dimanche 30 décembre 2018

Le chercheur a-t-il besoin d'un maître ?



L'image du gourou n'est pas brillante. Ce mot est devenu synonyme de charlatan et de scandales sexuels. Il faut dire que les abus n'ont pas manqués depuis quelques décennies. Depuis toujours, en fait.

Je crois que le pouvoir corrompt. Tout simplement. Quand un maître a du pouvoir, les tentations ne sont jamais loin. C'est une loi de la nature humaine. Et rares sont les humains qui la transcendent. Surtout ceux qui prétendent la transcender.

Faut-il pour autant renoncer à l'idéal du maître ?

J'ai eu beaucoup de gourous dans ma vie. Quelques uns ont tenté de me manipuler, mais la plupart étaient des gens droits. 

Ce qui est difficile, c'est de concilier la tête et le cœur. Quand on se laisse séduire, on devient aveugle. Et pourtant, le cœur est vital. Sans émotion, on ne bouge pas, rien ne change. Comment concilier émotion et lucidité ? Pas facile... C'est un peu comme dans les relations amoureuses. Vivre à la fois du cerveau gauche et du droit est un art que nous ne maîtrisons pas. Cela s'apprend.

D'où l'importance d'une spiritualité qui affirme la complémentarité de la connaissance et de l'amour. Je crois que c'est possible. Si dès le départ on vous conditionne en vous disant que l'intellect est mauvais, qu'il faut s'abandonner aveuglément, la catastrophe n'est pas loin.

Et surtout, il faut voir qu'il y a plusieurs modèles de maître. A côté de l'Avatar Suprême et du culte de la personne, dont il faut se méfier, il y a d'autres modèles possibles : l'ami, le guide, le conseiller, l'aîné, le frère, l'enseignant, l'instructeur, l'exemple, le partenaire de discussion, le maître-artisan, l'expert...

Mais, me demanderez-vous, que devient alors le noble idéal de l'abandon inconditionnel, de se perdre totalement dans le maître ? 
A mon sens, cet idéal et bon et beau, à condition de ne pas s'adresser à la personne du maître, mais au maître vivant en nous-mêmes. Dès que l'on se focalise sur une personne en chair et en os, il y a projection et la porte s'ouvre à tous les abus.
Par exemple, si l'on se donne entièrement à Krishna, très bien. Par contre, si l'on fait une confiance aveugle à une personne qui se dit (explicitement ou non, les choses sont souvent subtiles) être Krishna ou je ne sais quel Avatar de l'amour, alors il faut rester lucide. Quitte à vivre un moment de frustration temporaire. D'autant plus que le véritable Amour vit au fond de nous.

Projeter le divin que nous portons sur une personne est puissant, et donc tentant. Mais c'est jouer avec le feu. J'ai rencontré tant de gens qui prétendaient pouvoir jouer sans se brûler ! Mais ils ont presque tous été blessés et déçus. Les projections psychologiques, héritées de l'enfance et de nos ancêtres, sont des forces qui nous dépassent. Les exemples ne manquent pas. Génération après génération, des chercheurs l’apprennent à leurs dépends. 

Quand une personne a du charisme, de l’ascendant, pour une raison ou une autre, il est très, très difficile de ne pas en devenir dépendant. Et les promesses de liberté au bout du tunnel de l'obéissance ne sont bien souvent que des attrapes-nigauds. C'est comme en amour : il faut savoir à la fois ouvrir son cœur et raison garder. Il y a le "coup de foudre", mais aussi les affinités profondes qui sont importantes.

En vérité, ce que nous cherchons est au fond de nous. Cela nous dépasse, mais c'est en nous, caché dans nos sensations, nos émotions, nos pensées. Là, au centre, au cœur, à la source. Trouver le maître, c'est répondre à l'appel, se souvenir (smara) et ainsi réveiller le désir divin (smara aussi) en nous.

