lundi 29 décembre 2014

Qu'est-ce que le tantra non-duel ?



La Triade ou Trika est une tradition du tantra non-duel qui invite à reconnaître que tout est manifestation émerveillée de soi en soi. Le monde, l'individu et sa Source ne sont pas des créations de l'aveuglement (avidyâ), mais le rayonnement gratuit, joyeux et bon de la pure Lumière consciente. Elle choisit de se manifester ainsi, dans l'aveuglement d'elle-même, tant elle est ivre de son absolue souveraineté. 

Voici comment un maître du tantra non-duel décrivait cette philosophie au début du XXe siècle, dans un commentaire sanskrit à un poème d'Abhinavagupta, génie du tantra non-duel du Xe siècle :

Extrait de l'Explication de La Méditation de la vérité ultime, par Hara Bhatta Shâstrî

Hommage au dieu, grand seigneur qui
Veille sur la Puissance toujours nouvelle !
Hommage au couple qu'ils forment, 
Toujours nouveau et toujours secret !
Hommage à Śiva !


La masse de la conscience est absolument une. Le seigneur suprême, océan de la conscience, débordant vers l'intérieur aussi bien que vers l'extérieur, prodigue ses vagues, celles des univers infinis qui abondent (en lui). Sa nature même est un émerveillement : l'expérience délectable de la conscience, de la pleine prise de conscience de soi - "je". Il repose donc en sa propre majesté. Il n'y a donc pas la plus infime manifestation extérieure d'une contraction (en lui), laquelle consiste en la séparation entre l'objet de conscience, le sujet conscient, etc.,  relative aux trois temps. Et c'est lui qui, débordant naturellement parce qu'il est une félicité sans failles, désire faire apparaître ce jeu qu'est l'univers. Il (manifeste ce jeu) seulement parce qu'il le désire, sans autre cause que lui-même et à partir de lui-même, sans avoir besoin des ingrédients (habituellement nécessaires) comme une matière et des instruments en guise de causes. Ainsi il manifeste librement, en soi-même, en son Soi, c'est-à-dire comme séparés de lui bien qu'ils n'en soient pas séparés - comme des reflets dans un miroir - (mais) mélangés à l'espace et au temps - toute la merveilleuse diversité des relations de cause à effet : les sujets et les objets ainsi que leur relations qui apparaissent en se niant mutuellement et qui sont un mélange de pure (connaissance) et de (connaissance) impure (car incomplète). De plus, lui seul, qui n'est pas mesuré par le temps et autres (restrictions), est la nature propre absolue de ces manifestations. En réalité,  rien n'est donc créé, maintenu ou bien détruit. Seul l'espace de la conscience, masse de félicité, se manifeste dans une plénitude de plus en plus intense, ivre de ces modes contraires. Telle est la tradition de la Triade.

Traduit par A


dimanche 28 décembre 2014

La Lampe de la liberté

Matsyendra, le grand maître du Kula sur le poisson qui l'avala et avec son bâton de méditation (yogadanda), photo de l'auteur, Hampi



Le shivaisme du Cachemire n'a disparu que très récemment.
En dehors de Lakshman Joo de la lignée de Swami Ram, il y avait Amrtvagbhava et Gopinath Kaviraj. Au travers des dignes réceptacles que furent leurs disciples tel que Hemendranath Chakravarty, j'ai pu recevoir quelques gouttes de leur sagesse. Toutefois il a existé d'autres sages immenses comme Mansaram Monga, un descendant du grand Bhaskara Kantha. Mansaram a fuit l'islam pour s'installer au Penjab et y fonder un petit ashram. Mais comme il était dans la zone revendiquée par les partisans de Mahomet, la partition de 1947 a contraint ses disciples de fuir à nouveau. Il fut aussi l'un des maîtres de Swami Ramjoo, maître de Swami Vidyadhar. Comme Swami Ram est né vers 1852 et mort en 1915, Mansaram Monga est de cette époque. L'ashram de Swami Ram survit à Shrinagar. Ils publient ce journal ci-dessous :


Mansaram Monga est l'auteur de La Lampe de la liberté (Svâtantryadîpikâ), une série d'aphorismes (sûtra) avec un commentaire, le tout en sanskrit. Voici quelques uns de ces aphorismes qui montrent qui était familier des arcanes du Kula et de la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijna), pour qui la réflexion (vitarka) est la voie de la liberté.



Le sujet suprême est impérissable.

Il est le soleil de la conscience qui illumine tout et tous.

Il est le Soi de tout et tous.

(On le reconnait à travers) l'instruction secrète qui synthétise le commencement et la fin ("a" et "ha", aham, "je").

Quand on se laisse posséder (par cette conscience) on devient identique à elle.

