samedi 30 avril 2016

La vibration de la conscience selon le Dalaï Lama



Un livre vient de sortir du Dalaï Lama sur la méditation dzogchen. 
Le point-clé est le même que dans la tradition du cœur (kula), aussi appelée "shivaïsme du cachemire" : reconnaître l'intervalle entre deux pensées, se familiariser avec cette conscience transparente, puis reconnaître que les pensées, émotions, sensations, n'existent pas en dehors d'elle, mais surgissent d'elle, en elle, comme le jeu de cette conscience.

On peut découvrir cette conscience nue suite à un choc :


"Lors d'un choc, l'activité mentale s'arrête soudain. Par 

exemple, quand un chien aboie près de vous, vous êtes

 choqué au point de ne plus pouvoir penser, atterré... vous

 êtes alors délivré des pensées...mais sans tomber dans les

 pommes. Le champs de votre conscience est au contraire 

très clair....

Entre une pensée et la suivante, la continuité de la claire 

Lumière est ininterrompue." (p. 58)


Quand une pensée disparaît, c'est comme la mort, l'endormissement, l'orgasme ou l'éternuement. La seule différence est que, durant la méditation, nous reconnaissons que cette pensée disparaît dans la conscience nue, comme une vague dans l'océan, dit le Dalaï Lama. Puis, les pensées sont reconnues comme la vibration ou le jeu de la conscience :

"Si vous pouvez reconnaître tous les phénomènes comme le jeu, la vibration, ou l'effervescence de cette conscience intime qui surgit d'elle-même, il vous sera facile de voir que les phénomènes n'existent pas en eux-mêmes. Quand vous reconnaissez la conscience intime, aussi appelée 'vérité ultime', et que vous déterminez que tous les phénomènes du samsara et du nirvana sont sa manifestation, alors de ce fait vous comprenez que tous les phénomènes n'ont qu'une existence nominale, comme disent les textes philosophiques."

Ces "textes philosophiques", ce sont les textes de Nâgârjuna. 
Donc le dzogchen, donc le shivaïsme du Cachemire, pointent vers la même compréhension : reconnaître que tout est la manifestation d'une conscience sous-jacente permanente, qui n'est pas le produit de causes et de conditions, une conscience absolue.

Deux remarques au passage : 
1 - Le Dalaï Lama congédie ainsi le bouddhisme, ou en tous les cas ceux qui, parmi les Bouddhistes, voudraient nous faire croire que "l'absence d'existence propre" est le fin mot du dharma du Bouddha, à l'encontre de tout un pan du bouddhisme que ces gens, aveuglés par leur foi, se refusent à considérer.
2 - Le Dalaï Lama est très courageux. D'une bravoure incroyable même, du moins pour un personnage chargé de ses responsabilités. Car en disant tout cela, il trahit son école, l'école Guélouk, lui préférant la vérité. Ses déclarations ont du reste entraîné la querelle de Shougden, lors de laquelle un moine fut poignardé en pleine nuit non loin de la résidence du Dalaï Lama...

La différence principale entre dzogchen et tradition du Cœur est que cette dernière explore bien davantage cette idée de "jeu", ainsi que le rapport entre la conscience et ses manifestation, dans la notion de liberté.



Quoiqu'il en soit, le Dalaï Lama est un homme admirable, et je recommande chaudement ce livre, d'une clarté qui n'a d'égale que sa profondeur.


jeudi 28 avril 2016

Le troisième œil grand ouvert

Un miracle discret, gratuit... :



Maître !

Nous sommes l'offrande à ton troisième œil,

ton œil mystérieux, indéfinissable, ineffable,

ton œil qui est pourtant l'unique signe 

qui distingue ta majesté ineffable, 

mystère qui n'est pas de ce monde ! 6


A l'exception de toi

tout être dans l'univers

regarde à travers deux yeux.

Toi seul, seigneur souverain,

vois à travers un œil unique ! 9


Traduit du sanskrit : Outpaladéva, Hymnes à Dieu, X

N'est-ce pas évident ?
Simple, limpide :







mardi 19 avril 2016

Cercle de méditation partagée du dimanche 22 mai 2016

Shiva enseigne par le silence



Tout,
Vivant ou non, 
Apparaît dans l'espace.
Tout disparaît dans l'espace.
Que l'on se repose donc
Dans l'espace !