Le chercheur a besoin d'un maître.
Mais qui est le chercheur ?
Qui est le maître ?
Le maître est la vérité du chercheur.
Le trouver, c'est se trouver.
S'éveiller à ce qui, en nous,
est plus vaste que nous.
Alors, dans ce rappel atemporel (smara),
il y a enfin révélation de l'union (yoga)
toujours déjà accomplie,
mais comme cachée par 
les fausses croyances.

Les personnes sont des maîtres extérieurs et donc temporaires. Abhinava Goupta conseille de les questionner, comme une abeille qui va butiner de fleur en fleur. Mais le miel est à l'intérieur. Le discernement est vital à l'amour. Sinon c'est l'impasse. L'abandon, oui. Mais à qui ?

- Au maître intérieur, à la Déesse du cœur. Au mystère insaisissable qui attend patiemment notre écoute.


samedi 29 décembre 2018

Smara Yoga


Smara Yoga 
Yoga de l'espace et du cœur

Les émotions célèbrent l'espace,
comme les notes le silence.
Mais quand l'espace s'oublie,
les émotions deviennent
passions,
la pensée bavardage,
l'attention précipitation.
L'harmonie semble perdue...
Se replonger en l'espace,
à l'unisson,
c'est revivre les émotions à partir de l'espace,
les émotions à leur source,
émerveillement d'être.
La colère est clarté.
L'attachement est amour.
La jalousie se transmute en
énergie indomptable.
Et le "je suis", racine de tous les maux,
redevient vibration du coeur.
Car l'espace n'est pas inerte.
Il a un coeur.
Il vibre.

Comme dit le Secret des Voyants,
"Aussi loin que l'espace s'étend, s'étend cet espace dans le coeur".

L'espace est dans le coeur, oui...
mais aussi, le coeur brille au centre de l'espace,
tel un soleil.

Dieu est espace.
La Déesse est vibration de l'espace,
coeur de l'espace,
coeur du coeur de tout.

Quand je suis espace, silence muet et vision nette,
alors je me mets à vibrer,
une sensation s'éveille en moi,
de joie, de vie, d'énergie,
de relation à tout.
Tout est en l'espace,
en moi, y-compris mes personnages et
les autres.
Et quand l'espace vibre,
il y a, en plus, oui en plus,
cette sensation ressentie au fond des tripes,
d'être relié à tout, à tous,
cette sensation d'amour,
que ni David ni personne d'autre ne mérite,
mais qui ruisselle dans la personne,
dans le corps, à travers le souffle et les cinq sens,
comme une lampe à l'intérieur d'un vase de cristal.
L'espace n'a pas de visage,
pas de trait, pas de personnalité.
Mais il est, vie, conscience, création,
liberté, et surtout, surtout, surtout...
amour.
Sans visage, il aime tous les visages.
Quand je me reconnais en Elle,
sans visage, mon visage ne disparaît pas.
Il s'affine, s'imprègne de lumière,
ses différences apparaissent plus clairement,
plus vivement,
comme les reflets sur un miroir bien net.
La pureté du miroir n'efface pas les reflets.
Bien au contraire !
Se plonger dans l'universel,
"juste être", "juste cela",
révèle chaque personne en son unicité,
chaque chose même,
chaque instant -
comme en une lumière limpide
et chaleureuse de fin d'après-midi.
Les êtres s'offrent à l'espace.
Les émotions retournent à l'espace
comme les vagues en l'océan.
Mais rien n'est perdu.
"Chacun de vos cheveux est compté".
Chaque instant de beauté
est transformé en éternité -
miracle de l'espace.
L'éphémère est là, toujours.
Incompréhensible...
mais certain !
car il y a Dieu et Déesse.
Voilà la non-dualité du tantra,
voilà le yoga,
l'union de la conscience et de l'espace,
du corps et de l'immensité,
du coeur et de l'infini,
du fragile et de l'immuable,
des mots et du silence.
C'est le yoga de l'espace,
la merveille des merveilles,
méditation-vision,
coeur vivant du tantra,
tantra qui n'est pas une tradition ésotérique,
ni une voie exotique,
mais seulement
la texture du réel,
la sensation de la vie,
épousée encore et encore,
jusqu'au cœur de la nuit,
pour que le divin,
s'étant fait humain
par amour,
l'humain se fasse humain
par la même veine d'amour.

vendredi 28 décembre 2018

Comment méditer sur le souffle ?