(On reconnait cette conscience) dans la lune, le soleil et le feu.

Le pouvoir (de conscience) de ce (sujet suprême) est (identique à) son Soi.

On atteint la réalisation ultime par la fusion (du soleil et de la lune, c'est-à-dire) en méditant sur le sujet (suprême) qui est notre propre conscience.

(On la reconnait aussi) à travers expansion et contraction.

(Ou bien) en méditant la vérité totale, (c'est-à-dire la doctrine des douze aspects de Kâlî).

Le yoga, (l'union avec le sujet ultime) est (l'union) avec l'élan qui engendre l'existence.

C'est l'état naturel.

Le raisonnement est le remède ultime.

Le cœur est la Lumière consciente.

Quand on est distrait, on est réduit à l'impuissance.

etc, etc...

samedi 27 décembre 2014

Un aigle en liberté dans l'Immense

Eagle Flying In The Sky HD wallpaper for Standard 4:3 5:4 Fullscreen UXGA XGA SVGA QSXGA SXGA ; Wide 16:10 5:3 Widescreen WHXGA WQXGA WUXGA WXGA WGA ; HD 16:9 High Definition WQHD QWXGA 1080p 900p 720p QHD nHD ; Other 3:2 DVGA HVGA HQVGA devices ( Apple PowerBook G4 iPhone 4 3G 3GS iPod Touch ) ; Mobile VGA WVGA iPhone iPad PSP Phone - VGA QVGA Smartphone ( PocketPC GPS iPod Zune BlackBerry HTC Samsung LG Nokia Eten Asus ) WVGA WQVGA Smartphone ( HTC Samsung Sony Ericsson LG Vertu MIO ) HVGA Smartphone ( Apple iPhone iPod BlackBerry HTC Samsung Nokia ) Sony PSP Zune HD Zen ; Tablet 2 ;

On dit souvent que la tradition mystique chrétienne refuse le non-dualisme, même quand l'expérience de la non-dualité s'impose à l'un de ses mystiques. Ce n'est pas faux. 
Mais il y a plusieurs sortes de non-dualismes. 
Par le passé, j'ai proposé de distinguer un non-dualisme par exclusion (par exemple Shankara) d'un non-dualisme par inclusion (par exemple Abhinavagupta). 
Or cette dernière sorte admet une certaine dualité, une multiplicité, des différences, des distinctions, à l'intérieur de l'unité qui est la conscience, reconnue comme Dieu. C'est un point capital du tantra non-duel et de la philosophie tantrique de la Reconnaissance. Selon Abhinavagupta, il ne s'agit pas en effet de réfuter la dualité en lui opposant l'unité d'une conscience pure, mais de réintégrer la dualité dans l'unité, le multiple dans l'un. Concrètement, le yogi reconnaît le fond de conscience qui fait l'unité de toute chose. Puis il reconnaît ensuite toute chose comme étant la manifestation de ce fond. De sorte qu'il n'y a pas contradiction - pas dualité - entre la dualité et l'unité : c'est la non-dualité suprême. Comme dit Abhinavagupta :

"Nous célébrons Shiva 
Qui met en pièce la thèse initiale de la dualité
Grace à la thèse intermédiaire de la non-dualité,
Puis qui établi enfin
La thèse de la non-dualité suprême."

Notez : la non-dualité est une thèse intermédiaire, provisoire, comme l'antithèse dans une réflexion dialectique. La non-dualité suprême, quant à elle, est suprême parce qu'elle inclut la dualité.

Je crois qu'en Occident, le platonisme et la mystique chrétienne qui en dérive, adoptent ce point de vue. Alors que la démarche du Vedânta de Shankara est binaire (on réfute la dualité par l'unité) et donc dualiste, celle du tantra non-duel d'Abhinavagupta est ternaire : on affirme, on réfute, puis finalement on intègre l'affirmation dans sa négation. C'est de la pure dialectique hégélienne et cela concorde avec l'esprit du mystère de la Trinité, le modèle qui a inspiré Hegel et notre fameux plan de dissertation thèse-antithèse-synthèse. Ca ne rappellera sans doute pas de très bons souvenirs à certains, mais ce schéma reste extraordinairement riche. Et à mon sens, il est le seul qui soit véritablement non-dualiste.