La Lampe du yoga du Soleil et de la Lune en dix chapitres, I, 28


Chers amies et amis,

Communier en silence, savourer ensemble la joie simple d'être.

Quoi de plus beau ?
Gratuit.
Limpide.
Profond.

Sur ce chemin, nous avançons jour après jour.
Pas de technique rigide, nous marchons sans savoir, en nous abandonnant à ce je-ne-sais-quoi insaisissable mais bien réel qui s'empare de nous quand nous lâchons prise.

Je vous propose de partager un moment de calme, 
sans rien faire, juste nous laisser faire.

Entrée libre. Tous sont les bienvenus pour ce temps de partage en silence, suivi d'un moment où chacun pourra, s'il le sent, partager son expérience, en sirotant un thé chaud.

C'est aussi l'occasion de découvrir la méditation et la vie intérieure, en toute simplicité, entre amis.

L'approche proposée est celle du tantra, mais dans une tradition peu connue, celle du Cachemire.
Concrètement, on médite comme Shiva et comme Shakti, Dieu et Déesse, selon deux attitudes complémentaires : chacune a ses points-clé pour la posture, le regard, le souffle, la manière de placer l'attention. Un état d'ouverture nous envahit ainsi naturellement.

N.B. : il ne s'agit pas ici de néotantra :)
mais d'une approche traditionnelle,
celle de la tradition du Cœur (koula en sanskrit).

Dimanche 22 mai 2016
de 15h à 17H

Pour s'inscrire et connaître l'adresse exacte :

deven_fr@yahoo.fr

A bientôt !

David Dubois

La posture de Shiva

Sculpture illustrant la méditation de Shiva


Dans ce passage, Abhinavagoupta semble parler de la manière donc la connaissance surgit dans l'espace de la conscience divine. Mais plus profondément, il décrit la pratique de la méditation de Shiva (shiva-mudrâ) et de la danse de la conscience (krama-mudrâ) :


Le Dieu terrible (bhairava) est conscience.
Quand il s'identifie totalement
au flot des vagues d'objets,
tout en restant orné de cette félicité qu'est le monde, 
il est alors comblé 
par ce pur débordement des choses,
des émotions et des êtres,
lui, dont la nature est (cette) Puissance (de création).
Quand son état de Maître de (cette) Puissance
dégénère à cause de sa pleine Puissance elle-même,
alors le flot de la connaissance,
qui est "prise de conscience", 
s'épanche.
En ce torrent de connaissance
une délectation ineffable
surgit, grâce à cette instruction secrète 
sur la (manière de) jouir (des choses).
Pour les êtres fortunés,
la totalité des jouissances, des expériences,
devient le royaume du Bien Souverain,
si elle est ressentie dans l'intimité
de cette pratique de la "conscience".

Abhinavagoupta, Méditation inspirée par le Tantra du Triomphe de la Déesse (Mâlinîvârttika), I, 42-45

Tout est en mon coeur



Le Chant du Bienheureux (Bhagavad-gîtâ) est aujourd'hui  le texte le plus populaire de l'hindouisme. Le tantra non-duel en donne une interprétation spéciale. Selon la tradition du Cœur (kula), en effet, Krishna est une incarnation de la Déesse, de la conscience universelle. 
Du point de la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijnâ), le verset le plus important de la Gîtâ est la première moitié du verset 15 du chapitre XV, qu'Abhinavagoupta explique ainsi :

"Et donc, après avoir expliqué cela à quoi il faut s'éveiller, (Krishna) dit ceci pour montrer le Soi, pour faire voir notre vraie nature qui est conscience libre et qui est ce à quoi il faut s'éveiller, qui est notre nature ultime, et qui est le Seigneur suprême, libre en son omniscience, agent de tous les actes :

Je suis pleinement présent
dans le cœur de tous et de tout.
Et de moi viennent
la mémoire, la perception et l'exclusion...

