jeudi 31 janvier 2019

Qu'est-ce que la Matrice selon le shivaïsme du Cachemire ?

la méchante sorcière


Depuis Matrix, tout le monde a entendu parler de la Matrice. C'est une idée hybride, un mélange de l'allégorie de la caverne (souvenir du lycée ?) et de la notion indienne de Mâyâ, l'impalpable illusion dont nous serions tous prisonniers sans le savoir.

Selon le shivaïsme du Cachemire, il existe vraiment une Matrice qui est "la Mère du monde" (vishva-jananî). Selon cette tradition, elle est la Matrice (mâtrikâ en sanskrit) en plusieurs sens qui se complètent. La Matrice est en effet la Mère, la Parole et la Conscience :

-La Matrice est la Mère (mâtrikâ<mâtâ) de tout et de tous, la puissance créatrice, la Shakti.

- elle est l'alphabet, de "a" à "ksha" en sanskrit. Elle est l'Alpha et l'Oméga, la gamme de tous les sons possibles qui, en se combinant, vont engendrer les représentations. Ce sont ces jugements qui vont nous convaincre, nous, la Conscience, que nous sommes incomplets, limités, gros ou minces, jeunes ou vieux, heureux ou malheureux, que nous faisons la vaisselle ou que nous répondons à un mail... La Matrice est le langage, la parole mentale et physique qui façonne le faux Moi auquel nous nous identifions et qui ainsi semble prendre le contrôle. 

- mais qui est cette Matrice ? En réalité, elle est la Conscience elle-même, la Source. Absolument libre et souveraine, elle joue à s'identifier à tel ou tel individu, jusqu'à s'y oublier. Comme un joyau caché par son propre éclat, sa liberté se transforme en aliénation. Nous sommes prisonniers de la Matrice, mais la Matrice, c'est nous, la Conscience infinie comme l'espace. La Matrice est le Soi, le sujet ultime, le sujet qui ne peut jamais devenir un objet (mâtrikâ<pramâtâ) et qui est la condition de possibilité de tous les objets. 

Autrement dit, la Matrice est notre créativité, notre énergie, dont nous devenons nous-mêmes les victimes parce que nous ne reconnaissons pas ce pouvoir comme notre pouvoir. Et pourquoi pas ? Parce que nous nous identifions non à la Conscience, mais au mental. Être le faux Moi, c'est être la Conscience qui est trompée par ses propres pouvoirs. Être le vrai Moi, c'est être la Conscience qui reconnait ses propres pouvoirs.

Comment se libérer de la Matrice ?
En prenant conscience du mental, des voix dans notre tête, des réactions et tensions dans notre corps, durant la méditation formelle où dans le quotidien. Mais c'est plus puissant dans le quotidien. Le mental est nourri par la peur et lui-même alimente la peur. On peut court-circuiter ce cercle vicieux au niveau du mental ou au niveau des tensions corporelles. Au lieu de se laisser emporter, on ressens les pensées et les tensions, sans chercher à les "comprendre" ou à les manipuler. Elles se révèlent alors comme des vagues dans l'océan de la Conscience. 
Embrassée avec le pouvoir de l'attention la sorcière redevient princesse.

La Matrice redevient liberté.

mardi 29 janvier 2019

Quel est le propre du Tantra ?



Aujourd'hui, le Tantra est identifié à des pratiques de massage et de danse dans un cadre de thérapie par la libération des émotions refoulées. C'est le néotantra.

Le Tantra asiatique était plus vaste, assez proche du New Age : des pratiques en tous genres pour atteindre la prospérité et éviter les malheurs. En gros, 90% de l'hindouisme et du bouddhisme sont "tantriques" en ce sens.

Le Tantra non-dualiste, incarné dans le shivaïsme du Cachemire, est un peu différent. Il considère que la source de tout est en soi. La recherche du bonheur à l'extérieur est un malheur du à un profond aveuglement. 

Cette source est indicible, mais elle est évidente pour tous en tant que conscience et vie manifestée dans ses pouvoirs de perception et de création. 

Chacun de nous est l'absolu, la Conscience qui se perd dans ses propres créations, qui s'y oublie et qui aspire à retrouver sa liberté, mais sans le réaliser clairement. Le Tantra non-duel propose une pédagogie précise pour reconnaître en soi la Conscience absolu qui est tout en tous.

Cette réalisation bouleversante s'exprime dans des phrases du genre : "Je suis tout", "Comme les vagues dans l'océan, tout émane de moi", "Je suis omniscient et omnipotent", "Je me réalise à travers l'infinie variété des expérience", "Tout est mon libre jeu", et ainsi de suite.

Vu sous cet angle, ce Tantra non-duel ressemble à n'importe quel enseignement non-dualiste : "Je suis l'absolu", "Je suis infini comme l'espace", "Je suis l'unique réalité", "Je suis l'Être", etc.

Mais alors quel est le propre du Tantra non-dualiste ? 

Les autres approches non-duelles sont des approches par la connaissance, c'est-à-dire par la connaissance intellectuelle. Le Tantra emploie aussi le langage, les signes et les symboles. La différence est que le Tantra considère que ces signes (concepts, mots, phrases, symboles, images...) sont animés par une énergie, par un corps. C'est tout la différence. 

Chaque concept est en effet comme un cavalier monté sur un cheval qui représente un certain ressenti, une "énergie". Cette énergie est désignée par un mot célèbre, prâna, l'énergie vitale, le souffle, aussi définit comme "sensation intérieure" (antah-sparsha), pour indiquer qu'il ne s'agit pas seulement d'énergie au sens général, mais bien des sensations intérieures, subjectives : chaud-froid, lourd-léger, tendu-détendu, opaque-transparent, mobile-immobile, plaisir-douleur, et ainsi de suite.

En ce moment, vous ressentez votre corps, n'est-ce pas ? Et bien c'est cela, le prâna. Et c'est le domaine de pratique du Tantra non-duel.

Le Tantra considère donc qu'il y a deux approches pour réaliser la non-dualité ("Je suis tout") :
- soit par les concepts ; c'est la voie des échanges de type satsang, entretien non-duel, rituels, etc.
- soit par les sensations ; et c'est la voie propre au Tantra.

Plus précisément, au lieu d'être seulement attentif aux pensées ou de se reconnaître comme Témoin des pensées, je ressens les sensations dans leur source et leur évanescence : toute sensation est, en son fond, sensation infinie de l'Être sans limites. Telle est la pratique propre au Tantra. Voilà pourquoi le Tantra donne de l'importance au corps et à tout ce qui s'ensuit. Et voilà pourquoi les approches non-duelles purement intellectuelles rejettent le corps et tout ce qui s'ensuit. 

Dans le Tantra, au lieu de seulement observer les pensées, on plonge au cœur dans le ressenti sous-jacent aux pensées.

Concrètement, quand le Védânta ou une autre approche non-duelle intellectualiste prône le détachement, c'est-à-dire la compréhension que je ne suis pas les pensées ni le corps, le Tantra, quand il parle de détachement, invite à la détente profonde du corps.

Ainsi le Védânta (la principale approche non-duelle non tantrique) s'adresse seulement à l'intellect.
Le Tantra s'adresse aussi au corps.

Dans ce contexte, "accepter ce qui est" désigne deux pratiques ou deux "gestes" différents.

