Chapitre 8 : la liberté souveraine
Nous avons déjà expliqué
Le sens général du principe de liberté.
Mais à présent, nous développons ce principe en particulier,
Ce qui doit être exposé de manière exhaustive. 1
La liberté[1] absolue du Seigneur Śiva
Lui est innée. Elle est sa nature,
Car il n'a besoin de rien de plus[2]
Pour s'adonner au jeu excellent des cinq actes[3]. 2
Parce qu'il joue spontanément,
Selon son désir, sans la moindre entrave,
Il n'a pas besoin d'atomes, ni de karma[4],
Ni de souvenirs[5], ni de rajas[6],
Ni même d'une "ignorance sans commencement"[7]. 3
Le Grand Seigneur à imaginé tout ceci à partir de lui-même,
Par la majesté de sa liberté souveraine.
Seuls les naïfs - et non les autres -
Affirment que la cause du monde est ceci ou cela[8]. 4
En définitive, (cette cause) n'est autre que le Soi,
En forme de manifestation et animé par la prise de conscience (de cette manifestation)[9]
- "je"-, toujours apparent, réel.
Tout le reste n'est qu'imagination[10]. 5
Balajinnātha Paṇḍita, Le Miroir de la liberté (Svātantrya-darpaṇaḥ), Munshiram Manoharlal, Delhi, 1993
[1] "Liberté" traduit svatantratā, svatantratva ou svātantrya, qui désigne littéralement "l'indépendance", le fait d'être à soit même l'instrument de son action. Il ne dépend de rien, pas même de lui-même.
[2] na kimapi param : la liberté est le fait de pouvoir agir sans dépendre de rien. L'expression fait aussi allusion à la thèse de la Pratyabhijñā selon laquelle la liberté absolue de la conscience est la seule explication des phénomènes qui vaille.
[3] Les cinq actes qui définissent l'activité cosmique de Śiva : émanation (des phénomènes), subsistance, résorption, voilement (du Soi) et grâce.
[4] Les conséquences des actes passés (bouddhisme et théisme dualiste).
[5] vāsanā, les "parfums" laissés par les actes antérieurs qui, selon l'idéalisme bouddhique (cittamātra) sont la cause de tout.
[6] L'une des trois modalités de la nature selon le Sāṃkhya. Rajas est cette agitation au sein de la substance originelle qui instaure un déséquilibre, à la faveur duquel surgissent les mondes.
[7] anādi avidyā : position du Vedānta.
[8] Le naïf (bāla, l'enfant) est celui qui croit que le monde a une cause objective qu'il peut pointer du doigt, que cette cause objective (dans la mesure où l'on peut la connaître sur le mode du "cela") soit extérieure (comme la nature ou les atomes) ou bien intérieure (comme les traces inconscientes ou l'ignorance). La liberté de la conscience est absolue précisément parce qu'elle ne dépend d'aucune cause, externe (la réalité "objective") ou interne (l'esprit, les souvenirs, le passé, un état psychologique).
[9] Point essentiel : le Soi n'est pas comme un miroir qui reflète les choses sans s'en trouver affecté, ni comme un espace impassible. Il réagit, sent, éprouve... autant de formes de prise de conscience se ramenant, selon la Pratyabhijñā, à l'émerveillement (camatkāra).
[10] Notons la distinction entre l'imagination du Seigneur, créatrice et réalisatrice, et celle de l'homme ordinaire, imagination vaine, sans réel pouvoir créateur.
Musique en liberté, liberté en musique :