"Je suis le cœur de tout ce qui peut être su" : le cœur est la nature propre, la conscience libre qui embrasse tout. Et je suis  cette prise de conscience (vimarsha). Du cœur provient la Grande Création, c'est-à-dire les perceptions inédites (par opposition aux souvenirs ou à l'imagination, qui ne sont pas inédits et qui font partie de la "petite" création individuelle, basée sur et dérivée de, la "grande" création). "Ceci est un vase" : (une telle pensée) est en essence une fragmentation de l'état (où la conscience) est toute chose, (cette pensée est donc) une exclusion qui consiste en une cognition discursive, conforme au sujet qui consiste en Mâyâ, laquelle est la ("petite") création du sujet aliéné. Et la mémoire, c'est ressusciter un reste d'empreinte mentale qui avait été résorbé (en la conscience indifférenciée) : cela consiste à manifester à nouveau (telle chose perçue dans le passé), de sorte que toutes les cognitions résorbées peuvent ainsi (être manifestées à nouveau comme souvenirs). Voilà comment on affirme que (le Soi) est d'abord omniscient, avant de montrer qu'il est créateur, c'est-à-dire qu'il est absolument libre..."

Gîtârthasamgraha, XV, 15

Autrement dit, la conscience est la condition de possibilité de toute expérience, que ce soit de la perception sensorielle directe (jnâna), de la mémoire (smriti), ou des constructions mentales discursives (apohana, vikalpa) qui en dérivent. Et, plus qu'une simple condition de possibilité passive, indifférente à ce qu'elle rend possible (à l'image d'un miroir, indifférent aux reflets qu'il accueille), la conscience est "prise de conscience de", liberté créatrice, pourvoir de "se manifester comme" ceci ou cela, pouvoir souverain de se créer elle-même sans autre matière qu'elle-même et sans autre instrument qu'elle-même.   

lundi 18 avril 2016

Le désir en sa vérité

Au premier instant de tout désir, l'objet du désir ne fait qu'un avec celui qui désir. Voilà pourquoi le désir est un moyen de réaliser la non-dualité du sujet et de l'objet, la non-séparation entre Soi et l'Autre, entre nous et le divin.
Râmakantha, un disciple d 'Outpaladéva, explique :


"Le (désir) est la Puissance inséparable de Shiva. La compréhension de cette (identité)  est le moyen de réaliser en sa perfection la reconnaissance de la souveraineté du Soi. Et, dans (le verset des Stances sur la vibration, III, 11) "Grâce au désir de percevoir tous les objets", cette (Puissance de Śiva) est décrite comme "désir" (icchâ) parce qu'elle est semblable au désir naturel de l'homme ordinaire. Elle est désignée comme "désir" parce qu'elle est le moyen de comprendre cette (Puissance de Shiva). En effet, au moment où un homme est en état de désir, l'objet qu'il désire est absolument identique à son essence propre. De même, le monde - ce tableau merveilleux fait d'une infinité d'apparences particulières - repose dans la Puissance de Dieu, absolument identique avec son essence parfaitement indifférenciée. Telle est cette condition de Shiva en sa vérité (paramârthasatî), célébrée en ces termes par ceux qui le connaissent :

"Hommage au Maître qui se délecte
toujours dans la création,
qui prend toujours ses aises dans l'existence,
et qui toujours se réjouit
de reprendre (en lui) les trois mondes."

Et dans La Reconnaissance du Maître :

"Cette intuition qui chatoie
à travers la danse des choses
et le Maître des maîtres,
le sujet qui est conscience
atemporelle et infinie."


Râmakantha, Explication de la Vibration, I, 1

La citation des Stances sur la Vibration est une allusion à la pratique de la méditation de Shiva (shiva-mudrâ), les yeux et les sens grands ouverts, comme béants, suspendus dans un instant d'étonnement, l'attention éclatée, ouverte, diaphane, dilatée. Ce que l'on peut illustrer par cette image d'un adepte du dzogchen, une tradition apparentée au tantra non-duel :


Au lieu de laisser éclater l'attention dans l'espace, sans limite, on peut aussi retourner l'attention. L'expérience est la même. Retournez l'attention dans la direction indiquée par le doigt :


samedi 16 avril 2016

Méditer comme Dieu

Le maître légendaire, fondateur de la tradition du Cœur,
sur son poisson, symbole de l'énergie sexuelle,
et avec sa ceinture de méditation


La grande pratique de méditation dans la tradition du Cœur est la "méditation de Shiva" (shiva-mudrâ). "Cache dans tous les tantras comme le miel dans les fleurs", elle est leur cœur des traditions du Cœur (kula). Flottant dans l'espace sans limite, les sens grands ouverts comme une maison ouverte à tous les vents, tout est lâché; décroché, comme dans un vertige irrésistible, une ivresse infinie :



Errant sous le coup

de l'ivresse de ton amour,

je veux voir tout ceci,

le monde entier,

comme étant Dieu 

à travers mon corps, ma parole et mon esprit.