Dans le Tantra, "accepter" ne signifie pas comprendre que ce qui m'arrive fait partie d'un ensemble plus vaste (le cosmos, le destin, le karma, le tout, l'absolu, le jeu de la conscience...). Quand je suis dans une file d'attente et que je l'"accepte", je ne m'énonce pas des mots dans ma tête du genre : "ce qui doit arriver doit arriver, le choix est une illusion, il n'y a personne à qui ça arrive, tout est conscience". 
Bien plutôt, je tourne mon attention vers les sensations, vers le corps subtil, vivant : les tensions se révèlent et cette attention sans commentaire, cette lumière silencieuse dénoue doucement ces tensions. Il n'y a rien de mental ni d'intellectuel. C'est une pratique sans pensée, sans signes ni symboles. Dans ce présent de transparence, le mental reste muet. Et dans le sillage de cette détente du corps, le bavardage s'apaise et les compulsions perdent de leur force. Le mental revient ensuite, mais l'approche tantrique est de dénouer l'esprit (le mental, le bavardage compulsif) par le corps, les pensées par le ressenti.

Bien sûr, il y a aussi un cadre intellectuel dans le Tantra non-duel. Et l'on exprime son ressenti par des mots ou des images. De même, le langage sert à guider la méditation. Mais l'essentiel se passe dans le ressenti. Quand le Tantra évoque l'absurdité du bavardage mental, il ne parle pas d'une philosophie du mental, d'une vision du mental. Le mental, d'ailleurs, n'est pas rejeté, pas plus que le corps. Mais quand dans le Tantra traditionnel vous entendez dire "le mental, quel bavard !", ça n'est pas une invitation à comprendre une philosophie. C'est une invitation à faire silence intérieur. Directement, sans rien chercher de particulier. Un geste de détente, un saut direct dans l'expérience.

Quand le Tantra parle d'ego, il ne désigne pas vraiment un concept, une illusion à voir, etc., mais un ressenti particulier, une tension, une angoisse basée sur la confusion, que nous sommes invités à ressentir et à laisser se dénouer.

C'est en ce sens que le Tantra est une voie d'éveil par le corps. Du moins, dans le Tantra non-duel traditionnel.

Le site du Smara Yoga

Voici le nouveau site du Smara Yoga,
nom que j'ai choisi pour la voie que je partage ici,
à travers les livres, les stages et retraites :


https://smara-yoga.com/




   


dimanche 27 janvier 2019

Et si l'éveil était la naissance de la (vraie) personne ?

Le vide appelle la lumière

Comme je disais dans un article récent, 
la mort de l'ego est la naissance de la véritable personnalité.

Quand je donne une première dissertation à faire à mes élèves, une question qui revient est "A-t-on le droit de donner son opinion personnelle ?"

Mais qu'est-ce qu'une opinion personnelle ?
Car enfin, le plus souvent "nos" opinions ne sont que des schémas impersonnels qui se baladent dans l'inconscient collectif comme bactéries sur saucisson. Nos idées nous possèdent bien plus que nous ne les possédons, surtout si nous croyons naïvement que ce sont "nos" idées. Elles sont tout sauf personnelles. 
Pour parvenir à exprimer un avis vraiment personnel, il faut d'abord accepter de renoncer à ces opinions pseudo-personnelles et de s'en remettre à la lumière "impersonnelle" de la raison. Alors, au prix d'un travail critique de discernement et de détachement, nous nous approchons peu à peu du concept véritable, de la synthèse vivante, fruit d'une expérience intellectuelle et non d'une simple mécanique collective. 

Ce paradoxe de la philosophie se retrouve dans la vie intérieure. Pour devenir unique, je dois prendre le risque de m'abandonner à l'Un. Pour retrouver, en quelque sorte, mon Moi profond, je dois d'abord renoncer au faux Moi, construction sociale factice engendrée par des forces paresseuses et nourrie surtout de peur et d'aveuglement.

L'éveil de la conscience à elle-même au-delà de toute limite est mort du faux Moi, mais renaissance du Moi véritable.
En réalité il n'y a qu'un seul Moi. L'ego ou Moi factice n'est qu'un ensemble d'habitudes qui vampirisent l'énergie de la conscience, même si ces habitudes ont leur racine dans la conscience. 

C'est comme un lion effrayé par son propre reflet, comme un chien qui aboie contre son écho, comme un artiste qui se perd dans son oeuvre, comme un rêveur qui s'égare dans son rêve, comme une étoile noyée dans sa propre lumière, comme une star à qui son talent monte à la tête.

On dit souvent que l'éveil spirituel est la fin de l'individualité, de la personne, qui se fondrait alors définitivement dans la conscience universelle, alors que, sans éveil, la conscience individuelle se perpétuerait en se réincarnant, par exemple.

Je ne suis pas d'accord.

J'ai la conviction que c'est l'inverse : seules les individualités inertes ou incurables se dissolvent à jamais dans la conscience impersonnelle, dans l'Être. Quand une personne est prise dans de tels schémas de haine que son éveil devient quasi-impossible, alors elle se dissout à jamais dans l'Être. C'est le remède de dernier recours, mais aussi une sorte de gâchis.
En revanche,  quand la souffrance mène la conscience à se réveiller en un individu donné, alors cet individu ne se dissout pas : il est transfiguré, corps et âme, transformé. Et il poursuit à l'infini son ascension, progressant sans terme. 

La reconnaissance de la conscience universelle dans la conscience personnelle permet l'épanouissement de cette dernière, à travers un cycle de morts et de renaissances analogue au cycle sommeil-veille. Quand de dors, je disparaît comme individu. Mais c'est pour mieux réapparaître au matin ! Il en va de même dans la vie intérieure. La dissolution n'est pas une fin en soi, mais une étape dans l'épanouissement de la personne. La mort de l'ego est le moteur du "développement personnel". Des cycles analogues se répètent à des échelles de temps plus courtes : inspir-expir, apparition-disparition d'une pensée, d'une sensation...

Le but de la vie intérieure est la naissance par la mort, non pas la mort en elle-même. La mort, le vide, l'Être impersonnel, ne sont pas ultimes. Ils sont l'arrière-plan éternel, certes, mais pas l'état ultime. Il n'y a pas d'état ultime, mais une progression infinie de la personne à travers des cycles de mort et de renaissance, passant à chaque fois de l'Un à l'unique, de l'impersonnel au personnel.
Car rien de ce qui est beau et bon ne disparaît définitivement.

Seul le laid ou le mal sont résorbés dans l'Être à jamais, comme l'ombre dans la lumière. La vie ne perd rien, sauf ce qui n'existe pas vraiment. Et encore, la part de beauté dans la laideur ne disparaît pas. Je suis convaincu que, non seulement l'individualité ne disparaît jamais pour toujours, mais qu'encore chaque expérience de beauté et d'amour est conservée d'une certaine manière. L'individualité est belle. Même si elle est sans doute destinée à évoluer, pourquoi devrait-elle cesser à jamais ?

Seules meurent les illusions, l'inconscience, l'inertie, l'aveuglement et autres causes de peine. Le vide nous replonge dans l'Être pour mieux nous faire renaître. Et nous sommes à la fois Un et uniques, comme les rayons d'un cercle : chaque point de la circonférence est unique, mais relié à un même centre. Retourner notre attention vers le centre ne fait pas disparaître les points qui constituent la circonférence. 

