dimanche 29 décembre 2019

Lecture du "Coeur de la Reconnaissance"


Lecture du "Cœur de la reconnaissance" 
(Pratyabhijnâ-hridayam) lundi soir à 21h sur skype, 
contacter DavidDuboisTrika.

samedi 28 décembre 2019

Qu'est-ce que je partage ?

Avoir confiance en soi Changer de vie  Gérer le stress  Gérer anxiété

Comment ne pas se perdre dans les traditions ? Les méthodes ? Les techniques ? Les philosophies ? Les savoirs ?

Deux extrêmes ruineux : tout gober ; tout rejeter.
Mais comment y voir clair ?

Aujourd'hui plus que jamais, il y a pléthore d'offres sur le Marché de la spiritualité. Et l'océan des savoirs est si vaste !
J'ai beaucoup circulé dans ses allées. Je continue d'y aller, de temps en temps. 
Mais comment ne pas se perdre dans ce dédale ? Comment ne pas se noyer dans cette mer ?

Parfois, je me sens plein d'appétit. D'autres fois, je me sens dégoûté, en pleine indigestion. Pourtant, je sais bien que tout est question d'équilibre. Si je possède la clé, tout est simple. Si je vois clairement le principe, tout est clair. 

L'abeille butine, les abeilles sont nombreuses, innombrables les fleurs.
Mais le miel est unique. 

Les philosophies sont nombreuses que j'ai parcourues et savourées.

Cinq sont restées, comme un mandala, ma famille proche :

La Vision Sans Tête ; Mahâmudra ; Dzogchen ; la mystique ;
et, au centre, le shivaïsme du Cachemire.

De tout cela, reste le trésor des 360 expériences d'éveil à mon essence, ma véritable nature inexprimable.

De tout cela, reste les Quatre Yogas : connaissance, souffle, silence et vibration.

De tout cela, reste deux aspects : silence et vibration.

Et ce deux aspects sont inséparables dans la présence, ici et maintenant, le cœur.


L'arbre est riche de mille branches, jusqu'aux nervures de chaque feuille, unité sans confusion. Tout part et revient à un seul tronc, solide et un. Mille racines aussi. Mais un seul arbre, bien unifié. La richesse ne contredit pas la simplicité. Chaque chose à sa place, une place pour chaque chose. Tout les nuances sont bien visibles. Mais tout est un.

Parfois, je me sens embarrassé par cette profusion. Je me demande si ça n'est pas du "syncrétisme", du dilettantisme, du superficiel.
Mais non, car tout cela est bien unifié dans l'harmonie d'une seule vie, comme dans un être vivant. Les milliards de cellules, les myriades de bactéries concourent à la vie d'un seul être. Si je me sens embarrassé, comme égaré, confus, c'est parce que je perds de vue le Principe. Si je conserve bien claire la souche et l'ordre des parties, le tout me paraît clair, ma vision ne se perd pas dans le multiple.

Il y a de nombreuses philosophies. Elle s'unifient.
Cette unité n'est pas le résultat d'un choix délibéré. Je ne me suis jamais assis à une table en me disant : "Bon aujourd'hui je vais ranger tout ça. Il est temps de faire un peu d'ordre !" Non, cela s'est fait tout seul. De manière organique. 

Certaines philosophies que j'estime grandement ne figurent pas dans le Mandala des Cinq. Comme le Vedânta, le platonisme ou Zhuang Zi. 
Pourquoi ?
Tout simplement parce que ces philosophies se rangent parmi les cinq du mandala. 

Une autre manière de voir l'ordre de toute cette variété :

A l'extérieur, la politique, le courant libéral.

A l'intérieur, l'éthique, le stoïcisme et une morale de la sobriété, de l'acceptation, du détachement.

Au plus intime, une spiritualité du silence et du ressenti du centre.

Bien d'autres structures, souples et qui s’interpénètrent, existent, telles des miroirs qui se reflètent mutuellement. Elles sont toutes vivantes car toutes sont en mouvement, en évolution. Mais le changement n'exclut pas la stabilité.

Un et multiple, clair et agile. L'arbre de la connaissance répond à l'arbre de la vie.

Noël

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Noël est la fête du solstice d'hiver.
C'est la fin d'une descente et le début d'une remontée.
L'énergie du soleil a baissé, l'énergie de la lune est montée.
Et puis tout bascule, le soleil va reprendre le dessus.
Mais entre les deux, dans l'intervalle, ce n'est ni le Soleil, ni la Lune, ni ceci, ni cela.
C'est un instant de suspension du devenir, de cette perpétuelle guerre qu'est le devenir, une trêve hors du temps, un hors-jeu.
C'est l'entre-deux, là où s'éveille l'énergie de vie, le feu vertical qui consume et se répand, préparant un nouveau cycle.
Pour le ressentir, il suffit que je me donne à la présence à la fin d'un expir, car chaque cycle respiration est le miroir d'un cycle annuel. Noël, c'est la fin d'un expir, le terme de la descente. Et si j'écoute ce qui se passe alors, je peux assister à la renaissance de tout, au premier instant de toute vie, de tout mouvement. Noël, c'est le Big Bang. C'est le tout premier frémissement de la clarté au coeur des ténèbres. La première montée, puissante car toute neuve, sans but encore, à l'état naissant.
Noël n'est pas juste un événement social ni une fête religieuse. C'est un point hors du temps, un pivot, le moment où le balancier va repartir. C'est, selon la tradition du Cachemire, le lieu de l'éveil de la conscience. Au terme du long lâcher-prise de l'automne, la conscience est prête à se retourner, à se réveiller.
Noël, c'est le mystère de la vie à portée de souffle.

Par tous les pores de la peau

Shining Through

"A travers la lampe des yeux : pratique grossière.
A travers les cinq sens : pratique moyenne.
A travers les pores de la peau : pratique subtile."