Et aussi, que toutes les actions

soient une adoration !


Outpaladéva, Hymnes, VII, 8


Selon l'Explication de Kshémarâdja, c'est la méditation ou 
geste de Shiva qui est évoquée ici.

mercredi 13 avril 2016

Pas d'action sans désir





Selon l'Advaïta Védânta, l'action est une illusion projetée sur la conscience par l'ignorance (avidyâ). Mais il n'explique pas comment l'action est possible, ni d'où vient cette ignorance. Qui est ignorant ? Ça ne peut être la conscience (cit, brahman), par définition étrangère à toute ignorance. Ça ne peut être l'individu (jîvâtman), puisque l'individu est lui-même un produit de l'ignorance.

La philosophie tantrique de la Reconnaissance (pratyabhijnâ) répond que le monde est le désir de la conscience, ou plutôt, que la conscience est ce désir même, qui se manifeste et se cristallise, à l'image de l'eau qui gèle.
Autrement, impossible d'expliquer la manifestation de l'action, du monde, de la différence. Or, ce qui se manifeste doit être possible. Rétorquer, comme le fait le Védânta, que l'action est une manifestation inexplicable est une réponse... absurde, pour le moins. De plus, pour qui cette manifestation est-elle inexplicable ? 

La réponse juste consiste donc à dire que c'est la conscience qui se manifeste comme action, comme monde, comme individu.
L'unité de la conscience est réelle, et le Védânta a raison sur ce point. Mais si cette conscience est dépourvue du désir d'agir, comment expliquer l'action ? Et d'où viennent les différences ? 
Comme dit Abhinavagoupta :

"Même si l'on admet que l'unité de la conscience est réelle, il reste impossible d'expliquer son action, c'est-à-dire le fait qu'elle est un agent (kartâ), ce qui consiste (pour elle) a assumer des formes différentes. 
Si, par contre, (la conscience) est liberté définie comme un pouvoir de faire retour sur (soi et sur les choses), alors tout s'explique ! Car ce pouvoir de faire retour sur soi est un désir d'agir. Et tout ce qui peut être créé existe en ce (désir d'agir), à l'état quasi indifférencié, (comme au premier instant d'un désir) (...).
C'est donc le Maître des maîtres qui se manifeste soi-même, comme monde, comme toute chose. (Tout cela est) réel, est en réalité Lumière-conscience, ne perd pas (pour autant) son unité avec la Lumière-conscience. (La conscience manifeste ce monde) de manière duelle qui, en sa vérité ultime, est Lumière-conscience. 
Telle est ce que l'on nomme sa souveraineté, sa liberté, définie comme son pouvoir de faire ce qui est est plus que difficile."

Méditation sur la Reconnaissance, II, 4, 20

La conscience est donc liberté, désir, sans quoi elle ne serait qu'un autre nom pour la matière inerte. 
Par où l'on voit aussi que le Védânta n'est, à l'image du spinozisme et de ses imitations contemporaines, qu'une sorte de matérialisme.