En termes d'états, l'état de veille est "personnel" alors que l'état de sommeil profond est "impersonnel". Mais aucun état n'est supérieur à l'autre. Ils sont juste différents et complémentaires. Si je perds mon individualité dans le sommeil ou la mort, c'est pour me "ressourcer" et me réveiller mieux, "plus unique" en quelque sorte. L'Un est au service de l'unique même si, pour bénéficier de cette énergie, l'unique doit provisoirement renoncer à son unicité et s'oublier dans l'Un.

Donc l'Un et l'unique sont comme les deux ailes d'un oiseau.
L'Eveil est vraie naissance de la personne.

samedi 26 janvier 2019

L'éveil est-il la fin de toute activité ?



Ce que nous croyons faire d'ordinaire n'est le plus souvent que l'action de mécanismes inconscients. Nous croyons décider, en réalité nous sommes endormis et des habitudes "agissent" inconsciemment. Nous nous identifions à ces habitudes, à ce faux Moi. Nous nous croyons libres parce que nous nous identifions à ce faux personnage, ou à ces masques, selon les circonstances. C'est un mélodrame sans fin.

Une grande partie du bavardage mental est consacré à justifier après coup ces "choix" : ainsi le colérique va rationaliser sa colère, la bavarde sa compulsion à bavarder, et tous s'attachent à justifier leur souffrance et affirmant haut et fort "Mais quand je souffre, je me sens vivre !", alors qu'ils ne font ainsi qu'alimenter leur propre tourment, qu'ils n'ont certes pas choisis en conscience, car qui désire souffrir ? 

Mais nous ne sommes pas ces fictions. Et la souffrance elle-même nous pousse à nous réveiller. Nous prenons conscience des tensions, du fait que nous ne sommes presque jamais pleinement à l'aise et que la "radio intérieure" ne s'arrête jamais. Cette prise de conscience est l'éveil. Alors, dans cette présence, les tensions peuvent se dénouer, les compulsions s'apaisent. 

Mais est-on forcé alors à ne plus agir ?

Ce serait encore un de ces dilemmes créés par le mental.
En effet, croire que "je ne peux agir" sans quitter la paix profonde, c'est encore s'identifier aux pensées, causes principales de l'égarement. C'est se définir par "rapport à", "en opposition à", ce qui est le propre du mental.

Mais l'observation en présence révèle que "je suis" aussi bien en l'absence d'une pensée qu'en sa présence. C'est cela l'éveil à notre vraie nature au-delà du mental. Réaliser que je suis la Lumière qui illumine aussi bien l'apparition d'une pensée, que sa disparition. 

Mais ici la tentation est grande de s'installer dans une posture de transcendance factice, du genre : "moi je m'en fiche du mental, car je suis tellement au-delà !" Ce qui est, bien sûr, encore un schéma mental nourri par le ressentiment envers les pensées, les émotions, les sensations, les autres et le monde. Car l'expérience prouve aussi qu'il n'y a aucune séparation : la conscience éveillée est au-delà de tout, mais elle est aussi la vie, la substance de tout. 

Mais pour le vivre, il ne suffit pas de prononcer mentalement ces mots, il faut lâcher l'énergie de crispation et "sauter" dans l'inconnu, dans le silence en présence, vide et clair.

Autrement, nous resterons pris dans un dilemme décrit par la tradition du Tantra du Cachemire : nous croyons que nous ne pouvons être libres qu'à condition de ne rien faire, et nous nous sentons comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. La tension s'accumule alors et nous replongeons bientôt dans l'agitation, avec une dose de culpabilité supplémentaire. Ou alors, nous sacrifions la paix et nous nous disons que "cette paix sera pour plus tard ; pour le moment, je vis !" Paix et activité semblent incompatibles.

Autrement dit, Présence et pensée semblent ne pas pouvoir coexister. C'est d'ailleurs la croyance de la plus célèbre tradition non-dualiste, le Védânta, qui affirme que la connaissance (la paix, la présence) et l'action sont aussi incompatibles que la lumière et les ténèbres.

Mais en réalité, cela se passe-t-il ainsi ?
Quand je me reconnais dans l'instant, ici, au-delà du mental, en une prise de conscience qui est un ressenti subtil, presque sans mots, alors je peux aussi reconnaître que je suis l'élan à l'origine de toute activité. 
Cet élan, je le ressens sans séparation, jaillissant du centre de mon corps-mental, comme une source puissante. C'est la Shakti, la Vie, la Force.

Alors, débarrassé de l'illusion du faux Moi, j'agis d'une autre façon. J'agis et je ressens que la source de mes actes est la source de tous les actes. Mon acte est l'Acte atemporel, parce qu'il surgit dans l'instant, comme tout ce qui est réel. Je le ressens directement, plus proche que n'importe quel autre ressenti, même si au début cela peut sembler subtil. Je ressens que l'élan intime ne fait qu'un avec l'énergie qui est la totalité des mouvements, que "je suis" cet élan conscient qui ne fait qu'un avec la conscience éveillée. Je suis l'Acte à la racine de tous les mouvements, car je ne suis pas telle vague, mais l'océan entier.

Alors, comme disent les Shiva Soûtras :

"Quand la croyance en la séparation a disparue, une autre sorte d'activité" remplace celle basée sur l'ego, "qui engendre une nouvelle création" (bheda-tiraskâre, sarga-antara-karmatvam). L'activité du corps-mental est l'énergie divine à la source de tout. Cet état est parfois décrit comme un état de fluidité. La vague réalise qu'elle est l'océan, un seul et même flot. Et même s'il y a des icebergs, eux aussi sont de la même eau. Et l'eau circule.

Alors le faux dilemme entre paix et action n'a plus lieu d'être. La paix profonde est dans la réconciliation avec l'activité vitale, y-compris avec le mental. Ainsi nous évitons de tomber dans le ravin qui consiste à prendre le mental pour un ennemi, impasse équivalente à celle qui consiste à voir dans le corps un ennemi de l'esprit. En réalité, il n'y a pas d'ennemis. Il y a juste un aveuglement indéfinissable qui corrompt tout, un Diable qui divise ce qui n'a pas lieu de l'être. Et même ce Diable d'ego fait partie de la totalité, car sans lui, point de souffrance et, sans souffrance, point d'éveil.

L'éveil n'est donc pas la fin de toute activité, 
mais l'aube d'une nouvelle création, d'un nouveau monde.


jeudi 24 janvier 2019

Rester dans le présent ?



La méditation est au cœur de la vie intérieure.
La méditation est un exercice de l'attention. Elle ne se définit pas par une posture ou la fermeture des yeux.

Mais attention à quoi ?

La pratique dans la vie quotidienne consiste à faire attention à l'espace dans lequel baignent les sensations et les perceptions. Fermez les yeux quelques instants. Vous sentez votre corps, n'est-ce pas ? Mais il n'a presque rien à voir avec votre corps "public", tel que les autres peuvent le voir, car il est transparent, spatial, parcouru de sensations rarement localisées ou délimitées de façon précise.

La pratique dans la vie quotidienne peut aussi consister à faire attention à l'instant présent : habiter ce qui se présente, ne pas fixer toute son attention sur le passé et l'avenir.