Il existe donc une forme de non-dualisme chrétien. Et c'est dans cet esprit qu'il faut lire des passages comme celui-ci, toujours du vigneron Jean Aumont dans L'Ouverture intérieure, vers 1660, à propos de l'âme en contemplation :

"Elle se voit devenir dans Dieu elle et plus parfaitement elle, qu'elle ne l'était dans elle-même, lorsqu'elle était à elle-même. 
Si bien que s'étant ainsi désistée d'être dans elle, elle devient unie à Dieu. On sait que Dieu prend sa complaisance dans l'âme non seulement de l'âme, mais de toutes les choses créées qu'elle lui a rapportée au sein de son immensité, l'homme étant un abrégé de l'univers dans sa composition, et dans lequel Dieu veut perfectionner toutes les choses créées pour s'en délecter dans l'âme de l'homme.
Il faut que l'âme sorte. Dieu veut ouvrir son immensité pour y jouir de sa franchise et de sa pleine liberté. Et ainsi, n'y trouvant plus rien qui la limite, l'âme se laisse enlever et abîmer à travers l'ouverture intérieure de son fond central, dans l'immensité divine. Vous verrez cet aigle en liberté à perte de vue dans cette divine immensité et vous l'y verrez s'y résorber et engloutir ainsi qu'une goutte de rosée tombée dans l'océan, laquelle en s'y perdant, n'y perd que sa petitesse. Et tout cela en retirant ainsi notre esprit de l'extérieur à l'intérieur, de la circonférence au centre et de notre centre à l'être divin, y réintroduire [réintégrer] notre âme par voie d'amour comme elle en était sortie par voie de création et l'introniser dans le cœur de son immensité pour y régner éternellement."


N'est-ce pas limpide ?


vendredi 26 décembre 2014

Le Grand arbre des tantras

Le "tantra", c'est d'abord la religion de Shiva (shaiva-dharma). La religion de Shiva est révélée dans des textes.
 Voici une présentation schématique de ce corpus de textes, basée sur les recherches les plus récentes (voir ici). Notre connaissance a progressé de manière extraordinaire ces trente dernières années. 
Ce schéma se lit de haut en bas, du publique vers le privé, du commun vers le spécial, et du culte où Dieu (Shiva) domine vers un culte ou la Déesse domine. Evidemment, il faudrait des explications, mais ma maîtrise de ces organigrammes est fort limitée... Il aurait fallu mettre le haut en bas, à la manière d'un arbre.
Sont exclus de ce schéma la tradition secrète du Kula (il existe des versions kaulas du Trika et de la tradition de Kali) et les tantras tardifs du Bengale (publiés par John Woodroff, etc.). Ce schéma présente le tantra de l'Âge d'Or, jusqu'au XIIe :



jeudi 25 décembre 2014

Magie de Noël, le mystère de la naissance selon le tantra

A quoi correspond Noël dans la tradition tantrique ?

L'année est une respiration.

Noël, le soltice d'hiver, correspond à l'instant d'équilibre entre la fin d'un inspir et le début de l'expir suivant.

L'expir est soleil, quand les jours s'allongent.
L'inspir est lune, quand les jours rétrécissent. 

A la fin de l'expir et de l'inspir, la dualité cesse, ce n'est plus ni le jour ni la nuit.

C'est à cet instant qu'ont lieu l'adoration et la reconnaissance. 

Des chapitres entiers des enseignements de Shiva sont consacrés à la célébration du mystère de cet intervalle d'équilibre, porte vers l'un.

La fin de l'inspir est le repos dans le cœur, le yoga de Shakti. Le moment du ressenti du "je suis" qui n'est pas une abstraction ni simplement l'être, mais bien l'acte d'être, l'étonnement d'être, l'émerveillement devant l'insondable abîme de la toute-puissance, l'amour et la félicité pure qui sont l'élan créateur à la source de l'expir, de tout.
La fin de l'expir est le repos dans l'espace, le yoga de Shiva. Le moment de l'être pur, simple, indicible.

Si Noël n'est pas le 21 mais le 25 décembre, alors il correspond précisément, dans la tradition du Kula, non à l'équilibre parfait dans le coeur, mais au premier instant de l'éclosion de la toute-possibilité divine, à la naissance de tout au cœur du rien. Cet élan originel peut être ressenti "dans la région du cœur" au moment d'un choc de surprise, d'une grande frayeur, de l'orgasme, d'un moment d'extrême confusion... Il est la fusion de tous les possibles qui vont peu à peu s'esquisser, s'exclure mutuellement, jusqu'à devenir notre réalité soi-disant matérielle.

Un petit dessin récapitule quelques fragments de ce mystère de la tradition du Kula :




Noël est donc, dans la tradition du tantra, la naissance de tout au sein du rien, le grand mystère, le mystère des mystères.

Un acte très simple


Le vigneron Jean Aumont, vers 1650, écrit sur la méditation qui consiste à se laisser guider par notre Centre et notre Source. L'âme ainsi guidée du plus intérieure d'elle-même
"n'agit que d'un acte très simple, qui consiste en attention ou en adhérence au divin attrait, et cela parce que l'âme s'est laissée dépouiller peu à peu de la multiplicité de ses actes naturels. Notre âme devient infiniment libre, simple, une et divine."