mardi 12 avril 2016

Le monde n'est pas une illusion inexplicable



Selon le non-dualisme exclusif (kevala-advaita) de Shankara, le monde est une illusion, c'est-à-dire une entité inexplicable (anirvacanîya - l'expression est de Mandana, mais elle a été adoptée par le Védânta dans son ensemble) : en effet, le monde n'est pas un pur non-être, car il apparaît. Mais il n'est pas non plus de l'ordre de l'être, car il ne résiste pas à un examen rationnel : quand on l'examine au moyen de la raison, et non pas seulement des cinq sens, il se révèle être évanescent, et donc dépourvu de substance, de la même manière que le serpent "disparaît" quand on le regarde de plus près, et que seule subsiste la corde.
Dans cette perspective, le monde est donc une illusion inexplicable, sans cause ni raison. Le monde n'a aucun rapport avec son substrat, l'absolu (brahman). Il vient pour ainsi planer sur lui, sans que l'on sache son origine ou sa cause. La seule réponse de cette forme de non-dualisme à la question de l'origine du monde et de la vie consiste donc à montrer que la question est une fausse question. Quand on demande à Shankara quelle est la cause de cette ignorance (avidyâ) qu'est ce monde, Shankara répond, en substance, que cette question elle-même présuppose cette ignorance, et qu’elle fait partie du monde illusoire projeté par l'ignorance ! 

Mais ce genre de réponse, pour séduisant qu'il soit par son côté radical et surprenant, ne peut manquer de nous laisser sur notre faim. Car la théorie et la pratique, le droit et le fait, sont ainsi séparées par un abîme : le monde apparaît, mais il n'existe pas... Et à chaque instant, la manifestation du monde contredit son inexistence théorique. Qui peut, sérieusement, adhérer à ce genre de paradoxe et fonder sa vie sur lui ? 
De plus, selon ce non-dualisme, le monde est exclu du réel. Il n'est qu'un fantôme sans relation avec la conscience, avec l'absolu. Il y a donc bien, inévitablement, une sorte de dualisme ici : d'un côté la conscience pure, sorte de spectateur passif ; et, de l'autre, le "jeu" des apparences, sorte d'énigme totalement irrationnelle. La logique sous-jacente est la même que celle du madhyamika bouddhiste qui, ici encore, semble avoir inspiré cette forme de non-dualisme.

Le non-dualisme inclusif, en revanche, c'est-à-dire le tantra non-duel, la philosophie de la Reconnaissance, encore appelée "shivaïsme du Cachemire", voit le monde autrement : le monde est une manifestation de la conscience. Il n'est pas une projection mystérieuse, venue d'on ne sait où, étrangère à la conscience, mais une libre création de la conscience, qui désir et agit. Cependant, elle ne manifeste ainsi rien d'autre qu'elle-même, car il n'y a rien et ne peut rien exister en plus de la conscience et en dehors d'elle. La seule hypothèse restante est donc que c'est la conscience elle-même qui se manifeste comme monde, comme vous et moi. Ou plutôt, c'est moi, conscience libre, qui me manifeste comme monde, comme individus, qui me désire ainsi, qui me crée ainsi. Le monde est le mystère de la liberté, mais c'est un mystère dont chacun fait l'expérience intime à chaque instant : chacun fait l'expérience de l'autonomie de la conscience, même si cette liberté semble limitée. 
Mais surtout, le monde est ainsi le visage de la conscience, sa libre création, son jeu, bref quelque chose de positif et d'intimement lié à la conscience, comme les vagues le sont à l'océan ; ou plutôt, comme le corps d'un amant, selon l'exemple de la tradition du Cœur (kula).
Selon Kshémarâdja, un maître de cette approche, le monde n'est donc pas dans la conscience comme un caillou sur le sol, car le sol n'a aucun rapport intime et vivant avec le caillou : il ne le ressent pas. La conscience, en revanche, sent les choses. En fait, c'est en se sentant qu'elle engendre les choses. Puis, en se sentant comme chose, elle engendre encore, et ainsi de suite. C'est ce que dit Kshémarâdja dans ce passage justement célèbre :

"Le (monde) ne sort pas de la (conscience) comme des noix qui tombent d'un sac, par exemple. C'est bien plutôt le Seigneur lui-même, (c'est-à-dire la conscience), qui existe en (se) manifestant librement comme monde, en son propre fond, à la manière d'une ville reflétée dans un miroir, comme si (ce monde) était quelque chose de plus (que lui), alors qu'il n'est rien de plus (que lui)."