Maître Présence céleste, Drenpa Namkha, tradition Boeunpo, Tibet

Voir la lumière qui voit briller à travers la vaste ouverture des "yeux".
Percevoir la présence qui jaillit à travers les cinq sens,
comme une lampe dans un vase.
Sentir la vibration qui ruisselle à travers la "peau",
qui exsude comme une vapeur, qui rayonne comme une lumière, etc.

Si je me sens incapable de "rester dans la présence" dans le quotidien,
alors je peux faire attention à des choses :
la vaste ouverture du champ visuel, sa transparence, porter l'attention vers ses "rebords";
les sensations dans le corps, une zone plus précise :
sommet de la tête, nuque, ventre, hara, main, front, plante des pieds...;
la peau, l'espace autour de la peau.
Par exemple, quand je suis assis, les mains posées à plat, étalées, 
une partie de mon attention sur ce ressenti des mains étalées ;
ou, quand je suis debout, le ventre détendu, avec juste une légère tension
minimale, l'attention posée en partie sur cette masse;
ou bien, l'attention donnée à la fin de l'expir, souvent, pas forcément longtemps. Mais souvent.
Sans chercher midi à quatorze heure, le silence devient vivant.

Pratiquer ainsi dans le quotidien, sans honte, sans rancune, sans calcul ni gêne.

mercredi 25 décembre 2019

L'abandon



Prendre conscience de la conscience peut ne prendre qu'un instant.
La conscience étant toute d'une pièce, simple et sans devant ni derrière, elle peut se connaître tout d'une pièce. Elle demeure alors toute muette, ses énergies unifiées, dans un silence absolu, dans une vision de transparence
parfaitement limpide. 
Pourvu que l'intellect soit en état et que l'attention soit un peu maîtrisée, cela est accessible à tous en peu de temps et d'un seul tenant.

En revanche, s'abandonner à ce silence, sans plus chercher délibérément quoi que ce soit de plus, cela est bien plus difficile et progressif. 
En fait, comme cet abandon touche à toutes les strates 
innombrables de l'âme, le progrès est potentiellement sans fin. Il y a aura toujours, au fond de ma
mémoire, quelque noeud à défaire, quelque résistance à dissoudre. 

Voilà pourquoi ce qu'en Inde on appelle la dévotion (bhakti), littéralement "la participation", ou l'amour, le fait de "se donner à", est indispensable. Sans cela, l'éveil passe comme une giboulée.
Sans parler du fait que, sans dévotion, la compréhension elle-même ne peut être que superficielle. L'expérience directe de la conscience par elle-même ne suffit pas. Encore faut-il apprécier, reconnaître et comprendre l'expérience et ses implications. Il faut un cadre qui relie cette expérience au reste de la vie. C'est comme pour n'importe quel choc : il faut du temps "pour réaliser".
Sans cela, sans cette structure intellectuelle, l'expérience à elle seule sera finalement conçue comme une expérience passagère, fut-elle "puissante et au-delà des concepts", et non comme l'éveil de la conscience.
Cette structure, cette philosophie, peut-être simple. 
Elle est vouée à être incomplète et en évolution, certes.
Peut importe : elle comporte quand même des vérités certaines et donc assez stables pour stabiliser l'expérience en lui conférant un sens.

Voilà pourquoi l'enseignement traditionnel invite à la dévotion. 
Ainsi Ardjouna, à la fin de l'enseignement de Krishna, affirma qu'il agira selon l'enseignement de Krishna :

naṣṭo mohaḥ smṛtir labdhā tvatprasādān mayācyuta /
sthito 'smi gatasaṃdehaḥ kariṣye vacanaṃ tava // 18, 73

"Mon égarement a disparu, 
j'ai retrouvé la présence,
grâce à toi, l'Impérissable !
Je n'ai plus de doutes :
j'agirai selon ta parole."

"La présence" (smriti), la présence d'esprit, la mémoire. Sans mémoire, l'action juste est impossible. 
Quoi qu'il en soit, Ardjouna affirme qu'il n'a pas seulement "compris", mais encore qu'il est persuadé, de tout son être (sarva-bhâvena) et prêt à conformer sa volonté à ce qu'il a entendu. De même, le Chant de la vibration (Spanda-kârikâ), il ne suffit pas de reconnaître sur le vif la "vibration" qu'est la conscience universelle. Encore faut-il s'y abandonner, se laisser guider par elle :

yām avasthāṃ samālambya yad ayam mama vakṣyati /
tadavaśyaṃ kariṣye 'ham iti saṃkalpya tiṣṭhati // 1, 23

S'en remettant à cet état [de vibration],
on se résout à ceci et on s'y tient :
'je ferai tout ce qu'elle me dit !'"

Tout se passe donc comme si il devait y avoir une sorte de relation personnelle à la conscience universelle, même si c'est la conscience elle-même qui se reconnaît ainsi, au-delà de toute identification à un individu.
Le Chant de la vibration évoque "ce que me dit" la Vibration, la conscience. Il y a donc là une relation, une question muette et une réponse coite. Silencieuse, sans discours, mais éloquente. Il y a une écoute et une orientation, une disponibilité à une action intérieure, 
une inaction intense. Et tout ceci se passe dans la plus absolue liberté. Je suis invité, mais c'est tout librement que moi, conscience universelle qui joue à se prendre pour un individu, j'accepte cette invitation, cet appel, ce discours intuitif, sans mots ni images. C'est même, peut-être, la seule véritable liberté de l'individu : accepter ou refuser
de se mettre à l'école de la conscience universelle, à l'écoute de la conscience, de ce mystérieux saisissement
qui me prend quand je me réveille.