Comment ? Il s'agit de
"tout quitter pour l'amour du pur amour, en nous laissant passivement amortir et impérieusement crucifier et mourir à toutes ces jouissances divines. [L'âme] ne peut d'elle-même s'end éfaire, mais il faut que le saint-amour y intervienne et qu'il y opère. l'âme n'a point d'autre moyen que le moyen sans moyen. C'est un langage qui ne peut être entendu que des vrais amoureux qui savent laisser brûler, embrasser et consommer leurs âmes dans le divin fourneau de la volonté, tout ainsi que le bois se laisse brûler et consommer dans le feu sans se mouvoir."

Bref, l'individu ne peut se délivrer des limites de l'individu. Il peut seulement s'ouvrir à la grâce. 
C'est tout.


mercredi 24 décembre 2014

Comme un écureuil dans une roue

Le monastère artificiel, inerte

Le monastère naturel, vivant


Pourquoi tant de chercheurs et si peu de trouveurs ? 
Le vigneron français Jean Aumont nous répond, vers 1660. 
Les hommes cherchent la Source et on ne la trouve pas 
"parce qu'ils se tiennent la face de l'âme tournée en dehors sur leurs actes, sur les points et motifs des sujets et objets de leur méditation avec la roue du raisonnement, tout ainsi qu'un écureuil enfermé dans une cage en forme de roue qui court sans cesse à l'entour de soi-même.... ainsi fait l'homme qui cherche Dieu à la naturelle ne cessant de rôder et tournoyer à l'entour de la roue de ses propres raisonnements. 

Et aussi 
"en se détourant de ce fond central et de ce sanctuaire divin et de ces rayons surnaturels..."

Et donc
"c'est au fond de votre cœur où vous devez vous retirer en silence et humilité, pour y recevoir l'illustration du pur amour dans le miroir intérieur de votre âme, duquel rayon lumineux et clarifiant est réimprimé en votre âme la divine ressemblance...
Établissons notre demeure au plus profond de ce mystérieux désert, ce monastère naturel, vivant et portatif."

mardi 23 décembre 2014

Un vide vivant


"C'est parce qu'ils ont découvert la source d'une activité inépuisable, après avoir renoncé à l’agir propre, que des mystiques intensément vivants comme Ruysbroeck, Eckhart, Abhinavagupta condamnent  avec une telle véhémence les adeptes de la vacuité passive qui tournent le dos à la vie et à son dynamisme, l'expérience de l’acte spontané et efficient leur faisant totalement défaut :

Unifiés dans le vide aveugle et sombre de leur être propre, ils s'y croient un avec Dieu, et ils prennent cela pour la béatitude éternelle. Au-dessus de ce repos essentiel qu'ils possèdent, ils ne sentent ni Dieu ni diversité. La lumière divine ne s'est pas manifestée à eux dans leurs ténèbres parce qu'ils ne l'ont pas recherchée avec un amour actif et une liberté surnaturelle. (Ruysbroeck)

En effet tout est là, ils sont dépourvus de liberté et ne peuvent surmonter cette attitude erronée qui remonte à leurs premiers pas dans la vie spirituelle. Tragique est donc leur position, d'où la mise en garde que leur adressent ces grands génies de la mystique. Ce qu'ils ignorent et repoussent ainsi, c'est la caractéristique même de la vie : l'acte, sa spontanéité, son efficace et sa merveilleuse liberté dans le flux et le reflux d'une vie divinisée."

Lilian Silburn, "Le vide, le rien, l'abîme", dans Le vide, Les Deux Océans, p. 57

Comme des poissons dans l'eau

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"Dieu est comme une mer immense en laquelle et dans laquelle le Ciel, la Terre, l'Enfer, et le monde entier, vivent et se conservent comme les poissons dans la mer. Il est très intime et présent en toutes choses. Et cependant il n'y a point de chose aussi digne de considération que lui. Dieu est plus présent dans le monde, que le monde ne l'est en lui-même. C'est comme une éponge qui, jetée dans la mer et abreuvée d'eau au-dedans et au-dehors."

Falconi, La Vie divine et incompréhensible de Dieu, vers 1620.

lundi 22 décembre 2014

Partager, c'est réaliser


"Il vaut mieux parler à Dieu que parler de Dieu"

Grégoire Lopez, mort au Mexique en 1596

Soit. Mais "parler de" c'est aussi "parler à".
Comme disaient Douglas Harding et La Doctrine secrète de la déesse Tripourâ, le meilleur moyen de faire croître la conscience du divin en soi est de la partager avec les autres. 
Contrairement à un gâteau, qui se divise quand on le partage, l'éveil se multiplie quand on le partage.
Car il n'y a qu'une conscience. Infinie.

dimanche 21 décembre 2014

Qu'est-ce qu'un yogi de Shiva ?