Cependant, ces pratiques sont étranges, car rien ne sort jamais de l'espace, ni du présent. Pouvez-vous imaginer un objet qui ne soit pas dans l'espace ? Quelle taille aurait cet objet ? Dans quoi s'étendrait-il ? Essayez de vous représenter quelque chose qui n'apparaisse pas dans le présent. Si cela se présente, quand cela se présente t-il, si ce n'est maintenant ? Même une image du passé ou de l'avenir se présentent nécessairement maintenant, n'est-ce pas ?

L'espace et le présent sont les équivalents sensoriels de la Lumière consciente : ce sont des conditions de possibilité de l'expérience. Rien n'existe sans eux, en dehors d'eux. Ils sont toujours déjà là. Si cette tasse existe, elle existe nécessairement dans l'espace, maintenant, manifestée par la Lumière consciente.

On comprend alors l'intérêt de réaliser qu'ils sont toujours présents. Cette assurance bouleverse notre sens de l'identité : 
-Je ne suis pas un corps dans le monde, mais l'espace dans lequel apparaissent le corps et le monde. 
-Je ne suis pas un corps dans le temps, mais le présent dans lequel se succèdent les formes du corps et du monde. 
-Je ne suis pas une conscience dans un corps, mais la Lumière qui illumine les corps.

Mais alors pourquoi s'exercer à faire attention à ce qui, de toutes façons, est toujours présent ? Si j'existe, pourquoi ferai-je un effort pour exister ? Cela paraît presque stupide. Un peu comme l'injonction de Nietzsche "Deviens qui tu es". Pour qu'elle prenne un sens, il faut alors l'interpréter. 

"Être dans le présent" semble donc une injonction inutile et impossible à première vue, car le présent, comme l'espace et la conscience, est insaisissable et toujours présent. Qui peut attraper l'espace ? Qui peut retenir le présent ? Qui peut éclairer la Lumière consciente ? Et puis c'est inutile, car tout est dans l'Espace, dans le Maintenant, dans la Lumière, qui de fait sont un seul et même mystère, une seule et même évidence.

"Être dans le présent" ou "être conscient" ou "être espace" ne signifie donc pas saisir le présent, la conscience, l'espace. 
Cela veut dire plutôt "ne pas se laisser distraire par des aspects" du présent, de la conscience ou de l'espace. N pas se laisser prendre par des contenus, en particulier par des signes. 
Méditer, c'est alors entraîner l'attention à rester ouverte, fluide, sans se laisser emporter par tel ou tel objets porteur du pouvoir de signifier.

Certains objets sont plus distrayant que d'autres. Pourquoi ? Parce qu'ils sont des signes, des objets qui ont le pouvoir (assez mystérieux il est vrai) d'envoyer l'attention vers autres chose qu'eux. C'est vrai pour les mots et les signes conventionnels, mais pas seulement. Observez ce qui se passe avec un visage, avec un regard... Très difficile de plonger l'attention dans un regard en voyant seulement des yeux, des formes et des couleurs. L'attention est emportée de force vers d'autres choses. Il est alors presque impossible de rester dans la perception pure. C'est pourtant la pratique de la méditation.

Même si l'attention vagabonde d'objets en objets, comme un singe saute de branche en branche, il faut garder l'attention ouverte. La conscience est comme un soleil. L'attention portée à ce visage ou ces signes doit être comme un rayon. C'est un rayon du soleil qui entre dans cette pièce, et non pas le soleil entier. De même, l'attention aux signes (c'est-à-dire le jeu du mental) doit n'être qu'une partie du jeu plus vaste de la Présence, de la conscience éveillée, ouverte. Il faut s'exercer à garder une présence vaste, comme un regard panoramique. 

Concrètement, c'est plus facile en gardant l'attention sur la sensation du corps, ou sur une partie du corps. Par exemple : s'arrêter fréquemment au long de la journée pour se donner à la sensation du ventre. Une tension se révèle généralement, puis elle "fond" doucement à la lumière de l'attention. On s'accoutume ainsi au silence intérieur et à la sensation d'un ventre détendu. Quand on entre en relation avec des signes, avec les autres, on garde une partie de l'attention sur la sensation du ventre détendu. Cela suffit.

Donc on ne fait pas d'effort pour "être", mais seulement pour être présent à l'être. Car même si "je suis" l'Être, l'Être possède un pouvoir de se distraire de lui-même, de se perdre dans ses créations, pouvoir que l'on pourra nommer "mental", "conscience", "mâyâ", "illusion", "shakti", "liberté", peu importe. Mais c'est l'existence de ce pouvoir de se décaler de soi tout en restant soi, qui justifie une pratique d'attention, une pratique de méditation. La compréhension globale ne suffit pas, même si elle est profonde. Cet éveil doit ensuite être stabilisé, c'est-à-dire que l'attention doit être stabilisée. 

Voilà pourquoi, même dans des approches "non-dualistes" comme le shivaïsme du Cachemire ou le Dzogchen, une discipline est nécessaire, même si l'Espace, le Maintenant et la Conscience sont toujours déjà présents. La conscience doit apprendre, ou réapprendre, à ne pas se laisser hypnotiser par les objets. L'attention est comme un rayon de lumière qui doit pouvoir agir sans que la conscience tout entière soit emportée. Il devient alors possible de vivre la paix profonde dans les situations pratiques. Autrement, même si l'on a une intuition profonde et vraie que "tout est dans la conscience", le quotidien restera séparé de notre vie intérieure ou de notre "éveil".

L'un des noms de cette discipline de l'attention est Smara Yoga, le yoga de l'attention.

mercredi 23 janvier 2019

Mort et renaissance dans la vie intérieure



La mort de Jésus sur la croix symbolise la mort spirituelle.
Du reste, ce mythe apparaît dans d'autres traditions.
La mort de l'ego est incontournable.

Pourquoi ?
Parce que c'est l'ego qui est la cause de la souffrance.

Qu'est-ce que l'ego ?
Difficile à définir... car il n'est pas vraiment réel. Comme un fantôme, il vit dans les marges de la conscience, sur les rebords du champs d'attention. Souvent, il se manifeste comme des murmures indistincts. Ils exercent une pression de peur ou de colère, mais jamais rien de très distinct. Dès que la lumière de la conscience tombe sur lui, il disparaît.

L'ego est cet aveuglement qui nous pousse à nous identifier au mental, c'est-à-dire à croire à ces petites voix qui nous hypnotisent et nous tourmentent.

Si l'on regarde l'ego en face, il s'évanouit.
Mais il revient, encore et encore, car il est fait d'habitudes inconscientes. Leur point commun est la tension ou, disons, la contraction, la crispation. L'ego est une tendance à résister à l'évidence, une pulsion de nier la joie intérieure, de fuir le silence. Tous les prétextes sont bons. 

L'essentiel est que l'ego se nourrit d'inconscience, de fuite et de crispation. Tant que nous restons les yeux fermés, la télé allumée et la radio intérieure branchée, l'ego y trouve sa viande, même si, en réalité, il n'est rien de réel.

L'ego corrompt tout.
Il faut donc voir l'illusion du mental, du corps, de l'intellect, du langage, de la personne, du monde, du Moi, de la séparation, de la dualité.

Tout cela doit "mourir". Voir qu'il n'y a pas d'ego, voir qu'il n'y a personne, ni âme ni Moi ni dualité.