Commentaire aux Stances sur la Vibration, 2

Le monde n'est pas seulement manifesté par la conscience, comme la terre est éclairée par le soleil. Il est la conscience qui se manifeste comme monde. C'est toute la différence entre le non-dualisme exclusif, d'une part, qui est une sorte de matérialisme, puisqu'il ne parvient pas à toucher l'essence de la conscience ; et le non-dualisme inclusif, de l'autre, qui reconnaît le cœur de la conscience : la conscience comme liberté, comme désir, comme acte, comme réflexion, comme pouvoir de se ressaisir comme, au lieu de se borner à être.

Les conséquences sont abyssales.

samedi 9 avril 2016

Un seul être !



La conscience est la même en vous et en moi, car elle n'a pas de forme ni de couleur, car elle se manifeste en toutes les formes et en toutes les couleurs. L'autre, c'est moi qui s'identifie à un corps différent. Il n'y a pas d'autre que moi, jouant librement à m'identifier à Dieu ou à un insecte.
Cette unité est le fond réel de l'amour et, donc, de l'altruisme.

Abhinavagoupta explique :


"L'altérité (des individus) a une seule cause : les circonstances accidentelles comme le corps (, les sensations et les états mentaux). Or, quand on les examine, ces circonstances ne sont pas 'autres' (que le Soi, que la conscience, puisqu'elles n'apparaissent pas indépendamment d'elle). La totalité des sujets est en réalité un seul Sujet. Lui seul existe ! C'est ce qu'a dit (Outpaladéva) :

'Seule existe la Lumière conscience,
qui se manifeste comme 'soi' et comme 'les autres'.

Et donc, depuis l'Être suprême jusqu'à l'insecte, c'est en vérité un seul Sujet qui perçoit (en s'identifiant à ces corps et à leurs limites). Et il en va de même pour l'agent (: c'est moi qui fait tout, depuis les œuvres de Dieu jusqu'à celles des insectes)."

Abhinavagoupta, Méditation sur la Reconnaissance, I, 1, 4

mercredi 6 avril 2016

L'amour de Dieu pour la Déesse



Tout est engendré par l'union et la séparation de Dieu et de la Déesse.
Abhinava explique le secret de leur amour :

Shiva prend conscience de Shakti, c'est-à-dire de lui-même, et engendre ainsi dix-huit modes de conscience symbolisés par les voyelles de la Langue parfaite. A la fin de cette extase intérieure, il y a finalement une création, Shiva et Shakti sont face à face, dans le son "hhhh..." représenté par deux points : : (:)).
Mais leur séparation est unité, symbolisée par un point, la résonance nasale "mmm..." (comme dans "ommmmm...") :

"Alors la conscience retourne à la conscience,
elle retrouve sa forme propre,
celle du Point originel.
Il y a alors - c'est vrai ! -
une extase créatrice, une "création en Shakti",
comme la nomme la Tradition.
L'émanation de cette extase créatrice
est la dix-septième énergie
(qui embrasse en elle les seize énergies symbolisées
par les voyelles et les phases de la Lune :
le Point est donc aussi la Pleine Lune).
La Dix-huitième énergie est la même énergie,
mais excitée par son union (avec Shiva)."

Ici, le vocabulaire est entièrement sexuel : "extase créatrice" (visarga) signifie, littéralement, "éjaculation". Quand la conscience atteint la plénitude, elle crée. Comme elle est, en vérité, la plénitude même, elle est création, de même qu'il est dans la nature de la mer d'être parcourue de vagues. Mais continuons notre lecture :

"Telle est la Shakti ultime,
la puissance du Corps (cosmique et individuel),
essence de Dieu transcendant !
D'elle, naît ce monde..."

Excitée par Dieu, elle engendre.
Cette union est symbolisée par le Sceau de Salomon.
Ses six côtés son les six chakras.
Mais comme c'est une seule unité qui vibre ainsi et qui s'accouple à elle-même
par elle-même, il y a un point au centre, le Point de la plénitude.
Car tout cela est le débordement d'une seule perfection,
une ébullition gratuite, qui n'a d'autre mobile que l'amour (sneha) :

"Et cette (extase créatrice) est
toujours en train de fulgurer en Dieu.
Elle est Dieu !
Il est la Shakti du Centre,
la plénitude du flot
de toute chose
qui gisent (d'abord) en lui (à l'état latent).
Il est la beauté de la félicité qu'est le monde,
engendré par sa nature même,
par l'excitation de son désir.
Ornée par cette extase créatrice 
en sa pleine plénitude,
il se manifeste clairement
sans interruption.
On dit que cette fusion sexuelle
de Shiva et Shakti
est amour."

