lundi 27 septembre 2021

Comment garder l'attention vers le centre ?


 Le trésor se trouve ici. Au centre de mon être. Je n'ai qu'à pointer mon attention vers le centre, le cœur des choses, ici, ce cœur plus proche de moi que tout le reste.

Mais comment faire ? Comment garder l'attention centrée, alors que l'attention est sans cesse distraite, fragmentée, tiraillée de-ci de-là ?

En disant "je". 

Le centre a bien des noms. Tous les noms vont à cet espace, ce vide, cette lumière. On peut certes le comparer à tout. Une pierre, un éclair, une vague, une épée, un aigle... Mais le meilleur de ces noms est "je". C'est le nom qui pointe directement vers le centre. Or, nous sommes naturellement "égoïstes". Nous sommes naturellement égocentrés. Le mot, le mantra "je" est donc un nom précieux. Il pointe naturellement vers la Source.

Nous n'aimons par l'argent pour l'argent. Nous n'aimons pas le pouvoir pour le pouvoir. Nous aimons tout cela parce que nous nous aimons. Il y a cet amour de soi derrière tout amour. Mais cet égoïsme est le signe que notre essence, notre Moi, notre Soi, désigné par le mot "je". 

C'est donc vers "je" que j'oriente mon attention. L'ego est ce Soi, mais confus, mélangé, confondu, dispersé. Quand je plonge de toute mon attention vers moi, alors ce Moi se clarifie et ce n'est plus un ego que je trouve, mais le Soi. Un moi, oui, mais vaste, immense, spacieux. Et surtout, une joie sans forme, qui ne dépend de rien. Un Moi qui n'est plus rien, ouvert pour tout, un Moi-mystère de joie. 

Quand je me tourne vers "je", je découvre la paix et l'amour. "Je" est le premier nom du mystère. Il n'est pas le seul. Mais il est le premier. 

"Je suis je" : que se passe-t-il alors ? Quelle est mon expérience ? Quelle est votre expérience ?

Je récite, en quelque sorte mentalement "je.. je..." comme une pulsation. Puis très vite, il n'y a plus de mots. Seule une résonance d'amour et de félicité. L'ego est éclaté. Demeure un silence vibrant, un silence habité, dans lequel le corps frémit de joie.

Quel secret incroyable ! La source est ici. En amont. Pour détruire l'ego, source de tous les malheurs, il suffit de plonger en soi ! Dire mentalement "je", c'est rejoindre l'essence, se rejoindre, reconnaître ce qui a toujours été présent. C'est se réveiller.

Je dis" je". Pleinement. Doucement. Et irrésistiblement, une énergie s'éveille, qui dissout l'ego et ses mille soucis. Mais, comme c'est moi, c'est aussi moi, encore plus moi, et que je suis naturellement égocentré, eh bien l'attention est naturellement orientée vers moi, vers le Soi... Ainsi, l'attention devient continue. Pourquoi ? Parce que je suis naturellement aimanté vers moi, vers ce Moi est est en réalité pur amour, pur silence, pure joie.

S'éveiller à soi, c'est s'oublier. S'oublier, c'est se retrouver nu dans la lumière qui unit tout. Une mort et une renaissance. Perdre un rien pour un tout.

Plonger dans la sensation d'être, "je suis je", c'est faire éclater ses limites. 

Ramana dit "même si vous ne faites rien de plus que réciter sans cesse 'je...je'...' en plongeant votre attention en cela, cette pratique vous mènera à la source de l'ego illusoire..."

Oui, cela suffit. Que cela soit notre mantra, notre prière, notre méditation, notre pratique, notre vie.

jeudi 23 septembre 2021

La merveille, merveille des merveilles

David Taylor


 Il n'existe rien en dehors de la conscience. Rien de séparé de la conscience.

Mais peut-être la conscience est-elle divisée par ce qu'elle contient ? Peut-être la conscience est-elle déchirée, divisée, séparée d'elle-même ? Toute conscience, en étant "conscience de", n'implique-t-elle pas une différence indépassable ?

Abhinavagupta répond, en substance, dans sa Grande Méditation :

L'idée d'une division dans la conscience ne peut pas non plus être prouvée. En effet, dans la conscience, qui n'est que lumière/manifestation, les 'différences' engendrées par des entités autres que la conscience, c'est-à-dire des choses qui seraient plus que la seule et unique conscience, sont nécessairement autres que manifestes, puisqu'elles ne sont pas la Lumière/manifestation qu'est la conscience. Il s'ensuite fatalement que ces différences intérieures à la conscience ne sont pas conscience. Dans ce cas, comment pouvez-vous affirmer qu'elles existent ? Elles ne se manifestent pas ; ou alors, elles ne sont que des concepts dans la conscience. 

Et si ces objets, ces différences, sont bel et bien conscience, alors elles peuvent certes apparaître, et nous pouvons en parler. Mais, dans ce cas, elles ne peuvent être autre chose que conscience, l'acte même de leur manifestation. Les rayon du soleil ne sont que lumière, sans quoi ils ne seraient rayons ni soleil.

La seule explication aux différences est donc que c'est la conscience elle-même qui se manifeste comme divisée, mais sans se diviser en elle-même, sans quoi cette division elle-même ne pourrait se manifester, ni être, ni exister, ni apparaître, ni même être illusion, concept, imagination ou n'importe quoi d'autre.

La conscience n'est donc pas divisée par les objets qu'elle manifeste en son sein.

Plus encore : la conscience reste une juste dans sa manifestation de la dualité. Elle n'est pas séparée des différences, bien qu'elle englobe et dépasse ces différences. 

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Elle se révèle jusque dans son absence et s'absente au moment même de sa pleine présence.

Voilà pourquoi la conscience est dite "libre" et source d'émerveillement, de joie et d'ivresse pour elle-même, et pour chacun des individus en qui elle multiplie son unité primordiale.

C'est en ce fond frémissant qu'il s'agit pour moi (le Moi qui dit "moi" en vous, en nous) de replonger. Encore et encore, et encore. Et encore. A jamais.

C'est comme le passage de l'écoute d'une mélodie à l'écoute de son arrière-plan. Revenir au murmure, au silence, à l'au-delà, si loin qu'il n'est plus ailleurs mais au cœur de tout bruit comme de toute parole.

La conscience est généreuse, la merveille des merveilles, l'extase à portée de chaque instant.

Les choses ne s'ajoutent pas à la conscience. Elles ne sont pas DANS la conscience. Elles SONT conscience, lumière, présence, acte d'être, extase de s'éprouver sans jamais pouvoir se prouver en rien de limité ni de définitif. 

Les choses ne cachent donc pas la lumière qu'elles sont. Et pourtant : si, comme un joyau enveloppé dans son propre éclat. Elle se révèle en se cachant, se cache dans son apparaître même. 

Nourri de ce pain de vie, il n'y a plus qu'à s'abandonner en éternelle gratitude.

L'artiste, c'est elle : la conscience, la déesse, le danseur, le maître des saveurs et des émotions, l'origine, la moelle et la fin de toutes choses. L'un qui se multiplie en unité, qui s'unifie en des multiplicités toujours plus multiples et, pourtant, à jamais plus fortes en unité. 

Elle est le plus haut et le plus bas. Nul ne peut s'élever si haut qu'il ne la découvre encore plus haute. Nul ne peut s'abaisser si bas qu'il ne la trouve encore plus humble.

Elle est avant l'avant, après l'après, au centre du centre, plus une que toute unité, plus différente encore que toute différence, plus éloignée que le plus lointain, plus intime que le plus proche.

Inépuisable, elle épuise toutes les langues en les fécondant des gouttes de son océan bouillant. Insatiable, elle n'en finit jamais de créer et d'engloutir, de donner et de reprendre, de s'oublier et de se réveiller. Son existence est un jeûne perpétuelle, une grossesse de chaque instant et une imprenable virginité.

La merveille des merveilles.

jeudi 16 septembre 2021

Le Clair de lune - 2


 Suite et fin sur un petit texte extraordinaire : Le Clair de lune (Candrāvalocana), sur la principale pratique de méditation du Tantra traditionnel, la méditation de Shiva (shâmbhavî, shiva-mudrâ).

Cet enseignement s'inscrit clairement dans la tradition du Kaula Tantra, une tradition ésotérique à l'intérieur du Tantra, une tradition qui met l'accent sur le corps, le souffle, l'expérience intérieure et la spontanéité. Elle aurait été révélée aux humains par Matsyendra, un pêcheur de l'Assam en Inde. Selon la légende, il aurait été avalé par un poisson qui l'aurait amené jusque sur une île fabuleuse où il aurait entendu l'enseignement de Shiva à propos de la liberté en cette vie même (jîvan-mukti), idéal de liberté spirituelle incarnée.

Après avoir décrit la méditation de Shiva, le dieu révèle à présent d'autres aspects de cette pratique, mais à travers le langage initiatique du Kaula Tantra. Ce texte, abîmé par le temps, n'est pas toujours clair. 

Les termes Kaula à propos desquels Matsyendra interroge le dieu sont d'abord ceux qui concernent la pratique de l'union rituelle :

- kâma-tattva, le principe du désir. C'est l'expérience du plaisir jusqu'au moment de l'orgasme.

- visha-tattva, le principe du poison. C'est l'expérience qui suit l'orgasme, pendant laquelle les variations hormonales entraînent un sentiment de paix, de repos, voire de mélancolie et d'absence de désir. C'est le "poison" de la tristesse qui suit l'orgasme ordinaire.

- niranjana-tattva, le principe du transparent. C'est l'expérience de la présence qui englobe les deux expérience précédentes du goût et du dégoût, de la passion et de la désillusion.