La méditation sur le souffle est, avec quelques postures simples, présente dans les plus anciennes formes de yoga.

Dans le Yoga du Corps (kula-yoga), l'une des sources du Hatha Yoga, l'observation de la respiration est élevée jusqu'à un incroyable degré de finesse. La tradition considère clairement que la simple attention au va-et-vient du souffle est une voie complète vers l'éveil, et non une étape ou un auxiliaire.


Mais contrairement au Hatha qui aspire à stopper les activités naturelles du corps, le Yoga tantrique kaula ne vise pas à suspendre entièrement la respiration.

Certes, quand on donne une pleine attention à la fin de chaque expir, le va-et-vient s'apaise, le mental se calme :

"Quand la respiration va et vient de manière égale, le [yogi] voit [tout] de manière égale." (Shiva-sûtra III, 24)


Mais on parle ici toujours de mouvement (samcâra) et non d'arrêt. Le prâna-âyâma consiste alors à allonger et affiner le souffle, non à l'arrêter complètement.   


Pourquoi cette différence d'approche ?

Parce qu'il semblerait que le Hatha soit d'inspiration bouddhiste, de même que le Yoga de Patanjali. Or le bouddhisme, depuis son origine, se veut anti-naturel, au sens où il ambitionne d'aller à contre-courant, contre le courant du samsâra, du devenir douloureux. 

Voilà pourquoi le Hatha est très technique, tandis que le Yoga du Corps est plutôt une célébration de l'incarnation. Il ne s'agit pas de se délivrer du corps, mais de l'élargir jusqu'à l'infini. Le souffle n'est pas bloqué, car :


"Le lien avec le souffle est naturel" (id. III, 44)


Le souffle est la vie, le corps. Et tout cela est la manifestation du divin. Le problème n'est pas le corps, mais l'oubli de l'espace sans limites dans lequel baigne cette incarnation. Chacun est appelé à se réveiller, à se rappeler cette source. La chair est alors reconnue comme manifestation du divin. 


Rejeter le souffle, c'est rejeter la vie, car le souffle est la vie, comme disait Shiva dans le Tantra de la Liberté (Svacchanda-tantra) :


"Le souffle est l'énergie vitale qui engendre l'expiration et l'inspiration".


Dans cet esprit, le "contrôle de la respiration" disparaît. On traduira prâna-âyâma par "affinement du souffle", rendre le corps à l'espace, à son espace, à cette présence intime que l'oubli a contracté. 


La pratique est souffle est libre célébration, adoration en dehors de tout cadre religieux. La tradition du Yoga du Corps, Kula-yoga, tradition du Cœur cosmique (kaula-dharma), transcende tous les clivages. Elle est présente, en Inde, dans toutes les traditions "comme le parfum dans les fleurs".


Shiva, au-delà du temps, là, maintenant, en parle ainsi :


"[Le mouvement du souffle de vie est transmuté en énergie divine] en se recueillant dans l'intime des narines. Alors à quoi bon les canaux de droite et de gauche ? A quoi bon le canal central ?" (id. III, 45)


Les canaux sont les rivières du corps subtil (privé, intime, non objectif) dans lesquelles coulent l'énergie vitale. Leur parcours varie selon les besoins de la pratique, mais on retrouve toujours trois canaux principaux : gauche et droite, qui incarnent l'inspir et l'expir, support de toutes les dualités (prendre/donner, accepter/rejeter, aimer/haïr...), et canal central, image de l'équilibre par où la conscience se libère des dualismes. 