Akka Mahadevi, amoureuse de Shiva

Un maître vîrashaiva explique le nom "shivayogi" :

Parce qu'il est uni
A l'expérience de Shiva
Qui est l'espace transcendant,
Félicité et conscience,
Il est "un yogi de Shiva".
Il porte donc un nom
Qui correspond à la réalité.

La Lampe qui illumine de joyau de la doctrine, 21

Ceci traduit de la langue des dieux par votre humble dévoué (aidé par Dharma-le-chien), etc.
"Conscience et félicité" : Shiva et Shakti
Dans ce verset, il y a aussi une allusion subtile
A la doctrine typiquement shaiva selon laquelle
le couple Shiva/Shakti correspond
Au couple des mots et de leur sens.
Encore la parole...
Le yogi est unit à Shiva comme un mot à sa signification.
Notons, enfin, que "yoga" n'est pas défini ici comme "arrêt du mental", mais comme union de l'âme avec le divin.


La Lumière est parole


Il y a beaucoup de choses qu'on a du mal à comprendre sur les traditions spirituelles. Mais on peut progresser. 

L'une de ces choses est l'importance qu'elles donnent à la parole. Aujourd'hui nous vivons à l'ère du nihilisme (pas de valeurs), du relativisme (pas d'absolu) et du consumérisme (quand c'est simple, c'est vrai). Et quand nous tombons sur des propos traditionnels qui rejettent les mots, les concepts, la raison, la morale, nous jubilons : "Vous voyez, les sages de tous les temps pensent comme moi ! Hourra !" Pourtant, même les traditions qui semblent rejeter la pensée, les concepts, etc. mettent en valeur la parole, la pensée, la raison, etc. Le bouddhisme en est l'exemple le plus extrême. Mais de manière générale, les spiritualités de l'Inde sont centrées sur la parole. En Inde, la Kundalini, c'est la parole, c'est la conscience, c'est le souffle, c'est la vie. L'importance de la parole est éclatante dans les traditions indiennes qu'elle est même parvenue, déformée certes, jusque dans ces propos d'un romain du second siècle (?) extraits de La Réfutation de toutes les hérésies, I, 21 :

"Il y a des philosophes parmi les brahmanes... Ils s'abstiennent de manger des êtres vivants ou de la nourriture cuite, et se contentent de fruits. Et encore, ils ne les cueillent pas, mais prennent juste ceux qui tombent des arbres... Ils vivent nus... Ils affirment que Dieu est lumière, non pas celle que l'on voit dans le soleil et le feu. Mais pour eux, Dieu est parole, non pas celle qui s'articule, mais celle qui est connaissance, par laquelle le sage perçoit les secrets de la nature. Et ils disent donc que cette lumière est parole. Elle est leur Dieu..."

Cette parole est, en particulier, le Veda, le Savoir atemporel qui devient peu à peu parole articulée. La Parole est la clef de voûte du tantra non-duel (le "shivaïsme du Cachemire").

Soit dit en passant, il y a eu des Indiens jusqu'à Rome et des Grecs jusqu'à Ceylan, du moins jusqu'à l'arrivée des terroristes barbus à partir du VIIe siècle. On a retrouvé des tombes bouddhistes à Alexandrie d'Egypte. Certains ont rapproché la mystérieuse confrérie des Thérapeutes des bouddhistes du Theravâda. Ashoka, le grand empereur indien, fit graver vers -250 cette stèle, en Afghanistan (à Kandahar, non loin de Purushapura, "la Cité de l'Homme", où naquirent et grandirent les deux grands philosophes bouddhistes Asanga et Vasubandhu, et où aujourd'hui des enthousiastes du Coran exécutent des enfants dans leurs écoles - bien sûr cela n'a rien à voir avec l'islam, c'est notre faute à nous vilains Occidentaux !), écrite en grec et en araméen, la langue de Jésus :

File:AsokaKandahar.jpg

Témoignages du Cachemire


"C'est la volonté du Seigneur suprême qui se manifeste ainsi. Que m'arrive-t-il à moi (puisque je suis lui) ?"