De manière générale, une clé du Kaula Tantra est de réaliser l'harmonie des aspects opposés ou en conflit. Ici, réaliser l'harmonie de la passion sexuelle, avec sa part d'aveuglement, et de la lucidité qui suit l'orgasme, avec sa part de désillusion. La passion n'est pas la vérité. Mais le dégoût qui conduit à un dégoût passager non plus !

Ceci est vrai pour tous les couples d'opposés : forme et sans forme, bruit et silence, activité et repos, veille et sommeil, vie et mort, élan et découragement, etc.

Le dieu révèle ce même chemin de l'harmonisation à travers un autre schéma symbolique, celui de la lune, qui s'applique ordinairement à l'écoute de la respiration.

Mais ici, ces deux schémas traditionnels, celui de l'union rituelle et celui de l'écoute du souffle, sont interprétés dans le cadre de la pratique de la méditation de Shiva. C'est donc cette pratique qui est décrite principalement ici.

"Le Grand Seigneur dit :

La nouvelle lune, la lune sombre et la pleine lune

sont cachées [de part leur sens ésotérique].

[De même], le désir, le poison et le transparent

sont le contexte de toute [la pratique].

Matsyendra demanda :

Ô Bienfaisant !

Comment donc est dévoilé le sens symbolique

et l'explication [des mots comme] la nouvelle lune, 

la lune sombre et la nouvelle lune ?

Le Grand Seigneur répondit :

La lune sombre, c'est rester les yeux grands ouverts.

La lune nouvelle, c'est garder les yeux vers le bas.

La pleine lune, c'est regarder droit devant soi.

Matsydenra demanda :

Que signifie le mot 'désir' ?

Et le mot 'poison' ?

Explique en vérité le sens du 'transparent' !

Le Seigneur répondit :

La lune sombre et la nouvelle lune

dévorent le temps.

La pleine lune stabilise [le temps ?].

Tel est l'unique voie.

Le 'désir' désigne le désir des objets des sens. 

Le 'poison' est ce en quoi le désir se résorbe.

Quand on se détache des deux, 

on s'en remet assurément au transparent.

Que l'on renonce à tout l'inférieur,

si l'on aspire à la réalisation du Soi.

Autrement, même si l'on est immortel (...).

On doit poser l'attention au centre de la Shakti,

et la Shakti au centre de l'attention.

Quand on contemple l'attention avec attention,

on contemple l'état ultime.

Matsyendra demanda :

Qu'est-ce que le germe ?

Qu'entend-on par 'cible du bindu' ?

Comment expliquer véritablement

ce qu'est le 'bindu' ?

Le Seigneur répondit :

Le germe, c'est l'attention/le mental,

cause de l'apparition et de la subsistance [des expériences].

Ce qui est engendré par l'attention/le mental,

c'est le bindu, comme le beurre est extrait du lait.

Matsyendra demanda :

Du sommet de la tête à la pointe du nez,

il n'y a que plaisir et douleur.

Comment donc trancher le lien 

de la cavité du palais et le faire fondre ?

Le Seigneur répondit :

Cela n'est pas au centre du lien 

ni relatif au mental comme cause (?).

Là où se trouve la Shakti depuis le centre de la lune,

là se trouve le lien.

L'ayant repéré, il faut percer le canal central

et aller (?) à gauche et au centre.

Il faut ensuite stopper le bindu

au-dessus de la tête.

Matesyendra demanda :

Explique-moi le principe et la nature

du bindu et révèle-moi les six chakras !

Le Seigneur répondit :

Le Support, le Fondement de soi, la Cité de joyaux,

le Son spontané, le Pur, le Commandement :

tels sont les six chakras.

Le Support est l'anus, le Fondement de soi est le sexe,

la Cité des joyaux est le nombril,

le Son spontané est le cœur, le Pur est dans la gorge

et le Commandement est dans le front.

Une fois familiarisé avec les six chakras,

que l'on entre dans le Mandala éternel.

On y pénètrera en recueillant le souffle

et en l'unissant vers le haut.

C'est ainsi que les yogis vont vers l'immortalité,

grâce à un unique samâdhi.

Le feu préexiste dans le bois.

Mais il ne s'enflamme pas si on ne le frotte.

De même, grâce à l'exercice du yoga,

la lampe de la connaissance s'allume.

C'est comme une lampe allumée dans un vase,

qui ne brille pas au dehors.

De même, le corps/vase possède cette nature [de luminosité],

il est [comme] une lampe [qui symbolise] cet état [de liberté spirituelle].

Sans l'enseignement du maître, 

cette connaissance de l'absolu ne peut être élucidée.

Le maître l'a reçue au creux de son oreille,

[car] elle est très subtile.

Ces paroles font traverser l'océan du samsâra

si on les pratique assiduement.

Matsyendra dit :

Par ta grâce, 

je suis délivré des liens de l'existence !

Tu es le salut, ô Souverain des dieux,

je n'en ai pas d'autre que toi.

- Ayant entendu ces paroles, Matsyendra s'absorba dans le seigneur Shiva.

[Shiva lui dit ensuite :]

Va, fils ! Va jusqu'aux confins de la terre, va sauver [les êtres] dans les trois mondes.

Telle est ce Clair de lune composé par le Grand Seigneur.

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Comme on voit, cet enseignement n'est pas toujours clair dans son détail. Mais l'essentiel est limpide : méditer les yeux ouverts, afin que la lumière intérieure, cachée dans le corps, se mette à briller en lui et dans le monde.


mardi 14 septembre 2021

Comment intégrer la pensée dans le silence ?

 


Pour vivre le silence plus intensément, continument, vivement, un conseil :

Restez silencieux mentalement. Et quand vous pensez, pensez "à voix haute", comme si vous articuliez distinctement, comme si vous parliez vraiment, même si c'est seulement "dans votre tête". Bannissez les pensées marmonnées, pâteuses, inarticulées. Seulement un silence cristallin et des pensées clairement articulées. 

Le silence devient plus vivant, réconcilié avec le bruit des pensées.

Il est étonnant de constater à quel point cela intensifie le silence. 

Jamais sans mon consentement

 


Se fondre dans l'action divine, quelque soit le nom qu'on lui donne, c'est plonger dans un état sans effort, un état de grâce, un état fluide. Pourquoi tout baser sur nos efforts ? Plutôt laisser faire cette force infiniment plus forte.

Mais cette légèreté n'est possible que si nous nous rendons disponibles, si nous nous tournons vers cette Source, si nous nous laissons faire. Autrement, la transparence évidente demeure inaccessible.

L'œuvre du mystère demande un consentement de notre part.

La Source est toute-puissante. Elle est la force sans laquelle aucune force n'existe. Mais elle ne nous forcera jamais. Tout repose donc sur notre libre consentement. Nous pouvons nous laisser envahir, laisser cette force s'emparer de nous, la laisser remplacer notre néant par son tout. 

Nous ne pouvons rien sans elle. Mais elle ne peut rien sans notre libre consentement. Là encore, liberté. Nous dépendons entièrement de ce qui est plus vaste et plus fort que nous. Alors, une lumière se met à transformer nos ténèbres. Si nous l'acceptons.

lundi 13 septembre 2021

Une étrange cécité


 Où est Dieu ?

Un disciple de maître Eckhart répond par "l'art de la logique" en remontant vers Dieu à partir de ses noms. Or, le premier de ces noms est Être :

"Tourne tes yeux vers l'Être dans sa pure simplicité, et laisse tomber l'être participé, qui est ceci ou cela. Considère seulement l'être en soi, l'être non mêlé de non-être. Car de même que le non-être est la négation de tout être, de même l'être en soi est la négation de tout non-être. Une chose encore soumise au devenir, ou qui a été [mais qui n'est plus] n'est pas maintenant dans une présence essentielle. Or on ne peut bien connaître l'être composite, ou le non-être, qu'en connaissant l'être universel. Ce n'est pas un fragment d'être composant telle ou telle créature, car l'être particulier est tout mêlé d'un élément étranger qui est la possibilité de recevoir quelque chose.

Voilà pourquoi l'Être divin sans nom doit être en soi un être universel, qui maintient par sa présence tous les fragments d'être". (Henri Suso, Tel un aigle, trad. Wackernagel un peu modifiée).

Où est Dieu ? Dieu n'est ni seulement en ceci, ni seulement en cela. Il est l'Être en qui tous les "ceci" et tous les "cela" ont leur être. Les choses et les êtres tiennent leur être de l'Être. Dieu est le fondement de l'être des choses, il est l'être universel qui ne tient pas son être d'un autre être : il est "en soi". Il est donc indépendant. 

Mais, plus que cela, il est "ce qui maintient ensemble les fragments d'être". Dieu est l'espace vivant qui relie les chose, qui les met en relation et les unifie.

Cette thèse est aussi celle du tantra, pour qui Dieu est le ciment des choses. Utpaladeva montre que Dieu est l'essence même de toute relation, sachant que la relation est l'essence des choses. L'Être est donc unité, unification, c'est-à-dire relation. Sans l'Être, non seulement les choses n'existeraient pas, mais encore chacune serait isolé et aveugle.

Cependant, le tantra ajoute que cet unifiant des choses est la conscience, cette lumière vivante qui est notre essence, qui est le plus intime. Telle est la philosophie tantrique de la Reconnaissance : reconnaître le divin transcendant dans la conscience immanente.