Mais ici, la sensation du passage de l'air dans les narines est suggéré. Pourquoi ? A cause de sa subtilité et de sa nature tactile. Le toucher est enfant de l'espace. Il a ce pouvoir de ramener à l'infini, à l'Ouvert, bien davantage que les autres sens. Voilà pourquoi le Yoga du Corps accorde tant d'importance au toucher, plutôt qu'à la vue/vision des autres traditions.


Ecoute du souffle.

Des bulles éclatent dans l'espace.
Offrandes au linga ultime,
au symbole ineffable.
Méditation toute simple,
nul besoin de rien.
Ni visualiser, ni compter,
juste sentir.
Pleinement,
répondre à l'invitation du souffle.
Plonger, se donner totalement.
Alors on s'éveille à l'espace,
on se reconnaît espace,
ouvert, flottant, 
détendu, éclatant.


Pour explorer ensemble ce Yoga, j'ai le plaisir de vous inviter à un stage à Bézier les 9 et 10 février de 10h à 17h.
Renseignements et inscriptions :
06 68 49 39
coachingsabinewirt@gmail.com  

jeudi 27 décembre 2018

Pleinement humain, pleinement divin




L'âme de nos vies,
ce sont nos problèmes.
Pas les petits problèmes,
mais les grands contradictions,
le profonds paradoxes.

Nous voulons le beurre et l'argent du beurre.
Nous désirons l'impossible.
Être tout.
Être rien.
L'universel et le singulier.
La paix et l'agitation.
Le divin et l'humain.

Comme le Christ,
pleinement homme,
pleinement Dieu.

"Faire ce qui est en haut
comme ce qui est en bas."

Contrairement à un dogme répandu,
ce paradoxe n'est pas le propre du christianisme.

Aux Indes (en Asie),
Krishna est, aussi, 
l'Omniprésent incarné.
Fort et faible.
Naissance du Non-né.
Mort de l'Immortel.
Par jeu.
Par amour. 
Gratuit.

Dévakî, sa mère, est la première à reconnaître en lui le Tout-présent, "impersonnel", l'Immense :

"Cette essence que l'on dit être impersonnelle,
originelle, l'Immense, la lumière sans modes,
immuable, le pur fait d'exister, indifférencié, 
immobile :
cela, c'est toi en personne !
Toi l'Omniprésent (vishnu),
la lampe intime.
Quand le monde est détruit...
tu es Cela Qui Demeure,
un."

(traduit du sanskrit : Shrîmad-bhagavatam, X, 3, 24-25)

Miracle de l'espace fait chair...
Plus loin, elle célèbre l'incarnation :

"Cette Personne transcendante
qui porte en son corps
l'univers à la fin de la nuit cosmique,
comme il convient à ce moment [du cycle],
est ta Présence que j'ai portée en mon sein.
Quelle merveille, ce spectacle d'une vie humaine !"

(id. 31)

Toute l'histoire de Krishna est la manifestation vivante 
de ce paradoxe. 
Jeu et sérieux. Sérieux du jeu. 
Au-delà et au-dedans de tout. 
Cette histoire parle de moi, de vous, de chacun d'entre nous. Appelés à incarner ce qui ne peut l'être.  

mercredi 26 décembre 2018

Chaque moment est-il une occasion d'éveil ?

La Triade, totalité des expressions de l'énergie




Comment chaque moment est une occasion d'éveil ?



Le yoga de la vie ordinaire selon le shivaïsme du Cachemire


Nous avons le pressentiment que toute expérience est une Porte vers la liberté.


Nous savons aussi que toute approche spirituelle comporte une part de vérité.


Mais ces approches sont bien souvent exclusives... Et comment goûter le Sacré dans les expériences amères ou dans la banalité du quotidien ? Comme vivre chaque moment comme une occasion d'émerveillement ?


Or il y a, en Inde, une collection unique d'instructions d'éveil et de méditation, un trésor de tous les yogas, nommé Vijnâna Bhairava Tantra ou le Tantra de l'expérience directe, de la reconnaissance de la Source en nous.