"Je suis tout"

"Je suis tout cela"

"Un, je rayonne tout cela"

"Tout cela est l'absolue liberté de la manifestation de notre Soi"

"Tout est l'Immense"

"Je suis tout, je suis l'Immense"

"Toujours et partout, je suis la vérité ultime, l'unique réalité : la conscience"

"Tout cela est ma gloire"

"Tout cela est mon Soi"

"Je deviens tout"

"Je prends refuge en Shiva, la divinité de mon propre Soi, et non pas en un Dieu qui vit dans le royaume de l'illusion, séparé (de mon Soi)"

Yogarâja, vers 1050 

samedi 20 décembre 2014

Peut-on vivre à la fois dans la Source et dans le monde ?

MereMarieGuyart

"Mais que faire quand le quotidien nous emporte ?" Grande question que tout le monde se pose. Voici encore un témoignage à ce propos, par une femme du XVIIe siècle, Marie de l'Incarnation. Dans une lettre de 1627, elle décrit l'état de vie en Dieu, sans volonté propre, où l'on se laisse comme porter, à la fois toujours vide et toujours plein :

"L'âme étant parvenue à cet état, il lui importe fort peu d'être dans l'embarras des affaires ou dans le repos de la solitude. Tout lui est égal, parce que tout ce qui la touche, tout ce qui l'environne, tout ce qui lui frappe les sens n'empêche point la jouissance de l'amour actuel [le "ressenti du cœur"]. Dans la conversation et parmi le bruit du monde elle est en solitude dans le cabinet de l’Epoux, c'est-à-dire, dans son propre fond où elle le caresse et l'entretient, sans que rien puisse troubler ce divin commerce. Il ne s'entend aucun bruit, tout est dans le repos : et je ne puis dire si, l'âme étant ainsi possédée, il lui serait possible de se délivrer de ce qu'elle souffre. Car alors il semble qu'elle n'ait aucun pouvoir d'agir, ni même de vouloir, non plus que si elle n'avait point de libre-arbitre. Il semble que l'Amour se soit emparé de tout : lorsqu'elle lui en a fait la donation par acquiescement dans la partie supérieure de l'esprit, où ce Dieu d'amour s'est donné à elle, et elle réciproquement à Dieu. Elle voit seulement ce que Dieu veut, et que Dieu la veut en cet état. Elle est comme un ciel, dans lequel elle jouit de Dieu, et il lui serait impossible d'exprimer ce qui se passe là-dedans. C'est un concert et une harmonie qui ne peut être goûtée ni entendue que de ceux qui en ont l'expérience et qui en jouissent." 

Je ne saurais mieux décrire l'expérience du cœur fondue en celle du silence et continuée parmi les activités quotidiennes. Evidemment, le langage est un peu désuet, le vocabulaire est religieux et en rebutera sans doute plusieurs. Mais le sens onctueux et juste. Quelle joie de pouvoir partager ainsi par-delà temps et lieux, avec une française en plus !
En tous les cas, elle témoigne clairement de la compatibilité de l'absorption dans le cœur avec la vie de tous les jours. On peut parler et faire ce qui se présente, sans perdre cette onction du cœur.

vendredi 19 décembre 2014

Expérience d'un yogi du Cachemire


"Tout cet univers est seulement le déploiement de mes pouvoirs" : Quand je me reconnais comme conscience, je participe à la créativité de cette conscience qui est "plus moi que moi".

Mais :
"(Si) je suis seul je n'ai pas de joie" : l'Autre fait peur. Mais sans Autre, point de joie.

De plus :
"Tout ceci n'est pas à moi, mais à lui", à Dieu, à la Source, à la conscience, seule et unique existence, seule vérité, seule réalité. Le personnage que nous portons est factice. Entièrement créé. Notre "moi", comme conscience, est vrai, entièrement incréé. Entre les deux, le mystère de l'individu...

Et :
"Je suis pas l'agent : c'est la souveraine suprême, l'absolu pouvoir de liberté, qui agit ainsi" : Ce n'est pas l'individu qui agit par lui-même. Il n'agit qu'en s'identifiant à la Source, même un bref instant, même s'il n'en a pas une claire conscience. 
Ainsi, il y a une infinité de points sur la circonférence, mais il n'y a qu'un seul Agent, un seul centre.

C'est pourquoi :
"Je suis félicité de la conscience, non-duelle, ultime et tout d'un bloc".
"Je suis tout".

P.S.: ce yogi est Yogarâja, vers 1050. Traduit du sanskrit par le dernier des disciples du grand, de l'immense, du sublime Dharma-le-chien

jeudi 18 décembre 2014

Peut-on penser dans le silence ?


L'opposition entre Marthe et Marie illustre l'incompatibilité entre action et contemplation. 

Marthe (avec son broc) est toute affairée à aider l'oeuvre du Maître. Plus profondément, elle incarne l'approche spirituelle qui consiste à préparer l'Eveil en s'affairant à se purifier, travailler sur soi, pratiquer une discipline, une ascèse, des exercices, etc. 