La conscience, comprise en ce sens, ne semble pas être au coeur de la théologie chrétienne. Il y a cependant une exception. Et c'est précisément cette mémorable exception, dans l'Itinéraire de l'esprit vers Dieu, de Saint Bonaventure, que Suso va maintenant paraphraser :

"C'est une étrange cécité de l'intelligence humaine qu'elle ne puisse vérifier [=reconnaître] ce sans quoi elle ne peut ni connaître, ni voir. 

Il en va comme de l'oeil : quand ils 'applique à distinguer la multiplicité des couleurs, il ne prête pas attention à la lumière grâce à laquelle il voit toutes les autres choses. Ou s'il voit la lumière, il n'y prête pas attention pour autant."

On se dit : "Oui, c'est la conscience ; et alors ?" Nous ne reconnaissons pas dans cet ordinaire l'extraordinaire. Nous sommes comme ce pauvre qui va chercher un trésor au loin, alors qu'il habite sur un tel trésor.

"Il en va de même pour notre oeil spirituel : quand il regarde tel ou tel être, il néglige et ne discerne pas l'Être qui est absolument pur et simple par lequel il distingue les autres.

C'est pourquoi un maître de sagesse dit que l'oeil de notre connaissance, en raison de sa faiblesse, se tient face à l'Être qui est en soi le plus connaissable, comme l'oeil d'une chauve-souris face à la claire lumière du soleil."

Ainsi le plus évident devient obscur, le jour devient nuit. Nous cherchons partout le collier que nous portons au cou, ce joyau qui est pourtant plus proche de nous que n'importe quelle pensée, que n'importe quelle émotion.

Suso en conclut que ce sont les "êtres particuliers" qui nous détournent de l'Être, qui nous aveuglent et nous empêchent de voir "la divine ténèbre qui est en soi la plus lumineuse clarté". 

Ici cependant, le tantra dit autre chose : Ce ne sont pas les êtres et les choses qui nous empêchent de voir l'Être par lequel on voit. Mais c'est plutôt l'absence de reconnaissance pour cet être. Nous croyons qu'il est banal. Et cette croyance entraîne le manque d'attention à son égard, et la vaine recherche de notre bonheur dans les "fragments d'être". C'est donc cette croyance qu'il faut remettre en question, et non la présence des choses, même si le calme et le silence extérieur peuvent nous aider à être attentifs. Autrement dit, la présence des choses est compatible avec la présence essentielle, avec la présence de l'Être. En effet, comment des fragments, des reflets évanescents, pourraient-ils cacher la lumière qui les éclaire, l'Être qui les fait être ? Comment les reflets pourraient-ils cacher le miroir ? 

Il ne nous reste donc plus qu'à nous tourner vers l'Être, dans la reconnaissance de sa juste valeur, qui est infinie. Où est Dieu ? Dans le plus évident et le moins reconnu.

Le Clair de lune - 1


 La méditation de Shiva (śivamudrāśāṃbhavī, bhairavīya, etc.) est la principale pratique de méditation dans la tradition du tantra traditionnel. Cela est vrai en particulier dans le tantra ésotérique, le Kula-dharma révélé aux humains par le légendaire Matsyendra. Cette pratique est si importante qu'on la retrouve dans le tantra bouddhiste, et jusque dans sa tradition réputée la plus puissante et profonde, le dzogchen.

J'ai déjà publié plusieurs articles sur ce sujet, mais surtout un manuel et une anthologie qui offre de nombreux extraits décrivant cette pratique considérée comme "secrète" et pourtant essentielle. J'y renvoie les lecteurs qui voudraient davantage de détails concrets.

Or, voici un petit texte trouvé dans la Government Oriental Library of Madras, centré sur cette pratique. Intitulé le Clair de lune (Candrāvalokana), il se présente comme un dialogue entre Shiva et Matsyendra (source).

Le début intègre quatre versets que l'on retrouve au Cachemire attribués à Abhinavagupta, sous le titre d'Offrande de l'expérience (Anubhavanivedana). Ensuite, la théorie de la méditation de Shiva est décrite, le lien entre souffle, regard et attention. Puis, dans un passage malheureusement corrompu, Shiva évoque le déploiement visionnaire qui découle de cette pratique quand on médite "face" à un ciel limpide, etc. Enfin, une brève description des chakras permet de situer ce texte dans la tradition de Kujikā, où dans celle dite "śāṃbhava", qui semble bien avoir joué un rôle important dans la formation du hatha yoga tel que nous le connaissons.

Voici la première moitié de ce texte extraordinaire, sachant qu'il est très corrompu :

Le Grand Seigneur dit : 

La cible est à l'intérieur,

le regard vers l'extérieur,

sans ouvrir ni fermer les yeux :

telle est cette 'Expression de Shiva'

cachée dans tous les tantras.

Quand, souffle et attention absorbés 

dans la cible intérieure,

le yogî reste avec son regard 

extérieur immobile,

alors il voit sans voir.

Telle est, en vérité, 

cette Expression de l'énergie de l'espace (khecarî),

que l'on pratique par la grâce du maître.

Libre de l'absence comme de la présence des choses,

l'état de Shiva se manifeste alors clairement.

Les yeux à demi ouverts,

l'attention immobile dans la direction de l'arrête du nez,

dans l'instant soleil et lune se résorbent.

La forme essentielle sans vibration

est la forme de lumière,

vide de tout ce qui est extérieur.

Elle s'allume alors,

principe transcendant, état suprême :

que dire de plus ?

Quand tout s'est résorbé

dans cette très secrète résorption intérieure :

c'est cela la 'résorption' qu'il faut reconnaître

grâce au maître satisfait.

Cette conscience dynamique qui,

dans tous les êtres,

est le témoin de l'apparition et de la disparition 

(des phénomènes), c'est elle qu'il faut voir,

masse de nectar et de pleine félicité

présente en ce corps.

Tant que Shiva est considéré comme autre que l'attention,

autre que la Shakti, autre que le souffle,

il est impossible d'atteindre la réalisation,

ô toi dont le corps est gracieux [au féminin], 

même en des millions d'éons !

Déesse ! s'il est vrai que la Connaissance

est impossible tant que le mental/l'attention fragmentée

est vivant, de même il est certain que,

tant que le souffle est vivace,

le mental/attention est vivace.

L'attention et le souffle se résorbent ensemble.

C'est alors que l'individu 

atteint la délivrance,

jamais autrement !

Celui qui pose son regard sur les 'signes'

avec une attention ininterrompue,

(... ?).

La où se pose le regard,

là se pose le mental/ l'attention,

maître des organes.

En effet, cette énergie des êtres

est le regard qui se résorbe 

dans la cible.

Là où se pose le regard,

l'attention se stabilise,

de même que le souffle.

Peu importe celui qui pratique ainsi,

il devient libre des passions, 

à l'égal des êtres réalisés. 

Les yeux orientés devant soi,

immobile à l'intérieur comme à l'extérieur,

ce qui est vu

n'est pas vu par les yeux.

Les yeux orientés devant soi,

on voit assurément

une sorte de radiance pareille

à celle d'un joyau.

Quand on la voit,

on voit le divin omniprésent

et on est délivré des liens de l'existence.

On ne voit ni lumière du Soi, ni lumière du mental,

ni lumière des yeux :

je dis que cette lumière à la fois intérieure et extérieure

est Dieu.

Tant que le souffle ne pénètre pas

dans le canal central,

tant que la sphère (bindu) ne devient pas immobile... ?,

tout ce que l'on dit

n'est que bavardage trompeur.

Celui qui s'adonne sans cesse à la pratique

et qui est dévoué au maître sans varier

et qui ne connaît pas l'Inné (sahaja),

celui-là pratique à l'aveugle.

__________________________________

Comme on voit, il y des termes et des expressions qui font penser au tantrisme bouddhique : le canal central, l'Inné. De plus, sans le contexte, on pourrait croire qu'il s'agit d'une pratique sexuelle, puisqu'il est question de "semence" (bindu). Mais bindu signifie aussi "sphère", "orbe", et notamment l'orbe du champ visuel ou l'orbe du ciel. Un même vocabulaire peut être employé pour décrire différentes pratiques. Cette hypothèse sera confirmée dans la seconde partie de notre texte, dans un prochain article.

samedi 11 septembre 2021

Il y a toujours de la place

Feynman et Dirac

Tout est conscience.

Par "conscience", il ne faut pas comprendre ici "point de vue", "conscientisation" ou "pensée", mais plutôt la lumière dynamique qui se manifeste en toutes choses.

Cependant, la conscience ne se réduit pas à être la somme des choses, ni des pensées.

Une analogie :

Les vagues ne sont rien de plus que l'océan. Mais l'océan ne se réduit pas aux vagues. Il est quelque chose de plus que les vagues, si grandes et nombreuses soient-elles.

De même, la conscience est quelque chose de plus que les pensées, elle les transcende, elle les enveloppe. Elle n'est pas enveloppée par elles, ni pas aucune sensation ou situation objective.

Un maître anonyme de la tradition de Kâlî (kâlîkrama) dit :

jñānādhikatvāt siddhestu na māyā nāpi vāsanā || 3/7 ||
digdeśakālākārādikalātaṅkavivarjitam |
kalpyaviśvātmakatve'pi taduttīrṇatayā sthitam || 3/8 ||

"Rien n'existe en plus de la conscience,
rien ne peut être prouvé en dehors d'elle.
[La cause et l'explication des choses]
n'est donc ni la Mâyâ, ni les habitudes.
Mais, même si elle est l'essence
de cet univers qu'elle engendre,
elle transcende tout cela,
car elle est libre des restrictions
du moment, du lieu et de la situation."
(Lumière du chemin intégral, Mahânayaprakâsha, Anonyme)
_____________________________________
Et tout cela est basé sur l'expérience directe, immédiate, commune,
non sur des révélations réservées à quelques élus.