Récapitulons :

- la dimension cognitive de l'éveil est facile et instantanée ; la dimension affective de l'éveil est difficile et progressive.
- la théorie et la pratique doivent dialoguer, sinon c'est l'impasse. Il faut les deux.
- Il y a une relation à la conscience universelle, même si elle est, au sens final, le seul "Moi", plus moi que moi.

mardi 24 décembre 2019

Le jeu de la conscience


En gros, il y a deux philosophies possibles :

- le réalisme critique, qui dit que le monde existe indépendamment de la conscience, mais que nous ne le percevons qu'à travers notre conscience, faite de représentations. C'est la thèse de 99% des philosophes, scientifiques, etc.

- l'idéalisme, qui dit que tout est conscience. C'est une thèse défendue par très peu de philosophes aujourd'hui.

Et c'est le message central de la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijnâ), par exemple dans ces versets, le Poème sur l'absolu (Anuttara-pancâshikâ), oeuvre d'un certain Âdya Nâtha :

[sarvasaṃvinnadībhedabhinnaviśrāntibhūmaye |
namaḥ pramātṛvapuṣe śivacaitanyasindhave ||]
akṛtrimāhamāmarśaprakāśaikaghanaḥ śivaḥ |
śaktyā vimarśavapuṣā svātmano'nanyarūpayā || 1 ||
śivādikṣitiparyantaṃ viśvaṃ vapurudañcayan |

pañcakṛtyamahānāṭyarasikaḥ krīḍati prabhuḥ || 2 ||

"Je célèbre l'océan de la conscience-Shiva,
qui est conrètement le sujet qui perçoit [tout cela]
et qui est le lieu où vont reposer les différents
fleuves que sont les différentes expériences.

Shiva est Lumière sans faille et unique,
qui se réalise à travers un "je suis je" spontané.
Il fait jaillir toutes choses - son corps -, depuis l'état de conscience suprême jusqu'à la solidité de la terre,
grâce à son énergie qui est son pouvoir de se réaliser
et qui est identique à lui.
C'est ainsi que le Seigneur se délecte au jeu des cinq actes :
[créer, faire subsister, détruire, cacher et révéler]."

Shiva est conscience, car la conscience a ses attributs. 
En effet, être Shiva c'est être omniprésent, éternel, omniscient et tout-puissant. Or, la conscience est tout cela,
comme me le prouve mon expérience : tout apparaît en moi, par moi, tout disparaît en moi ; et je suis aussi doué du pouvoir de m'oublier et de me réveiller. Je suis donc Shiva, et tout être doué de conscience est Shiva, depuis la bactérie jusqu'aux êtres les plus complexes. Enfin, tout est conscience, car rien ne peut être prouvé en dehors de la conscience, donc tout est Shiva.

lundi 23 décembre 2019

Si tout est conscience, qui naît et meurt ?

Awesome Digital Portraits by Aly Fell

Si tout est une seule et même conscience, 

qui donc est soumis aux lois de la nature, de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort ? 
Qui est ignorant ou aveuglé ? 
Qui est victime de l'illusion de la dualité ?


Abhinava Goupta répond :


satyaṃ, na kasyacit kaścana bandho nāma, vastutaś citsvabhāvaḥ
svatantra eva ekaḥ śiva


"C'est vrai ! Personne n'est prisonnier [de la dualité]. En réalité, il n'y a que Shiva, un, absolument libre, qui est conscience."


kintu tasyaiva anuttarāt svātantryāt yadā 
saṅkucitā saṃvidavabhāti, 
tadā svasya pūrṇasya rūpasya yadaparijñānaṃ
sarvasyaiva, pūrṇānandautsukyena
heyābhāsas, tatsvabhāvas tannibandhanas-
tenaiva otaproto'khyātiparamārthaḥ
prāṇaśūnyadehādisaṅkocavaicitrya-
carcitastata eva anekaḥ
pumān abhimato loke sāṅkhyādiśāstre ca

"Mais quand, par son absolue liberté, 
la conscience se manifeste comme contractée, 
alors cette conscience,
qui est le Tout [mais] qui ne connaît pas à fond 
sa propre plénitude, 
devient une apparence à rejeter
parce qu'elle désire la félicité de sa plénitude :
elle [semble] posséder cette nature [contractée],
elle en est prisonnière,
elle est tissée de cette [ignorance].
Cette connaissance incomplète [d'elle-même] 
est sa vérité absolue.
Elle est pensée à tort comme une multiplicité de 
[manifestions d'elle-même]
contractées - sensation, inconscience ou corps.
Elle est alors prise pour un individu, 
à la fois dans le monde ordinaire
et dans les enseignements spirituels 
comme de Sâmkhya." (IPVV, III, p. 359)

Ici, "inconnaissance" (avidyâ, akhyâti) désigne 
non pas une absence
absolue de connaissance, 
car l'absence réelle de la conscience 
n'est pasréellement possible, 
mais plutôt une connaissance incomplète (apûrna)
de sa propre complétude (pûrnatva), incomplétude qui, 
elle-même, provient du libre jeu de son absolue liberté.
Il n'y a jamais inconscience, 
mais seulement conscience incomplète.
Et même cette imperfection est le jeu de la perfection.
Il n'y a donc qu'un seul être qui joue à se rendre prisonnier 
de ses propres oublis, 
en s'identifiant librement à tel ou tel individu,
tout comme un individu peut s'identifier 
à différents personnages.
La cause ultime de tout ceci est le vertige de la liberté.

dimanche 22 décembre 2019

Comment voir les choses tout en voyant le Soi ?

Monde magique ...(Foret des chutes loray) ...

Le coeur de la pratique est la pratique du coeur : le retournement de l'attention vers soi.
Quand je me retourne, de tout mon être, de tous mes sens, de toutes mes énergies,
je plonge au centre, dans cet être infini que je suis toujours déjà.
Donc, pas seulement "voir". Mais c'est là une façon de parler.

