jeudi 30 avril 2009

Le Grand Arcane des Parfaits - XV

Quelques rares adeptes célèbrent notre Puissance
en s'unissant sexuellement à une femme.
Par le Geste de Vajrolî,
leur corps devient (indestructible comme le) diamant. 7

"Le Geste de Vajrolî" consiste d'abord à faire l'amour sans perdre sa semence. Comme dans le Geste de Khecarî, l'idée sous-jacente est que le sperme est la quintessence de l'énergie vitale produite par la digestion des aliments. En le conservant, le sang est peu à peu remplacé par le sperme, la "lune" l'emporte sur le "soleil", et la mort est mise à mort.

Ceux qui sacrifient à tous les dieux
par les cinq grands sacrifices,
eux aussi finissent par se résorber en la Puissance,
sans aucun doute. 8

"A tous les dieux" : aux divinités, aux Voyants (Rishis), aux ancêtres, aux sages et aux éléments. Par ces rituels brahmaniques orthodoxes, on finit par atteindre la même parfaite conscience de soi.

Je suis le suprême Shiva, le Puissant, en forme de méthode :
je suis la voie des activités quand (je me connais sur le mode de la) distraction,
je suis la voie de la connaissance quand je me désire dans la mémoire,
je suis la voie de Shiva quand j'aspire à l'expérience intuitive. 9

L'auteur définit ici les trois "méthodes" (upâya) dont parle Abhinavagupta dans sa Lumière des tantras. La voie des activités, des pratiques comme le yoga, est une voie qui présuppose un oubli à peu près constant du Soi. Le yoga se veut un remède contre cette distraction.

En dehors de (toute) méthode,
j'existe intuitivement comme existence (pure et simple).
Me délectant de la force du Soi,
je suis le Grand, le Puissant, le suprême Shiva. 10

Après les trois méthodes, l'auteur décrit l'absence de méthode (anupâya), car le Soi est l'évidence même.

La Reconnaissance ferme et intégrale de la Puissance
advient par les Cinq.
Ainsi ceux qui adorents ces Cinq
sacrifient grâce à eux. 11

Les "Cinq" sont les femmes, la viande, l'alcool, le poisson et les graines grillées. Abhinavagupta ne mentionne que les trois "absolus" (brahman) : sperme, viande et vin. Il s'agit du rituel kaula, le "sacrifice primordial" (âdiyâga), décrit par Abhinavagupta dans le chapitre 29 de la Lumière des tantras en particulier.

Amritavâgbhava, Le Grand Arcane des Parfaits (Shrîsiddhamahârahasyam), Jammû 1983.

lundi 27 avril 2009

Le Grand Arcane des Parfaits - XIV

Sixième journée : Enseignement des yogas des Parfaits

Les sages adorent notre Puissance
au moyen du Mantra,
purifiés par la sextuple imposition,
la purification des éléments, etc. 1

Le yoga du Mantra est ici le rituel de la Shrîvidyâ, fort complexe et comprenant notamment de nombreuses impositions de divinités sur le corps de l'adepte. "Notre Puissance" : la Puissance de conscience, de désir, de perception et d'action définie dans le chapitre précédent.

Les sages adorent notre Puissance
au moyen de la Résonance,
retirés dans une caverne,
les oreilles bouchées par les annulaires . 2

Le yoga de la Résonance (nâda) est l'écoute du son subtil entendu quand on se bouche les oreilles. Cette écoute mène à l'Ecoute qui n'est autre que la parfaite conscience de soi comme Lumière illimitée.

Certain reconnaissent la Puissance
au moyen d'un regard qui ne vacille pas,
fixé sur la sphère (de lumière) qui apparaît sur un mur
ou bien sur la lumière d'une lampe dans un lieu abrité du vent. 3

Le yoga du regard consiste à établir le regard sur un ciel sans nuage ou n'importe quelle surface unie, ou la flamme d'une bougie. Des visions de lumières se développent graduellement, jusqu'à "la vision des Parfaits" et de la Lumière infinie du Soi.

Certains célèbrent notre Puissance
par l'arrêt du souffle,
en prenant la posture du lotus
et en réalisant le geste des six fermetures. 4

L'arrêt du souffle rend la respiration si ténue qu'elle semble avoir cessé. Etant donné le lien entre souffle et esprit, l'esprit se dissous dans la parfaite conscience de soi. Le "geste des six fermetures" consiste à bloquer la bouche, les narines, les yeux et les oreilles avec les cinq doigts de chaque main, et l'anus avec le talon.

Certains sacrifient à notre Puissance
en buvant le nectar de la lune
en retournant la langue à l'intérieur de la tête,
selon la méthode de "Celle qui vole dans le Ciel". 5

"Celle qui vole dans le Ciel" : la fameuse Khecarîmudrâ. De nombreux traités sont consacrés à cet accomplissement, qui s'entend en trois sens au moins : a) A l'origine, il s'agit du pouvoir de voler. b) Ensuite, il s'agit de retourner la langue vers l'arrière du palais pour boire un liquide censé s'écouler du cerveau (la "lune"). Normalement, ce nectar de vie est consummé par le "feu" du désir sexuel sitié au-dessous du nombril. En clair, cette ambroisie est "perdue" sous la forme du sperme. Voilà pourquoi les hommes sont consummés par le feu du temps, et voilà pourquoi les Parfaits sont immortels. c) Enfin, elle est l'accomplissement ultime, la parfaite conscience de soi, pareille à un ciel infini : tout apparait en nous-mêmes.