Et donc, quand je me sens envahi par les pensées, quand je me sens confiné
dans une situation, je me souviens que je suis l'espace lumineux, infini,
l'espace qui ne se laisse enfermer dans aucune forme, car c'est
justement cet espace qui permet aux formes d'exister.
Je suis la lumière sans limites qui donne vie aux limites,
l'espace au-delà des lieux qui donne lieu aux lieux,
l'éternité affranchie de tous les temps qui se manifeste
en tous temps.

vendredi 10 septembre 2021

Tel un aigle


Sicut aquila, etc.

"Tel un aigle" :

Tel est l'exergue du Discernement de la vraie spiritualité de Henri Suso, huit chapitres annexés à la fin de sa "Vie" et adressés à Elsbeth Staglin.

Leur thème est l'opposition entre la fausse spiritualité de"la chose sauvage sans nom" (daz namelos wilde) et la vraie spiritualité de la "montagne sauvage".

Après cet exergue tiré du Deutéronome, il commence ainsi :

"Bienheureuse fille, le temps est venu de te rapprocher [de la sagesse sans images] et de t'élever hors du nid des images consolatrices nécessaire à ceux qui débutent. Tel un aiglon qui a grandi et dont les ailes - je veux dire les puissances supérieures de ton âme - ont pris de l'ampleur, il faut que tu t'élances vers la qualité de l'aigle : la noblesse contemplative d'une vie bienheureuse et accomplie." (trad. Wackernagel)

Telle est la véritable spiritualité sauvage, loin de la prétendue "omniscience" d'un corps idolâtré jusqu'à l'absurde par les faux spirituels que combat Suso dans ce livre, sans pour autant sombrer dans la vile calomnie. 

Ce message est précieux aussi à notre époque, où l'on divinise les pulsions irrationnelles, où le bien et le mal sont inversés, où la droite raison est conspuée au profit des régressions infantiles prises pour des révélations spirituelles, où la victimisation à tout-va fait de chacun le délateur de son prochain au mépris de toute rationalité. 

La spiritualité de Suso, comme celle de son maître Eckhart, n'incite pas à une régression dans l'infra-rationnel, mais à une "traversée du désert d'ignorance", par-delà une raison pleinement intégrée, à l'apex d'une culture nourrie des humanités. 

La ténébreuse lumière de "l'un de l'âme" ne brille pas dans les marécages d'une rhétorique puérile, mais dans la nudité d'un esprit bien formé. Tel un aigle.

mercredi 8 septembre 2021

Preuve que tout est conscience


 "Tout est conscience" est la thèse centrale du shivaïsme du Cachemire. 

Mais qu'est-ce qui me prouve qu'elle est vraie ? Ne s'agit-il pas simplement d'une affirmation d'autorité ? Ou bien de la description d'une intuition surnaturelle ? Ou d'une révélation réservée à quelques êtres exceptionnels ?

Selon Abhinavagupta et les autres philosophes de cette tradition, il n'en est rien : n'importe qui peut arriver à cette conclusion, simplement en s'appuyant sur l'expérience ordinaire et la raison. Il existe donc une démonstration que "tout est conscience". 

En voici un exemple :

इह भावानां सत्त्वं, असत्त्वं वा व्यवतिष्ठमाणं संविद्विश्रान्तिमन्तरेण न उपपपद्यते। संविद्विश्रान्ता हि भावाः प्रकाशमाना भवन्ति। प्रकाशमानता च, एषां संविदभेद एव। प्रकाश एव संविद्यतः। तत्प्रकाश्दतिरिच्यन्ते च, प्रकाशान्ते चेति उच्यमाने नीलं स्वरूपात् व्यतिरिक्तम्, अथच नीलमितिउच्यते। तदमी संविदि तावत् विश्रान्ता भावाः संविदनधिकवृत्तयः इति आयातम्।

iha bhāvānāṃ sattvaṃ, asattvaṃ vā vyavatiṣṭhamāṇaṃ saṃvidviśrāntimantareṇa na upapapadyate| saṃvidviśrāntā hi bhāvāḥ prakāśamānā bhavanti| prakāśamānatā ca, eṣāṃ saṃvidabheda eva| prakāśa eva saṃvidyataḥ| tatprakāśdatiricyante ca, prakāśānte ceti ucyamāne nīlaṃ svarūpāt vyatiriktam, athaca nīlamitiucyate| tadamī saṃvidi tāvat viśrāntā bhāvāḥ saṃvidanadhikavṛttayaḥ iti āyātam| (Vivritivimarshinî, vol. I, p. 4)

"En ce monde, l'existence des choses ou même leur inexistence, leur présence actuelle et évidente, ne peut être expliquée séparément de la conscience. En effet, les phénomènes reposent dans la conscience. C'est ainsi qu'il deviennent actuellement manifestes. Et le fait qu'ils sont actuellement manifestes est précisément leur identité avec la conscience, car la conscience n'est rien d'autre que lumière/manifestation. Et dire à qu'ils sont à la fois manifestes, et qu'ils sont autre chose que la manifestation, c'est comme dire que le bleu est bleu sans être bleu ! Par conséquent, on en conclut que ces phénomènes reposent assurément dans la conscience, ils sont des mouvements qui ne sont rien de plus que conscience."

En traduisant ce passage, je réalise qu'il est plus difficile à comprendre en français qu'en sanskrit.

Pourquoi ?

Parce qu'en sanskrit, le mot "conscience", samvit, équivaut au mot "manifestation", prakâsha. Mais il s'agit à la fois de la manifestation au sens de l'acte de manifester (= la conscience comme lumière manifestante, qui révèle) et du résultat de cet acte, le contenu de la manifestation, de la conscience. A cause de cette ambiguïté du mot "manifestation" ou "manifeste" en français, la démonstration perd en clarté et, donc, en force.

Il serait peut-être préférable de traduire autrement, ainsi :

"Ici (le philosophe montre du doigt les choses devant lui), l'existence ou l'inexistence des choses, leur présence en cet instant même, ne peut pas être justifiée rationnellement en tant que séparées du fait de reposer dans la conscience. Car en effet, les phénomènes brillent en cet instant même parce qu'il reposent dans la conscience. Et le fait, pour les phénomènes, de briller en cet instant même, est précisément leur non-différence avec la conscience, car la conscience n'est rien d'autre que cette illumination/manifestation. Et dire à la fois que les phénomènes] brillent et qu'ils sont autre que la lumière, c'est dire [une absurdité, comme dire que] le bleu est bleu et que pourtant il est autre que son être-bleu. Et donc il advient qu'il est certain que ces phénomènes [que le philosophe montre du doigt] reposent dans la conscience, car leur mouvement n'est rien de plus que conscience."

Essayez de relire plusieurs fois et vous comprendrez. 

Comprendre ce point, c'est comprendre le premier point de l'enseignement du shivaïsme du Cachemire.

Faut-il lutter contre le sommeil ?


 Dans la pratique de la méditation telle qu'elle est popularisée actuellement, l'inspiration bouddhiste est évidente. On met donc l'accent sur l'éveil, la vigilance, on met en garde contre la torpeur. Méditer n'est pas s'endormir, dit-on.

Mais il existe d'autres traditions de méditation. Des visions différentes. Par exemple, celle de Ramana Maharshi. Selon lui, la méditation ne sert pas à devenir plus calme, etc., mais à atteindre le bonheur vrai, inébranlable et, surtout, bien au-delà de toutes nos capacités à l'imaginer. 

Pour cela, il faut plonger à la source de l'esprit, dans la pure sensation d'être ("je suis je"). Or, si je m'assois et que je "plonge" ainsi, il peut arriver que je m'endorme. Est-ce mal ?

Selon Ramana, non. Il explique que ce que nous prenons pour de l'inconscience est, en réalité, pure conscience, une lumière si pure qu'elle passe, aux yeux du mental ignorant, de l'attention distraire, pour de l'inconscience. Quand on s'endort ainsi, dans cet abandon confiant, on se réveille. 

Dès lors, ce sommeil est éveil. On y est conscient de rien, non pas ignorance, mais au contraire, parce qu'il n'y a que conscience. Rien d'autre. Et c'est ce "rien d'autre" que l'on prend, au "réveil", pour de l'inconscience. Le regard que Ramana nous fait découvrir est donc l'inverse de la vision habituelle : le sommeil est éveil, et le réveil est un endormissement. Un assoupissement illusoire car, en réalité, nous sommes toujours endormis, c'est-à-dire toujours pleine conscience parfaitement éveillée. "Parfaitement éveillée", c'est-à-dire pure conscience sans rien d'autre, c'est-à-dire inconscience, du point de vue de l'état de veille ignorant.

Voici ce qu'il dit (traduit de l'anglais, lui-même traduit de l'original tamoul) :

"Quand les habitudes immémoriales, impures, qui sont les causes des états de rêves et de veille, sont anéanties, alors le sommeil, qui était vu d'un mauvais œil, décrit comme un vide et dénigré en tant qu'ignorance, sera révélé comme l'état ultime.

Si l'on réalise l'état de vigilance immuable - notre être de conscience - jusqu'à ce que le sommeil nous envahisse, il n'est pas nécessaire de se sentir désolé, avec le sentiment que 'Hélas, l'illusion du sommeil d'ignorance, l'oubli, a encore pris le dessus !" (Guruvacakakovai, 460 et 462)

___________________________________

Ces deux versets sont d'une importance cruciale : méditer et s'endormir, c'est s'éveiller. C'est s'abandonner à l'être fondamental, dans le vide véritable au-delà de toute emprise, de tout contrôle. Ce n'est plus faire, c'est se laisser faire. S'il y a un semblant de vigilance apparente, c'est bien. Mais, s'il n'y a "plus rien", c'est bien aussi. Car notre être véritable est au-delà de toute représentation, de toute pensée, de toute expérience objective que l'on puisse indiquer. 