Il y a donc cet être mystérieux au centre de ma personne, ce vide derrière le masque.
Mais alors, c'est le masque qui apparaît vide, et le vide, plein. 
Comme si, au centre de moi, il y avait depuis toujours un être fait d'extase, se nourrissant d'extase.
De la conscience de ceci/cela, je passe à la conscience de conscience.
Émerveillement, plané, veillé, assuré.

Mais ensuite, la conscience des choses se poursuit. Or, comment retourner l'attention tout en faisant attention aux choses, "extérieures" ou "intérieures", comme les pensées, etc. ?

C'est la question posée dans le Bouquet des vérités au complet (Mahâ-artha-manjarî, XIVè siècle, Cidambaram) :

nanu viśvavyavahāro hi bahirgrāhyārthatayā vartamānaḥ 
kathamātmasvabhāvo vimarśaḥ syād

"Mais de fait, la vie quotidienne commune est concrètement faite d’extraversion vers des objets extérieurs. Dès lors, comment pourrait-elle être cette réalisation de soi qui a pour nature le Soi ?"

Cette objection consiste à demander comment la vie quotidienne peut être conscience de soi, alors qu'elle est, de fait, conscience des choses, tournée vers le dehors, dans la direction opposée au Soi, à la conscience ?

L'Auteur répond par le verset 12. Notez, au passage que dans toute la littérature philosophique de l'Inde, même "spirituelle", toute affirmation est systématiquement présentée comme la réponse à une objection. Le style n'est jamais dogmatique. Il prend toujours la forme d'un dialogue, comme chez Platon. Toujours. Ce dialogue est comme l'écho du dialogue atemporelle entre Shiva et Shakti, qui est justement au coeur de ce verset 12 :

pṛthvīparamaśivayoḥ pratyāhāre prakāśaparamārthe |
yo'nyonyaviśeṣaḥ sa eva hṛdayasya vimarśonmeṣaḥ ||

"L'absolu de la totalité [des états de conscience],
depuis la matière solide jusqu'à la conscience universelle
est la Lumière.
Sa différentiation est la réalisation du Coeur,
l'éveil, l'expansion."

Rien n'existe en dehors de la conscience.
Mais alors d'où vient que se manifeste autre chose que la conscience ?

La conscience n'est pas un bloc statique et homogène. 
Elle est douée du pouvoir de s'échapper à elle-même, en elle-même. D'où l'émerveillement secret au coeur de toute expérience.

Par exemple, quand je suis absorbé dans la perception de ce ciel bleu.
Je suis alors "conscience du bleu". Et soudain, un ballon jaune s'élève.
Une conscience une se différencie en autre chose.
Mais cette conscience du jaune est "éveil", expansion (unmesha).

Pourquoi ? Parce qu'elle délivre la conscience de l'identité avec le bleu,
identité dans laquelle elle devenait statique, comme embourbée.
Le nouveau venu est arrachement, délivrance à l'objet. 
Ce faisant, la conscience revient à elle-même en son infinité,
comme un Big Bang silencieux. Et donc, tout explose à nouveau à partir 
de la conscience universelle indicible. Et donc chaque apparition d'un nouvel objet
est éveil et occasion d'éveil. 

Voilà pourquoi la Reconnaissance ne prône pas de bloquer la conscience des choses,
mais plutôt de se rendre attention aux intervalles entre les consciences des choses.
Chaque nouveau mouvement part de l'acte infini qui est l'absolu.

La dualité ou la différence (bheda) sert donc ici de voie d'éveil.
Mais comme dit Vasugupta "que l'on en fasse l'expérience par soi-même !"
car  c'est indicible. 

L'éveil, c'est ce qui surgit quand je suis plongé dans quelque chose,
et qu'autre chose fait irruption. Comme une porte qui claque ou n'importe quoi d'autre.
Comme le ballon jaune dans le ciel bleu. 

Et l'objet est alors réalisé comme une réalisation de soi.

Et du coup, la vision de l'objet n'est pas incompatible avec la vision du Soi.
Non que l'objet soit nié, bloqué ou jugé comme étant "faux", "irréel", etc.
Mais il est perçu comme une vague dans l'océan de la conscience,
dans l'océan de l'expérience présente. 

C'est ainsi que j'apprend à voir les choses tout en voyant le Soi.

Voilà pourquoi le shivaïsme du Cachemire invite à pratiquer
au coeur du quotidien.

samedi 21 décembre 2019

Tout est-il subjectif ?

Résultat de recherche d'images pour "platon""

Ecouter le Protagoras de Platon : une pratique salutaire.
S'asseoir, faire silence. Ecouter. Ré-écouter.

Toute existence est conscience

Light and Shadows, Taiwan ~ captured by Chian Tsun Hsiung

Dans un beau passage d'un texte perdu, La Lignée du nectar (Rasa-anvaya), il est proclamé que "être, c'est être perçu" :

yā cit sattaiva sā proktā, sā sattaiva ciducyate |
atra citsattayorvyāptis, tatrānando virājate ||
yatrānando bhaved bhāve, tatra citsattayoḥ sthitiḥ | iti |

"Ce que l'on appelle 'conscience',
c'est précisément le fait d'exister.
Et l'existence n'est rien d'autre
que la conscience.
Et là où conscience et existence
sont identiques,
là resplendit la félicité.
Quand la félicité advient dans un état,
c'est l'état où conscience et existence
sont identiques."