Dans l'enseignement contemporain de la non-dualité, on a souvent tendance dire que la personne n'existe pas, mais que le monde existe, fait d'un flux de perceptions. Mais en toute rigueur, selon cette approche, le monde n'existe pas non plus, car "ce qui change n'est pas réel et ce qui est réel ne change pas".

Cependant même en s'en tenant à cet "éveil" impersonnel, il me semble que nous serions loin de la paix et de la joie.
En effet, dans cette approche, tout est rejeté dans le domaine de l'illusion : le mental, le langage, le Moi, le corps, femmes, enfants, les autres... bref tout, car tout est basé sur le Moi. Si "je" n'existe pas, rien ni personne d'autre n'existe. Il n'y a personne. Donc pas de jalousie ni de haine, mais pas d'amour non plus. La vie est une maladie ou une illusion. L'éveil est la fin de cette illusion. Point final. C'est d'ailleurs ce qu'affirmait Nisargatta, ce sage indien qui est la principale source d'inspiration de cette approche.

Mais est-ce bien ce qui se passe ?

A mon sens, voir l'illusion de l'ego est nécessaire.
Et plus le lâcher-prise est profond et répété, plus on lâche le Moi, le corps, le mental et tout le reste, plus on ressent de la joie. Mais le mental, la personne, ne disparaissent pas, pas plus que le corps et le monde.

Comment expliquer ce paradoxe ?

En fait, l'ego n'est pas le Moi. La crispation égotique n'est pas la personne. 

Quand je lâche prise, le corps se détend. L'ego s'évanouit. Le mental s'apaise, le langage se transforme, de même que le monde entier. Tout change par un changement de regard. Délivré de l'ego, la vie renaît. 

Le mental est moins présent, mais plus vif.
Le langage devient poétique.
La personne s'épanouit, devient unique, alors qu'elle était un amoncellement de clichés.
Le corps se détend.
Les perceptions s'affinent.
Le Moi se révèle comme vie, source de tout.
Le monde est manifestation de cette vie.
La vie quotidienne est yoga de l'instant,
du lâcher-prise.
Toutes les tensions se dénouent dans la présence
et deviennent offrandes à l'espace.


Quand l'ego se manifeste au contraire, la personne se mécanise.
"Moi, je..." tend à n'être qu'un tas de schémas
impersonnels.
Mais quand l'ego s'évanouit, paradoxalement, la personne se révèle en sa singularité, en ce qu'elle a d'unique.

Quand je vois qu'il n'y a pas d'ego, "je" me révèle.
Quand je vois que la personne n'est qu'une psycho-machine,
la personne s'épanouit, redevient un organisme vivant.
Quand je sens la tension du corps, il se détend.
Quand j'entends le bavardage mental, il s'apaise, redevient souple et puissant.
Quand je renonce à tout, tout devient magique.

Être libre de la personne, c'est offrir à la personne l'espace pour s'épanouir, enfin.

La personne n'est pas une illusion.
Le Moi n'est pas une illusion.
Le corps n'est pas une illusion.

C'est seulement l'ego qui "grippe" ces énergies,
comme un petit grain de sable. C'est l'ego qui fait de tout cela une illusion. Or l'ego vit d'inconscience (avidyâ), de négligence, d'aveuglement. La conscience éveillée, la Présence, élimine l'ego et restaure le Moi et le Monde.

Alors oui, il y a bien des morts dans la vie intérieure,
mais elles sont suivies de renaissances.

Je crois que c'est aussi l'expérience des éveillés "non-dualistes" qui affirment que "il n'y a personne". C'est une autre manière d'exprimer la même chose. Car, de toute évidence, leur personne ne disparaît pas, ni leur corps, ni leur mental. 

Il me semble toutefois que cette façon de s'exprimer est un peu sèche et que, de plus, elle est à chaque instant contredite par l'expérience. En outre, elle provient de traditions indiennes (le Vedânta et le bouddhisme ancien) qui ont une forte tendance à rejeter la vie, le corps, les émotions, donc les femmes et les enfants. Certes on pourra toujours dire, dans cette perspective que "je ne rejette rien, je suis juste au-delà de tout", mais on reste ainsi dans la transcendance, à distance, dans une sorte de dualité, de séparation. 

Cette posture risque d'empêcher toute intégration. On découvre un vide silencieux au-delà de tout et on croit que c'est le fin mot de l'histoire. Mais peut-être que la Vie a prévu un au-delà de cet au-delà ? La Vie ne tend t-elle pas à intégrer ? à réconcilier ? 

Non pas vivre une paix profonde malgré le mental, le corps et les enfants, mais bien une vie de paix aussi manifestée dans le mental, le corps et les enfants. Je crois que c'est l'enseignement de la vie.

La vie est mort et renaissance.

mardi 22 janvier 2019

La vigilance, une pratique de toute la vie ?



Nous croyons parfois que l'éveil est un changement d'état psychologique définitif, à la suite duquel il devient impossible d'être "repris" par le jeu du mental, sachant que "mental" (manas) désigne ici toutes les énergies du corps-esprit.

Je ne sais pas si cet idéal est réaliste. 
Selon la tradition du Cachemire, les mots sont la base du mental. En se combinant, ils transforment la conscience universelle que nous sommes en des personnages aux destins plus ou moins tourmentés. Pourtant, c'est la conscience qui crée le mental, comme l'océan "crée" les vagues. Autrement dit, nous sommes victimes de nos propres énergies. Vivre dans l'inconscience, c'est vivre dans la souffrance. Le seul moyen de s'en libérer est de reconnaître ces énergies.

Le mental redevient alors une manifestation de l'Immensité silencieuse. Au lieu de cacher leur source, les pensées la révèle, comme les vagues manifestent la puissance de l'océan. Les sensations se révèlent sensations de l'unité. Le sommeil est pure unité ; le rêve est créativité ; la volonté est l'élan créateur de la conscience, et ainsi de suite.

Mais, toujours selon la tradition du Cachemire, il reste toujours possible de se faire prendre au jeu du mental, de se laisser ensorceler, en quelque sorte, par les sons combinés en phrases, par les signes.

Qu'est-ce qu'un signe ?
Un signe est une perception/sensation qui a le pouvoir de renvoyer à d'autres perceptions/sensations. L'exemple classique est la madeleine de Proust. Si nous nous observons, nous verrons que toute la journée nous sommes dans les signes, dans le labyrinthe des signes, comme un jeu de miroir sans fin. Nous percevons très peu. Nous allons de signe en signe, comme un singe de branche en branche. 

Le mental fonctionne comme un dictionnaire : les mots renvoient à d'autres mots, qui eux-mêmes renvoient à d'autres mots, etc. Naïvement, nus croyons que les mots désignent la réalité ; mais en réalité, ils désignent d'autres mots. Ils s’entre-définissent. Voilà pourquoi le mental n'entre pas en contact avec le réel, mais seulement avec ses propres constructions. C'est comme un dictionnaire. Les mots désignent les choses, mais les choses...sont des mots constituées d'autres mots, eux-mêmes constitués de mots...

Comment sortir de ce labyrinthe ?
En ressentant les mots. En les percevant, en savourant aussi leur impact dans l'ensemble du corps, du corps subtil, du corps ressenti. 
Une autre approche pourrait être de "dire" les mots mentalement, mais plus fort. Ainsi il devient plus aisé de réaliser que les pensées ne sont que des mots, des sons.