La méditation n'est donc pas une torture où l'on contrarie la nature, mais simplement le cours naturel des choses, avec simplement un petit surcroit de confiance. On ne saurait exagérer l'importance de ce point. S'endormir n'est pas un mal.

Sans le néant, rien


Le trésor de la mystique chrétienne française que j'ai évoqué la dernière fois, commence à peine d'être connu. Loin du cliché des pieux dévots embourbés dans leurs images baroques, l'école de l'oraison de silence ou de repos nous offre le secret d'une vie intérieure fondée sur le silence, le rien, le néant. Le contraire d'un dogme religieux.

Selon la tradition, la vie mystique est la vie en contact direct avec Dieu, au-delà des images et des concepts. D'ordinaire, ce chemin comprend trois grandes étapes : purification, éveil, et unification ou divinisation. Le but est donc la divinisation de l'homme, conformément à la tradition occidentale et platonicienne. Laisser le divin prendre le contrôle, dans un plein et libre consentement. 

Mais dans cette tradition française, l'illumination vient en premier, suivie de la purification, pour s'achever dans l'unité. 

Tout d'abord, l'illumination : on rencontre la lumière divine, on ressent, on éprouve, on comprend, on a le sentiment d'un éveil, d'un réveil. Cette étape est celle de la rencontre de la plénitude, de l'enthousiasme. On a enfin trouvé le trésor et, très souvent, on croit être arrivé. Mais comment peut-être arriver à la fin de l'infini ?

Néanmoins, c'est cette illumination qui donne la force de lâcher-prise et d'accéder à la seconde étape : la purification, la mort, le néant. Car les lumières et compréhensions ne sont pas Dieu, mais des reflets, des avant-goûts, même s'ils sont ressentis comme des plénitudes indicibles. L'individu y jouit de Dieu. Mais il garde, en quelque sorte, le contrôle. Or le but de la vie intérieure, comme nous avons dit, n'est pas de faire l'expérience de Dieu, mais de se laisser transformer radicalement en Dieu. Les énergies individuelles doit laisser la place aux énergies divines. Or, pour que cela soit possible, il faut se vider de soi, s'oublier, mourir, sombrer dans le néant et avancer dans les ténèbres, dans une "foi obscure", sans images ni concepts, laisser autre chose prendre le dessus. C'est l'étape de l'abandon en néant, sans assurance ni repère.

Comment est-ce possible ? C'est possible grâce à l'élan donné par la plénitude découverte d'abord dans l'illumination de la première étape. Mais ensuite, il fait mourir dans le vide qui seul peut laisser place au plein. Plus la mort est profonde, plus la vie sera profonde. Si la mort est superficielle, la vie intérieure sera superficielle. Que l'on ne se laisse pas impressionner par ces mots : il s'agit simplement de mourir. C'est la vie. Il faut arrêter de souffler pour enfin laisser les vents du large nous emporter au cœur de l'océan.

La plupart d'entre nous, certes, se contentent de telle ou telle lumière. Dans la tradition mystique française ces lumières, ces saveurs, ces ressentis - tout cela n'est qu'un début, un avant-goût, un viatique pour encourager l'âme à entrer dans l'intérieur véritable, qui est néant et néant de néant. Dans cette étape de purification, qui peut durer des dizaines d'années, l'individu est privé de tous ses supports et ses repères. L'hiver arrive. Mais sans hiver, point de printemps.

Enfin, l'individu, qui ne disparaît jamais, renaît en Dieu, par Dieu : "Ca n'est plus moi qui vit..." Cependant, même dans cette vie nouvelle, le vide règne, un néant du à la plénitude inconcevable qui se déverse à travers les puissances (les organes) de la personne. 

Jacques Bertot, un prêtre du XVIIe siècle, décrit ainsi cette étape ultime, dans laquelle l'évolution se poursuit :

"Là l’âme par ce néant devient en Dieu ce qu’une goutte d’eau est
dans la mer quand elle s’y perd, car ce néant tirant l’âme de son
propre que le péché lui avait communiqué, tire l’âme d’elle-même
et du particulier et ainsi la fait découler et perdre en Dieu.
Et comme l’âme perd son soi-même en perdant le particulier qui
la faisait subsister en elle-même, aussi trouvant Dieu et subsistant
en Lui par ce néant, elle ne Le trouve pas comme quelque chose
dont elle jouisse, mais plutôt elle en est possédée en perte totale de
soi. (...)
Là le néant augmentant sans fin, l’âme entend, sans entendre, à
sa mode, un très profond parler, qui est la génération du Verbe, et
qui est le don de la divine Sagesse en son pauvre néant. Et comme
l’âme avant cela n’était rien et que c’était son bonheur, ici, sans
sortir de son rien, au contraire son rien augmentant à l’infini, l’eau
de la divine Sagesse s’écoule, qui rend l’âme beaucoup féconde.
De là insensiblement s’écoule l’amour, et l’âme entend en son
néant que ce n’est pas un amour produit par ses puissances comme
au commencement, mais que c’est un amour tout différent, et que
vraiment c’est la communication d’un amour dans lequel et par
lequel l’union commence." (Le Directeur mystique, édition Dominique Tronc, p. 206)

Autrement dit, cette fin est un nouveau commencement. La disciple de Bertot, Madama Guyon, évoque l'image d'une pierre qui tombe dans un océan sans fin. La vie intérieure est une expansion sans fin, car il n'y a pas de fin dans l'infini. Elle est donc un vide sans terme qui débouche sur une plénitude toujours plus profonde, large et haute. 

On le voit, les maîtres de cette tradition insistent sur le fait que l'expérience est inconcevable, inimaginable, au-delà de tout ce que l'on peut expérimenter ici ou là. Et la clé de ce mouvement infini est le néant, le vide, le silence intérieur. Juste s'orienter vers le divin, en instinct et en confiance, puis rester ainsi en silence, comme une goutte dans l'océan, et laisser l'infini faire son œuvre. Il n'y a qu'ainsi que l'aventure de l'infini est possible, au-delà et encore au-delà, par-delà les abymes du silence, du vide et du rien. 

Pour avoir tout, renoncer à tout. Pour renoncer à tout, laisser le Tout se charger de tout et se laisser sombrer dans le rien plus vivant que toute vie.

mardi 7 septembre 2021

Le mantra le plus efficace ?

aham

 Comme je parle du tantra traditionnel et du shivaïsme du Cachemire, on me demande parfois quel est "le mantra le plus efficace ?"

Pour réponse, voici celle de Ramana Maharshi, extraite de son Qui suis-je ?, traduite du sanskrit et publiée dans un livre paru récemment :

"9. Une fois examinée l'essence du mental, quelle est la voie pour reconnaître [le Soi] ?

- Le mental, c'est le "je" qui se manifeste dans ce corps. Si l'on cherche où donc ce "je" et cette "pensée" apparaissent dans le corps, on verra qu'elles apparaissent subjectivement dans le Cœur. Il est le lieu de naissance du mental. Il suffit même de répéter "je... je..." pour atteindre ce lieu à l'intérieur, le Cœur lui-même. De toutes les pensées, de tous les mouvements qui naissent du mental, "je" est la première. Il suffit que naisse cette première pensée, ce premier élan, pour que toutes les autres se déploient. On observera en effet que la seconde et la troisième personne viennent après l'apparition de la première personne, la personne suprême, "je". Sans cette première personne, la seconde et la troisième ne peuvent apparaître."

Les Œuvres sanskrites de Ramana Maharshi, Almora

Cette réponse aurait pu être faite par Abhinavagupta, ce qui montre encore une fois la proximité profonde de l'enseignement de Ramana avec la philosophie tantrique de la Reconnaissance (pratyabhijnâ).

Le mantra le plus efficace est donc "je". Vous pouvez le réciter mentalement en français ou dans la langue qu'il vous plaira, voire en sanskrit. Auquel cas, ce sera aham. En tous les cas, c'est un excellent moyen de garder l'attention vers la source de toute attention, qui est aussi la source de tout. Pour encore plus d'efficacité, on plongera au tout début de l'intention d'énoncer mentalement "je". C'est l'enseignement du yoga tantrique traditionnel et c'est aussi le conseil donné par Ramana à Ganapati Muni en 1903 : "Si un mantra est récité avec l'attention dirigée vers la source du mantra, l'attention sera absorbé en elle."

Pourquoi ne suis-je pas royaliste ?


Comme je l'ai expliqué dans un article précédent, le cadre et la base de ma réflexion politique est le libéralisme social, car ce système est celui qui garantit les plus grandes libertés pour penser, entres autres choses, aux problèmes politiques. En effet, on ne doit pas juger d'un système politique seulement par le bien-être qu'il peut offrir actuellement, mais aussi et surtout par son potentiel. 

Une fois ce cadre libéral posé, on peut réfléchir à des perfectionnements ou à des alternatives. Bien que ma préférence aille à un libéralisme de l'Etat-providence et de la régulation des dérives du Marché, je suis ouvert aux alternatives. A quoi bon la liberté si l'on n'est pas libre d'examiner, d'envisager et d'essayer ? 

Le libéralisme que je défend est minimaliste et surtout négatif : le rôle de l'Etat est de garantir les libertés individuelles et de protéger la société des prédations des lobbies, grâce au contrôle des aspects les plus dangereux du Marché. Le libéralisme, c'est la loi au service des libertés. C'est donc, par nature, un état politique instable où il faut constamment chercher l'équilibre entre l'excès de liberté des individus les plus forts (entreprises, banques, lobbies) et l'excès de force de l'Etat. 