En effet, notre expérience prouve qu'existence et conscience sont synonymes.
Là où il y a conscience, il y a existence. Là où il y a existence, il y a conscience.
Ainsi "le monde" n'est qu'un concept contenu dans la conscience, 
la "matière" est une abstraction qui dépend entièrement de l'acte conscient
qui la crée en la pensant.
Il y a stricte équivalence (vyâpti) entre les deux.
Quand il y a conscience, il y a existence. 
Quand il n'y a pas conscience (ce qui est impossible),
il n'y a pas même rien.
Donc la conscience que je suis est aussi vaste que l'existence.
Là où il y a quelques chose, où même rien, 
là brille la Lumière sous ces formes où cette absence de forme.
Et cette identité avec l'existence, avec le fait d'être,
c'est-à-dire avec l'acte de créer, est félicité,
car j'ai alors conscience que tout ce qui est, 
est en moi.
D'où repos, vertige, émerveillement, délectation
et félicité. Sentiment du sublime à l'état pur,
né du contraste entre la puissance infinie 
et l'absolue vacuité.
Inversement, toute félicité est signe d'une conscience,
même partielle, que l'existence n'est rien d'autre que mon activité créatrice.
Être, conscience, félicité sont strictement équivalents.
Nous sommes cela.
Tel est la fin ultime de toute existence : se réaliser directement, se reconnaître comme en un miroir limpide,
infini. C'est l'absolue délivrance et tout à la fois la somme totale de toutes les félicités.

Expirer dans un expir

mitch-luckers-dimples:  B

Se laisser partir sur un expir.
Se laisser porter dans le silence qui suit.
Je suis ce silence, nu, flottant, vacant, indescriptible.
Quand l'attention est reprise par un détail,
je reviens me poser sur un expir,
propulsé dans l'espace, sans retour,
sans un regard en arrière.
Tout s'ouvre dans cette présence ouverte.
Comme si le bavardage,
chevauchant cette expiration,
s'exilait à jamais dans l'infini repos.

Qu'est-ce que le Cœur ?


Dans les milieux spirituels, on entend souvent parler du "coeur" qui serait la véritable intelligence,
une intelligence intuitive à l'opposé de l'intelligence discursive. "Le coeur a ses raisons..."

Dans la littérature indienne, le coeur est généralement synonyme de l'intellect (buddhi), la plus haute faculté humaine. Par exemple, selon le Vedânta, c'est l'intellect qui connaît le Soi, mettant ainsi fin à l'aveuglement source de toutes les souffrances.

Dans le shivaïsme du Cachemire, c'est une métaphore de la quintessence de tout.
En résumé : tout est manifesté par la conscience et la conscience a elle-même un coeur, appelé "le Coeur", auquel j'ajoute une majuscule pour marquer son importance, même s'il n'y a pas de majuscules dans la langue sanskrite, attendu qu'il n'y a pas d'écriture sanskrite en propre.

Mais qu'est-ce que ce Coeur ?

Un verset l'évoque :

"La véritable lumière qu'est le Coeur
est l'agent de l'activité d'exister.
Elle est conscience de soi.
Existant en elle-même, 
elle devient la manifestation de toutes choses
quand elle est excitée."

(Maheshvarânanda, Le Bouquet des vérités au complet, 11)

Autrement dit, le Coeur est la conscience en tant que la conscience est le pouvoir de "prendre conscience de", sachant que "ce qui prend conscience" et l'objet de cette conscience sont un et le même, puisque rien ne peut exister en dehors de la conscience. Le Coeur est donc le pouvoir qu'a la conscience de se ressaisir elle-même, de se réaliser. 

Mais la conscience est libre. Elle a donc aussi le pouvoir de se réaliser comme "autre", jusqu'à s'oublier dans cet "autre". On dit alors qu'elle est "excitée". C'est ainsi qu'elle se réalise en toutes choses et que les univers, innombrables, jaillissent sans effort en son sein. Par exemple quand "je vois du bleu", c'est moi, conscience infinie, qui me perçoit comme "bleu". Ce qui implique contraction et oubli de moi-même. Elle se réalise ainsi à travers les trois états : d'abord la veille et le rêve, qui sont deux états de séparation relative - relative car rien n'existe jamais en dehors de la conscience ; et dans le sommeil profond qui est pure unité, négation de tout contenu et affirmation quotidienne de la souveraineté de la conscience. 

Mais ce pouvoir fait partie intégrante de ce que je suis - pas une chose, mais le pouvoir sans limites de me réaliser ainsi et autrement, en tant que n'importe quelle chose, réelle ou non.

Et cette liberté qu'est la conscience est le "Coeur" car, de même qu'un corps ne peut vivre sans les pulsations du coeur qui font circuler le sang, de même, rien ne peut exister sans conscience. Même le "néant" existe, en tant qu'idée. Et cette idée est encore un acte de conscience de soi, une façon pour l'Être de se réaliser. Tout est donc conscience, acte de réalisation de soi, de création de soi, qu'il s'agisse d'une chose réelle ou irréelle, concrète ou abstraite, peu importe. 
La conscience est aussi le Coeur, car comme un coeur, elle est animée d'un double mouvement d'expiration et d'aspiration. L'expiration, ce sont les deux états de veille et de rêve ; l'aspiration, retour à l'indifférencié, est le "sommeil profond", sans rêves. La conscience est donc aussi comparable à une vibration. Voilà pourquoi son existence, à toutes les échelles, est généralement cyclique. C'est ce dont je fais l'expérience immédiate quand je tourne mon attention vers ma respiration. Mais au fond, cela est vrai de toute expérience, car "expérience" est synonyme de conscience, et donc de Coeur, de vibration, c'est-à-dire au sens d'un mouvement infini en soi, dont les cycles de la nature sont les échos objectifs.

La conscience est donc "l'agent de l'activité d'exister", elle est la source vivante qui se crée elle-même d'infinies manières en prenant conscience d'elle-même, de manières totale et parfaite, ou sur un mode contracté et imparfait.