Marie, en revanche, est assise aux pieds du Maître. Elle est entièrement tournée vers lui, dans l'instant présent. Elle incarne l'approche spirituelle qui consiste à aller directement à Dieu, au lieu de s'intéresser à ses dons, effets, œuvres etc. Dans cette perspective, on se tourne vers la Source, et elle nous transforme en elle-même.

Mais ce choix est-il inévitable ?

Tous ceux qui se sont aventuré sur les chemins intérieurs rencontrent un jour ce problème : je suis bien dans le silence de la méditation. Mais comment préserver ce silence au sein des activités quotidiennes ? Peut-on vivre "en Dieu" dans le monde ? 

A priori, oui, car tout baigne toujours dans ce silence éloquent. C'est seulement nous qui choisissons de l'écouter ou pas. Et, une fois que nous nous sommes tournés vers ce silence vivant, c'est à lui/elle que nous abandonnons les tâches du quotidien. Même les choses compliquées ? Comme penser par exemple. Car faire la vaisselle, soit. Les mains bougent d'elles-mêmes, je reste comme muet. Cela semble de l'ordre du possible. Mais penser ? Ecrire comme j'écris ces lignes ? Cela semble presque impossible. 

Et pourtant, non. Comment cela ?

Parce que l'absorption dans le silence n'est pas seulement une affaire d'attention. Ou pas premièrement. L'attention est dérivée. De quoi ? De l'intérêt. Or, l'amour n'est-il pas une forme d'intérêt ? Donc, au lieu de chercher à maîtriser son attention, on peut simplement se plonger dans la Source par un acte du cœur, comme on se jette dans les bras de quelqu'un. Et ce goût reste. Comme la joie d'une bonne nouvelle que l'on garde en soi toute la journée. Et si l'on éloigne de trop, on replonge. Simple.
Ou bien, on reste en silence. Muet à l'intérieur. Je ne saurais expliquer, mais c'est possible. En un sens, c'est même le mode de vie le plus facile !
Et puis dans ce silence d'immensité, il y a moins de pensées. Et quand "on" pense, cette pensée est claire et nette. Elle ne laisse pas de trace, comme un oiseau dans le ciel.

Pour finir, voici un témoignage sur cette vie de contemplation dans l'action :

"Mon esprit de plus en plus s'allait simplifiant... Mon âme est demeurée dans son centre qui est Dieu et ce centre est en elle-même où elle est au-dessus de tout sentiment. C'est une chose si simple et si délicate qu'elle ne se peut exprimer. On peut parler de tout, on peut lire, écrire, travailler et faire ce que l'on veut, et demeurer collé à lui par une union d'amour dans le fond de son âme, où tout est dans le calme et dégagé des sens."

Marie Guyart, alias Marie de l'Incarnation, Lettre de 1626

mercredi 17 décembre 2014

Toujours vide, toujours pleine

 Desktop Wallpaper · Gallery · Nature 
 The light of morning on the forest paths - Olympic National Park

"Je n'ai nulle prévoyance de mes actions... et néanmoins je ne me suis pas aperçue d'avoir omis trois ou quatre fois depuis peut-être plus de six ans, aucune des choses que je devais faire.
Voici donc ma disposition : je ne pense point, dis-je, à ce que j'ai à faire et n'y saurais penser ni le prévoir. mais dans le temps et l'occasion que l'on doit faire ce que l'on a à faire, de quelque nature que ce soit, il y a un petit souvenir qui nous est donné, comme une personne qui viendrait dire tout bas à l'oreille d'une autre : "Allez faire cela !" Je dis : tout bas, parce que c'est un souvenir qui se donne si doucement que cela ne fait nul bruit dans l'âme, comme font les désirs bouillants qu'on a d'effectuer quelque chose...
Les actions se font et s'accomplissent d'une manière presque insensible et l'on passe de l'une à l'autre d'une façon si imperceptible que l'on ne s'en aperçoit pas...
Il me semble parfois qu'en cet état l'âme est toujours vide et toujours pleine !
Toujours vide en ce que tout s'efface d'elle, soit les œuvres extérieures qu'elle opère, soit les affections intérieures qu'elle reçoit, n'en retenant ni conservant aucune idée, ni aucun souvenir.
Et toujours pleine, à cause des affections amoureuses que Dieu y verse incessamment !
Toujours vide, et c'est ce me semble l'état permanent et immuable de l'âme, duquel elle ne sort point, en ce qu'elle a une impression simple, douce mais forte, de son néant et du néant de toutes choses créées, qui la vicie d'elle-même et de toutes les créatures.
Toujours pleine, en ce qu'elle a une impression simple, douce, mais aussi forte, de Dieu qui la remplit, et toutes ses puissances, et les recueille entièrement ! Elles ne sont plus, en effet, dans leur opération naturelle, car l'imagination, quelque folle et extravagante qu'elle soit, ne court plus : elle est enchaînée et enfermée quelque part d'où elle ne sort plus ! J'ai pensé parfois que je n'avais plus cette puissance ou, au moins, je n'en ai aucun usage ! Quand parfois j'entends dire : "On se représente et on imagine tant de choses", cela me surprend et je ne le puis comprendre, car je n'ai ni image, ni figure, espèce ou représentation soit corporelle ou spirituelle, non pas même de la divinité et humanité de Notre-Seigneur, et lorsqu'il s'en présente et les veux former, il y a quelque chose en moi qui les rejette et les détruit en un moment, parce que je veux Dieu, et non son image et sa figure !
La mémoire ne repasse point sur le passé et ne pense point à l'avenir.
L'entendement est sans discours et raisonnement, ou du moins il en a si peu que cela peut passer pour rien. 
Et pour la volonté, elle est toute de feu.
Et toutes ces puissances sont dans je ne sais quel rassasiement et repos.
Et toute l'âme est dans un oubli de soi et de toutes choses, où elle ne se soucie ni de son bien ni de son mal, de son salut ou de sa perte. C'est à quoi elle ne pense pas !"