Mais sa base reste libérale, au sens où son principal attrait est d'offrir une organisation où chaque individu est libre de croire ou de ne pas croire, à sa guise. Historiquement, le libéralisme est en effet apparu comme la solution pour sortir des guerres de religion et fonder l'unité nationale sur autre chose que sur une religion. C'est la laïcité : la nation est une et indivisible, mais cette unité n'est pas fondée sur l'adhésion à un dogme. Le libéralisme a ainsi permis d'échapper à des millénaires d'oppression religieuse. 

Cependant, comme je le dit plus haut, tout système libéral est par nature instable : constituant une société "ouverte", il peut toujours être victime de fanatiques qui utilisent les libertés démocratiques pour détruire les libertés démocratiques. On voit par là que, même si libéralisme rime avec liberté et avec individualisme, il a besoin d'une base commune. Non pas d'une religion, mais d'un ensemble de valeurs communes. Par conséquent, si une communauté s'installe dans une société libérale en étant porteuse de valeurs fondamentalement différentes et incompatibles avec celle de la société libérale qui l'accueille, cette dernière est en péril et doit se défendre. Cette fragilité est la beauté et la faiblesse des sociétés libérales. 

Malgré ces convictions, je constate que certains courants politiques, situés à l'opposé du libéralisme, ne sont pas sans intérêt. L'un de ces courants est le royalisme. Je parle ici du royalisme antimoderne, traditionnaliste et anti-républicain. J'observe, en effet, que ses militants sont souvent cultivés et capables d'une argumentation élaborée. Pour le dire simplement, le niveau intellectuel des milieux traditionnalistes est très bon, ce qui fait d'eux, au pire, des interlocuteurs stimulants. Leurs deux qualités principales sont la richesse de la langue et la richesse des références. A l'opposé d'un certain boboisme décérébré, illustré par un pitre comme Mathieu Kassovitz, je lis des discours intelligents, construits, nourris des humanités et adulte. 

De fait, quand on est "enseignant" et que l'on côtoie depuis des décennies les ravages du pédagogisme relativiste et pseudoscientiste, il arrive que, parfois, on se surprenne à regretter un certain passé. Or ce passé n'est pas aussi noir que le système "éducatif", justement, voudrait nous le faire croire. Non, le Moyen-Âge n'était pas barbarie. Non, les rois n'étaient pas des psychopathes sanguinaires incompétents. Certes, il y a eu des souverains fous, mais l'ensemble de la culture de ces époques n'est pas sans intérêt. Loin de là. Le Moyen-Âge est un temps de haute culture, un temps de communauté européenne et de communion mystique. Non, le Moyen-Âge n'est pas "moyen".

Pour autant, suis-je royaliste ?

Non. Pourquoi ? Parce que je crois qu'il n'est pas raisonnable de fonder tous les espoirs d'une société sur les qualités d'un seul individu. Certes, dans la culture populaire Tolkien nous a rappelé qu'un vrai roi était le garant d'une vraie justice et d'une forme de liberté, encadrée par les corporations et par un ensemble de hiérarchies. Cela étant, Tolkien lui-même admet que la venue d'un tel roi tient du miracle. Et tout fonder ainsi sur une intervention divine, c'est bien tenter Dieu et le Diable. Au reste, je remarque que les royalistes, comme tous les traditionnalistes, sont pessimistes sur l'avenir. Si la royauté est l'organisation politique parfaite, il est vraisemblable qu'elle ne peut que se dégrader au cours du temps. Le discours sur la décadence est donc inhérent au royalisme. De fait, les pamphlets traditionnalistes, même s'ils sont brillants dans leur forme, sont emprunts de colère et d'une tristesse amère qui ne voit que les beautés d'un passé idéalisé pour cracher sur les laideurs du présent.

Dès lors, je préfère une vision progressiste plus stimulante et non moins réaliste que celle qui fonde tous ses espoirs sur la venue d'un roi-prophète. Je choisis l'Etat-providence, plutôt que le roi providentiel. D'autant plus que ce choix ne m'interdit nullement d'étudier ce qu'il y a de bon et de beau dans notre histoire. Mais justement, c'est notre société libérale qui nous offre le cadre dans lequel nous pouvons librement tourner nos regards et nos cœurs vers des idéaux, passés ou à venir. Certes, les sociétés d'Ancien Régime n'étaient pas des prisons ; mais du moins, leur capacité à progresser était fort limitée. Et certes, l'aventure du progrès implique un risque, assurément, mais on n'a rien si l'on n'a pas ce goût du risque qui fait les âmes libres. Et, comme je ne suis pas non plus adepte du chaos et du règne de la force, je suis partisan d'un Etat-providence au service d'une société libérale.

Telle est l'esquisse des raisons qui font que je ne suis pas royaliste. 

Pour finir, voici un petit reportage assez impartial dans les milieux royalistes : 

lundi 6 septembre 2021

L'homme sans tête

 Dans cet enseignement du Swami Sarvapriyananda de la Ramakrishna Mission, il est question du shivaïsme du Cachemire. A 16'25, il rapporte une fable cachemirienne :

Il était une fois un grand dévot de Shiva qui méditait jour et nuit et répétait son Mantra. Mais il ne recevait aucune vision de Shiva. Un jour, Shiva lui apparut en songe. Ce dévot lui demanda : "Mais pourquoi donc ne puis-je te voir directement ?" Shiva lui répondit : "Soit, tu pourras me voir. Demain". Le pieux homme voulait savoir où il pourrait voir Shiva : "Mais où pourrai-je le voir ? Où devrai-je regarder ?" Shiva précisa : "Cherche l'homme sans tête. Ce sera moi". Le lendemain, le dévot regarda tout le monde attentivement, des pieds... à la tête ! Mais il ne voyait aucun homme sans tête. Mais il continua, si bien qu'il finit par voir son propre corps. Et il vit que, en effet, son corps n'avait pas de tête. A la place de cette absence, il vit Shiva, directement, vide vivant et sans limites.


Je ne connaissais pas cette fable cachemirienne.

Swami Sarvapriya raconte aussi qu'il a pris des cours sur la philosophie tantrique de la Reconnaissance (pratyabhijnâ) avec Aravinda Chakravarti, un brillant philosophe bengali, et avec Devavrata Sensharma de Kolkatta. J'ai eu la chance de recevoir les leçons de ce dernier. Il était disciple de Gopinath Kaviraj.

Il était donc condisciple d'un autre de mes gourous, Hemendranath Chakravarti, lui aussi disciple de Gopinath Kaviraj. Quant à lui, il était disciple de Swami Vishuddhananda, qui était disciple de Babaji. Il était aussi dévot d'Ânandamayî et on peut l'apercevoir avec elle sur un des films de Desjardin. C'est lui qu'on aperçoit à la fin, assis avec la moustache blanche :



Mais ne me demandez rien sur le sujet, je n'y connais rien. Comme tous le monde, j'ai médité dans la chambre de Vishuddhananda et visité son Navamundâsana, réputé être une porte subtile vers Jnânaganja, l'ashram secret de Babaji et d'autres siddhas. Kaviraj a écrit sur le sujet, notamment sur la "pratique spirituelle du soleil" (sûryasâdhanâ). La vie de ces personnages, liée aux fondateurs du Kriyâyoga qui habitaient non loin de Kavirâj, est pleine de mystère, mais justement je n'ai rien à rapporter.

En tous les cas, le shivaïsme du Cachemire est un trésor dont nous commençons seulement à entrevoir les reflets.

vendredi 3 septembre 2021

Le problème des sources

L'un des versets composés par Ramana et écrit de sa main en sanskrit

 La difficulté d'accéder aux enseignements des sages orientaux est négligée dans la spiritualité contemporaine. Le sanskrit, le tibétain, le chinois sont des langues difficiles. On ne considère que les discours dans nos langues, sans même se rendre compte des traductions ni de ce que cela implique.

Or, ceci est vrai pour des auteurs qui sont éloignés de nous dans le temps, comme Shankara ou Abhinavagupta, mais cela reste vrai pour des maîtres du XXe siècle, comme Nisargadatta Mahârâja et Ramana Maharshi. 

Ramana et Muruganar

Ce dernier, contrairement a une opinion reçue, a composé des œuvres écrites, a priori plus fiables que les compilations de paroles traduites par on-ne-sait-qui, sur la seule base de la mémoire, vu que Ramana n'autorisait pas les enregistrements et que les prises de notes étaient parfois limitées (voir cet article sur la fiabilité de ce type de sources ; Michael James est moins optimiste sur ce sujet).

Son œuvre écrite, donc, est principalement composée de cinq textes de connaissance de la non-dualité et de cinq poèmes dévotionnels. Outre ceci, nous avons la Collection des paroles du maître (Guruvacakakovai) qui comporte près de 1300 versets. C'est l'une des sources les plus importantes et les plus négligées de l'enseignement du sage d'Arunâcala. Elle a été composée par Muruganar, révisée et éditée par Ramana, puis publiée par Sâdhu Om. A ce jour, il n'en existe pas de traduction entièrement fiable. 