Libre de toute doctrine exclusive, cet enseignement unique, issu d'une tradition vivante et généreuse, réconcilie la spiritualité et l'agitation : rien n'est exclu.


Durant ce weekend, nous explorerons cet esprit de liberté à travers des jeux d'éveil, à travers le corps, le souffle, les émotions, les imprévus, la douleur, les handicaps, le plaisir...


Dans cette approche libre et inclusive, tous les obstacles se dévoilent comme Portes vers l'essentiel. Le seul obstacle est le manque d'audace.


David Dubois est philosophe et traducteur du sanskrit. Amoureux du Tantra du Cachemire depuis l'adolescence, il partage ses trésors dans un esprit de liberté. Il a publié une vingtaine de livres et anime un blog depuis douze ans.




Stage à Béziers 9 et 10 février 2019




Initiation au Vijnâna Bhairava Tantra

Lieu : Ahimsa Yoga
67, avenue Jean Moulin
Béziers


Moments : les 9 et 10 février de 10h à 17h


Renseignements et inscriptions :
06 68 49 39 83
coachingsabinewirt@gmail.com

mardi 25 décembre 2018

Quel est le sens de Noël ?




Maître Eckhart demandait :
à quoi bon Dieu est-il né dans une étable
s'il ne naît pas maintenant dans notre âme ?

L'étable est le corps.
Ou l'âme
- ce qui revient au même.
Jésus, le Petit Maître, 
est la lumière avant toutes les lumières,
après toutes les ténèbres.

Tout simplement.
Il est Dieu devenu humain
pour que l'humain devienne divin,
et par là, sans doute, moins inhumain.

La lune se vide un peu chaque jour,
semble privée de sa lumière
jusqu'à devenir quasi invisible.
Puis elle se remplit à nouveau du nectar de vie.

De même, 
la naissance de Jésus au cœur de l'hivers
suggère la vie qui renaît toujours.

C'est au bout de l'expir
que naît l'inspir.
C'est au bout de l'agonie
que l'énergie reprend sa croissance.

Après l'expir, un point de suspension,
atemporel, où l'âme va puiser un nouvel élan
pour un cycle nouveau.
Le temporel nourrit par l'éternel.

Dans la nuit naît la lumière.
Dans la nuit la plus longue, 
l'impulsion vers une clarté nouvelle.

Dans la terre gelée,

dure comme la pierre,
l'arbre vert prend racine.
Dans l'immobile,
le souffle s'élance
vers le ciel.
La sève salvatrice
s'élève,
chaude et nourrissante,
annonce de la bonne nouvelle.

Pourquoi ?
Parce que l'obscurité, la mort, le vide,
invitent au lâcher-prise,
à faire silence de toutes nos voix
pour laisser résonner le chœur des anges.

Que se passe-t-il quand une pensée cesse, 
là, maintenant ? 
Toutes mes prétentions cessent.
Je n'ai plus rien,
comme un pauvre erre
perdu au cœur de l'hivers.
Et pourtant,
"je suis".

Stages Smara Yoga

dimanche 23 décembre 2018

Comment être créatif ?



La plupart d'entre nous vivons d'autres vies.

Pas celle à laquelle nous aspirons.
Combien de romans, de projets morts en nous ?

Mais pourquoi ?

Le plus souvent, nous faisons notre deuil
en nous persuadant que nous n'avions pas ce rêve en nous.
Que nous ne sommes simplement pas fait pour.
Nous croyions être gros de telle oeuvre,
de ces mots magiques, là, entrevus en rêve...
mais ça n'était qu'un rêve.

Vraiment ?

Le véritable obstacle est la résistance.
Cette force insaisissable, ce mal impalpable
mais au pouvoir bien réel.
Le plus dur n'est pas d'écrire,
mais de s'asseoir.

Les méthodes, trucs et astuces pour faire le saut

sont légions. L'image est parlante :
nous trépignons sur le plongeoir,
nous nous faisons du mauvais sang,
nous ne passons pas à l'acte.