Abhinava, Explication du Tantra du Triomphe de la Déesse, I, 887-895

Et Abhinava ajoute, dans un souffle... 
"Et c'est pour prendre pied dans cette pleine extase créatrice que l'on pratique la tradition des étreintes et du barattage...", faisant ainsi allusion au Vijnâna Bhairava Tantra.

dimanche 3 avril 2016

Méditer comme Shiva et Shakti




"Je dis maintenant la pratique
qui fait mourir la Mort...
D'abord, contracte la Roue du Fondement,
et concentre-toi sur le centre sexuel
pendant un instant (intense).

Puis comprime (le souffle)
en les faisant fusionner."

Il s'agit de retenir sa respiration, tout en contractant légèrement les muscles autour du coccyx. C'est la "fusion", l'union intime (samghatta) des énergies vitales du Haut (Shiva) et du Bas (Shakti).

"Ensuite, tu perceras la Gorge.
Puis, comblé par le nectar 
qui s'en écoule,
tu vaincra la Mort,
à n'en pas douter !"

Concrètement, on retient sa respiration en contractant doucement l'anus, puis, on relâche subitement le souffle qui part "comme une flèche" vers le haut, qui "transperce" la gorge, laquelle fait le son "hhhhh...". L'énergie se répand dans l'espace, offerte à l'espace, comme si elle sortait par tous les pores de la peau. L'espace est comme une lune située au-dessus de la tête, une lune de lait qui, chauffée par le feu de l'énergie vitale qui explose ainsi, répand son ambroisie dans tout le corps, dans tout l'être, jusqu'au moindre pore, dans toutes les articulations.



...
"Tu placeras d'abord
la langue au centre (de la bouche),
dans le vide, flottante,
sans que les dents et les lèvres ne se touchent.

Si tu laisse tomber tout contact
(entre la langue, les lèvres et les dents),
tu vaincras la Mort,
c'est certain !
Tel est le yoga de la Victoire sur la Mort,
sans équivalent dans le passé 
comme dans le futur !"

Tantra de la Déesse Koubjikâ, 23, 158-162

Concrètement, on reste les yeux ouverts, la bouche grande ouverte, la langue flottante, comme si on était sur le point d'avaler l'espace devant soit. C'est la méditation de Shiva.

Il y a donc d'abord la méditation de Shakti - la rétention du souffle avec la contraction de l'anus -,
puis la méditation de Shiva - l'explosion de l'énergie offerte à l'espace, les sens grands ouverts, comme si l'on était transparent : et l'on est, en vérité, transparent !

Voilà comment méditer comme Shiva et Shakti selon la tradition du Coeur.

samedi 2 avril 2016

La pratique de l'union sexuelle, à deux et seul

yonimoudrâ



Dans la tradition du Cœur/Corps (kula), il existe bien des branches, comme d'un immense figuier juteux. L'une d'elles est celle de la Déesse Koubjikâ, "celle qui est contractée". Elle est la conscience, l'énergie sans limite, qui pour "entrer" dans le corps, doit se contracter, se lover, d'où son nom de Koundalinî. Elle gît dans le chakra de la Cité des Joyaux (manipura), juste au-dessous du nombril. Par la pratique de l'union sexuelle ou de l'observation du souffle, elle se détend et retrouve son immensité verticale, elle se redresse, se dilate à l'infini :

"Le (yogi/yogini) doit observer son propre corps...
Ecoute, Déesse !
Je vais te dire clairement l'Envol de la Shakti :

Le Germe suprême, appelé "hamsa"
habite le (chakra du) Cœur.
Si on n'en a point l'expérience,
on ne sait rien !"

Le Hamsa est l'âme individuelle, qui habite dans la Roue du Cœur, entre Shakti, en bas, et Shiva, en haut. Hamsa désigne une espèce d'oie sauvage qui migre chaque année, à l'image de l'âme qui transmigre de corps en corps. Hamsa désigne aussi la respiration : l'expir est Shakti, l'inspir Shiva, et l'Âme ou le Soi est l'intervalle entre eux, ou la conscience individuelle qui naît de leur interaction. Ainsi, tout se résume à la triade : Dieu, Déesse et Âme : le Père, la Mère, et leur Enfant. Telle est la base d'une autre branche de la tradition du Cœur, celle de la Triade (trika) ou de la Déesse Suprême (parâ). 

