrer de l'illusion du libre-arbitre,
mais plutôt d'élargir notre liberté
en élargissant notre conscience, notre Moi,
et même notre corps et notre désir.
Car au fond, tout cela est une seule et même réalité :
liberté, conscience, corps, désir... sont synonymes.
C'est ce que cette tradition appelle le Coeur.
Mais d'autres approches dissocient conscience et liberté.
Pour elles, comme par exemple pour le Védanta,
la liberté consiste à voir qu'il n'y a pas de Moi,
pas de libre-arbitre, et à renoncer à tous nos désirs.
Pour le Védânta, l'absolu ne désire pas, n'agit pas,
il est inactif, parce que l'action est incompatible, selon eux,
avec la paix de la conscience pure.
Mais le shivaïsme du Cachemire n'est pas d'accord.
Certes, la conscience dépasse les pensées et les objets,
mais elle crée ces objets.
Et se ressaisisr comme conscience, c'est trouver la paix,
mais c'est aussi participer à la créativité de la libre conscience.
La conscience désire le monde, le corps, les pensées, les images, etc.
Cette participation est l'amour divin : bhakti,
expérience peu présente dans le Védânta.
Yoga Râdja, un disciple du Sud de l'Inde dans la lignée du shivaïsme
du Cachemire, décrit ainsi cette différence :
"Les partisans de l'Immense [immobile, le Védânta], prétendent que
c'est l'Immense lui-même, le 'maître intérieur', qui apparaît comme dualité
à cause de l'ignorance sans commencement. Ils citent ces passages [des Védas] :
'Tout ceci n'est que l'Esprit'
et
'Ici [dans l'Immense] il n'y a pas de diversité du tout !'"
Réponse du shivaïsme du Cachemire :
"Dans ces [théories] la liberté de la conscience n'a pas été reconnue !
Elle est doué de vie.
Dès lors, elle est la raison d'être de la création de l'univers."
(Commentaire de Yogarâdja au Paramârthasâra, 27)
Tout est dit.
Le Védânta reconnait la conscience ens a transcendance,
"au-delà des concepts et du mental",
mais il n'a pas réalisé la liberté de la conscience.
La conscience y est pur témoin inactif,
libre des pensées,
mais il n'y est pas la Déesse libre de penser.
Donc le shivaïsme du Cachemire inclut le Védânta,
mais le Védânta ne peut comprendre le shivaïsme du Cachemire.
Ou, pour le dire autrement, le Védânta est un une étape
vers la pleine conscience,
mais il n'est pas la non-dualité en sa plénitude.
La conscience n'est pas simplement "libre de",
elle est aussi "libre pour" agir, désirer, aimer, créer.
La dualité ne résulte pas de l'ignorance, d'un manque.
Mais elle est le débordement d'une plénitude.
Bien sûr, il y a l'ignorance.
Mais cet aveuglement lui-même
est librement désiré, par jeu de grâce amoureuse.