C'est pareil pour la spiritualité,

pour l'amour, pour parler à ceux que l'on aime
ou faire le premier pas d'une réconciliation.
Cette force mystérieuse...
Pourtant, l'expérience nous a appris
qu'une fois le seuil passé,
c'est moins dur.
Comme si autre chose prenait le relais.
Comme une transe chamanique,
comme un genre d'hypnose.
Comment changer de régime ?
Comment passer la vitesse ?
Chacun ses astuces, ses trouvailles et ses déceptions secrètes.

Pour moi, la vie intérieure est au cœur de tout ça.

C'est la même résistance.
On pourrait même dire, la même timidité.
Il faut un grain de folie pour plonger
dans le silence, 
pour s'immerger dans le ressenti du tréfonds.
Ici les échecs et les souffrances aident,
paradoxalement. 
Grandir en descendant.

Mais pour moi, la clé est d'agir sans savoir.

C'est extraordinairement puissant.
Face à la page blanche,
ça sort.
Comme si je n'étais qu'un simple canal.
Un instrument.
Je me vois transparent.
Plus de voile entre la Source et la page.
Bien sûr, je reste libre d'intervenir.
Je peux refuser des mots.
Mais ça coule. De source, si j'ose dire.
Le silence (?) propose, l'ego dispose.
Donc la source en premier.
Ecrire comme si on était fou.
Idiot. Bêtasse. Sans idées.
Les idées viennent.
Juste on oriente, subtilement.
Comme un chien qui flaire une piste.
Humer, capter le courant.
Ecrire sans savoir.
Voilà la clé.

Comme Vyâsa, comme Vâlmîki le premier poète,

nous sommes des sources inépuisables.
S'ouvrir, larguer les amarres,
se voir invisible, dépouillé,
translucide , tel une boule de cristal.

Pareil pour le reste.
Faire sans savoir.
Sans espoir ni attente d'un résultat.
Ou en laissant cette attente (sans doute inévitable)
à l'arrière-plan. 
Se laisser saisir par la curiosité
de voir ce qui va sortir du vide,
ce qui va naître du rien.
Sans savoir, là, dans l'instant.

De toutes façons, n'est-ce pas toujours ainsi ?

Tout acte jaillit du rien.
Alors pourquoi s'embarrasser
à faire comme si cela dépendait de nous ?
Laissons faire.

Stages découverte du Smara Yoga

samedi 22 décembre 2018

"Cela dépasse tout"


Une femme du XIIIe siècle décrit le ressenti viscéral, la vibration du cœur :

Porter l'amour, c'est lui être ouvert,
le désirer, aspirer à lui, 
le servir incessamment par la pratique incessante
d'une volonté ardente.
Sentir l'amour en revanche,
c'est en prendre conscience dans la liberté de l'amour.
Et être amour, cela dépasse tout.

Jésus, en la vision d'une prairie ornée de deux arbres,
indique à Hadewij une rose :

si tu es dans l'affliction, 
cueille une rose au sommet
et prends en pétale :
c'est l'amour.
Et si tu ne peux tenir,
prends l'intérieur de la rose :
c'est là que je te donnerai de ressentir ma présence.
Tu auras alors la connaissance de ma volonté,
tu sentiras mon amour
et dans la détresse, l'union fruitive.
Ainsi mon Père a-t-il agi avec moi,
qui étais pourtant son Fils.
Il me laissa dans la peine,
mais jamais ne m'abandonna :
je gardais le sentiment de la fruition
et je servis tous ceux
vers lesquels il m'avait envoyé.
Le cœur de la rose
est d'une telle plénitude :
c'est la fruition sensible de l'amour.
Pour tous ceux, Bien-Aimée,
 qui te font du mal,
viens en aide à leur nécessité, sans distinction.
L'amour te rendra forte.
Donne tout,
car tout est à toi.