En pratique, c'est difficile.
Voilà pourquoi, selon la tradition du Cachemire, nous pouvons toujours être repris. De fait, même ceux qui ont une longue expérience de la pratique de la Présence au quotidien se laissent prendre. Très souvent. Bien plus qu'on ne le croit d'ordinaire. C'est cette vérité que rappelle Kshéma Râdja dans son Commentaire aux Shiva Sûtra III, 19. Il cite un Tantra de la tradition Kaula, l’Éradication des ténèbres :

Les énergies du Corps
égarent insensiblement
[le yogi/la yogini].
Terrifiantes, elles capturent l'individu avec l'ego,
alors qu'elles planent dans l'immensité de la conscience.

Les "énergies de la conscience" sont littéralement les "maîtresses des sanctuaires" du corps subtil. 
Elles se déploient dans la conscience, dans l'espace sans limites "au-dessus de la tête", dans cette ouverture transparente qui les accueille. Mais elle "capturent" l'être aliéné (pashu) avec l'ego, ici personnifié par Brahmâ. Sa ressemblance avec la Source (brahman) n'est pas un hasard. Ces deux mots ont la même racine, mais l'un est neutre, l'autre masculin. Pourquoi la même racine ? Parce que le ressenti "je suis" est la Source. Il devient l'ego lorsqu'il semble se confondre avec le mental, il devient alors "je suis contrarié", "je suis laid", "je suis énervé" et ainsi de suite.

Kshéma Râdja explique que "même celui qui a atteint le réel peut devenir le jouet des énergies mentales s'il est distrait".

La vigilance est donc une pratique de toute la vie.
Bien sûr, il y a une vigilance mentale, plus ou moins forcée, et il y a la vigilance qui est la nature même de la conscience. Néanmoins, tout cela repose sur l'attention, la vigilance. En ce sens, il y a bien quelque chose à faire et à pratiquer, même si l'on a réalisé que tout est un.

lundi 21 janvier 2019

Le yoganidra dans le shivaïsme du Cachemire


Quand je cherche l'expression yoga-nidrâ ou "sommeil yogique" dans les textes yogiques et tantriques en sanskrit (la langue sacrée de la culture indienne), je ne trouve pas grand-chose. La pratique telle qu'on la connait aujourd'hui semble d'origine récente. Il y a cet article à ce sujet. Ici je vais essayer de citer les textes qui ne sont pas cités dans cet article. Je suppose donc que vous aurez lu ce dernier avant de lire ce qui suit.

L'expression yoga-nidrâ apparaît assez souvent dans les textes sanskrits. 

Outre le "sommeil" cosmique de Vishnou, elle désigne Shakti, la Déesse. Elle est presque toujours accompagnée des composés mahâ-nidrâ et mahâ-mâyâ. Yoga-nidrâ est le pouvoir d'aveuglement (avidyâ-shakti) qui permet à Dieu de créer en faisant oublier aux êtres leur nature divine. C'est le pouvoir (yoga) d'illusion (mâyâ) qui plonge les êtres dans le sommeil (nidrâ) de l'oubli. Dans certains rituels, il y a donc une déesse Yoganidrâ, aussi appelée Yoga-mudrâ. Elle habite un sanctuaire de la Déesse (pîtha) qui est visualisé dans le corps durant certains rituels. Il s'agit de l'Oddiyâna, l'actuelle vallée du Swat dans le Pakistan, contrée magique à l'époque des Tantras (entre le VIIe et le XIIe siècle en gros). Cette déesse est décrire dans le Devî-nâma-vilâsa (La Parade des noms de la Déesse, VI, 85) composé par un maître cachemirien du XVIIe siècle, séparément de la déesse Mahâ-nidrâ et avec la Prajnâ-pâramitâ et Târâ, soit dit en passant.

Dans le vishnouïsme, d'où provient sans doute l'expression yoga-nidrâ, elle fonctionne de pair avec yoga-mâyâ. Yoga-mâyâ est le pouvoir divin de créer dans la conscience l'illusion magique d'un monde extérieur à la conscience. Yoga-nidrâ est le pouvoir de tout résorber "dans" la conscience, bien que rien n'en sorte jamais réellement. Il est à noter que le Vishnouïsme tantrique (pânca-râtra, shrîvaishnava) a adopté en partie les idées de la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijnâ). Dans ces deux expressions, yoga désigne le pouvoir, la maîtrise, le contrôle exercé par Dieu. A noter également, ces deux pouvoirs correspondent aux deux aspects de l'aveuglement (avidyâ) dans le Kévala Advaïta Védânta de Shankara : yoga-nidrâ est l'aveuglement qui ne voit pas le réel (je ne vois pas, ou mal, la corde) ; yoga-mâyâ est l'aveuglement en tant qu'il projette des fictions sur le réel (je prends la corde pour un serpent), une fois le premier aspect de l'aveuglement activé. Cette théorie de la double-erreur est intégrée par la philosophie tantrique de la Reconnaissance : 1) d'abord je ne vois plus que tout est conscience, la conscience devient un vide inerte ; 2) ensuite certains objets de ce monde inerte (le corps, la sensation, la pensée) sont pris pour la conscience, en opposition à d'autres, jugés inertes.

Dans le Tantra Acintya-vishva-sadâkhya, l'adepte "pratique le yoga jusque dans les rêves, grâce à la puissance du sommeil yogique" (chap. 27 "la pratique du yoga à huit membres", vers.136). Il semble faire allusion à une sorte de rêve lucide : 

"En pratiquant le sommeil yogique il rêvera de tout ce qu'il a vu ou non. Tout ce qu'il voit, il le contrôle s'il se contrôle grâce au yoga (yuktâtmâ)." (id., vers. 136) 

S'il pratique ce yoga pendant six mois, il est délivré de tous les péchés (pâpa, les "chutes"). S'il s'exerce pendant une année, "il aura la connaissance de Dieu comme dans la paume de sa main". Quand le mental est détruit (mânasa-nâsha), c'est la délivrance (mukti).

La Mandala Brahmana Upanishad, une "Oupanishad" tardive faite d'extraits de textes bouddhistes retravaillés enseigne un yoga du "non-mental" dans l'esprit de la Mahâmudrâ bouddhiste, suivi d'un yoga de l'espace et de la lumière (târaka) qui évoque le yoga visionnaire du Grand Achèvement (dzogchen) : 

"Le yogi est libéré en cette vie grâce à l'état de complète félicité appelé "sommeil yogique", qui est le non-mental toujours présent (sahaja-amanaska, expression typiquement bouddhiste), dépourvu d'inconscience, non-duel et transparent" (chap. V).

Dans le Mâlinî-vijaya, le Tantra suprême selon Abhinava Goupta, on trouve l'expression employée pour décrire une déesse lunaire qui est "installée dans la posture royale, dans l'état de sommeil yogique" (XXI, 29).