Certains prennent refuge en notre Puissance
en dissolvant chaque organe dans l'organe (qui est sa source).
Au moyen de cette dissolution, ils parachèvent les cinq éléments,
c'est-à-dire le monde des phénomènes. 6

Le yoga de la dissolution consiste a résorber chaque chose en sa source, comme lors de la mort et de l'endromissement, mais de façon consciente.

Amritavâgbhava, Le Grand Arcane des Parfaits (Shrîsiddhamahârahasyam), Jammû 1983.

dimanche 5 avril 2009

Ek Baba tha...

Les gens n'apprécient pas d'être rappelés à des vues plus réalistes. Or l'Inde est sans rivale par ses richesses spirituelles. Soit. Mais Bénarès est aussi une ville sale, envahie par des Indiens vénaux, voués au culte du sac plastique, des tubes au néon, des armoires en fer gris métallisé et autres bidules, le plastique se taillant peu à peu la part du lion. Les Indiens tout de blanc vêtus, dans des campagnes paisibles et parfumées, c'est une création de Gandhi. Et c'est fini. Terminé.
Bien sûr, il y a des gens sérieux. Mais autant chercher une aiguille...
Regardez cet exemple typique : un maître de yoga de la lignée de l'immortel "babaji". C'est le monsieur en bas, avec le bandeau rouge. Mais non, ce n'est pas le gourou de Rambo. Par contre, il est fort probable que Chuk Norris, Jean Claude et autres idoles du cinéma asiatique l'aient inspiré.
Donc, la recherche d'un maître est elle-même un maître.

samedi 4 avril 2009

Le Grand Arcane des Parfaits - XIII

La déesse Kâlasamkarshanî (?) sur Bhairava, musée (magnifique) de Pattan, c. XVIème siècle.


Suite et fin du cinquième chapitre du Grand Arcane des Parfaits

Par la force, l'invisible devient visible,
l'inaudible devient audible.
Tout ce qui a force est
enraciné dans la Capacité. 11

[Cette fois, je rend "shâka" par "capacité" plutôt que par "puissance", pour distinguer de "shakti", plus couramment employé. La "force" n'a rien à voir avec les Jedis. Elle désigne simplement les forces physiques et mentales. L'auteur veut dire que toute force vient de la Puissance personnifiéepar la Déesse.]

Tout ce qui apparaît,
tout ce que l'on dit,
se déploie et se reploie
grâce à la force.
Tout cela est enraciné
en la Capacité. 12

La force qui se voit ou qui habite
dans le sens littéral,
suggéré ou figuré des mots,
cette force a sa racine dans la Capacité. 13

[Thème classique des tantras : la Puissance est Parole. Toute expérience est tissée de langage.]

Une seule Capacité irradie
(dans les états du sujet) :
par l'oubli dans la veille,
par le souvenir dans le rêve,
en étant goûtée durant le sommeil profond,
en tant que (pure) existence dans le Quatrième (état). 14

[L'auteur fait ici allusion au schéma des quatre états du sujet. Le sommeil sans rêve est censé être une expérience du repos dans la pure Lumière du Soi, mais avec une conscience assoupie. C'est pourquoi l'on se réveil avec une impression de bien-être, mais sans être libre pour autant. Dans le Quatrième état, en revanche, on est le Soi, mais en pleine conscience. D'où le sentiment de plénitude que l'on y éprouve.]

Le grand dieu que les ascètes et les sages mythiques
s'efforcent d'atteindre par (les huit étapes du yoga)
- prescriptions, interdictions, postures, retrait des sens, fixation, concentration, méditation et contemplation -
c'est la Nature propre,
le Puissant. 15-16

Cela n'est atteint ni par l'idée de but à atteindre,
ni par l'idée de renoncement.
Ce qui est évident,
le Principe suprême,
la Nature propre,
c'est lui, le Puissant. 17

Les sublimes déesses que sont
les facultés sensorielles et mentales
adorent sans trêve, immobiles,
une divinité.
Cette divinité est pour nous la Capacité. 18

Les huit divinités de la Parole, les huit Parfaits et les neuf dieux des richesses
ne vivent que par elle.
Pour notre victoire, telle est la Capacité. 19

[Les "huit divinités de la Parole" sont les séries de consonnes de l'alphabet sanskrit.]

Les douze Rayons solaires et les onze Rudras
les huit dieux de la Terre (qui tous ensemble constituent la Nature)
prennent toujours refuge en la Capacité. 20

Les sages sacrifient aux divinités des trente-six catégories (du réel)
au moyen de la plénitude.
Ce sacrifice est pour nous la Capacité. 21

[Bref, la Déesse est à la fois le sacrifiant, l'acte sacrificiel et la divinité à laquelle s'adresse le sacrifice. Ce dernier vers fait allusion au rituel de la déesse Suprême (Parâ) durant lequel l'adepte boit des libations d'alcool ("au moyen de la plénitude") faites aux divinités des trente-six tattvas, visualisées au niveau du nombril.]

Amritavâgbhava, Le Grand Arcane des Parfaits (Shrîsiddhamahârahasyam), Jammû 1983.
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