Mais en réalité, il n'y a qu'une énergie qui assume ces trois aspects, un point qui devient un triangle, un "deux en un", une Résonance, une Vibration qui, en palpitant à la vitesse de l'infini, devient simultanément Union et Séparation, unité et dualité, mouvement qui, en se ralentissant, devient la respiration et la totalité des mouvements de l'énergie vitale, comme prendre et rejeter. Il faut reconnaître tout cela dans l'expérience :


"Ô Toi qui a de belles fesses !
Ce Germe (présent dans le Cœur)
a trois formes :
la Résonance, l'Union et la Séparation.
On doit en faire l'expérience
avec la plus grande attention".

Et ces trois formes sont les formes d'une seule Conscience, d'un seul Acte conscient, fluide, dynamique, libre :

"Cette triple Conscience est
le Soi, Shiva et Shakti.
Cette Conscience aux trois facettes
n'est jamais fragmentée !


yonimoudrâ


Ô ma Belle !
C'est donc une métaphore,
de dire qu'elle est
Dieu comme Hamsa (dans le Cœur),
en bas (Shakti) et en haut (Shiva)."

Le Soi se met à vibrer dans le Cœur. Un seul point devient deux points : une ligne droite, entre le Bas et le Haut, entre Shakti et Shiva. Entre les deux, le Chemin du Centre, axe de toutes les expériences possibles, porteur de tous les états de conscience.

"Quand la Shakti suprême se contracte,
Shiva se dilate, dit la tradition.
Le Soi habite toujours entre eux,
porteur de l'Octuple Cité."

L'Octuple Cité, c'est l'univers, avec les cinq Eléments, le Soleil, la Lune et le Soi. Ou bien, à l'échelle individuelle, ce sont les cinq sens, le mental, l'intellect et l'ego.

"L'état de Dilatation (de Shiva), c'est le Haut du Chemin (du Centre).
L'état de Contraction, c'est le Bas.
Entre le deux se trouve le Nombril.
Bien rare est la compréhension de ces trois (aspects) !"

Dans le Nombril se trouve la Roue de la Cité des Joyaux (manipoura), d'où la Shakti prend son Envol : 

"En fermant le Haut du Chemin du centre
et le Bas aussi,
le (yogi) doit placer l'attention au Centre",

c'est-à-dire au Nombril, ou entre l'expir et l'inspir...

"...et pratiquer là le Barattage (manthana).
Le Linga est au centre du Yoni,
contenu dans l'espace du Yoni.
En leur centre,
on contemplera le Soi,
encore et encore :
voilà ce que l'on nomme le Barattage,
capable d'anéantir l'impureté
de l'ignorance.

C'est vrai !
Au moyen de ce Yoga du Barattage du Centre,
s'embrase le Feu de la Connaissance.
Or, quand il flamboie,
une Lumière jaillit en lui
et grandit.
Quand cette Lumière totale
est parfaite,
naît la Félicité.

Quand Linga et Yoni
se frottent l'un à l'autre (dans le Barattage),
naît la Félicité.
De même, quand Shiva et Shakti
se frottent l'un à l'autre,
la Félicité
est engendrée.
Et alors, Déesse, naîtra aussi
la certitude de l'unité
de Shiva et Shakti.
Tel est le Barattage
qui engendre le nectar immortel.
On ressentira que ce nectar
inonde le Soi,
ma Belle !

Telle est l'expérience ultime,
l'être suprême, dit la tradition.
Et voici aussi l'Immense en sa transcendance,
définit comme Félicité.
Et voici aussi la Félicité qui dépasse toute félicité,
l'Envol de la Shakti.
Telle est la tradition,
tel est le secret de (la Roue) de la Cité des Joyaux
que je t'ai révélé..."

Tantra de la Déesse Koubjikâ, XII, 53-67

On pourrait dire encore bien des choses à ce sujet. 
A chacun de méditer ces paroles...

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