Muruganar

Pourquoi ? L'une des raison est que ce texte, comme toutes les œuvres de Ramana, a été composée en tamoul littéraire archaïque. Une langue très difficile, même pour des Tamouls, pleine de mots rares, de tournures allusives et de doubles sens. Le tamoul n'est pas une langue indo-européenne. En dehors des quelques mots sanskrits, elle ne donne guère de repères à un étudiant occidental ou même indien du Nord. Muruganar, l'ami ou le disciple le plus proche de Ramana était, comme Ramana, un poète et un lexicographe du tamoul ancien. Lire leurs poèmes, composés de concert, c'est comme lire Dante : passionnant mais très, très difficile. Paradoxalement, les mystiques de l'au-delà des mots sont souvent passionnés par les mots.

Voici, pour donner un premier crayon de cette difficulté, un exemple. Deux versions d'un même verset de la Collection des paroles du maître, que je traduis de l'anglais, ce qui pose déjà un problème :

"Toutes choses sont en réalité conscience. C'est quand elles sont connues comme conscience et sont absorbées entièrement dans notre Soi, qui est conscience, que les différences sont complètement annihilées, et votre véritable nature brille. Vous devriez savoir que telle est la délivrance incomparable." (436, trad. Venkatasubramaniam, Butler et Godman)

"Tout ce qui est connu devrait être connu comme étant seulement connaissance [qui les connait] et devrait fondre dans la Connaissance - Soi. Notre réalité même qui brille avec une telle intensité de repos en Soi, anéantissant entièrement toutes les différences, est la délivrance, l'état sans égal." (436, trad. James et Sâdhu Om)

Comme on voit, c'est très différent. S'il n'y avait pas une numérotation exacte et fiable, il serait même impossible de dire quels sont les versets qui se correspondent. Et pourtant, Ramana est mort en 1950, il n'y a pas si longtemps ! Et cette œuvre a été publiée en entier et en tamoul, dans les années 70. Voilà pourquoi les auteurs plus anciens employaient différents dispositifs dans l'espoir d'éviter les déformations.

Muruganar et Sadhu Om

Pour les auteurs majeurs du néo-advaita indien, comme Ramana (tamoul), Nisargadatta (marathe) ou Krishna Menon (malayalam), nous n'avons aucune étude sérieuse, pas plus que de traductions rigoureuses. La compréhension fine et fiable de leur enseignement reste donc impossible ou hasardeuse. 

L'accès aux sources originales, voire originelles, est donc une quête, loin d'être une évidence qui va de soi. Cet accès dépend d'intermédiaires, comme dans le jeu du téléphone arabe, comme dans tout commerce, ou presque. 

Voilà pourquoi je pense que l'on devrait s'intéresser davantage aux mystiques français du XVIIe et réaliser notre chance de pouvoir accéder à des enseignements essentiels dans notre langue natale.

En quoi a consisté l'éveil de Ramana Maharshi ?


Tous le monde le reconnaît : le message du sage indien Ramana n'est pas toujours des plus clairs. Notamment parce qu'on y remarque des contradictions. Ainsi, il dit parfois qu'il faut supprimer les pensées une à une, comme on viderait un océan avec une cuillère ; et ailleurs, il dit que tout effort en se sens est vain !

Dans mon petit livre sur les œuvres sanskrites de Ramana Maharshi, j'avais essayé de tirer au clair en quoi consiste le véritable message de ce sage, aujourd'hui l'un des plus populaires. Pour ce faire, je m'étais proposé de repérer, dans la masse des discours attribués au Maharshi, ceux qui avaient été pour lui les plus importants. C'est pourquoi j'avais retenu ses œuvres sanskrites, notamment celles qu'il avait d'abord composées en tamoul, avant de les traduire lui-même dans plusieurs langues dravidiennes, ainsi qu'en sanskrit. 

Il en est ressorti une image claire de son message que je vous invite à découvrir dans ce livre :



Cependant, il reste à mes yeux un point obscur : le récit de son éveil qui aurait eu lieu en 1896 à Madouraï. Voici sa version la plus diffusée, la plus lue et répétée, écrite en anglais par un certain B.N. Narasimhaswami vers 1930 :

"C'était environ six semaines avant que je ne quitte définitivement Madouraï que le grand changement dans ma vie s'est produit. C'était si soudain. Un jour, je me suis assis seul au premier étage de la maison de mon oncle. J'étais dans ma santé habituelle. J'étais rarement malade. J'étais un gros dormeur. Lorsque j'étais à Dindigul en 1891, une foule immense s'était rassemblée près de la chambre où je dormais et essayait de me réveiller en criant et en frappant à la porte, en vain, et ce n'est qu'en entrant dans ma chambre et en me secouant violemment que je suis sorti de ma torpeur. Ce lourd sommeil était plutôt une preuve de bonne santé. J'étais aussi sujet, la nuit, à des crises de sommeil à moitié éveillé. Mes rusés camarades de jeu, qui n'osaient pas se moquer de moi quand j'étais éveillé, allaient vers moi quand je dormais, me réveillaient, me promenaient dans la cour de récréation, me battaient, me menottaient, s'amusaient avec moi, et me ramenaient dans mon lit - et pendant tout ce temps je supportais tout avec une douceur, une humilité, un pardon, une passivité inconnus de mon état de veille. Au matin, je n'avais aucun souvenir des expériences de la nuit. Mais ces crises ne m'affaiblissaient pas, ne me rendaient pas moins apte à vivre et ne pouvaient guère être considérées comme une maladie. Ainsi, ce jour-là, alors que j'étais assis seul, il n'y avait rien d'anormal dans ma santé. Mais une peur soudaine et indubitable de la mort s'est emparée de moi. Je sentais que j'allais mourir. La raison pour laquelle j'ai ressenti cela ne peut pas être expliquée par ce que j'ai ressenti dans mon corps. Je ne pouvais pas non plus me l'expliquer à l'époque. Je n'ai cependant pas cherché à savoir si cette peur était bien fondée. J'ai senti que j'allais mourir et j'ai immédiatement cherché à savoir ce que je devais faire. Je ne me suis pas soucié de consulter des médecins, des anciens ou même des amis. Je sentais que je devais résoudre le problème moi-même, sur-le-champ.

Le choc de la peur de la mort m'a tout de suite rendu introspectif, ou "introverti". Je me suis dit mentalement, c'est-à-dire sans prononcer les mots : "Maintenant, la mort est arrivée. Que signifie-t-elle ? Qu'est-ce qui est en train de mourir ? Ce corps meurt.

J'ai immédiatement joué la scène de la mort. J'ai étendu mes membres et les ai maintenus rigides comme si la rigidité cadavérique s'était installée. J'imitai un cadavre pour donner un air de réalité à mes investigations ultérieures, je retins mon souffle et gardai la bouche fermée, serrant les lèvres l'une contre l'autre pour qu'aucun son ne puisse s'échapper. Que le mot "je" ou tout autre mot ne soit pas prononcé !

Eh bien, me suis-je dit, ce corps est mort. Il sera porté raide jusqu'à la terre brûlante et là, il sera brûlé et réduit en cendres. Mais avec la mort de ce corps, est-ce que "je" suis mort ? Le corps est-il "je" ? Ce corps est silencieux et inerte. Mais je ressens toute la force de ma personnalité et même le son "je" en moi - en dehors du corps. Je suis donc un esprit, une chose qui transcende le corps. Le corps matériel meurt, mais l'esprit qui le transcende ne peut être touché par la mort. Je suis donc l'esprit sans mort".

Tout cela n'était pas un simple processus intellectuel, mais me sautait aux yeux comme une vérité vivante, quelque chose que je percevais immédiatement, sans presque aucun argument. Le "je" était quelque chose de très réel, la seule chose réelle dans cet état, et toute l'activité consciente liée à mon corps était centrée sur cela. Le "je" ou mon "moi" était au centre de l'attention par une puissante fascination à partir de ce moment-là. La peur de la mort avait disparu d'un coup et pour toujours. L'absorption dans le Soi s'est poursuivie depuis ce moment jusqu'à aujourd'hui. D'autres pensées peuvent aller et venir comme les différentes notes d'un musicien, mais le "Je" continue comme la note de base ou fondamentale shruti qui accompagne et se mélange à toutes les autres notes. Que le corps soit occupé à parler, à lire ou à quoi que ce soit d'autre, je suis toujours centré sur le "je". Avant cette crise, je n'avais pas de perception claire de moi-même et n'étais pas consciemment attiré par elle. Je n'avais ressenti aucun intérêt direct et perceptible pour elle, et encore moins une disposition permanente à m'y attarder. Les conséquences de cette nouvelle habitude ne tardèrent pas à se faire sentir dans ma vie.

En premier lieu, j'ai perdu le peu d'intérêt que j'avais pour mes relations extérieures avec mes amis, mes parents ou mes études. Je faisais mes études machinalement. Je prenais un livre et gardais la page ouverte devant moi pour convaincre mes aînés que je lisais. Quant à mon attention, elle était loin, bien loin même de ces questions superficielles. Dans mes rapports avec les parents, les amis, etc., j'ai développé l'humilité, la douceur et l'indifférence. Autrefois, lorsque parmi d'autres garçons on me confiait une tâche pénible, il m'arrivait de me plaindre d'une répartition injuste du travail. Si des garçons me taquinaient, je pouvais répliquer, parfois les menacer, et m'affirmer. Si quelqu'un osait se moquer de moi ou prendre d'autres libertés, on lui faisait rapidement comprendre son erreur. Maintenant, tout cela a changé. Tous les fardeaux imposés, toutes les moqueries et tous les amusements étaient supportés docilement. L'ancienne personnalité qui s'opposait et s'affirmait avait disparu. Je ne sortais plus avec mes amis pour faire du sport, etc. et je préférais rester seul. Souvent, je m'asseyais seul, surtout dans une posture propice à la méditation, je fermais les yeux et me perdais dans une concentration totale sur moi-même, sur l'esprit, le courant ou la force (âvesam) qui me constituait. Je continuais malgré les railleries constantes de mon frère aîné, qui se moquait de moi, m'adressait aux titres de jnânî (sage), de yogîshvara (Seigneur des yogis) et me conseillait avec humour de m'en aller dans une forêt vierge dense comme les rishis d'antan. Toute préférence et tout évitement en matière de nourriture avaient disparu. Toute nourriture qui m'était donnée, qu'elle soit savoureuse ou insipide, bonne ou pourrie, je l'avalais sans me soucier de son goût, de son odeur ou de sa qualité.