La conscience est donc action, existence, acte, création, réalisation. Elle est "lumière", mais cette lumière n'est pas statique ni confinée en elle-même. Elle est ouverture, générosité, donc de soi à soi, conscience de soi. Ce verset insiste sur le fait que la conscience est activité. Elle est mouvement, dynamisme sensible. Il n'y a pas séparation entre parfaite conscience de soi et conscience "excitée", source du déploiement universel. Quand la conscience est tournée vers elle-même, absorbée dans la parfaite réalisation de soi, elle est aussi "excitée", mais de façon infiniment subtile. Quand elle semble se détourner d'elle-même (bien que le fond de parfaite conscience de soi demeure nécessairement présent), elle se tourne vers "l'autre", c'est le cela, l'objet, la chose apparemment privée de conscience propre. Mais la "conscience de l'autre" est encore une forme de conscience de soi, de conscience de conscience. Il n'y a donc que des différences de degrés. Et même l'oubli de soi dans la conscience de l'autre fait partie du jeu de la conscience qui "joue" à dépendre de cet autre, sans jamais réellement en dépendre, exactement comme je joue à imaginer des histoires, des personnages, des réalités alternatives, etc., sans jamais me dédoubler réellement pour autant.

En tous les cas, le fait que "tout est conscience" n'implique aucun confinement en soi. Ce sont les choses qui, en revanche, sont chacune confinées en leur être simple. Moi, conscience, je suis au contraire absolue liberté de me manifester ainsi, autrement, ou les deux à la fois. L'insistance sur la conscience comme "acte" est ici une manière de pointer la liberté absolue qu'est la conscience, ce pouvoir de se manifester à soi comme autre, tout en restant soi. Et c'est une excellente description de l'expérience présente. Nous sommes donc, sans aucun doute, la conscience universelle souveraine. 
Le Coeur est cette quintessence qui englobe tout, qui anime tout.

vendredi 20 décembre 2019

L'art de la vie intérieure

I can hear them singing to each other in the deep blue💙

La vibration silencieuse, vaste et puissante,
est un trésor inépuisable de guérison.

Pour goûter instant après instant ce nectar,
il y a une clé :
l'art de l'attention muette.

Je dis "art", car nul ne peut prétendre à une parfaite maîtrise et définitive.
C'est une pratique, dans les tempêtes de la vie
qui, peu à peu, devient intérieure, 
de plus en plus imprégnée de cette présence.
C'est le silence vivant entre deux pensées,
c'est la sensation d'extase à l'aube de tout mouvement.

Il y a deux facettes, si l'on veut :
reconnaître cette présence ;
et poursuivre cette reconnaissance dans les activités.

Tout cela avec courage, avec une patience infinie,
une douceur totale, une foi parfaite, comme le marcheur
qui avance dans la tourmente sans perdre de vue la lumière.

Encore et encore, remettre l'oeuvre sur le métier,
sans honte, sans comparer, sans tergiverser,
dans un abandon au plus profond,
un geste de confiance qui suffit.

La connaissance est vision instantanée.
Mais le cœur met l'éternité à s'ouvrir,
comme une éponge infinie 
qui mettrait un temps infini
à se laisser imprégner
par l'eau de la mer
dans laquelle elle baigne.

mardi 17 décembre 2019

Le dopage spirituel ?

Le sport, c'est le dopage :


Les gens ne veulent pas le savoir. Ils veulent du rêve. De la Mâyâ. Regardez le Tour de France. Du pipeau. Et pourtant, les spectateurs n'ont jamais été aussi nombreux : environ trois milliards et demi. "Le dépassement de soi". Une forme de transcendance.
Et quand je vois Oprah Winfrey recevoir les aveux de Lance Armstrong, des années après les victoires du "champion", j'ai du mal à ne pas faire le parallèle avec le monde de la spiritualité. Oprah reçoit Armstrong. Oprah reçoit Eckhart Tolle. Tolle qui construit son mythe du sage idiot, alors qu'il se dope aux idées des autres, alors qu'il est un intellectuel qui ne reconnaît aucune dette. Pour ne prendre qu'un exemple, son concept de "corps de souffrance" est prit à Barry Long. De même que Katie Byron a volé ses idées à un autre, qui lui-même les avait volées à la Scientologie, qui elle-même avait pompé ses "protocoles" loufoques sur certains programmes financés par la CIA. 
Mais les gens ne veulent pas savoir. Ou bien ils s'en fichent. Ils veulent du rêve. "Ce Qui Est". Ben voyons... "Accepter le Réel", "Voir la Réalité telle qu'est Est", "Juste Cela". Oui oui. Bien sûr. Mais tout cela est alimenté par le dopage des mensonges, des plans marketing, des mythes élaborés au fil des ans, des mythes de soi, de sa personne, même chez celles et ceux qui se disent "éveillés à l'impersonnel". Untel se fabrique ses propres mythes, ment sans vergogne, fait croire qu'il a reçut telle initiation d'un mystérieux inconnu, qu'il est un Avatar, une réincarnation spéciale, qu'il a la science infuse et que, par l'opération du Saint Esprit, il sait "qu'il ne sait rien". Le Marché ne connaît aucune limité. C'est cela qui définit le Marché : omniprésent, omniscient, tout-puissant. Tous les coups sont permis. D'ailleurs, tout n'est-il pas relatif ? La vérité n'est-elle pas une simple affaire de point de vue ? Alors, mentir... Et si, en plus, "ça fait du bien", pourquoi se priver ? Tout est relatif. Chacun pour soi. Après tout, ce ne sont que des mots. Et puis, le Bouddha n'a-t-il pas enseigné que la fin justifie les moyens, tous les moyens ? Alors, allons-y. Dopés au mensonge, Untel s'écrit des romans dont il est le héros, Tel autre, à l'image d'un coucou, récupère le prestige d'une tradition dont il ne connaît rien. Tout le monde joue un personnage, toujours à la recherche des dernier trucs en vogue pour séduire un public toujours plus capricieux. 
Mais tous le monde s'en fout. "Peu importe le flacon"... Nihilisme, cynisme. Après moi... quoi ? Rien. Voici l'ère de la post-vérité, où l'imagination consumériste prolifère comme jamais.
Et les lanceurs d'alerte ? Bah, des gens malheureux, des intellos ou des victimes de vieux blocages. Les scrupules n'existent pas. Ce ne sont que des maladies. Des hordes de thérapeutes sont là pour ça. Dopés au boniment, certes. Mais bon, "pas de jugement", n'est-ce pas ?
"Kake it till you make it". Le vrai n'est qu'une facette de la Grande Mâyâ.
Aujourd'hui, le sport, c'est comme la spiritualité. D'ailleurs, le yoga n'est-il pas un sport comme un autre ? Le sport n'est-il pas une forme de spiritualité comme une autre ? Tout se mélange. Transdisciplinarité. Toujours plus vite, plus fort, plus haut, plus intense. Rien n'échappe à cette compétition, où tous coups sont permis, du moment que l'on ne se fait pas prendre.
Un Marché où règne une compétition féroce et où le dopage est la règle.
Chaque jour, je sens cette pression et les tentations qui vont avec. Les frontières entre vérité et mensonge s'estompent. Les limites deviennent floues. L'engrenage semble irrésistible. Marcher droit contre vents et marées.
Je garde la foi. Mais je ne me fais pas d'illusion. Ni sur moi, ni sur les autres.