Dans l'Oupanishad "du yoga" Shândilya, qui enseigne le Hatha Yoga, il est dit que "le Temps n'existe pas pour le yogi qui a atteint le sommeil yogique" (VII, 17) . Le yogi s'exerce à Khecarî Mudrâ, puis atteint Unmanî, puis le sommeil yogique. Le commentaire précise que "sommeil yogique" est synonyme de nirvikalpa-samâdhi. Aucune pratique spéciale n'est décrite. "Le Temps n'existe pas pour lui" signifie que le yogi ne "perd" pas son état non-mental entre deux séances de méditation. Tout cela est décrit dans le cadre d'une pratique de Hatha basée sur le "yoga non-mental" (amanaska, alias la Mahâmudrâ du bouddhiste Maitripâda) et le "yoga de la transcendance par les visions spontanées" (târaka, theuguel en tibétain) probablement dérivés des yogas bouddhistes et de leur équivalents dans la tradition Kaula. C'est l'enseignement repris dans la Hatha-pradîpikâ, mieux connue et que je ne citerai donc pas ici.

L'évocation la plus détaillée que j'ai trouvée du Yoga Nidrâ comme pratique yogique se trouve sous la plume de Kshéma Râdja, maître du shivaïsme du Cachemire et disciple d'Abhinava Goupta. Dans son Explication du Poème de la Vibration (III, 1-2), il décrit un yoga du rêve et du sommeil.

La pratique est simple : l'écoute du silence à la fin d'une expiration. Le yogi s'endort ainsi, "enraciné dans un sommeil yogique". Du coup, il "n'est pas égaré par les rêves et le sommeil profond". Il contemple alors clairement son essence, qui est Dieu et qui est le but de toutes les voies et de toutes les méthodes.

L'expression yoga-nidrâ apparaît aussi deux fois dans l'Hymne à Shiva-soleil, composé et expliqué aussi par Kshéma Râdja. Il confirme l'idée d'un sommeil yogique qui est un sommeil lucide par éveil de la conscience à elle-même, par elle-même. Aucune autre méthode n'est mentionnée ou suggérée.

Simple, mais clair.

Le Yoga Nidrâ traditionnel est donc cette pratique simple de la Présence à travers tous les états de la conscience. Finalement, la conscience est toujours présente, jamais endormie. Le Yoga Nidrâ consiste à réaliser cela.

dimanche 20 janvier 2019

Le mental est-il mon ennemi ?



Quand la souffrance est trop intense,
vient parfois un moment où l'on 
se tourne vers la vie intérieure,
la possibilité pressentie
d'une vie de paix et de joie,
fondée sur la connaissance expérimentale.

L'expérience de la vie intérieure 
comprends deux moments :
l'éveil et l'intégration.

L'éveil est la réalisation de notre Moi profond au-delà du mental, par exemple en savourant la pure présence entre deux pensées.

L'intégration est la réalisation que le mental est lui aussi pure présence silencieuse, comme les vagues ne sont pas séparées de la mer.

L'éveil est facile. Il s'agit de voir que, même sans aucun bavardage intérieur, "je suis". Il y a ici une dimension de réflexion pour voir aussi les implications de cette vision. Autrement, on se dit "bon, et alors ?". Le tout n'est pas de trouver le trésor. Encore faut-il reconnaître qu'il s'agit bien du trésor. Si on le prend pour un tas de cailloux, on passe à côté. Mais se voir soi-même est facile. Se voir sans image ni concept. C'est facile car simple. Il n'y a pas de couches, ni de facettes, aucun voile ne peut recouvrir notre essence, sauf la croyance qu'il existe des voiles.

L'intégration est difficile. L'obstacle principal est la croyance que les pensées interrompent la Présence. Il est très difficile de reconnaître la présence au-delà des pensées en plein cœur de l'agitation des pensées. Il faut donc d'abord reconnaître cette présence en l'absence des pensées, entre deux pensées.

Mais du coup naît la croyance que les pensées et le silence de la pure conscience sont incompatibles. C'est l'obstacle ultime. A cause de cette croyance, on est "en famine", on croit que l'on ne peut "méditer" tant qu'on est plongé dans l'agitation du quotidien. De ce fait, on reporte sans cesse la "méditation" en se disant que, plus tard, quand les enfants seront grands, quand la crise sera passée, quand on aura fini les courses, quand on sera au calme, on pourra alors se consacrer à l'essentiel.

En réalité, cette idée que le mental est un adversaire du silence, de la paix profonde, est ce qui nous empêche profondément de vivre la paix. D'autant plus que c'est, typiquement, une manipulation mentale, une entourloupe dont nous sommes à la fois bourreaux et victimes.

Donc la méditation où je regarde pour de bon si vraiment les pensées empêchent la clarté silencieuse de briller, est vitale. Sans cela, on se retrouve dans l'impasse. La plupart d'entre-nous sommes bloqués là. Et il en va de même pour les sensations, les émotions, les tensions... Nous les jugeons comme des ennemis. Alors qu'il faut accepter aussi ces tensions, ces refus, ces fuites et ces distractions. 
Pourquoi l'espace sans limites craindrait-il les pensées ?

Une pensée est une phrase, faite de mots, lesquels sont faits de syllabes. Les syllabes sont des sons, qui sont des vibrations. La conscience est vibration. La tradition du tantra non-duel rappelle cette expérience : le bavardage qui empoisonne les vies humaines est fait de mots, faits de syllabes. Ces syllabes sont les Yoginis, les Dakinis, les énergies de l'Être, du silence, du vide tout-puissant qui palpite ici-même, en cet instant.

N'est-il pas ridicule que l'océan ait peur des tempêtes ? Dire "oui", c'est dire oui au "non" aussi ! Et dire "oui" au "non", c'est concrètement prendre conscience des tensions, du bavardage... mais sans commentaire. Et si un commentaire surgit, il est aussi accepté, accepté énergétiquement. Il ne s'agit pas d'accepter son SENS, mais juste de l'accueillir comme sensation. Et alors il se détend. 

Il ne s'agit pas, en effet, de croire à la pensée "je suis quelqu'un de nul et malheureux" et de l'accepter en s'y résignant. Ce serait une sinistre torture ! Non, mais ce qui est puissant, c'est de l'accueillir comme vibration dans notre corps subtil qui lui-même "flotte" dans l'espace infini. L'écoute de la tension se dilate dans le silence. Sans rien forcer. Sans crainte, sans avoir peur de la peur.

Mais cela ne suffit pas. Il faut encore réaliser que la pensée est présence silencieuse. Une pensée est un mot, un mot n'est pas séparé du silence vivant dans lequel il émerge. Il faut le comprendre intellectuellement et le vivre pour en être convaincu. C'est vital. Sans cela, point de paix profonde. Comment pourrait-on vivre tranquille tant que l'on se croit menacé par le mental ?

Même si l'on vit un moment de silence, on reste angoissé par le retour du mental, des tensions, de l'agitation. Est-ce la vraie paix ? est-ce la joie véritable ?

Non. Donc il faut regarder les pensées pour voir si, oui ou non, elles sont la paix même, ou bien si la paix ne revient qu'après la disparition d'une pensée. Tant que la Présence reste conditionnée, ça n'est pas la Présence.

Une autre impasse est celle de la transcendance hautaine : se réfugier dans un "mais je suis la Présence qui n'est pas affectée par les pensées". Il y a alors encore coupure entre les pensées et la Présence et l'idéal d'une Présence ininterrompue reste un doux rêve.

Bien sûr, nous pouvons croire qu'il est possible de vivre à jamais sans aucune pensée. Mais cela n'est justement possible que dans l'acceptation des pensées. Tant que nous croyons que le mental est notre ennemi, nous resterons les esclaves du mental.