L'une des nouveautés concernait le temple de Mînakshisundareshvara. Auparavant, j'y allais rarement avec des amis, je voyais les images, je me mettais des cendres sacrées et du vermillon sacré sur le front et je rentrais chez moi sans aucune émotion perceptible.

Après l'éveil à la nouvelle vie, je me rendais presque chaque soir au temple. J'y allais seul et me tenais devant Siva, ou Mînakshi ou Natarâja ou les soixante-trois saints pendant de longues périodes. Je sentais des vagues d'émotion m'envahir. Mon esprit avait renoncé à son ancienne emprise (âlambana) sur le corps, car il avait cessé de chérir l'idée Je-suis-le-corps (dehâtma-buddhi). L'esprit désirait donc avoir une nouvelle prise, d'où les fréquentes visites au temple et le débordement de l'âme en larmes abondantes. C'était le jeu de Dieu (Îshvara) avec l'esprit individuel. Je me tenais devant Îshvara, le contrôleur de l'univers et des destinées de tous, l'Omniscient et l'Omniprésent, et je priais de temps en temps pour que sa grâce descende sur moi afin que ma dévotion augmente et devienne perpétuelle comme celle des soixante-trois saints. La plupart du temps, je ne priais pas du tout, mais je laissais le profond intérieur se déverser dans le profond extérieur. Les larmes marquaient ce débordement de l'âme et ne traduisaient pas un sentiment particulier de plaisir ou de douleur. Je n'étais pas pessimiste. Je ne savais rien de la vie et n'avais aucune idée qu'elle était pleine de chagrin ; et je n'avais aucun désir d'éviter la renaissance ou de chercher la libération, d'obtenir le détachement (vairâgya) ou le salut. Je n'avais lu aucun autre livre que le Periapuranam, mes leçons de Bible et des bribes de Tayumânavar ou du Tevaram. Ma notion de Dieu (ou Isvara, comme j'appelais la divinité infinie mais personnelle) était similaire à celle que l'on trouve dans les Purânas. Je n'avais alors pas entendu parler de Brahman, de samsara, etc. Je n'avais aucune idée de l'existence d'une Essence ou d'un Réel impersonnel sous-jacent à toute chose, et que moi-même et Îshvara étions tous deux identiques à cette essence. À Tiruvannamalai, en écoutant le Ribhu Gita et d'autres ouvrages, j'ai retenu ces faits et découvert que ces livres analysaient et nommaient ce que j'avais auparavant ressenti intuitivement sans analyse ni nom. Dans le langage des livres, je devrais décrire ma condition mentale ou spirituelle après l'éveil, comme shuddha manas ou vijnâna, c'est-à-dire l'Intuition de l'Illuminé." (La Réalisation du Soi, pp. 19-24)

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Ce qui retient mon attention, c'est cette petite phrase : "le courant ou la force (avesam) qui me constituait". Voilà à quoi Ramana s'est donc "éveillé" et qui a transformé à jamais sa vie. Il ne parle pas d'un absolu impersonnel, ni du monde comme illusion. De fait, son récit n'évoque pas le Kevalâdvaita Vedânta de Shankara, auquel on identifie encore, pourtant, Ramana Maharshi.


Pour décrire ce qu'il a découvert et qui semble si important, il emploie en effet deux mots : "courant" et "force". Toutefois ce mot est précisé par un mot tamoul entre parenthèse, qui est aussi un mot sanskrit : âvesha. Littéralement, ce mot signifie "possession". Possession par un esprit (bhûta), par exemple. D'ailleurs, Ramana s'est demandé un temps s'il n'était pas possédé ou malade. Mais surtout, ce mot est au cœur du Tantra. En effet, dans le Tantra shaiva (et Ramana baignait dans cette culture, le premier livre hindou qu'il a lu est un livre shaiva : le Tevâram), âvesha désigne le fait d'être envahi par le divin qui prend, dès lors, le contrôle de l'individu. Cela ressemble beaucoup à cette phrase fameuse qui a définit tout le programme de la mystique chrétienne : "Ca n'est plus moi qui vit, mais c'est le Christ qui vit en moi". Comme le note David Godman, le seul maître spirituel indien à définir en profondeur ce terme est un maître du shivaïsme du Cachemire, Abhinavagupta, le plus important maître du Tantra.

Mais ce que l'on sait moins, c'est que le shivaïsme "du Cachemire" s'est diffusé et a connu une seconde vie dans le Sud de l'Inde, comme en témoigne, entre autres, une œuvre qui était parmi les favorites de Ramana Maharshi : le Secret de la déesse Tripourâ (Tripurârahasya), qui fut d'ailleurs commenté en 1831 par un brahmane dans la banlieue de Madouraï, soit deux générations à peine avant l'éveil de Ramana en cette même cité sacrée. 


Ainsi, le terme qui vient immédiatement à l'esprit de Ramana pour décrire son éveil, ça n'est pas le mot "éveil", ni un terme védântique, mais un terme du vocabulaire du Tantra, doté d'une épaisseur particulière. 

Et il parle d'un "courant", comme un courant électrique. C'est étonnant. Mais cela explique d'autres éléments de l'enseignement de Ramana : sa dévotion extraordinaire pour les 64 saints shivaïtes, son attrait pour le Tripurârahasya, pour le Yogavâsishta (autre œuvre composée au Cachemire et portant trace de son influence), le fait qu'il ait fait construire un temple sur la tombe de sa mère avec un culte de la déesse Tripourâ Lalitâ, tradition apparentée au shivaïsme du Cachemire. Certes, Ramana ne semble pas s'être bien entendu avec le "tantrique" Ganapati Mouni. En revanche, le maître Cachemirien Lakshman Joo lui a rendu une visite pleine de ferveur dans sa jeunesse. Du reste, Lakshman Joo a ramené de ce séjour un texte du shivaïsme du Cachemire qu'il acquît à Madras... 

Lakshman Joo et Ramana

Soit. Cependant, ce récit est en anglais, et Ramana n'a sûrement pas parlé en anglais, quoi qu'il connaissait cette langue. On peut donc se demander si ces propos - étonnants - sont fiables et exacts. 

Or, David Godman a retrouvé les notes originales de Narasimhaswami ainsi qu'un autre récit, directement en Teloungou - une autre langue dravidienne proche du tamoul - par un autre dévot de Ramana. Or, ces documents montrent que Narasimhaswami a embelli l'histoire :

1) Ramana parle plutôt de manière impersonnelle.

2) Ramana n'a pas "mimé" la mort en s'allongeant. En fait, il était alors déjà allongé en train de faire la sieste (une de ses habitudes), car il avait participé à un mariage et il était fatigué. C'est là que la peur de la mort l'a envahit. Quatre ans avant, lors de la mort de son père en 1892, évènement certes traumatisant, il s'était déjà questionné en profondeur sur la mort et était parvenu à la conviction que l'âme est immortelle.


3) Ramana ne se question pas vraiment, il n'y a pas de véritable dialogue intérieur pendant qu'il "imite" l'expérience de la mort. Plutôt, il plonge directement en lui-même, il se laisse posséder, il saute dans le "courant", il se laisse couler. Plus tard, il emploiera certes les mots sanskrit vicâra et mârgana, souvent traduits par "investigation, "enquête" ou "quête". Mais vicâra signifie aussi "plonger", "suivre", comme dans la métaphore du pécheur de perles que Ramana employait par ailleurs. Il s'agit donc plus d'un geste intérieur, plus que d'une enquête philosophique en bonne et dure forme. 

4) Il n'y a pas, dans ce récit de l'évènement de 1896, l'idée que le monde est une illusion. Plutôt, il y a un envahissement par cette présence qui, au début (pendant quelques semaines) semble encore étrangère ("superimposed") mais qui s'impose vite comme l'être même de l'individu et qui va ensuite le guider et agir à travers lui ; comme dans une possession, âvesha ou samâvesha.

5) Le comportement qui s'ensuit est très religieux : Ramana va au temple, est envahi d'émotions, de tremblements, puis il quitte sa famille pour rejoindre un sanctuaire religieux shaiva dont il a vaguement entendu parler.

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De tout ceci ressort une image très différente de celle que l'on se fait de Ramana habituellement : Ramana n'est PAS un maître de Vedânta. Il n'a suivi aucune formation traditionnelle et lui même n'a jamais enseigné la méthode traditionnelle du Vedânta, celle qui définit l'identité du Vedânta comme tradition. Il ne cite presque jamais les Commentaires de Shankara, pierre fondatrice du Vedânta. En revanche, il cite et s'inspire d'enseignements védântiques situés aux marges de la tradition. Il les emploie et les détourne dans son sens. Par exemple, quand il affirme que le monde n'existe pas pour lui, cela semble davantage exprimer la puissance du "courant" intérieur dans lequel il est absorbé depuis 1896, plutôt qu'une thèse philosophique bien déterminée à la façon du Vedânta. 

Finalement, tout l'enseignement de Ramana, parfois impressionnant, se ramène à cela : la découverte d'une force intérieure, d'un courant qui le possède et qui se révèle être son Moi véritable.

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