Comment gérer les pensées ?

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La vie intérieure a deux entrées : faire silence à l'intérieur en prenant conscience du bavardage et en se retournant ; et plonger dans le cœur central, la quintessence frémissante à l'aube de tout.

- Mais que faire des pensées qui persistent ?

Ne pas leur prêter attention : ne pas les observer, ne pas les embrasser, ne pas les bloquer, ne pas les suivre, ne pas les poursuivre, ne pas les écouter, ne pas répondre. Et la félicité profonde du centre de soi détourne spontanément l'attention de ces contenus. Je suis alors comme fasciné et entraîné, malgré moi. Difficile à exprimer. En tous les cas, les mouvements ne sont plus un problème. Telle est la voie de Shakti, la voie de l'attention à la source, précise et concrète, praticable en toutes occasions, assis, debout, couché. 

- Mais je me sens envahi par les pensées ! Elles surgissent et prolifèrent sans fin, comme l'hydre au cent têtes. Je n'arrive pas à ce silence profond, et la sensation d'être submergé m'empêche de goûter à la félicité. Que faire ?

Orienter l'attention sur le fait que toutes les pensées, que toutes les sensations, que toutes choses, sont en train de disparaître, instant après instant. Ou plutôt, essayez de retenir une pensée, quelque chose, pris au hasard, peu importe. Et constatez que tout cela s'évanouit, comme des flocons, certes nombreux, mais qui fondent aussitôt qu'ils entrent en contact avec le sol chaud. Laissez l'attention basculer de "ah, toutes ces pensées qui surgissent !" vers "oh, toutes ces pensées qui se défont !" Et tout cela sans effort, comme des dessins tracés sur l'eau, qui disparaissent en même temps qu'ils apparaissent, comme les deux plateaux d'une balance. L'apparition et la disparition des pensées est alors perçue comme un seul mouvement. Et toute cette prolifération est de plus en plus ressentie comme un immense et abyssal mouvement de détente, d'expansion, de dilatation, de relâchement, de libération. Les pensées se délivrent d'elles-mêmes de leurs nœuds, comme des volutes dans le ciel. 
Et alors, au lieu de réagir aux tensions des pensées par d'autres tensions, un cercle vertueux se forme. Plus de pensées, plus d'ouverture, comme un immense bâillement sans terme ni fin. Une détente profonde, jusqu'aux racines de l'être, jusque dans l'espace. Tout se délite comme un château de sable, les fleurs s'ouvrent s'offrent à l'étendue, un très long soupir de soulagement jaillit du tréfonds des entrailles. Bref, laissez l'impermanence "gérer" les pensées. Au lieu de tendre à un idéal imaginaire à l'aune duquel vous jugez l'expérience présente, laissez-vous aller à épouser le cours naturel des choses.

Une pratique simple et complète.

lundi 16 décembre 2019

A la racine

The Horned God - Cernunnos/Herne (stag-horned) in Celtic tradition and Faunus/Pan (goat-horned) in Graeco/Roman tradition. Interconnected observations of the Horned God in His multi-manifestations occur for many who claim Him as their Patron. The Horned One is known as the primeval God of Male Sexual Vitality.


Nous avons tous l'instinct de plonger. 
D'ordinaire, il est comme braise recouverte de cendres, lave pétrifiée en surface.
Ces cendres sont des habitudes, des croyances intériorisées, des vieux réflexes. 
Se dire que "c'est impossible, c'est trop simple, trop facile". 
S'agacer de plonger, puis de perdre cette connexion. Se sentir coupable d'oublier encore et encore.
S'arranger avec soi en se disant que "grâce à telle technique... en tel endroit... à tel moment...".
Plonger est un acte qui ne peut avoir lieu qu'ici, maintenant.
Je me dis parfois que je suis trop tendu, trop agité, trop préoccupé, indisponible, distrait...
Tout cela est illusion, tromperie. Je le sais bien, quelque part. Mais je me laisse avoir, encore et encore. Je joue à croire que "je dois" d'abord maîtriser le mental, apaiser ces tensions au ventre, et mille autres soucis. J'associe la félicité intime à des circonstances imaginaires : si seulement j'étais au calme dans la nature... Ça n'est qu'un jeu de projection, de confusion, je le sais bien. Mais, par une sorte d'orgueil mal placé, je me crispe ainsi, déployant une énergie incroyable à me persuader.
Alors que quand je plonge, tout se dénoue, se dénue et s'infuse d'un sentiment de perfection, de force, de confiance.
Nous sommes si inhibés. Mais entrer dans le jeu de la désinhibition, se serait encore ajourner et nourrir cette inhibition. Il n'y a qu'une seule et unique issue : plonger, sans pourquoi ni comment, ici et maintenant. Maintenant. Se donner à cet être intérieur de félicité, silence profond qui ne dépend de rien, de personne, d'aucune pratique, d'aucune technique, d'aucune évolution, mais qui est la source de toute évolution. Plénitude de sens qui ne dépend d'aucune formulation particulière, d'aucun dogme, libre des mots, mais source de toutes les langues, de tous les mots, de toutes les expressions, sagesse muette à la racine de toute philosophie.