Les pensées ne disparaissent jamais complètement. Mais elles changent de qualité. Elles ne sont plus ressenties comme des irruptions qui interrompent le silence intérieur. Le bavardage se fait plus rare. Les pensées surgissent en harmonie avec le silence, comme dans vagues de clarté dans l'immensité intérieur.

vendredi 18 janvier 2019

Comment gérer les pensées ?



Je ne l'aime pas trop, ce mot de "gérer".
Mais bon, on se comprend.

Quand une pensée a cessé, 
se révèle un silence vivant, vibrant mais doux,
une transparence lumineuse.
On peut l'appeler "pure conscience", "conscience" ou "présence", "le Soi", "notre essence", "Moi profond", "espace impersonnel", peu importe.
Ce qui compte est de reconnaître clairement "cela"
qui n'est pas une chose.

Mais ce silence ne dure pas. 
Même si vous êtes une grand yogi/yogini
plongé en samâdhi, 
tôt ou tard une autre pensée apparaît
et semble rompre le silence.

Un conte de yoga le rappelle :
un grand yogi vivait avec sa servante
dans sa grotte.
Il était accro aux soupes à l’oignon.
Un grave péché pour un yogi,
mais nul n'est parfait.
D'autant qu'il était fort en méditation.
Par la force de son entraînement,
il plonge donc en samâdhi,
un état de pure présence sans pensées.
Puis il en ressort,
savoure sa soupe,
puis il replonge,
dans l'espoir qu'un jour,
plus aucune pensée ne vienne 
jamais le déranger de son état
de pure conscience.
Il connu un certain succès.
Ses samâdhis étaient de plus en plus long.
Si bien qu'un jour il plongea pour de bon.
Son corps devient comme une branche
desséchée. Il resta ainsi,
parfaitement immobile,
pendant douze ans,
identifié à l'espace impersonnel.
Quand il réémergea,
il ne put s’empêcher de demander 
une soupe. Juste une, pour la route.
Sa servante se faisait vieille,
elle avait de plus en plus de mal
à déterrer les oignons (ou les radis,
selon une autre version).
Le yogi avait le sentiment d'être proche du but.
Il se disait que,
s'il plongeait assez longtemps,
son mental ne réapparaîtrait plus.
Plus de pensées, plus de désir de soupe.
Il replongea.
Cette fois, pendant des siècles.
La terre changea, des montagnes furent rasées,
d'autres apparurent.
Mais le yogi ressorti de son samâdhi.
Et il senti un irrépressible besoin de soupe.
Enragé contre la colère même
qu'il sentait monter en lui,
il s'écria "Où est cette maudite soupe ?
Elle est où ? Je VEUX ma soupe !"
La servante, qui était aussi une yogini,
et qui était donc toujours vivante,
lui sourit et dit : il n'y a plus de soupe.
Mais son parfum semble immortel
en toi...

Le mot pour parfum est vâsanâ en sanskrit. C'est la trace laissée par les actes. Autrement dit, les habitudes. Qui, comme chacun sait, ont la vie dure.

De fait, quelle que soit la qualité de "notre" expérience de la pure conscience sans pensées, des pensées vont réapparaître. Comme si de rien était. Comme de frais poissons surgis hors de l'eau limpide de la présence.

Si donc nous aspirons à être libre,
ça n'est pas tout de savoir être sans pensée.
Il faut encore savoir que faire
lorsqu'une pensée surgit.

Tant que nous n'aurons pas vécu le "bruit" de la pensée
comme silence, nous ne serons pas libres.
Même si nous sommes par moments
sans pensées, nous ne sommes pas libres des pensées.
Et il ne suffit pas de plaquer sur les pensées une autre pensée, vague, du genre : "Mais les pensées ne sont que des objets qui apparaissent dans l'espace impersonnel que je suis". Ce verni ne résistera pas à la vie quotidienne. Les tensions et la souffrance révéleront que cette stratégie est factice. 

Comment être libre alors ?

D'abord réaliser qu'à toute conscience, des objets apparaissent. Pensées, sensations, etc. Même au plus grand des yogis. Nul ne peut totalement et définitivement faire cesser toute pensée. Le corps et l'esprit sont un. Tant qu'il y a un corps, il y a un esprit. Tant qu'il y a du souffle, il y a parole, donc mots, donc pensées.

Mais alors, quelle est la différence entre un "éveillé" et un profane ?

La différence est dans la manière de laisser les pensées revenir au silence.

Quand je suis inconscient du bavardage mentale, je suis pris à son jeu : une pensée mène à une autre pensée, un mot à un autre, comme en un labyrinthe sans fin.

Quand "je" (la conscience) me suis éveillé à moi-même (comme pure conscience silencieuse), alors l'attention se déplace : au lieu de mettre l'accent sur les pensées, l'attention s'ouvre, se détend et vient reposer dans le silence sans limites.

Mais comment ?

Concrètement, quand je médite, au lieu de mettre l'accent sur l'apparition des pensées, en restant comme un chat qui guette les souris, ce qui va entraîner un choc à chaque fois qu'une pensée/souris se présente,
je mets l'accent (=je place l'attention) sur la disparition de la pensée. De fait, je ne peux empêcher les pensées d'apparaître ; mais je ne peux non plus les empêcher de disparaître, l'une après l'autre. C'est le bon côté de l'impermanence. 

Comme des dessins tracés sur l'eau, chaque pensée commence à s'évanouir dès qu'elle se présente.

La clé n'est pas dans l'apparition des pensées, 
mais dans leur disparition. 
Ne faites pas attention à l'apparition des pensées,
mais à leur disparition.
Ne craignez plus l'impermanence.
Faites-en votre alliée.

Dès lors, chaque pensée est ressentie comme une détente.
Essayez et voyez par vous-même. Sinon, ce ne sont que des mots.
Placez votre attention sur le fait que les pensées sont évanescentes, en fuite, sur le fait qu'elle s'évaporent
dans la vaste immensité silencieuse.

Ce yoga de l'impermanence est un yoga de la liberté, un yoga de l'offrande des pensées au feu du silence éloquent.
Me revient ici l'image de la Bhagavad Gîtâ : le yogi offre ses sensations et ses pensées dans le feu de la Présence allumé par l'éveil.

Bien sûr, cela ne vaut pas que pour les pensées, mais pour tout ce qui se présente : au lieu de mettre l'accent sur l'apparition de la sonnerie de téléphone, ressenti comme une agression (même petite, cela s'accumule), mettre l'accent sur la disparition de cette sonnerie.

La méditation, au lieu d'être une cessation factice et donc transitoire du bavardage mental, devient une libération, une détente, comme un long, long bâillement...

Et cette méditation peut être pratiquée en toute circonstance, puisque les pensées et autres dérangements ne sont plus des ennemis.
Ainsi, le mouvement fusionne vraiment avec l'immobilité.
Cela ne reste pas une idée vague, mais une expérience directe. Une expérience libre car non conditionnée, non parfumé par l'angoisse du retour du mental et des tensions.  Autrement, notre yoga reste une fabrication superficielle. Même si nous sommes les rois de l'âsana et du prânâyama, l'énergie reviendra et démasquera ce personnage du parfait yogi.

Voilà, en bref, comment gérer les pensées.


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