(Hadewij d'Anvers, Visions, Première Vision,  trad. G. Epinay-Bugeard)

vendredi 21 décembre 2018

L'éveil est-il la fin du monde ?


 


"L'éveil est la disparition du monde" :
dans certaines traditions non-dualistes, l'éveil est décrit comme la disparition du monde, à jamais anéanti.
Le Vedânta par exemple considère que le monde est basé sur une erreur. Quand cette dernière est corrigée, c'est l'éveil, et l'illusion engendrée par cette erreur, cesse.
Tout simplement. 

Comment savoir si l'on est éveillé ? Tant que le monde est perçu, il n'y a pas eu éveil.

Evidemment, c'est très difficile à avaler. Car le monde ne disparaît jamais définitivement. Sauf à le prendre en un sens métaphorique, ce que le Vedânta ne fait pas toujours. Tant qu'il y a un sujet et un objet, disent-ils, il y a dualité et donc ignorance.

Mais est-ce vrai ? Qu'est-ce que l'éveil ?

Il y a bien des interprétations possibles, même si l'expérience est une.

Je dirais que le monde retourne à sa source. Puis il réapparaît depuis la source, mais consciemment pour ainsi dire. Car le monde n'est pas créé par l'ignorance. Bien sûr, il y a un aveuglement, un oubli. Sans cela, le jeu de l'indivi-dualité  serait impossible. Mais la dualité est désirée, librement, sans influence d'une mystérieuse ignorance. 
Oui, il y a ignorance, mais l'ignorance est librement assumée,
comme un roi qui joue à être son propre sujet. L'ignorance n'est pas première. Elle s'enracine dans une vertigineuse liberté.

Shiva dit que le monde est créé par la conscience :

[Dieu] engendre la création grâce à sa mère.

(Shiva-sûtra III, 18)

La Mère est la conscience.

Mais on peut aussi lire :

[Dieu] engendre la création grâce à sa propre subjectivité.

Ce qui n'est pas très différent. Ou encore :

[Dieu] engendre la création grâce à des aspects de lui-même.

Ce qui complète. Le Mystère crée en se manifestant à soi même, comme un lion qui se regarde dans un miroir.

Mais comme il n'y a rien en dehors du miroir de la conscience, il n'y a qu'une conscience. La mienne, la votre : c'est une seule et même conscience. Seuls les contenus locaux varient.

Réaliser cela, c'est créer tout. Quand je m'éveille à cette intuition, "je fais et je connais tout ce que je désire", puisque je me reconnais comme la source de tout ce qui arrive.
Le monde devient alors une manifestation de ma liberté.
Comme dit un commentateur : "Cette [nouvelle] création est le signe que l'on vit dans la liberté".

L'être ignorant, conscience qui vit localement dans l'oubli d'elle-même, est le jouet de ses pensées et autres énergies corporelles. Il n'est pas créateur. Il est créé.

Mais quand la conscience s'éveille :

[Le monde et le mental] détruits [par l'éveil] réapparaissent dans la conscience unifiante des fragments de l'expérience. (III, 25)

Nous réalisons dans une plongée profonde que nous sommes le miroir infini de la conscience. Puis les reflets réapparaissent, mais reconnus comme reflets dans le miroir. Et qu'est-ce qui se reflète ? La liberté absolue du miroir, car il n'y a rien en dehors de lui. 

Nous avons une "conscience unifiante" des éléments de l'expérience. Ces "éléments" ou fragments apparaissent, comme autant de "briques" du monde. Mais ils baignent dans la conscience dont ils semble surgir comme les vagues de l'océan.

Le monde et le mental sont donc recréés. Rénovés à partir des fondations :

L'univers est fait de ses Energies. (III, 31)

La dualité réapparaît sur fond d'unité :

Quand la séparation a été éliminée, [le yogin/la yogini]
s'adonne à une autre création. (III, 37)

Ainsi, l'éveil n'est pas la fin du monde, mais la fin d'un monde.




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