S'asseoir sur la souche, contre le tronc.

samedi 14 décembre 2019

L'acte d'être, ce rien par qui...

"Je dors aux songes creux des hommes, mais mon cœur bouillonne en toute ces poussières."


Le disciple de l'enseignement de Ramana Maharshi, Michael James répond ainsi à un lecteur qui demande si le Moi n'est pas, tout simplement, "l'acte de percevoir", c'est-à-dire la perception :

"What we need to investigate is not the act of witnessing but the witness itself. That is, we need to investigate what is perceiving all this, not what is the act of perceiving all this."

Source

Dans l'esprit de James, la perception reste un acte. Or, conformément à l'enseignement de Shankara, tout acte est un changement. Donc l'acte ne peut appartenir au Soi immuable. Donc...

Outre que l'on voit ici à l'oeuvre un exemple de l'influence du Vedânta, on peut remettre en question ce présupposé. 

Pourquoi, en effet, séparer ainsi l'acteur et l'acte ? C'est faire comme si le feu, par exemple, était autre chose que ses pouvoirs de chauffer, éclairer, sécher, etc. Mais comment peut-on connaître une chose autrement que par ses pouvoirs, ses propriétés ? La substance n'est pas séparée de ses propriétés. Être une chose, c'est être une cause dit, je crois, Spinoza. 

De plus, pourquoi craindre ainsi l'action ? Certes, une chose peut difficilement changer sans cesser d'être elle-même, sans perdre son essence, son "Soi". Mais en va-t-il de même de la conscience ? Ne fais-je pas sans cesse l'expérience de changer, tout en restant le même ? Quoi de plus facile ? Ce paradoxe, sans doute inaccessible à l'entendement, n'en est pas moins un fait d'expérience, de toute expérience. En réalité, c'est l'expérience elle-même, car ce mot ne désigne rien d'autre que le Soi et la conscience, c'est-à-dire cette incroyable pouvoir de changer tout en demeurant le même. Sans effort. 
La conscience n'est pas séparé des actes. Ou plutôt, les actes ne sont pas séparés d'elle, pas plus que les branches ne sont séparés du tronc, pas plus que les vagues ne sont séparées de l'océan. Et la conscience elle-même, le Soi, mon essence et l'essence de tout, est l'acte pur d'exister qui, dans son sillage de lumière pour ainsi dire, fait exister toutes choses. Comment le sais-je ? Par expérience, en cet instant même. "Je suis" n'est pas un bloc statique d'être clos sur lui-même, mais extase infinie qui à la fois se ressaisit sans cesse et s'échappe sans fin, dans un mouvement de balance qui est "nonchalance pleine d'ardeur". "Je" est l'acte d'être, qui s'engendre à chaque instant et s'engendre du même coup comme toutes choses, à l'infini. Voilà pourquoi "je suis" est être, mais aussi bien conscience et donc plaisir, joie, béatitude, félicité, extase, ravissement bien enraciné, plongée au centre où "je suis" toujours déjà. Voici cette folie divine, cet sauvage errance donc chaque détail est une signature. 

On me dira peut-être que c'est là s'attacher à la connaissance. 
Mais l'attachement n'est pas un mal en soi. Le mal est - si tant est que l'on retienne cette idée de "mal" au sens d'un "mauvaise" qui serait manque de puissance - dans le fait de s'attacher à ce qui est petit. Et encore, même cette mesquinerie est transmutée en magnanimité, pour que que je reconnaisse en l'infime le débordement d'amour de l'Unique nécessaire, tu Tout qui est tout jusque dans les petits rien.

Quand je m'éveille à ce bouillonnement, le bavardage est comme assourdit par l'éloquence muette de l'infime, de l'infinie présence du rien resplendissant dans les détails.

Et "je suis" est cet acte, Cœur de la Yoginî.

Pourquoi est-ce que je ne vois pas le Soi ?


Si "tout est conscience", pourquoi est-ce que je ne vois pas la conscience ?
 - Parce que la conscience est ce qui voit, en cet instant même.
Elle est "ce qui enregistre" ces mots et tout le reste.

Je le comprend intellectuellement, mais je ne le vis pas.
- Parce que ton attention est tournée seulement vers les choses, le monde extérieur et le monde intérieur. Retourne ton regard. Vois cela qui voit.

Oui, mais je ne vois rien.
- Ce "rien" n'est rien pour l'attention habituée à être tournée vers les choses. Elle est tout pour qui s'ouvre à ce regard qui ne débouche sur "rien", sur rien de délimité. Cette transparence est liberté. Ne rien être, comme un miroir qui accueille tout.

Mais comment faire ? Où regarder ?
- Retourne ton attention. Doucement mais dans la fraîcheur. Un regard émerveillé, neuf, nu, dépouillé, simple, sans repère. Demeure ainsi, tel quel, sans saisie, sans conclusion, sans fin, sans crainte, sans espoir, à ton aise, sans comparer, sans pourquoi, sans passé ni futur. Ce regard retourné est silence dans les pensées et silence en leur absence. Un silence parfait, complet, spacieux, facile, comme un vol plané ininterrompu. Sans aucun regret, sans précipitation, présent, limpide, sans obstacle, comme un torrent muet. C'est comme couper le son. Un regard net, retourné, vide, un rien uni à tout ce qui surgit, libre pour tout ce qui s'en va, instant après instant. Une présence qui laisse venir, qui laisse partir. Ample, intense, précis, immobile, vivant. 

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