Claudine moine, vers 1640, La Grande ténèbre 

mardi 16 décembre 2014

Témoignage d'éveil

Believe Sun Light Forest

Voici le témoignage d'une franc-comptoise vers les années 1640 :

"La présence de Dieu visible et sensible m'a été changée en une impression que j'ai de Dieu dans l'âme, qui la remplit et l'occupe tellement que rien autre chose n'y peut entrer, qui me recueille et fait être en grand respect en tout temps, en tout lieu et toute rencontre. Je n'ai nulle image de la divinité ou humanité de Dieu Notre-Seigneur, que quelque fois, mais cela ne dure point, et l'état de mon âme est de rejeter aussitôt cette forme ou représentation, voulant et désirant absolument l'original et non la figure.
L'âme donc est vide de toutes choses, les fait toutes sans prévoyance. Mais elle est appliquée à tout ce qui se rencontre qu'elle doit faire, le faisant avec grand amour. Et les choses faites, soit spirituelles soit corporelles, ne se représentent à l'âme (la connaissance en étant entièrement ôtée) demeurant ainsi toujours vide et toujours pleine."

Claudine Moine, La Grande ténèbre

lundi 15 décembre 2014

Dormir contre le sein de l'Eveillée



Le ressenti du cœur dans l'espace transparent et silencieux est le remède souverain, l'alchimie qui transforme tout mal en bien.
Cette alchimie ne supprime pas la peur, seulement la peur de la peur.
Et ainsi de suite.

"Il n'y a que moi" : il n'y a que cette conscience en laquelle tout baigne comme les oiseaux dans le ciel. Ce n'est pas une abstraction mais une expérience. Et le ressenti de cette expérience. Et le ressenti de ce ressenti... à l'infini.

"Qui y a-t-il d'autre que moi ?" : Cela ne veut pas dire qu'il n'y a que ma personne ! Cela veut dire que l'Autre est une manifestation de ce que je suis profondément, dans le silence entre deux pensées. L'Un n'empêche pas l'Autre. Mais c'est l'Une qui se joue d'elle-même comme Autre. Gratuit.

"Ainsi, la peur disparaît. Je suis en équilibre stable" : Goûter le chant de ce je-ne-sais-quoi au fond de soi est la sécurité, l'absence de souci, la paix. C'est elle qui prend le relais. Je m'endors tranquille, en elle, comme bercé. En la conscience qui sait tout, je n'ai plus besoin de rien savoir. En la Déesse qui prévoit tout, je n'ai plus besoin de rien prévoir.

"(Si) je suis seul, je n'ai pas de joie" : Mais la paix n'est pas une fin en soi. Alors la Déesse Lumière-de-conscience, celle que je suis vraiment, que je suis plus que ma personne, joue à être ma personne et une infinité d'individus uniques et de personnages éphémères.

Paix et joie.
Sérénité pleine de surprises.
Sécurité et aventure : Que demander de plus ?


dimanche 14 décembre 2014

La plénitude


Les lois des religions
Ne peuvent emprisonner
Le cœur.
Le monde ce peut souiller
Cette conscience.
La contrée de notre vraie nature 
Absolument comblée :
Telle est la plénitude,
Débordante de cette manifestation fascinante
Qui se résorbe (simultanément en soi-même).

Abhinavagupta, Méditation de la déesse Suprême, Parâtrîshikâvivarana

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